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  • Quatuor IXI - Cixircle

    cover.jpgIl n’est pas toujours facile de sauter par dessus les barrières d’univers musicaux considérées comme infranchissables à force de cloisonnements. Drôles de murs dont la raison d’être est souvent idéologique. On ne se mélange pas… Musique classique ou contemporaine, minimaliste, jazz, rock… les interactions ne sont pas si fréquentes - et souvent guettées du coin de l’oreille non sans un soupçon de méfiance.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

    PS : l'un des membres du quatuor IXI est le violoniste Régis Huby, qu'on retrouve par ailleurs très impliqué dans le récent disque de Maria Laura Baccarini, évoqué ici-même en début de semaine.

  • L'équation de la constellation

    christophe marguet, regis huby, benjamin moussay, steve swallow, cuong vu, chris cheek, , abaloneJuillet 2013

    Je suis confronté à une drôle d'équation personnelle… Ne vous faites pas de souci, je ne vais pas vous raconter ici ma vie, mais juste tenter de partager une situation qu'il m'arrive de connaître de temps à autre et que je crois intéressante en ce qu'elle me confronte à une limite naturelle que, finalement, je n'ai pas envie de franchir. Je vous explique…

    Il est question de musique, bien sûr.

    J'ai reçu il y a quelque temps le nouveau disque enregistré par le sextet du batteur Christophe Marguet. Cette Constellation interprétée par une formation magistrale me laisse sans voix, ou plutôt sans mots, puisqu'il s'agit ici d'écrire autour de la musique. J'ai écouté à plusieurs reprises ce double album publié sur l’impeccable label Abalone de Régis Huby - un habitué des réussites qui accomplit un véritable sans faute artistique - et, à chaque fois, je me suis retrouvé dans un état de bien-être assez difficile à décrire, dont la retranscription ne semble pas pouvoir passer chez moi par une analyse de la musique elle-même, mais plutôt par un simple mot d'ordre : « Allez-y, foncez, achetez-le, c'est un disque splendide, bourré à craquer d’humanité et riche de talents et d'émotions multicolores ! » Au-delà de cette injonction, je peine à trouver un angle d’attaque satisfaisant parce que je crains que mes mots ne finissent par trahir la musique elle-même.

    Septembre 2013

    Oui mais, c’est bien gentil tout ça mais... avouons-le, c’est quand même un peu injuste, non ?

    Injuste pour le batteur, dont je loue déjà les qualités depuis belle lurette (et en particulier dans le cadre de sa participation au Strada d’Henri Texier) et qui faisait partie de ma brochette de Maîtres en 2012 pour une Pulsion que j’avais par ailleurs généreusement vantée dans une chronique de Citizen Jazz. Christophe Marguet, artiste accompli, musicien en quête de nouvelles rencontres, batteur infatigable et compositeur inspiré (à l’exception de « After The Rain » de John Coltrane en clôture de l’album, Marguet signe toutes les compositions).

    Injuste pour Régis Huby qui joue ici bien plus que le rôle de stimulateur, puisqu’il participe à la fête aussi en tant que violoniste et contribue à lui-seul à faire dériver la musique vers des échappées belles qui ne sont pas, parfois, sans évoquer les couleurs impressionnistes de Songs No Songs du H3B de Denis Badault dont il était aussi l’un des éminents acteurs. Marguet, Huby, une sacrée collaboration qui n’en finit pas d’enchanter. Allez donc aussi prêter une oreille à leur travail aux côtés de l’immense Claude Tchamitchian pour un autre album coup de maître, Ways Out (Abalone, toujours et encore...). Tiens, j’en profite pour me rappeler (et vous rappeler si vous l’avez oublié, ce qui serait une grave erreur de votre part) un disque un peu fou, un peu barré de sa dame, la belle Maria-Laura Baccarini dont le Furrow, hommage iconoclaste à Cole Porter était un enchantement aux contours jazz et électriques assez inédits (avec aussi le guitariste Olivier Benoit, pas encore directeur de l’ONJ mais déjà grand monsieur, n’en déplaise à certains). Régis Huby, c’est le musicien génial qu’on rêve de croiser un jour ou l’autre, sur disque comme sur scène.

    Injuste pour l’immense Steve Swallow dont la basse électrique continue de me fasciner. Pas n’importe qui, quand même, jetez un coup d’œil panoramique à son pédigrée et vous comprendrez. Swallow (monsieur Carla Bley, soit dit en passant), c’est la grande classe, l’élégance personnifiée et le talent à l’état pur. Jazzophile tardif (j’avais 27 ans quand j’ai acheté mon premier Coltrane), j’ai fait sa connaissance dans les années 90, lorsqu’il faisait partie du Transatlantik Quartet d’Henri Texier, pour des albums de chevet que sont Izlaz ou Colonel Skopje (et, un peu plus tard, dans Respect, un all stars avec Bob Brookmeyer, Paul Motian et Lee Konitz). Marguet et Swallow se connaissent bien, le premier ayant eu la chance de bénéficier du second comme directeur artistique en 1996 pour Résistance Poétique et en 1999 pour Les correspondances.

    Injuste pour Benjamin Moussay, pianiste inventeur de climats étoilés qui brillent chaque jour un peu plus. Youn Sun Nah doit s’en souvenir puisqu’elle a fait appel à ses services en 2004, Claudia Solal aussi, Louis Sclavis pareil... Ecoutez le trio Atlas de ce dernier et les Sources qu’ils ont trouvées ! Le voici donc qui retrouve le giron Huby après avoir travaillé à ses côtés pour le projet All Around en 2011.

    Injuste pour le trompettiste au talent frappé au coin de l’éclectisme Cuong Vu, un musicien qui, entre autres activités, rejoint régulièrement la bande à Pat Metheny depuis une dizaine d’années.

