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Entendu - Page 8

  • Imbert… et basse !

    diego imbert, colors, contrebasse, jazz, david el-malek, alex tassel, franck agulhonIl est des disques qu'on a envie, d'emblée, d'accepter tels qu'ils sont, sans leur chercher des poux dans une tête bien faite, ni même la petite bête à coups d'analyses musicologisantes d'où pointerait un soupçon de cuistrerie malvenue. Colors est de cette trempe, voilà qui ne fait aucun doute : ses quarante-cinq minutes d'un jazz détaché des affres du temps, ancré dans la plus belle des traditions mais vivifié par une énergie toute contemporaine, diffuse ses bienfaits avec un naturel qui serait un proche cousin du plaisir éprouvé à la dégustation d'un vin de garde. Après À l'ombre du saule pleureur en 2009 et Next Move en 2011, le contrebassiste Diego Imbert revient, entouré des mêmes compagnons, projeter en quartet une troisième salve de couleurs.

    Cette bande des quatre se présente en formation compacte, dépourvue des soutiens harmoniques traditionnels que sont le piano ou la guitare ; une absence dont les équipiers qui la composent s'accommodent en toute sérénité et dans une joie de jouer sculptée au fil des ans et des concerts : Alex Tassel (bugle), David El-Malek (saxophone ténor) et Franck Agulhon (batterie) servent avec une ferveur empreinte du lyrisme de l'amitié, mais aussi beaucoup d'humilité, la cause iridescente de ces Colors publiées chez Such Prod. Des couleurs qui ne sont pas près de pâlir, soit dit en passant…

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  • Synapse m'était contée…

    cellp, synapse, matias riquelme, tazio caputoOn pourrait dire qu’il s’agit d’un disque de contrebande... Non pas en raison de son caractère dématérialisé (pour l’instant, pas de version CD, juste la possibilité de l’écouter en ligne ici ou ), mais plutôt par sa manière de vous parvenir, à la façon d’une enveloppe qu’on aurait glissée sous une porte laissant filtrer la lumière d’une lampe. Un beau jour en effet, on reçoit un petit message avec un lien : soit une proposition d’écoute émanant d’un violoncelliste chilien, vivant en France depuis une dizaine d’années. Matias Riquelme, un musicien qui a terminé ses études classiques à Pantin dans la classe d’Ophélie Gaillard avant de se consacrer au jazz (notamment en travaillant avec Pierre Blanchard et Vincent Courtois) et aux musiques dites « actuelles », ainsi qu’à la musique contemporaine. Soulignons pour finir qu’on a pu le voir associé à quelques projets remarqués, comme celui de Médéric Collignon et sa Recherche du Roi Frippé en hommage à King Crimson ; ou bien le Mëtalïk Orkestra et son interprétation de Ëmëhntëhtt-Ré aux côtés de Magma. La carte de visite du monsieur, on l’aura compris, avait toutes chance de retenir l’attention...

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  • Ich bin Berliner

    COVER-EUROPA-BERLIN.pngJe reviendrai prochainement sur ce disque, à la fin du mois très probablement, une fois que j’aurai, sinon épuisé toutes ses richesses, du moins consacré encore plus de temps à en parcourir les trésors. Mais pour l’avoir reçu aujourd’hui même et déjà écouté deux fois de façon attentive, je ne résiste pas à la tentation d’une rapide évocation. Europa Berlin est la deuxième production discographique de l’ONJ sous la direction d’Olivier Benoit, après Europa Paris en 2014. Un disque que j’avais évoqué ici-même ainsi que dans les colonnes du magazine Improjazz de mon camarade Philippe Renaud.

    Et si je ressens le besoin d’en parler sans attendre, c’est tout simplement parce que sa découverte m’a inspiré une réflexion, instantanée. Celle-ci s’est imposée à moi et j’ai pensé qu’il était bon de la partager avec vous.

    Voici en effet près de 45 ans que j’écoute de la musique de façon quotidienne et intensive. Je suis passé par bien des étapes, qui n’ont jamais exclu les précédentes, dans un processus de sédimentation et d’élargissement de mes maigres connaissances. Rock, rock progressif, jazz rock, jazz, musiques minimalistes, musiques ethniques, musique contemporaine, sans oublier ce qu’on appelle musique classique, à des doses plus limitées toutefois mais ô combien enrichissantes.

    Or, je m’aperçois que les 74 minutes de cette nouvelle aventure au cœur d’une capitale européenne contiennent tout, je dis bien tout, ce que je cherche en musique depuis si longtemps et que je ne trouve la plupart du temps que sous la forme de bribes qu’il me faut ensuite assembler. C’est pour moi comme un miracle... L’énergie un peu sauvage et électrique du rock ; les élans du jazz au sens le plus large du terme, qu’il s’exprime par le biais de thèmes exposés avec beaucoup d’ampleur (et de luxuriance aussi, ce qui renvoie aux heures nobles du rock progressif), par des arrangements complexes mais toujours justes ou par la densité d’interventions solistes urgentes et pleinement habitées par les musiciens en action ; les motifs sériels et envoûtants nourris par l’école dite minimaliste ; le recours à un bruitisme qui nous rappelle que le processus de création musicale est aussi à comprendre comme un laboratoire, où rien n’est jamais fini, où tout se joue sur le fil du rasoir. Oui, tout est là, dans Europa Berlin, en pleine fusion, dans ce disque choral qui chante notre vie d’aujourd’hui. Preuve, s’il en était besoin, qu’une formation institutionnelle peut engendrer un art neuf, combinaison parfaite d’exigence et de vibration ontologique.

    Pour cette raison, je voulais aujourd’hui même exprimer toute ma gratitude à Olivier Benoit (direction, composition, direction artistique), Bruno Chevillon (contrebasse, basse électrique), Jean Dousteyssier (clarinettes), Alexandra Grimal (saxophone ténor), Hugues Mayot (saxophone alto), Fidel Fourneyron (trombone), Fabrice Martinez (trompette), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse, effets), Eric Echampard (batterie). Merci enfin à Emmanuelle Rogeau de m’avoir permis, un peu à l’avance, de me repaître d’un tel festin.

    J’y reviendrai, c’est promis !

  • Racine cubique de 148877

    groove catchers, 53, julien stella, bastien weeger, antoine guillemette, Johan barrerJe vous dois une confidence : j’ai connu le trio Groove Catchers presque par hasard. Je dis presque, en raison du fait que, selon mes propres itinérances mentales, le hasard n’existe pas. Mais ce n’est pas le sujet, j’en parlerai plus tard... ou pas, c’est le hasard qui décidera. En réalité, l’histoire remonte au mois de mars 2014, le 20 plus précisément. A peine plus d’un an, donc. Abonné au rendez-vous mensuel du Manu Jazz Club au Théâtre de la Manufacture de Nancy, je me réjouissais de découvrir le quintet étatsunien Kneebody et son cocktail de jazz, rock et, dit-on de source sure, de hip-hop. Mais les aléas de la programmation peuvent contrarier certains agendas et ce soir-là, point de Kneebody... Une fois passée la déception de ne pas faire la connaissance du saxophoniste Ben Wendel (dont je vous recommande les Small Constructions en duo avec le pianiste Dan Tepfer), je me suis installé tranquillement, non dans la grande salle comme à l’accoutumée, mais sur les gradins de sa petite sœur voisine appelée La Fabrique, prêt à découvrir un programme de substitution sous la forme d’un trio (augmenté d’un tiers depuis 2011, aboutissant de ce fait à un quartet) de jeunes français appelé Groove Catchers, déjà auréolés d’une récompense non négligeable puisqu’ils avaient été, trois ans auparavant, lauréats du Tremplin Jazz de la Défense. Une bien belle surprise en réalité, que je me suis fait un plaisir de relater dans un compte rendu publié dans le magazine Citizen Jazz... et que je vous invite à découvrir si le cœur vous en dit.

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  • Un si joli village

    Gerad_Marais.jpgVoilà un disque qui ne respecte pas la chronologie des textes que je dois écrire par ici. Je ne m’appesantirai pas sur la hauteur d’une pile dont l’équilibre est constamment menacé par une croissance rapide, pour ne pas dire exponentielle, ni même sur le sentiment de culpabilité qui me gagne à l’instant où je pense aux musiciens dont les dernières productions sont en instance d’admiration de ma part, et que je maintiens temporairement dans un silence qui aboutira – je leur fais cette promesse – à une libération de ma parole envers eux. Je suis moins ordonné qu’on ne pourrait parfois le croire : oui, c’est vrai, j’ai pour habitude de planifier mes écrits consciencieusement mais... j’aime par-dessus tout l’idée d’un enthousiasme qui emporte toutes mes bonnes résolutions sur son passage et vient bousculer un calendrier qui n’aime rien tant que d’être chahuté par la spontanéité des élans. Ainsi en va-t-il d’Inner Village, un disque publié chez Cristal Records par le guitariste Gérard Marais, qu’on est heureux de retrouver en très grande forme et, de surcroît, très bien entouré.

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  • Décoiffant

    TOC_Haircut.jpg

    On peut dire que l’acronyme – formé par les initiales des noms de chacun des musiciens – correspond parfaitement aux obsessions qui semble hanter les cerveaux des trois membres de TOC (pour Ternoy, Orins, Cruz). Leur coupe de cheveux a de faux airs d’un ébouriffage en bonne et due forme. Haircut est en effet le nom de leur troisième disque après Le gorille (2009) et You Can Dance If You Want (2012). Pas impossible non plus qu’elle n’en défrise quelques-uns, mais après tout, faut-il vraiment plaire à tout le monde ?

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  • Une histoire sans lendemain

    WMWS, Robert Wyatt, Gary Windo, Dave MacRae, Richard Sinclair, Improjazz, Philippe Renaud

    WMWSOne Night Stand. J’aimerais vous parler d’un disque qui n’aurait pas dû voir le jour. Ou plutôt – soyons précis – qui doit son existence à une série de circonstances sur lesquelles il apparaît que les personnages impliqués ne pouvaient agir. Je vais donc essayer de vous raconter en quelques mots cette belle histoire.

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  • Un disque Bienvenu

    manuel bienvenu, amanuma

    Je ne vous cacherai pas que j’ai failli passer à côté d’un album qui se révèle au fil des écoutes aussi singulier qu’attachant. Voici en effet un bon mois que cet Amanuma pas comme les autres est arrivé chez moi et que, petites touches par petites touches, dans une sorte de conquête intime et néanmoins très déterminée, ce disque a fini par s’insinuer et revenir chanter à mes oreilles à intervalles réguliers, dévoilant de discrets mystères qui doivent énormément à la personnalité plutôt secrète de son géniteur, le poly-instrumentiste Manuel Bienvenu, dont j’ignorais tout jusqu’à présent. 

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  • iFriends

    henri roger, augustin brousseloux, shlouwarpch, facing you imr, musiques improvisees

    Suite (et certainement pas fin) du feuilleton consacré à Henri Roger, musicien multicartes et à sa manière tête pensante d’une école informelle de l’improvisation guidée par un besoin de rencontres et de plaisirs partagés, qui a trouvé refuge depuis quelque temps sur le label Facing You / IMR . Cette fois, le pianiste guitariste mais aussi machiniste livre le fruit d’une nouvelle expérience menée avec celui qui pourrait être son... petit-fils ! 

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  • Pincez-moi et je vous dirai qui est Anne !

    anne quillier, daybreak, pince oreilles, gregory sallet, romain baret, michel molines, guillaume bertrand, pierre horckmans, aurelien joly, jazz

    Il y a quelque temps – pour ne rien vous cacher, c’était le 24 octobre – le guitariste Romain Baret m’a envoyé trois disques publiés sous l’égide du label Pince Oreilles, émanation d’un collectif établi dans la région Rhône-Alpes, dont il fait lui-même partie. Trois objets à la finition soignée, trois albums originaux et inventifs, fruits du talent d’une poignée de jeunes musiciens qui laissent entrevoir de bien belles choses et qui m’ont réjoui tout au long d’un voyage en direction de Lyon (le hasard est heureux...) où je me rendais ce jour-là pour d’autres raisons. Et qui continuent d’agrémenter mon quotidien, non sans bonheur...

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  • Quintessence

    yves rousseau, regis huby, christophe marguet, jean-marc larché, akasha, abalone

    Akasha, c’est le titre du nouveau disque enregistré par le quartet du contrebassiste Yves Rousseau, publié sur le toujours juste Abalone, le label du violoniste Régis Huby, lui-même impliqué dans cette splendide réalisation en tant qu’instrumentiste. Je présente par avance mes excuses aux musicien(ne)s* que je dois évoquer ici mais qui viennent de se faire dépasser in extremis sur la ligne d’arrivée de mon blog, tant cet album trouvé voici à peine deux jours dans ma boîte aux lettres est en phase avec le besoin de trouver un remède à la pesanteur des heures que nous vivons depuis quelques jours, mais aussi avec les moments d'allégresse collective qui les ont suivies. Akasha est un disque en état de grâce, un espace de liberté préservée et, pour ce qui me concerne, une médecine douce suscitant l’envie irrépressible d’ajouter ici une nouvelle chronique, après des jours de grande sécheresse.

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  • Collines inspiréees

    Il n’entre pas trop dans mes habitudes de vous alerter sur des projets dont la réalisation passe par le soutien matériel (sonnant et trébuchant, donc) de son public potentiel. Pourtant, j’aimerais déroger ici à ce règlement personnel en vous proposant de découvrir, encourager et, si possible, aider un travail dont je sais qu’il aboutira à un disque important.