    Injuste pour Chris Cheek, un saxophoniste qui ne se refuse pas, ici ou là, l’assistance de l’électronique et qu’on retrouve régulièrement avec le guitariste Kurt Rosenwinkel. Cheek, c’est important de le préciser, compte tenu des passions de Christophe Marguet, a aussi travaillé avec l’immense et regretté batteur Paul Motian, disparu voici peu et qui manque à tant de ses disciples.

    Injuste oui, ne pas en dire plus, surtout que la formule sonore imaginée par le batteur et ses complices dessine des couleurs très particulières, qui passent en toute fluidité de climats apaisés, lumineux à d’autres, moins confortables et nés des perturbations atmosphériques engendrées par chacun des protagonistes. Tout sauf un disque de batteur, parce qu’ici, on parle collectif, on joue ensemble, on chante du début à la fin.

    Un double disque qui s’ouvre par le balancement d’une pulsion nourricière, celle de « On The Boot », première occasion pour Chris Cheek et Cuong Vu de dévoiler l’étendue de leurs inspirations, soulevées par la luxuriance du paysage dessiné par leurs quatre acolytes. Au bout de cinq minutes, on sait qu’on a affaire à un grand disque.

    « Satiric Dancer », les ostinatos de Moussay, le groove de Swallow et le chœur des soufflants enrichi des stimuli de cordes signés Régis Huby. Ca pousse, ça avance, ah c’est bon... avant que la route ne s’élève pour emprunter des chemins escarpés, sous les coups de boutoir de la basse et du Fender Rhodes. Le son est plus sale, forcément, sous la poussière, la température monte, les hommes transpirent. Marguet veille au grain, jamais la tension ne se relâche, on devine son plaisir de jeu, sa jubilation rythmique d’être à ce point propulsé par la basse du longiligne Steve. Vu et Cheek s’en donnent à cœur joie.

    Avec « Argiropouli », la fête continue, d’abord sous la forme d’un hymne aux accents nostalgiques. On imaginerait volontiers un film italien, un peu fellinien, un peu années 60. Puis le violon de Régis Huby prend la parole, crée de nouvelles couleurs, s’évade vers ces ailleurs que seuls les musiciens connaissent. Imperceptiblement, on change de monde, nous voilà dans d’autres sphères, plus mystérieuses et sérielles. S’ensuivra un enivrant dialogue éthéré entre la basse si singulière de Steve Swallow et les claviers presques liquides de Benjamin Moussay. Tous deux semblent nous inviter à les rejoindre dans leur rêve. Entrons avec eux.

    « D’en haut » marque une nouvelle rupture esthétique : Huby et Moussay engagent leurs compagnons à les suivre dans un univers qui – c’est évident – quitte les rivages du jazz pour s’échapper vers des contrées plus typiquement européennes et romantiques, comme s’il s’agissait de jeter des ponts, de magnifier un dialogue entre musiciens français et américains et donc de cultures différentes, mais complémentaires. La réponse de Chris Cheek ne se fait pas attendre, lui qui s’envole littéralement dans un chorus aérien de toute beauté. Visiblement ravi de ce rappel à l’ordre US, Marguet lui réplique par un fulgurant solo de batterie, histoire de montrer qu’il sait y faire. Suffit de demander...

    Une batterie transition vers un majestueux « Benghazi » qui résonne des vibrations du Fender Rhodes associées à celles du violon. Voilà un thème à la mélodie grave et porteuse d’un blues inquiet qui n’est pas sans évoquer le monde d’Henri Texier et une composition comme « Indians ». Rien d’étonnant, quand on y pense : il est inimaginable d’envisager que l’influence du contrebassiste ne puisse avoir rejailli sur celle du batteur. Au tour de Cuong Vu de faire monter la fièvre : il est vrai aussi, que la paire Marguet Swallow continue d’irradier l’ensemble. Huby et Moussay, eux, jouent les enlumineurs illuminés... On ne s’en lasse pas.

    Si l’ombre d’Henri Texier planait sur « Benghazi », on sait à qui est adressé le clin d’œil de « Only For Medical Reasons ». Voilà du Carla Bley pur jus, il y a un petit côté Lost Chords dans cette composition doucement chaloupée et chaotique où l’humour affleure, Cuong Vu se transforme alors en un double de Paolo Fresu et Chris Cheek endosse le costume d’Andy Sheppard. Quant à Swallow, on le sait, il est chez lui ! On s’y croirait...

    « Last Song » : les européens reprennent l’avantage. Huby et Moussay entraînent leurs camarades au pays d’un romantisme néo-classique. Une composition courte, une mélodie concise (on rejoint ici H3B)... et pas de batterie. Marguet sait que, parfois, se taire c’est aussi jouer.

    Retour aux fondamentaux du groove avec « Remember », dont le balancement est sublimé par la combinaison du drive de Marguet et la rondeur de la basse. Un boulevard pour les solistes qui trouvent là le terreau idéal à leurs explorations solaires. Mais ce disque n’est décidément pas comme les autres : une nouvelle rupture se fait jour, la lumière cède la place à une sorte d’éblouissement plus immobile. Grande classe, encore une fois.

    On a parlé de route tout à l’heure, voici venir une « Old Road » qui n’a de vieux que son titre parce qu’il s’agit bel et bien d’une sacrée aventure, pas poussive pour deux sous, avec son thème entêtant et sa rythmique hypnotique. La patte Moussay, à n’en pas douter, et les éclats des solistes qui zèbrent le ciel de leurs élans (beaux échanges, une fois de plus, entre Cuong Vu et Chris Cheek) jusqu’à Régis Huby qui s’enflamme pour un final presque sautillant de joie.