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  • L'année de l'éveil...

    romain cuoq,anthony jambon,emile parisien,florent nisse,nicolas charlier,leila martial,awake,jazz

    Je me dois de vous avertir : je connais bien le saxophoniste Romain Cuoq à titre personnel, pour la simple raison qu’il lui arrive de côtoyer assez régulièrement un autre adepte des anches en la personne de mon fils, avec lequel il évolue par exemple au sein du goûteux big band Bigre !, mais aussi dans un quintet à deux ténors qu’on peut écouter de temps à autre dans la périphérie lyonnaise. Aussi, quand le sieur Cuoq m’a fait parvenir un exemplaire de l’album enregistré en quintet avec le guitariste Anthony Jambon, une hésitation m’a gagné au moment de demander à Maître Chronique d’écrire un petit billet laudateur. J’avais peur qu’on m’accusât (j’emploie – à bon escient – l’imparfait du subjonctif en vertu d’un souci de préservation des espèces en voie de disparition auxquelles le pauvre appartient depuis qu’il subit les assauts de la décaféïnation massive de nos phrases chaque jour plus insipides) de partialité ou de je ne sais quelle condescendance amicale m’inclinant négligemment à mettre en valeur les qualités de leur travail, comme si de rien n’était.

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  • Dix galettes plus une et un coup de maître...

    Je me demande si j’ai raison... Peut-être suis-je sous l’influence de quelques-uns de mes camarades qui, nonobstant la vacuité de l’exercice, ne résistent pas à la tentation de produire une liste de disques de l’année. Je vais faire comme eux, je serai injuste comme eux et j’aurai au préalable mesuré à quel point mon « Top 10 » est une modeste goutte d’eau dans l’océan de la musique. Tant pis. Et que les oubliés me pardonnent, ils savent que je pense à eux et que la seule méthode à laquelle je me suis astreint à consisté à fermer les yeux pour laisser remonter à la surface des moments forts ressentis durant toute l’année. 2014 : au minimum 200 disques à découvrir (et je suis un piètre amateur comparé à certains...) parmi... combien déjà ?

    Alors, allons-y gaiment et dans l’ordre alphabétique... J’accompagne chaque disque sélectionné d’un court extrait d’une de mes chroniques. 

    Alban Darche & L’Orphicube : Perception Instantanée

    darche-alban_orphicube_perception.instantanee.jpgMusique grande classe, comme la bande son d’un film aux accents nostalgiques qui aurait été tourné en noir et blanc pour mieux souligner les éclats invisibles du quotidien et en révéler la part de magie. L’Orphicube vous transporte avec son ingéniosité génétique - encore une fois, cet orchestre a un son qui lui appartient totalement, sui generis, comme on dit - et sa forte dose d’onirisme.
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    Stéphane Kerecki Quartet : Nouvelle Vague

    kerecki_nouvelle_vague.jpgStéphane Kerecki endosse le rôle d'un passeur pacifié qui ne vise qu'un seul objectif : réenchanter des histoires dont tous les secrets n'avaient, on s’en rend compte grâce à lui, pas encore été dévoilés. En levant le voile sur ses propres visions, il nous propose un embarquement dans son imaginaire cinématographique et c'est un bonheur de le laisser faire… avec un grand sourire dans le regard.
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    Christophe Marguet & Daniel Erdmann : Together, Together !

    marguet_erdman.jpgTogether, Together! n’est pas de ces disques qu’on écoute avec passivité ; il fait plutôt partie des instants d’équilibre un peu miraculeux, dont on connaît la fragilité, et qu’on ne veut pas laisser filer entre ses doigts. On laisse approcher la musique, on lui accorde tout son temps, pour qu’elle nous souffle ses délicatesses au creux de l’oreille. Musique sensuelle, on vous dit !
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    Iain Matthews : The Art Of Obscurity

    Mathews_Iain_Art_Of_Obscurity.jpgDans un climat d'une grande sobriété, on retrouve avec ce beau disque l’essentiel de ce qui fait tout son pouvoir de séduction, comme si Matthews jouait la carte de l’épure et de l'intemporel en se disant qu’eux seuls disent le vrai : au service de son art, une instrumentation légère composée de guitares (acoustique et électrique), d'un piano électrique (ou d'un orgue) et d'une basse.
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    ONJ Olivier Benoit : Europa Paris

    onj_paris_europa_200X200.jpgUn chef d'œuvre ? Le temps parlera, mais après tout, ne suffit-il pas de dire que la manière avec laquelle Olivier Benoit, entouré d’une équipe soudée, est parvenu à synthétiser toutes les musiques qui l'habitent depuis des années, est admirable ? Au point de donner vie à un idiome dont on attend dès à présent les prochaines pulsations, celles qui résonneront des échos d'une autre capitale européenne, Berlin.
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    Emile Parisien Quartet : Spezial Snack

    spezial_snack.jpgOn a beau chercher, regarder derrière soi ou même de côté, il faut bien se rendre à l’évidence : ce disque sans équivalent est une nouvelle pépite, une pierre précieuse, tout juste polie au sens où ses audaces la rendent heureusement irrévérencieuse. Le quartet d’Emile Parisien est âgé d’une petite dizaine d’années et sème sur son chemin de sacrés cailloux. Sa musique, aussi singulière et intrigante que les titres de ses disques, n’a certainement pas fini de nous sidérer.
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    Vincent Peirani & Emile Parisien : Belle Epoque

    belle_epoque.jpgC’est incroyable qu’on puisse être à la fois si jeune et porteur des horizons sans cesse réinventés d’une histoire de la musique du XXe siècle, que Vincent Peirani et Émile Parisien semblent connaître depuis toujours, comme si elle coulait dans leurs veines. Un disque fédérateur qui s’adresse aux amoureux du jazz, de la chanson, de toutes les musiques impressionnistes, des musiciens vibrants et dont on ne finit jamais de contempler les beautés exposées.
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    Sylvain Rifflet & Jon Irabagon : Perpetual Motion

    rifflet_irabagon.jpgVoix, sons métalliques ou électroniques, bruits de rue, chant naturel des instruments : cette polyphonie, qui célèbre Moondog avec autant d’inventivité que de respect, séduit d’emblée. En imaginant Perpetual Motion, Sylvain Rifflet, Jon Irabagon et leurs complices sont allés bien au-delà de l’hommage : ils expriment une fusion totale entre le génie d’un compositeur et leur art propre, qui se refuse à toute limite. Et surtout pas celle de leur imagination.
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    Henri Roger & Noël Akchoté : Siderrances

    Siderrances.jpgSiderrances est un disque auquel on doit s’abandonner… Loin des urgences de notre monde, il offre son temps long (le deuxième disque ne comporte que deux titres, respectivement de 20 et 32 minutes) et laisse aux deux protagonistes le loisir d’engager une conversation de l’intime qui, jamais, ne nous laisse de côté. Là est sa grande force : il nous parle au creux de l’oreille dans sa langue propre, mais très empathique.
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    The Man They Call Ass : Sings Until Everything Is Sold

    the-man-they-call-ass-sings-until-everything-is-sold-500-tt-width-360-height-342-crop-1-bgcolor-000000.jpgHasse Poulsen, cet homme qu’on appelle Ass, chante le désenchantement, celui d’un monde menacé par l’épuisement de ses ressources vitales, elles-mêmes objets de commerce. Souhaitons que son inspiration, en tout cas, ne se tarisse jamais, car un songwriter de premier plan doublé d’un magnifique chanteur vient de voir le jour, et s’expose enfin après de longues années de maturation.
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    Avez-vous lu le titre de cette note ? Parce qu’un onzième disque a pris place dans ma tête il y a quelque temps, depuis le jour où Olivier Bogé m’a donné à écouter Expanded Spaces, son prochain disque (et troisième en tant que leader après Imaginary Traveler et The World Begins Today) qui ne sera publié chez Naïve qu’au printemps 2015. Le saxophoniste compositeur s’y révèle aussi pianiste, guitariste et vocaliste ; surtout, il prend le risque de faire sauter les barrières stylistiques en s’écartant radicalement de l’esthétique du jazz. Ce disque de l’épure est le reflet d’une passion qui transporte ses mélodies limpides pour les élever au rang d’hymnes à la fraternité. Olivier m’a demandé d’écrire le texte qui figurera sur la pochette d’Expanded Spaces et je l’en remercie infiniment. Alors forcément, j’en reparlerai, mais j'avais envie de l'annoncer sans attendre.

    henri_roger.jpgVoilà pour ce petit exercice de style que je ne saurais conclure sans décerner un « Coup de Maître » à un musicien ami qui aura beaucoup donné cette année, et que je tiens absolument à saluer. Henri Roger a non seulement publié le magnifique Siderrances en duo avec Noël Akchoté, mais il nous aura gâtés à maintes reprises en 2014 sur le précieux label Facing You / IMR : en solo (Sunbathing Underwater), en quartet hommage à Pierre Soulages (Parce Que) ou en trio aquatique avec Benjamin Duboc et Didier Lasserre (Parole Plongée). Et je crois avoir compris que le pianiste guitariste improvisateur a décidé de continuer sur cette belle lancée. Vas-y Henri, ne te gêne surtout pas !

  • Ma main à couper...

    emile parisien, sylvain darrifourcq, julien touery, ivan gelugne, spezial snack, act music, jazzLe quartet du saxophoniste Emile Parisien a récemment livré une magnifique bataille musicale sous la forme d’un détonant Spezial Snack, un disque publié sur le label Act Music. Un objet artistique singulier, arythmique, nourri de perturbations sonores et pour tout dire, terriblement addictif. Le boulimique Parisien nous étonne, une fois encore, et c’est tant mieux !

    Mais pour commencer, j’aimerais inviter quiconque serait un peu dérouté par la méchante pochette (Act nous ayant depuis longtemps habitués à ce genre de facéties visuelles, ce ne sont pas les Cheerleaders de Pierrick Pédron qui me diront le contraire), celle-là même qui exhibe une main sans nul doute arrachée au bras d’un Mickey infirme par la force des choses, la souris Disneyenne étant probablement la victime expiatoire d’un grignoteur fou, allez savoir... Tel est peut-être d’ailleurs le sens à donner au titre du disque, celui d’un casse-croûte ou d’un goûter un peu particulier, pour ne pas dire sanguinolent. Non, ne pas s’éloigner à la vue d’un poignet ensanglanté, mais plutôt accepter de se laisser emporter par une musique qui n’aura de cesse de réserver ses propres surprises et de dérouler son tapis sans équivalent.

    Tout commence par un drôle de bruit sur lequel vient s’épandre lentement le saxophone soprano d’Emile Parisien. Comme des billes qui rouleraient au fond d’un bol, soutenues par la tension de cordes à l’identité mystérieuse. J’ai mené l’enquête auprès du coupable, Sylvain Darrifourcq, qui m’a fourni la clé de l’énigme : « Ce sont des sextoys que je mets dans mes objets, coupelles, bols etc. Tout ça, couplé avec des ebows sur la cithare pour les sons tenus très purs ». Ah oui, carrément, des sextoys ! Serait-on en présence d’un McCarthy de la musique ? Je précise par ailleurs aux béotiens comme moi que les ebows sont des appareils électroniques qui émettent un champ magnétique provoquant le mouvement des cordes, afin d’obtenir un son voisin de celui produit par un archet. On comprend d’emblée que le terrain de jeu n’est pas banal, d’autant que le quartet va s’ingénier, tout au long d’un « Potofen » introductif et goûteux, à faire monter la tension avec une maîtrise confondante. Batterie puissante, contrebasse d’Ivan Gélugne comme dressée droite dans ses bottes, pendant que le piano de Julien Touéry laisse résonner ses notes graves, non sans une pointe d’emphase. Les quatre s’y entendent à instaurer un climat sui generis... Il y a quelque chose d’implacable dans leur propos, qui ne laisse pas de choix : on en est ou on n’est pas ! J’en suis, évidemment...

    D’autant que le dérèglement est en marche et que rien n’arrêtera cette mécanique palpitante : on peut compter sur le fantasque Darrifourcq pour n’être jamais le dernier à perturber celle qui s’était enclenchée peu de temps auparavant. Son « Haricot Guide » a de faux airs d’un blues monkien dont la course serait à chaque instant entravée par des obstacles brandis ici ou là par les autres instruments, amoureux malicieux des syncopes à répétition. Pas facile de savoir où tout ce petit monde a décidé d’aller, le chemin est semé d’embûches, mais le groupe avance, sûr de son fait. La folie gagne le quartet et le batteur s’en donne à fûts joie, crépitant comme une mitraillette aux mains d'un combattant halluciné. C’est totalement jouissif. A intervalles réguliers, la contrebasse vient calmer le jeu, histoire peut-être de rassurer les potentiels suiveurs et de les inviter à garder quelques forces pour la suite. Emile Parisien, de son côté, a l’élégance qui le caractérise depuis belle lurette : il ne s’affiche pas en leader dominateur. Non, il est l’un des quatre, ni plus, ni moins, d’une présence à la fois concise et tranchante. Un sacré monsieur...