    Coltrane pour finir ! Quel beau cadeau... « After The Rain ». Cette fois, on se tait, on laisse l’orchestre – je trouve que ce mot convient bien à la formation – dérouler l’émotion du thème. Les couleurs, une fois encore, sont splendides, et si le saxophoniste est respecté, jamais il n’est singé. Les six musiciens parlent leur propre langue, ils réussissent une traduction simultanée des plus élégantes. Tous ensemble ! Chapeau bas.

    Voilà... Je n’avais finalement pas grand chose à dire au sujet de ce disque, je pouvais juste vous décrire cette musique un peu comme si j’écrivais en direct le reportage d’une écoute attentive et, je l’avoue bien volontiers, sous le charme. Marguet, Huby, Moussay, Swallow, Vu et Cheek : cette dream team s’est réunie au studio La Buissonne de Pernes-lès-Fontaines au mois de septembre 2012 pour enfanter une Constellation dont les richesses sont immenses. Voilà un disque, je le sais depuis longtemps, qui sera de mes galettes de cœur. Signe qui ne trompe pas : il n’a pas quitté le sommet de la pile des disques en écoute. J’y reviens tout le temps.

    29 septembre 2013, 22h55

    Je crois que j’ai été un peu long...

  • Grande traversée

    equal_crossing.jpgJe crois pouvoir dire que j’attendais ce disque depuis un petit bout de temps maintenant. J’entends par là qu’après l’avoir écouté une première fois – pour ne pas dire au bout de quelques minutes seulement – j’ai eu la certitude d’une rencontre comme j’en rêve souvent, mais dont la réalisation est plus ou moins probable. Car vous le savez aussi bien que moi, il y a parfois une petite différence entre rêve et réalité, malheureusement. La dernière fois qu’il m’est arrivé de faire coïncider à ce point les deux, c’était l’année dernière, lors de la publication d’Europa Berlin par l’ONJ, sous la direction d’Olivier Benoit. Ou la sensation inexplicable de me trouver face à un objet artistique qui va me nourrir pendant un très long moment. C’est une question de synchronisme, d’alignement presque parfait entre le niveau de mes questionnements et les réponses qu’un musicien peut leur apporter. C’est toute l’histoire d’un disque qui se présente comme le marqueur de l’adéquation entre un émetteur et un récepteur. Comprenez bien : je ne prétends pas ici que le nouveau disque en quartet du violoniste Régis Huby provoquera chez vous une réaction identique à la mienne. Je n’en sais absolument rien, même si je vous le souhaite, alors qu’à l’évidence vous êtes forcément différents de moi. Mais une chose est certaine : Equal Crossing, publié sur le label Abalone, à la destinée duquel veille ce musicien multidimensionnel, vient à notre rencontre à la façon d’un miroir. Lorsque je l’écoute et que je ferme les yeux, j’ai la conviction d’avoir été percé à jour et qu’on a voulu me faire un beau cadeau. Rien qu’à moi. C’est à moi qu’il parle. Et je sais que je ne suis pas seul à le vivre ainsi.

    Curieusement, j’aurais bien du mal à expliquer ce drôle de phénomène parce que ces choses-là se vivent et se ressentent plus qu’elles ne se disent. Nous sommes tous des êtres de sédimentation : j’ai beau ne pas être un officiant de la musique, mes connaissances ne s’en sont pas moins accumulées avec beaucoup de persistance depuis près de cinq décennies, sans d’ailleurs qu’aucun phénomène d’érosion ne soit à déplorer. Tout s’ajoute pour élaborer au fil du temps une drôle de construction humaine, un biotope musical qui est le patrimoine dans lequel je puise pour vibrer. C’est tout ce capital qui semble entrer en résonance directe avec Equal Crossing.

    Vous le savez, Régis Huby est un pensionnaire de l’Auberge des Musiques Buissonnières. Il a ici, en quelque sorte, son rond de serviette. Non qu’il se soit vu octroyer un quelconque privilège ou qu’il paie plus cher que les autres, mais bien parce que chacune de ses expériences est pour moi la source d’un voyage (une traversée, donc) au pays de toutes les musiques que j’aime et qu’il me semble important d’en souligner les beautés. Jetez un simple coup d’œil au catalogue d’Abalone et vous comprendrez vite pourquoi. Qu’il s’agisse d’une chronique pour Citizen Jazz (c’est ici, ici, ici, ici, ou encore ici) ou d'une digression buissonnière, et même si je ne prétends pas à l’exhaustivité, ma plume a beaucoup dérivé en hommage à son travail. Vous pourrez ainsi facilement trouver dans ces pages les stigmates scripturaux de l’enchantement qu’exerce sur moi la planète Hubyland : par exemple quand j’ai évoqué Constellation du sextet de Christophe Marguet : ou Together Together!, le duo de ce dernier avec Daniel Erdmann ; un peu plus tard, c’était Akasha, du quartet d’Yves Rousseau, dont le Wanderer Septet était mis à l’honneur un peu plus tard ; faut-il rappeler, enfin, Shakespeare Songs par le trio Marguet – De Chassy – Sheppard ? Tout récemment, le saxophoniste Laurent Dehors a publié un étourdissant Les sons de la vie, dont je n’ai pas rendu compte ici, simplement parce que je manque un peu de temps en ce moment. Alors je le cite, juste pour me faire pardonner, sachant que mon camarade Citoyen Franpi en a lui-même dit le plus grand bien. Il a bien raison, le bougre...

    Ce nouveau disque est composé de trois longs mouvements eux-mêmes construits en deux ou trois parties, dont les titres (« Faith & Doubt », « The Crossing Of Appearances » ou « Imaginary Bridges » pour vous citer trois exemples) constituent de précieuses indications sur le sens que Régis Huby a voulu donner à une union au sommet : « L’idée de traversée me plaît car elle suggère le chemin, l’action d’aller vers l’autre. Il y a donc un plan métaphorique dans tout ça, bien évidemment, à la fois sur le plan musical, mais aussi social ou culturel ». Mais tout d’abord, il est important de dire qu’Equal Crossing est un objet musical qui n’est pas simple à cerner du point de vue de sa forme. À cet égard, on doit lui reconnaître une qualité essentielle : celle de se présenter comme une traversée des styles – jazz, musique de chambre, musique improvisée, rock –, qu’il fusionne pour donner naissance à un langage qui est tout cela à la fois et en même temps autre chose, une musique organique finement ciselée, mais aussi très mouvante et ouverte à l’improvisation, dont les teintes électro-acoustiques inédites doivent autant aux choix instrumentaux qu’à la personnalité des musiciens. Les violons de Régis Huby dégagent de larges espaces sonores que vient habiter la guitare sinueuse de Marc Ducret, aux accents souvent frippiens, tantôt planante, tantôt pourvoyeuse de scansion. C’est lui qui pousse le quartet vers son esthétique la plus proche de ce qu’on nommera rock pour simplifier, un rock qui lorgnerait vers une forme progressive actualisée. On me pardonnera cette référence qui pourra sembler étrange à certains, mais il est indéniable que le plaisir éprouvé à l’écoute d’Equal Crossing m’a renvoyé à plusieurs reprises par certaines de ses aspects très ouverts à la découverte en 1973 de Larks’ Tongues In Aspic de King Crimson. Comme un écho lointain. Bruno Angelini, lui, est l’agent multiplicateur du quartet. Il superpose les couleurs en provenance de son piano, de son Fender Rhodes et de son synthétiseur analogique. Le pianiste pratique avec beaucoup de fluidité le grand écart entre classicisme et modernité. Enfin, l’autre bonne idée de ce projet est d’avoir fait appel à Michele Rabbia qui est beaucoup plus qu’un percussionniste. Il est un agenceur de sons, dont l’électronique agit comme un perturbateur tranquille de l’environnement sonore. Pas de basse ni même de contrebasse, donc : quatre musiciens placés sur un pied d’égalité – on peut ainsi comprendre le mot « equal » qui donne son titre à l’album – pour élaborer les textures, chacun ayant en charge la proposition mélodique tout autant que le modelage de la matière rythmique, dans le respect et l’écoute des trois autres. Régis Huby me le confiait lui-même, en justifiant le choix d’une citation de Claude Lévi-Strauss qui est reproduite sur le livret : « Sans cette volonté de rencontrer l’autre, de faire le chemin vers l’autre, de traversée les apparences, d’aller au-delà des différences… rien de profond ne peut naître ». On pourra rassurer le violoniste : Equal Crossing est certes une traversée, il est aussi une grande plongée vers des profondeurs de nature tout autant métaphysique que musicale. Pari réussi, donc !

    Et c’est vrai qu’il ne fait aucun doute qu’Equal Crossing est dès à présent un des disques importants de l’année 2016. Il est installé au sommet d'une pile déjà vertigineuse d'albums et bien malin qui saura l’en déloger. Pour notre plus grand bonheur, je souhaite néanmoins qu’un concurrent lui dispute la place dans les mois à venir mais il faut le prévenir : ce ne sera pas une mince affaire !

    En attendant cette possible course d'altitude, on pourra se régaler d'une petite vidéo... C’était le 4 juin 2015 à au Festival Jazzdor Strasbourg – Berlin.

  • Quintessence

    yves rousseau, regis huby, christophe marguet, jean-marc larché, akasha, abalone

    Akasha, c’est le titre du nouveau disque enregistré par le quartet du contrebassiste Yves Rousseau, publié sur le toujours juste Abalone, le label du violoniste Régis Huby, lui-même impliqué dans cette splendide réalisation en tant qu’instrumentiste. Je présente par avance mes excuses aux musicien(ne)s* que je dois évoquer ici mais qui viennent de se faire dépasser in extremis sur la ligne d’arrivée de mon blog, tant cet album trouvé voici à peine deux jours dans ma boîte aux lettres est en phase avec le besoin de trouver un remède à la pesanteur des heures que nous vivons depuis quelques jours, mais aussi avec les moments d'allégresse collective qui les ont suivies. Akasha est un disque en état de grâce, un espace de liberté préservée et, pour ce qui me concerne, une médecine douce suscitant l’envie irrépressible d’ajouter ici une nouvelle chronique, après des jours de grande sécheresse.

    Le quartet d’Yves Rousseau est né voici une quinzaine d’années et comptait jusqu’à présent deux albums à son actif (Fées et Gestes en 2000 et Sarsara en 2004) ; une association restée bien vivante depuis dix ans puisqu’on la retrouvera réunie autour de la musique de Léo Ferré et du programme Poète... Vos papiers ! Aux côtés du leader et, on l’a dit, de Régis Huby – ici pas seulement violoniste mais véritable designer sonore et metteur en espace (comme sur « L’éther », par exemple), on se réjouit de retrouver une fois encore Christophe Marguet à la batterie, un musicien qui est un peu comme chez lui sur ce blog puisque je n’ai pas manqué de le saluer à intervalles réguliers (tout récemment à l’occasion de Together, Together!, en duo avec le saxophoniste Daniel Erdmann). Le batteur (par ailleurs compositeur et instrumentiste à forte teneur mélodique) est à coup sûr heureux de s’épanouir dans une complicité de chaque instant avec un contrebassiste généreux, colonne vertébrale du quatuor, dont la force et la précision des attaques, le sens de la mélodie sont une source d’inspiration pour lui (et les autres, bien sûr), lui le musicien habitué pendant de longues années à servir la cause d’un autre (en)chanteur de la contrebasse, le grand Henri Texier, au sein du Strada Quartet (ou Sextet) et qui, parfois, est présent dans cette musique un peu comme en filigrane, par ses manières chantantes (« L'Eau - Part III »). Son solo conclusif sur « L'Air - Part I », tout en puissance retenue, est remarquable par ses couleurs et servira de rampe de lancement à un final majestueux. Et pour parfaire le chant du groupe, saluons Jean-Marc Larché, grand serviteur du saxophone et tout particulièrement du soprano, qui unit souvent sa voix à celle du violon de Régis Huby, lorsqu’il ne propulse pas son instrument dans l’espace (magnifiques envolées de l’alto dans « L'Air - Part II » et du soprano dans « Le Feu - Part II »). A son programme d’orfèvre : précision du timbre et maîtrise du phrasé.