    Le « Mazout » de Julien Touéry offre pour commencer des couleurs plus impressionnistes, aux allures de fugue, même si les percussions dansent une fois encore leur ballet malin. Saxophone soprano et piano chantent à l’unisson, tandis que la contrebasse s’est parée d’un archet.  A nouveau, les instruments paraissent se chercher, comme dans un jeu de colin-maillard ; la mélodie s’est évanouie, cédant la place aux constructions du hasard nées de l’imagination (jamais exempte d’humour, il est important de le préciser) du quatuor. Au beau milieu de cette nouvelle quête un peu folle, le mystère s’installe, froid et métallique, la musique est devenue presque noire. L’achet lance de lancinants appels, les baguettes font crisser les cymbales, ils ouvrent la voie à un piano d’abord interrogateur, avant un final hypnotique et martelé qui n’est pas sans évoquer les noirceurs boschiennes du groupe Présent (les spécialistes me comprendront, eux qui entendront peut-être comme moi les échos inconscients d’une « Promenade au fond d’un canal »).

    « Les flics de la police » : un pléonasme pied de nez pour une nouvelle course poursuite ludique où chaque instrument semble d’abord vouloir égarer l’autre... Une fausse piste, en fait, un trompe l’oreille qui est en réalité le prélude à une construction puissante, sous l’impulsion de la batterie et de la contrebasse, sur laquelle Emile Parisien saura s’épanouir en toute confiance. La netteté de son phrasé, la précision de ses attaques ne sont certainement pas étrangères à la sécurité de fer offerte par ses compagnons. C’est du grand art, l’imagination est au pouvoir. Cette musique ne ressemble à aucune autre.

    Une conclusion plus calme s’impose et c’est Ivan Gélugne, cette fois, qui fourbit un « François » laissant entendre le saxophone ténor d’Emile Parisien (ce qui n’est pas si courant, après tout). Mais dans ce Spezial Snack, l’idée du calme est toute relative : seul le rythme a ralenti, pas la frénésie picturale du quartet. Le piano exprime sa curiosité à coups de notes aiguës, la batterie ne peut réfréner ses ardeurs et martèle son impatience, une fois de plus, une dernière fois... tandis que le saxophone redevient soprano pour un ultime emballement.

    Fin du voyage. On a beau chercher, regarder derrière soi ou même de côté, il faut bien se rendre à l’évidence : ce disque sans équivalent est une nouvelle pépite, une pierre précieuse, tout juste polie au sens où ses audaces la rendent heureusement irrévérencieuse. Le quartet d’Emile Parisien, un gamin de 32 ans, est âgé d’une petite dizaine d’années et sème sur son chemin de sacrés cailloux : Au revoir porc-épic (Laborie - 2006), Original Pimpant (Laborie - 2009), Chien Guêpe (Laborie - 2012) et aujourd’hui Spezial Snack. Sa musique, aussi singulière et intrigante que les titres de ses disques, n’a certainement pas fini de nous sidérer.

    Tout comme l’invisible et partiellement manchot dénommé Mickey, j’en mettrais ma main à couper !

    Emile Parisien Quartet : Spezial Snack

    Emile Parisien (saxophones soprano et ténor), Julien Touéry (piano, piano préparé), Ivan Gélugne (contrebasse), Sylvain Darrifourcq (batterie, percussions, cithare).
    Act Music – ACT 9575-2

  • Et au milieu coule la Dreisam

    dreisam, source, nora kamm, camille thouvenot, zaza desiderio, jazz, lyonJe n’irai pas par quatre chemins. Voilà, tout simplement, un de mes coups de cœur de cette deuxième partie de l’année ! Un disque gracieux et raffiné, dont les inspirations sont à la fois celles du jazz, de la musique néo-impressionniste du début du XXe siècle mais aussi, on le comprendra vite, de la musique brésilienne ; une belle Source dont j’ignorais tout jusqu’au jour où une main bienveillante eut la bonne idée de le déposer dans ma boîte aux lettres, à la fin du mois d’août. Une surprise d’autant plus agréable que son conditionnement sous la forme d’un objet à la finition soignée, presque taquin, fait surgir comme par malice un CD lutin au moment où le digipack s’ouvre sous vos yeux. Je n’oublie pas – j’y tiens beaucoup – de saluer les efforts accomplis par les musiciens pour donner à leurs albums une identité véritable, celle qui donne envie de se procurer le disque en tant qu’objet pour le conserver ensuite comme on le ferait d’un beau livre. Je ne prétends pas qu’il sera possible d’endiguer le raz-de-marée de la dématérialisation numérique forcenée et d’atténuer les effets secondaires de ces étranges algorithmes de nature fleurpellerinesque qui engendrent un zapping musical forcené, sans âme et sans consistance chez tant de nos contemporains et se présentent comme un défi malsain, celui de la crétinerie massive badigeonnée aux excès de l'ultralibéralisme, lancé à l’imagination créative, mais il me plaît de croire que des actions résistantes comme celles-ci, aussi modestes soient-elles, constituent une réponse élégante qu’il faut encourager à tout prix. Dont acte...

    Revenons à ce premier disque du trio Dreisam. Drôle de nom pour un groupe, non ? En réalité, pas tant que ça puisque c’est après un concert donné à Freiburg en 2011 que Nora Kamm, Camille Thouvenot et Zaza Desiderio décidèrent de donner à leur formation le nom de la rivière qui coule du côté de cette ville allemande. Dreisam – le groupe – se présente sous la forme d'une aventure à la fois triangulaire et internationale.  D’abord parce que l’équilibre atteint par sa formule pas si courante frise la perfection formelle : lyrisme radieux du piano, séduction immédiate du saxophone dont l’énergie est contenue dans un écrin de douceur, foisonnement festif de la batterie. Tout autant que la rivière originelle, les mélodies paraissent couler naturellement de chacun des instruments, dont aucun ne domine jamais les deux autres. Dreisam est un triangle équilatéral, une figure géométrique de l'équilibre. Des dix compositions originales (chaque membre du trio apporte sa contribution), qui font l’objet d’un soin minutieux et bénéficient d’arrangements d’une grande élégance, émane une poésie de l’instant qui touche au plus près du cœur parce que la musique qui se joue est la traduction d’un chant vibrant et chaleureux. Toutes manifestent un appétit de voyage et sont parées de couleurs chaudes, d’une fluidité harmonique qu’on pourra qualifier de néoromantique, et dont tout porte à croire qu’elle est l’émanation d’une fusion réussie, celle de trois personnalités complémentaires. Cette symbiose n’est pas sans rapport avec les origines des trois musiciens : leurs nationalités et, de fait, leurs cultures, comptent certainement pour beaucoup dans l’expressivité et le métissage de la musique assemblée sous l’entité discographique Source. Elles nourrissent chez eux le besoin de s’enrichir de leurs différences et de les sublimer avec une sérénité qui fait un bien fou. Camille Thouvenot est français, Nora Kamm allemande et Zaza Desiderio brésilien. Tous trois ont adopté depuis quelques années la belle ville de Lyon, devenue le trait d’union de leurs imaginations et le point de départ d’une histoire qui les verra se produire dans différents festivals et clubs. Jusqu’à ce jour de mai 2013 où ils bénéficieront du concours de Gérard de Haro aux studios La Buissonne pour l’enregistrement de leur premier disque. Dans ces conditions, quoi de plus naturel que tout le travail accompli depuis 2011 et le concert de Freiburg trouve un aboutissement sous le titre de Source ?