    Saxophone, violon, contrebasse, batterie : la formule sonore n’est pas si courante et pourtant, quel naturel ! Quelle fluidité ! Cette musique coule des instants heureux, et pas seulement quand elle évoque l’eau. On comprend alors intuitivement le sens du mot Akasha : ce dernier, qui signifie éther en sanskrit, est aussi synonyme de quintessence, soit le cinquième élément, celui qui s'ajoute chez les philosophes anciens aux quatre premiers (l’eau, la terre, le feu et l’air, ceux-là mêmes qui sont célébrés dans le disque et qui donnent leurs titres aux compositions, toutes signées Yves Rousseau) ; celui qui en assure la cohésion ou la vie. On ne pourra s’empêcher de rapprocher un tel dépassement de la synergie née de la fusion de quatre autres éléments, les musiciens eux-mêmes : ceux-ci forment bien plus qu’un quatuor, ils sont une unité créative affirmant son propre langage. En un peu moins d’une heure qui paraît n’être qu’une dizaine de minutes, les musiciens dessinent une musique idiomatique tour à tour intime, symphonique et nourrie d’une énergie qui ne refuse pas de s'abandonner à une pulsion binaire. Leur fresque est tout autant héritière des compositeurs post-impressionnistes du début du XXe siècle comme Debussy que de l’esprit de liberté qui souffle sur le jazz depuis des décennies, confinant au jazz rock à certains moments (« Le Feu - Part II » ou « L'Air - Part I » sont, à cet égard, de saisissants condensés de toutes ces influences) et qui, à d’autres, n’est pas sans évoquer l’univers épuré, hors de toute géographie, de la démarche actuelle d'un Louis Sclavis (« La Terre »).

    Ne tournons pas autour du pot : Akasha est de ces disques qui vous happent ; dès ses premières mesures, on est le prisonnier volontaire de ses charmes naturels et d'une célébration contagieuse des éléments, jusque dans leur expression la plus sublimée, « L’éther ». Je résisterai pour une fois à la tentation descriptive des différents mouvements du disque, préférant souligner le travail de composition d’Yves Rousseau et son sens aigu de la dramaturgie, de la montée en tension et, à l’opposé, du flottement des textures sonores. Pour bien comprendre sa science de la construction, il vous suffira d’écouter la première partie de « L’eau » en ouverture du disque et de vous laisser prendre par un goutte à goutte entêtant qui, petit à petit, deviendra ruissellement pour finir en cascade. Un peu plus tard, dans le deuxième mouvement, on écoutera la musique comme on regarderait l'eau de pluie couler sur une vitre et y tracer un parcours poétique. La preuve, s’il en était besoin, qu’un Rousseau, savant architecte du matériau musical, peut faire les grandes rivières.

    Publié sur le label Abalone, Akasha est une nouvelle démonstration de l’exigence esthétique de Régis Huby, qui préside à ses destinées. Je ne reviendrai pas dans le détail sur chacune de ses productions, mais tout de même... Maria-Laura Baccarini (Furrow), Claude Tchamitchian (Ways Out), Christophe Marguet (Pulsion, Constellation), Denis Badault H3B (Songs No Songs), Jean-Charles Richard (Traces), Franck Vaillant (Thisisatrio, Raising Benzine), Quatuor IXI (Cixircle), If Duo (Songs)... Autant d’éblouissements qui composent un paysage féérique, une marche des élégances qu’il faut absolument (re)découvrir : Abalone, c’est une assurance-qualité, un refuge pour une musique qui n’a jamais suscité autre chose que l’enchantement. J’avais envie de le redire ici avant de conclure.

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    Mon camarade Citoyen Franpi a pour habitude de terminer chacun des articles de son blog par une photographie en expliquant qu’elle n’a rien à voir avec ce qui précède. Exceptionnellement, je vais faire un peu comme lui... sauf que mon instantané a beaucoup à voir avec le grand air de liberté qui souffle sur Akasha, disque de la cohésion revendiquée comme langue commune. On y voit la foule rassemblée hier à Nancy, comme ce fut d’ailleurs le cas dans bien d’autres villes. Pour ma part, pas de mot d’ordre, juste un mot que vous aurez deviné : liberté. N’en déplaise aux esprits aigris qui ne voyaient dans cette manifestation qu’une récupération par la sphère politique (merci de ne pas nous prendre pour des courges, nous savons ce qu’est le monde dans lequel nous vivons, mais il est des heures où il faut savoir se retrouver et puiser des forces qui, parfois, nous manquent au quotidien), je voulais être là, tout simplement, un citoyen parmi des dizaines de milliers d’autres (nous étions plus de 50.000 à Nancy). Comme s’il s’était agi d’allumer une bougie géante, sans autre calcul. Et se dire qu’il faudra rester vigilant et entretenir sa flamme. J’étais bien loin de la tête du rassemblement et, comme on peut le voir sur cette photo, bien loin de sa fin. Très impressionnant...