    Source, comme son nom l’indique, est un point de départ. Son charme contagieux donne envie de connaître la suite ; en attendant, cet album en forme de découverte devrait en séduire plus d’un. A commencer par moi !

    PS : j’ai salué récemment la parution de cette très belle Source lors de l’émission Jazz Time dont mon camarade Gérard Jacquemin m’a confié la programmation au mois de septembre. Vous pouvez l’écouter en ligne sur la page On Air de ce blog.

    Dreisam : Source
    Zaza Desiderio (batterie), Nora Kamm (saxophones), Camille Thouvenot (piano).
    Diapason 002 - Absilone / Socadisc

  • Une nouvelle suggestion de Bruno Tocanne (ou les bons comptes font les bons Ajmi)

    AjmiLive_03.jpgSur le pont d’Avignon... on n’y danse pas seulement ! On y joue, aussi, et on y savoure le plaisir des musiques vivantes et libres. Ce n’est pas l’AJMI (Association pour le Jazz et la Musique Improvisée) qui prétendra le contraire. Sa renommée dépasse les frontières hexagonales et elle se fait fort d’accueillir des musiciens passionnants, en particulier dans sa propre salle appelée La Manutention (à Avignon, vous l’aurez compris). Une programmation régulière, des festivals, des actions de formation et un gros travail de sensibilisation du public au jazz. 2001 a vu la naissance d’un label, Ajmi Series et voici maintenant Ajmi Live, numérique exclusivement et consacré, comme son nom l'indique, aux concerts. Une belle façon de retranscrire et de fixer des instants privilégiés (pour un prix très modique, on peut le souligner). Parce que, comme on le dit du côté de chez eux : « Le meilleur moyen d’écouter du jazz c’est d’en voir ! » Ajmi Live, ou comment « mettre en boîte des rencontres inédites entre musiciens de différents horizons, voire de différents continents, des concerts ayant eu lieu à l’AJMi ».

    Ajmi Live, donc, et déjà cinq références à découvrir sans attendre (j’évoquerai prochainement le concert du quartet Chut ! mené trompette battante par Fabrice Martinez, membre de l’actuel ONJ sous la direction d’Olivier Benoit). N’étant toutefois doté que deux oreilles et d’un cerveau en lambeaux, je n’ai pas encore eu le temps de tout écouter ; cependant, je ne peux faire autrement que de commencer par le troisième volume de cette série prometteuse, un enregistrement qui me tient particulièrement à cœur en raison de l’identité du musicien qui en est à l’origine et qu’il m’est arrivé de saluer ici à de nombreuses reprises. J’ai nommé le camarade Bruno Tocanne, batteur impressionniste et sensible. Le voici cette fois à la tête d’un trio enregistré le 8 mars 2013, dans la continuité d’un album enregistré, lui, en quartet appelé In A Suggestive Way, un disque rare auquel j’avais attribué un Coup de Maître.

    Aux côtés du batteur, le trompettiste Rémi Gaudillat, compagnon de bien des aventures de Bruno Tocanne et le contrebassiste helvète Bänz Oester. Pas de doute, nous sommes entre artistes de très bonne compagnie. Nul besoin d’attendre longtemps avant de comprendre la capacité de ces trois-là à dire l’essentiel : des les premières mesures d’ « Alicante », le ton est donné, en douceur. A peine le thème esquissé, l’invitation à une exploration buissonnière, toute en délicatesse, est lancée. Trois musiciens en liberté nous racontent une histoire qui paraît s’écrire dans l’instant, ils écrivent un subtil scénario dont les dialogues spontanés sont nourris d’attentions réciproques et du besoin de solliciter l’imagination de chacun des protagonistes. « Dewey’s Tune », en hommage au grand Dewey Redman, va offrir aux trois énergies conjuguées l’occasion de se déployer. On peut alors vérifier – mais en était-il besoin ? – que Bruno Tocanne sait aussi recourir à une polyphonie de fûts et cymbales qui mobilise tout l’espace disponible si le besoin s’en fait sentir. Son dialogue haut en couleurs avec la contrebasse est une illustration de toute la richesse de son jeu, à la recherche constante de l’équilibre fragile entre force et douceur. Dédié tout comme le disque enregistré quelques mois auparavant à Paul Motian, le concert avignonnais ne peut omettre de rendre un hommage appuyé au maître batteur avec une de ses compositions : ici, c’est « Abacus », qui voit une fois de plus la paire Tocanne-Oester exécuter une joute réjouissante, juste après le thème exposé par Rémi Gaudillat. La contrebasse devient animale, gronde et pousse la batterie dans ses retranchements. De quoi donner de belles idées au trompettiste qui ne va pas se priver d’ajouter sa voix. Le trio s’envole... « Frémissement » est un retour au calme, son climat plus contemplatif met en valeur le jeu vagabond de Rémi Gaudillat, d’où surgissent des nuances presque nostalgiques. Ses compagnons, complices et attentionnés, soulignent avec délicatesse la mélodie vespérale qu’il vient de dessiner. En conclusion, un « Shape » musclé à souhait est comme un ultime bras de fer fraternel, qui nous fait comprendre que le temps a passé bien trop vite. 

    Le trio In A Suggestive Way – comme pas mal de ses homologues dédiés aux musiques improvisées – est, à sa manière, une parabole de la vie. On peut décider de l’organiser, de la contrôler, on peut vouloir, on peut vivre dans l’illusion de la maîtrise de son destin... mais jamais on n’échappera aux incertitudes du hasard, aux rencontres qui peuvent en modifier le cours et lui imprimer une direction qu’on n’imaginait pas au départ. Quitte à batailler ferme par la discussion ou à passer par différents détours pour en arriver là où on le souhaitait et se dire qu’on a un peu grandi à chaque fois. On peut écouter ce bel enregistrement avec une telle idée en tête...

    Ce disque-concert est une invitation à vibrer : il atteint non seulement son but, mais il ne fait qu’aviver notre impatience de découvrir un projet ambitieux dans lequel sont impliqués, une fois encore, Bruno Tocanne et Rémi Gaudillat, et dont les premières versions scéniques résonnent d’échos plus qu’enthousiastes. Over The Hills,  c’est ainsi qu’il s’appelle, est une (re)création du mythique Escalator Over The Hill de Carla Bley, accomplie par neuf musiciens (avec la bénédiction de Carla Bley elle-même), dont je reparlerai forcément. Surveillez vos agendas musicaux et, surtout, ne manquez pas l’occasion d’aller à la rencontre d’une musique de vérité plus que nécessaire en ces temps de mensonge élevé au rang de politique du quotidien. Une musique qui, elle, parle vrai, n’est jamais avare de ses offrandes et tend un fil précieux entre le cœur de ses créateurs et le nôtre. 