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    * J’évoquerai très vite ces beaux disques, comme par exemple : Daybreak du sextet de la pianiste Anne Quillier ; Un Poco Loco, trio singulier emmené par le tromboniste Fidel Fourneyron ; At The End Of The Day, de l’énigmatique et néanmoins transalpin guitariste Federico Casagrande ; Chut ! Fait du bruit, sous l’impulsion du trompettiste Fabrice Martinez ; Living Being, du grand Vincent Peirani ; ou bien encore L’ineffable, nouvelle rencontre du trio formé par Jean-Philippe Viret, Edouard Ferlet et Fabrice Moreau.

  • Claudia Solal & Benjamin Moussay : « Butter in my brain »

    claudia solal, benjamin moussay, butter in my brain, abalonerecordsÊtre fille de, c’est bien, sans nul doute. Surtout quand papa, qui vient de fêter ses 90 printemps, est – j’ose espérer qu’il me pardonnera cette façon de le qualifier – un personnage historique du jazz en France. On imagine que Claudia Solal est fière de son géniteur et qu’elle lui doit beaucoup. Avant d’être chanteuse, elle a d’ailleurs commencé par le piano, ce qui ne saurait être un hasard…

    Mais être Claudia, rien que Claudia, c’est plus que bien, c’est une chance. Butter in my Brain – quatrième disque sous son nom et la preuve que la dame n’est pas du genre à bavarder à l’excès, puisqu’on la connaît depuis une vingtaine d’années maintenant – en duo avec le pianiste Benjamin Moussay, un "vieux" compagnon de route, verra bientôt le jour. Il est l'occasion privilégiée de comprendre à quel point celles et ceux qui vont le découvrir dans le ravissement sont de petits veinards. Parce qu'un tel album est le vecteur d'une plongée dans l'univers réflexif et intime que ces complices ont élaboré avec minutie en onze chansons. Toutes les paroles de celles-ci sont écrites en anglais mais fort judicieusement traduites sur le livret.

    On connaît la capacité de Benjamin Moussay à instaurer des climats suggestifs et oniriques avec beaucoup de sobriété, qu’il joue du piano ou du Fender Rhodes, ou des deux en même temps, voire plus. Ce musicien a les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. On sait combien Claudia Solal sait habiter les mots des autres. Souvenons-nous de Poète, vos papiers ! avec le contrebassiste Yves Rousseau, dans le cadre d'un projet consacré à Léo Ferré. Elle y partageait le chant avec une Jeanne Added alors moins connue qu'aujourd'hui. Au passage, il est amusant de noter que Claudia Solal s'est composé pour Butter in my brain un look de jumelle de sa partenaire d'alors. Mais la chanteuse habite avec une intensité égale les textes qu’elle écrit elle-même et qui sont la manifestation sensible d’une expérience de vie, qu'elle définit volontiers comme sa foolosophy.

    Ce duo de l'enchantement, dont l’association dure depuis plus de quinze ans, est comme une sorte d’unisson. Une union sacrée entre poètes.

    Butter in my brain, qui aura nécessité de longues séances d’écriture à quatre mains pendant plus d’un an et demi, est un objet musical magnifique et envoûtant. Une parenthèse heureuse. Quelque part, entre jazz, pop songs et musique romantique du siècle passé ; ou plutôt ailleurs, tout là-haut, là où les rêves sont encore à portée d'imagination. Je n’éprouve pas le besoin de détailler l'album titre par titre parce qu'il est à recevoir comme un tout ; toutefois, je ne peux vous cacher qu’à l’écoute de « Nightcap for sparrows » par exemple, un doux frisson m’a parcouru. De plaisir, évidement. Et qu’il en va ainsi du début à la fin.

    Comme je ne voulais pas venir vers vous les mains vides en attendant la sortie du disque, je vous ai apporté un petit teaser…

    Butter in my brain sortira le 20 octobre chez Abalone Records. Une bonne occasion de saluer l’ami Régis Huby, dont le travail est toujours aussi remarquable.

  • Les rêveries du voyageur Rousseau

    yves rousseau, wanderer septet, franz schubertIl est des disques qui n’appartiennent qu’à eux-mêmes. Ce sont des inclassables, fruits d’un travail d’une sincérité sans faille et d’une telle évidence dans leur réalisation qu’on ne ressent pas le besoin de les affilier à une quelconque école ou de les ranger dans une boîte prédéfinie, certes commode mais qui, de toutes façons, sera trop exiguë pour eux. On doit les prendre tels qu’ils sont, sans restriction, et avec tout le respect qui leur est dû. Wanderer Septet, né de l’imagination fertile du contrebassiste Yves Rousseau, dont le récent Akasha en quartet était déjà de toute beauté, est de ceux-là, assurément. Et je vois qu’en mélomanes avertis, vous n’avez pas manqué de vous souvenir qu’il y a bientôt trois siècles (en octobre 1816 plus précisément), un certain Franz Schubert composait un lied appelé Der Wanderer (Le Voyageur).  Ne cherchez plus, vous y êtes !

    C’est bien le compositeur autrichien qui est la source d’inspiration de ce projet pour lequel Yves Rousseau a réuni une fine équipe de musiciens accomplis, accoutumés à l’idée que si la musique est une, elle est aussi multiple. Appelons-les des musiciens sans frontières, humbles serviteurs de bien des partitions et prompts à improviser s’il le faut. On trouve dans le septet formé par Yves Rousseau deux membres de son quartet, dont on avait apprécié les immenses qualités : Jean-Marc Larché , saxophoniste d’une grande sensibilité et celui auquel il me faudra un jour consacrer un texte, tant sa contribution à la création musicale en France me semble déterminante : le violoniste Régis Huby, sur le label duquel ce nouveau disque est publié. Je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises : Abalone est une caverne d’Ali Baba et ne compte que des disques importants (Quatuor IXI, Christophe Marguet, Claude Tchamitchian, Denis Badault, If Duo, Maria Laura Baccarini, Franck Vaillant, …), soit autant de démonstrations par l’action du goût très sûr du monsieur. J’y reviendrai, c’est sûr.

    Pour aller encore plus loin, du côté de ses rêves d’adolescence, Yves Rousseau a fait appel au pianiste Edouard Ferlet, aussi à l’aise dans le jazz très cinématographique du trio Viret-Ferlet-Moreau que dans ses tentatives en solitaire pour déjouer Bach. Un grand monsieur, comme on le sait. Formé à l’école classique puis au jazz et aux musiques du monde, le percussionniste Xavier Desandre-Navarre vient apposer ses couleurs sur une fresque qui n’en manque pas. Artiste de la pluridisciplinarité, homme de toutes les cultures (sa biographie nous rappelle que « les projets artistiques qu’il conduit se sont articulés autour des écritures classiques et contemporaines, théâtrales, musicales, chorégraphiques »), voici Pierre-François Roussillon, dont la clarinette basse trouve à l’évidence sa place de manière naturelle parmi ces musiciens protéiformes. Pour compléter l’équipe, celui qui est reconnu comme une des voix les plus singulières du jazz, et qui se voit ici confier également le rôle de récitant, ou plutôt de « diseur », Thierry Péala. J’ai bien compté, ils sont sept, ils sont le Wanderer Septet.

    Sacrée équipe, non ?

    Autant dire que le résultat est à la hauteur des espoirs que pouvait susciter une telle formation, mise au service d’un projet somme toute singulier. Le mariage des époques n’est pas sans risque… Mais attention, vous n’entendrez pas directement la musique de Schubert, à l’exception de quelques citations fugaces (« Sonate Arpeggione », « Trio Opus 100 », « Le roi des Aulnes », …). En réalité, vous la percevrez, comme en filigrane. Le but d’Yves Rousseau n’est pas de réinterpréter sa musique mais plutôt de la laisser agir au coeur même de son propre processus de création. Elle est une source, un point de départ, elle infuse depuis des décennies dans le patrimoine du contrebassiste : « Dans le temps de l’adolescence et dans cette solitude si indispensable à la construction de l’être, j’ai ressenti une immense proximité avec cet artiste habité par une flamme qui me semble encore aujourd’hui unique, comme une sorte de fascination pour cette beauté qui me toucha jusqu’au plus intime ».

    Découpé en six grands mouvements, Wanderer Septet revêt des couleurs changeantes, le plus souvent nocturnes : l’association piano - clarinette - violon - contrebasse l’apparente à une musique de chambre d’aujourd’hui qui, sans qu’on n’y prenne garde, pourra céder la place à un trio dont l’esthétique est typiquement jazz par sa formule instrumentale mais aussi par son énergie (ainsi le piano, la contrebasse et la batterie dans le troisième mouvement de « Wanderer I »). Certes formée à l’école classique, la clarinette basse de Pierre-François Roussillon n’hésitera pas à se montrer avide d’explorations, aidée en cela par les percussions et le frottement des cordes (deuxième mouvement de « Wanderer III »), pour nous entraîner dans un climat plus radical, où la mélodie peut s’effacer pour devenir cri. L’association des cordes (y compris vocales) crée l’envoûtement et le mystère (« Wanderer V »). Le violon de Régis Huby s’envole, ouvre des perspectives de liberté dont le groupe s’empare avec une vraie jubilation (deuxième mouvement de « Wanderer VI »). La contrebasse d’Yves Rousseau est libre à tout moment de chanter, voire d’exprimer la douleur (son court et poignant solo sur le troisième mouvement de « Wanderer VI » est l’illustration parfaite de la dualité Schubertienne). Autant d’exemples (on pourrait les multiplier) qui attestent de la richesse des textures que savent créer sept musiciens en état d'apesanteur. Le soin méticuleux apporté aux arrangements, la multiplicité des combinaisons instrumentales et des climats… chaque écoute est source de nouvelles découvertes et d'allers-retours entre les siècles.

    Il faut aussi souligner que Wanderer Septet est une oeuvre dont la dimension est théâtrale : car si Thierry Péala en est le chanteur ou le vocaliste, il est aussi ici récitant, celui qui par exemple va lire le rapport d’inventaire notarial à la mort de Schubert ou l’épitaphe du dramaturge autrichien Franz Grillparzer. De quoi ajouter au caractère atypique de cette si belle création qu’on a hâte de découvrir sur scène, comme par exemple le 21 janvier prochain au Manu Jazz Club de Nancy.

    Pour finir puisqu’on parle ici de Schubert : je me permets d’attirer votre attention sur un disque à venir qui sera lui aussi consacré au compositeur autrichien, mais dans une tonalité radicalement différente. Laurence Malherbe, chanteuse extra-lyrique et ses petits camarades d’Excursus, nous ont mitonné un Winterreise Fragments de derrière les fagots. Avec un aplomb admirable, celle qui s’était déjà autorisé une première transgression, va beaucoup plus loin et transfigure Schubert en lui faisant subir un régime cold-wave qui lui va comme un gant. J’ai le privilège d’écouter le disque depuis quelque temps, je peux même vous révéler que Laurence a eu la gentillesse de me confier l’écriture de ses liner notes et pour résumer l’affaire : c’est un régal !

    Cette histoire n’en finira donc jamais...

  • Inventif

    claudia_solal.jpgFaut pas croire... Je lis, le plus attentivement possible, la prose de mes petits camarades de Citizen Jazz. Et souvent, je me dis que j'ai bien raison !