    Bruno Tocanne Trio
« In A Suggestive Way » 

    Bruno Tocanne (batterie) Rémi Gaudillat, (trompette), Bänz Oester (contrebasse).
    Enregistré à La Manutention – Avignon, le 8 mars 2013.
    AJMiLive #3


  • La bonne recette du contrepoint au Naturel

    gilles naturel, contrapuntique jazz band act 2, contrebasse, jazzVu de loin, vous pourriez penser que je vais parler cuisine. Mais il est bien question de musique, et pas n’importe laquelle. Celle dont on peut se régaler, pour ne pas dire apprécier toutes les saveurs (j’en ai fini avec la métaphore culinaire), sur le nouveau disque du contrebassiste Gilles Naturel, musicien précieux qui n’a à son actif qu’une poignée d’albums qu’on peut compter sur les doigts d’une seule main (Naturel en1998, Belleville en 2007 et Contrapunctic Jazz Band en 2011) ; un sideman (attention : rien de péjoratif dans ce mot, bien au contraire, car Gilles Naturel est de ceux dont on recherche la présence pour son groove têtu et le sentiment de sécurité qu’il inspire à ses partenaires de scène. Comme disait je ne sais plus qui, le sideman est le musicien indispensable qui se tient à vos côtés, qui vous soutient) auquel le saxophoniste Benny Golson rend d’ailleurs un hommage appuyé sur le texte du livret de Contrapunctic Jazz Band Act 2, publié sur le label Space Time Records. 

    Contrapunctic Jazz Band... Il y a du contrepoint dans l’air, donc. Stop ! Ne filez pas ventre à terre en entendant ce mot souvent rébarbatif dans l’inconscient collectif (l’enseignement de la musique en général et du solfège en particulier n’étant pas toujours une partie de plaisir pour les plus jeunes, tout juste libérés du supplice de la flûte à bec dans les collèges), à l’idée qu’il pourrait s’agir d’un projet austère ou si résolument savant qu’il aurait perdu son âme et distillerait l’ennui. Rien de tout cela, mais au contraire une proposition toute simple : une heure de plaisir, voire de sérénité complice, qui s’appuie d'une part sur une équipe à la composition plutôt singulière, et d'autre part sur un répertoire mêlant compositions originales et reprises, celles-ci étant puisées à la fois dans le « jazz patrimonial » (Charlie Parker, Dave Brubeck ou Fats Waller) et dans l’histoire plus lointaine de la musique (Carlo Gesualdo pour l’époque de la Renaissance ou, plus près de nous, Maurice Ravel). 

    D’un point de vue théorique, on peut rappeler en quelques mots que le contrepoint est une technique d’écriture consistant à superposer des lignes mélodiques distinctes. C’est une forme d’arrangement (pour employer un terme plus contemporain) qu’on rattache plus volontiers à Jean-Sébastien Bach et à ses fugues qu’au jazz. D’où l’intérêt majeur de ce travail entrepris par le contrebassiste, qui donne naissance à une musique d’une grande variété de couleurs, mais d’une constante homogénéité. Création et re-création. 

    Le jazz band de Gilles Naturel est sans piano, mais il ne manque pas de souffle pour autant. Pensez donc : du côté des fondations, un tuba (Bastien Stil) et un trombone (Jerry Edwards) ; préposés aux envolées, une trompette (Fabien Mary) et deux saxophones (Guillaume Naturel qui joue aussi de la flûte, mais aussi Lenny Popkin, disciple de Lenny Tristano).  Sans oublier, et pour cause, la batterie de Donald Kontamanou qui forme avec la contrebasse une section rythmique d’une solidité à toute épreuve. Une sacrée paire en symbiose... naturelle, oserait-on dire. On ne le soulignera jamais assez : les qualités intrinsèques de Gilles Naturel sont la justesse, la maîtrise du tempo, la chaleur d’un jeu qui recourt quand il le faut à l’archet (ah, la belle exposition du thème de « Donna Lee » en ouverture de l’album, un vrai régal), ce qui n’est pas si courant de nos jours, et l’inscrit dans la continuité d’un de ses maîtres, l’immense Paul Chambers. Gilles Naturel a beau être un musicien humble et plutôt discret, il n’en est pas moins un des plus fidèles serviteurs de cet instrument qu’il sait faire chanter avec un mélange de swing et de virtuosité mélodique. Benny Golson, Alain Jean-Marie, Lee Konitz ou Kirk Lightsey – pour ne citer que quelques références – ne me contrediront pas.

    Les sources d’inspiration de Contrapunctic Jazz Band Act 2 sont variées puisqu’elles marient la musique polyphonique de la Renaissance (« Gaillarde ») et l’impressionnisme de Maurice Ravel (« Sainte, qui clôt le disque, renvoie assez directement au travail de Lionel Belmondo et Christophe Dal Sasso et leur Hymne au Soleil) à un jazz de facture plus traditionnelle prenant parfois des accents suaves (« The Very Thought Of You », « I Surrender Dear » ou « Body And Soul »). Elles vont même jusqu’à des compositions d’inspiration très contemporaine comme ce « Bolerobot » aux mouvements cycliques générateurs d'une hypnose inattendue. Pourtant, c'est un ensemble très homogène qui s’expose ainsi, unifié, on l'aura compris, par toutes ces voix superposées, subtilement enchevêtrées, qui traduisent le contrepoint objet du disque, mais aussi – et surtout, car la technique d’écriture est un moyen, pas une fin – l’énergie déployée par chacun des musiciens, au milieu desquels Gilles Naturel évolue en toute plénitude. Car si ce dernier est bien le maître du projet, s’il contribue au répertoire en signant six des quatorze compositions et en fournissant tout le travail d’arrangement, jamais il n’écrase ses partenaires. Dans ce disque, chacun est là pour chanter un jazz sans âge, comme s’il s’agissait de se réunir avec ferveur dans un club imaginaire où toutes les générations n’en feraient plus qu’une et seraient conviées au partage d'une vibration en musique.

    Soyez sans crainte : ce plat goûteux, minutieusement mijoté, aux saveurs subtiles relevées par quelques épices que d’autres n’auraient pas forcément assemblées, est délicieux, tout simplement. Le chef mérite bien qu’on fasse un petit détour pour s’installer quelque temps à sa table. Bon appétit... Ah, zut, j’ai encore parlé de cuisine... Je crois avoir compris pourquoi : Contrapunctic Jazz Band Act 2 n'est rien d'autre qu'un disque de musique gourmande.

    Gilles Naturel : Contrapunctic Jazz Band Act 2

    Fabien Mary (trompette), Guillaume Naturel (saxophone ténor, flûte), Jerry Edwards (trombone), Bastien Stil (tuba), Gilles Naturel (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie) + Lenny Popkin (saxophone ténor).

    Space Time Records - BG 1438

  • REV3RSE

    denis guivarc'h, rev3rse, onze heures onze, chander sardjoe, jean-luc lehrJe ne vais pas endosser le costume du cuistre et vous infliger un cours magistral sur le mouvement M-Base, dont l’un des instigateurs fut le saxophoniste Steve Coleman, voici maintenant une trentaine d’années. Comme ce dernier l’expliquait il y a longtemps déjà à Citizen Jazz, cette « école » dépassait le strict cadre musical et traduisait aussi l’influence des expériences acquises dans une vie sur la forme elle-même. Mais pour résumer l’affaire, on rappellera que Coleman a, depuis le début, tenté de suivre un chemin singulier qui l'affranchit des étiquettes. Il a beaucoup travaillé sur les métriques impaires et les cycles rythmiques, cherché à intégrer le funk et le hip-hop, tout en précisant qu’il ne se sentait pas particulièrement un musicien de jazz : « La musique est une extension de ce que je suis, de ce que nous sommes : il s’agit donc juste d’essayer d’être soi-même ». Coleman est un artiste qui compte et fait l’objet de pas mal d’études de la part des musiciens et des musicologues. 

    Par souci d’honnêteté, je dois aussi préciser que je n’ai jamais été un grand fan de Steve Coleman. Pour des raisons d’adhésion à son corpus esthétique, principalement : il y a dans sa musique ce je ne sais quoi qui m’a toujours semblé désincarné et a tempéré l’enthousiasme qui aurait dû me gagner face à un créateur que j’ai eu la chance de voir à plusieurs reprises sur scène. La mécanique colemanienne est implacable, la réalisation de son travail impressionnante, son engagement est total, tout cela force le respect mais... à chaque fois, j’ai ressenti une certaine froideur, comme si trop souvent la forme l’emportait sur le fond. 

    Je ne suis pas parfait et, j’en suis certain, quelque chose d’important a dû m’échapper à chaque fois. Qu’on veuille bien me pardonner cette erreur inexcusable. 

    Aussi, ce n’est pas sans curiosité – et une pointe de crainte – que j’ai reçu puis écouté sans tarder l’album en trio (avec invités) du saxophoniste Denis Guivarc’h, lui qui ne cache pas son admiration pour Steve Coleman. Celle-ci va même se nicher dans le titre, REV3RSE, qui pourrait bien faire référence aux idées mélodiques en miroir du maître américain. 

    Les débuts en musique de ce Breton correspondent grosso modo à ceux du mouvement M-Base : passé par le Multicolore Feeling Fanfare d’Eddie Louis, Guivarc’h a longtemps travaillé aux côtés du flûtiste Magik Malik (présent parmi les invités de REV3RSE) ; on a pu aussi le retrouver comme partenaire de pas mal d’autres pointures dont Steve Coleman lui-même et qui, pour certaines, sont présentes sur ce nouvel album (Minino Garay ou Nelson Veras). 

    En 2008, Guivarc’h et son quartet, au sein duquel on retrouvait déjà l'excellent Jean-Luc Lehr à la basse, publiaient Exit, un disque qui affirmait non seulement les qualités d’instrumentiste, mais aussi de compositeur du saxophoniste. Cette fois, c’est un trio qui est à l’œuvre et sa belle unité fait plaisir à entendre. Un plaisir auquel n’est pas étrangère la présence du batteur Chander Sardjoe, dont le jeu étourdissant est à lui-seul une succession de petites symphonies percussives. Ce dernier, bien que né aux Pays-Bas, a longtemps travaillé en Inde et met toute sa science du rythme au service d’une cause musicale dont REV3RSE est une très belle illustration. On devinera sans peine le haut niveau de la paire d'exception qu'il forme avec Jean-Luc Lehr… 

    L’album se présente sous la forme de douze compositions plutôt brèves, qui s’enchaînent avec une vivacité nerveuse dans une ambiance qu’on aurait envie de qualifier de joyeuse, si ce terme ne présentait pas le risque de laisser penser qu’elle est superficielle. Bien loin de là : REV3RSE est le fruit mûr d’un musicien en pleine possession de ses moyens. Le trio affirme son propos avec assurance, il va droit au but et avance, avance, avance... L’effet indirect, soyez-en certains, de ces drôles de mesures impaires, faussement bancales, qui vous donnent l’impression que quelque chose ne tourne pas rond au royaume de la musique alors que, bien au contraire, de savantes constructions sont à l’œuvre pour mieux vous attirer dans leurs chausse-trapes rythmiques. Rigueur et plaisir. Car ici, rien de désincarné, rien de théorique, c’est plutôt un jeu de cache-cache malicieux auquel on est convié, comme si chacun des musiciens était entraîné dans une course un peu folle, sur un rythme la plupart du temps élevé et tout au long d’un parcours construit en oscillations permanentes autour d’une ligne directrice qui, elle, semble bien définie. REV3RSE respire la santé, à l’image du jeu de Denis Guivarc’h, à la fois net, concis et habité d'un chant profond. Et c’est un petit bonheur de savourer en contrepoint du trio les interventions des amis conviés à la fête : Nelson Veras, Minino Garay, Magic Malik et Jozef Dumoulin

    Guivarc’h se paie même le luxe d’une reprise étonnante, celle de « Take On Me », du groupe norvégien A-Ha, et un énorme succès commercial (en particulier grâce à un clip mêlant images réelles et scènes d’animation) dans les années 80. Le saxophoniste et ses camarades accomplissent ici l’exploit de donner à la chanson une épaisseur dont elle était dépourvue à l’origine... Un pari qui n’était pas gagné d’avance car, souvenons-nous en, il s'agissait tout de même d'une bluette pour le moins oubliable, un bel exemple de fast music (comme on parle de fast food)...

    REV3RSE est publié sur l’excellent label Onze Heures Onze, lui-même émanation d’un collectif de musiciens d’Ile-de-France dont la démarche artistique regarde aussi bien vers le jazz, le rock ou la musique contemporaine et, plus généralement, les musiques expérimentales. Une pépinière à suivre de près, où s’illustrent, entre autres talents, celui du pianiste Alexandre Herer et du trompettiste Olivier Laisney. Laissez donc traîner vos oreilles du côté de leur petit laboratoire, vous devriez à coup sûr en retirer bien des satisfactions, au premier rang desquelles celle de votre curiosité.

    En commençant par REV3RSE, par exemple !

    Denis Guivarch’ Trio : « REV3RSE »

    Denis Guivarc’h (saxophone alto), Jean-Luc Lehr (basse) , Chander Sardjoe (batterie) + Josef Dumoulin (piano), Minino Garay (percussion), Malik Mezzadri (flûte), Nelson Veras (guitare).
    Onze Heures Onze – 842705 ONZ013