    Mais avant d'aller plus loin, autorisez-moi un petit conseil : sur votre table (de travail, de salon, de cuisine... qu'importe), peut-être aurez-vous laissé par mégarde une ou deux productions en vogue auxquelles on accole assez étrangement un label jazz, quand il ne s'agit tout au plus que de variétés anglo-saxonnes, dont on peut goûter les charmes, pourquoi pas, mais qui, soyons sérieux, sortent bien rarement du cadre douillet et convenu de la chansonnette. Il paraît que ça trouve son public... Alors, s'il vous plaît, d'un grand revers de la main, vous balayez les Norah Jones, les Katie Melua, les Melody Gardot, les Lisa je ne sais plus quoi... Autant de chanteuses à la mode qui risquent fort de vous assoupir si vous êtes éveillé et certainement pas de vous réveiller si vous somnolez. Un peu d'ivresse ne vous nuira pas, allez donc chercher un peu plus loin les pépites... Le jeu en vaut la chandelle.

    Tenez, l'autre jour encore, notre magazine chéri a mis en ligne la chronique du disque du Claudia Solal Spoonbox, Room Service. Un texte écrit par Franpi Barriaux - à ce sujet, il commence à m'énerver sérieusement celui-là ! J'aimerais bien savoir comment il s'y prend pour glisser mille et une petites inventions poétiques au détour de ses phrases avec un naturel qui frise parfois l'insolence... En tant qu'artisan laborieux de la prose, en écriveur bricoleur, je déclare ici ma plus véhémente jalousie vis-à-vis du monsieur. Franpi, essaie de temps en temps de te fendre d'une phrase ordinaire, histoire de nous laisser croire qu'on arrivera, nous aussi, à dire les choses avec ce brin de folie qui fait toujours du bien. Et toc, voilà, c'est dit ! - qui nous alerte sur les nombreuses qualités d'un disque enregistré avec la complicité de quelques chouettes musiciens, dont Benjamin Moussay, jamais à court d'une invention sonore et d'une enluminure inattendue. Fille du grand Martial Solal, Claudia nous invite dans son univers tout à fait singulier, où les textes (en anglais) nous racontent une Angleterre d'autrefois, peuplée de personnages malicieux, et se conjuguent avec une musique à la fois savante et joyeuse. Parfois - en particulier sur le long et captivant « The Winter Of Our Discontent - on pense à Henry Cow et à sa chanteuse Dagmar Krause sur l'album In Praise Of Learning. Ce qui est un compliment. Il se passe toujours quelque chose sur Room Service : chaque minute, pour ne pas dire chaque seconde, nous réserve une surprise, une trouvaille qui nous enchante. Un peu comme si nous nous trouvions glissés à l'intérieur d'un cabinet de curiosités, dont les mystères et les objets bizarroïdes se dévoilent petit à petit.

    Je vous laisse en compagnie de Claudia Solal, pour découvrir son petit laboratoire artistique, et vous inviter à entrer dans la magie de son univers. Elle interprète ici « Room Service ».

    Claudia Solal (chant), Benjamin Moussay (claviers), Jean-Charles Richard (saxophone), Joe Quitzke (batterie), Régis Huby (violon).

    Et puis, tiens, tant qu'on y est. Suivez aussi les précieux conseils qu'on peut lire chez Belette & Jazz : on y trouve une belle présentation d'un disque formidable, un pari risqué puisqu'il s'agit d'une aventure en solitaire du contrebassiste Claude Tchatmichian : Another Childhood est une réussite flagrante, passionnante de bout en bout. Ce qui ne nous étonne guère quand on connaît le talent du bonhomme. On en redemande !!!

  • Galettes de rois... et de reines !

    2011_disques_blog.jpg

    Disques de l'année... L’exercice peut paraître vain, tout comme l’idée d’un palmarès, mais comme l'ami Franpi s'y est collé, alors j'y vais de ma petite liste. Ici je vous propose en toute simplicité un rapide retour en arrière sur les mois qui viennent de s’écouler, en essayant, sans trop réfléchir toutefois, de penser aux disques (je me suis volontairement limité à ce qu’on appelle communément le jazz) dont les musiques me trottent dans la tête… C’est très injuste pour tous les autres – si nombreux – dont une petite sélection tout aussi incomplète vous est proposée à la fin de cette note. Je précise enfin que l’ordre de cette douzaine dorée ne répond à aucune logique particulière.

    Libre(s)Ensemble
    Pour sa démarche libertaire, ses élans et le souffle de ses influences, qui vont d’Ornette Coleman à King Crimson en passant par le Liberation Music Orchestra. Du grand art pour un grand ensemble. La bande à Tocanne frappe fort, elle qui nous séduisait déjà beaucoup avec 4 New Dreams et continue de nous passionner avec Mad Kluster Vol. 1. Libre(s)Ensemble n'en finit pas de tourner en boucle par ici…

    Artaud : Music From Early Times
    Trop méconnu et pourtant quel disque ! Vincent Artaud, compositeur, arrangeur, multi instrumentiste, réinvente son propre monde un peu mystérieux, celui des origines, entre grands espaces inquiets et paysages brûlants. Une certaine vision de l’infini passée inaperçue pour des raisons tout aussi mystérieuses… Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

    Perrine Mansuy Quartet : Vertigo Songs
    Parce qu’il y a chez la pianiste et ses complices ce brin de folie onirique dont le charme opère instantanément. Une apparence de classicisme sous une trame très mélodique qui cède vite la place à un univers poétiquement décalé. La guitare de Rémy Decrouy est envoûtante, les percussions de Jean-Luc Difraya sont des enluminures et le chant de Marion Rampal nous embarque dans ses espiègleries. Perrine Mansuy nous enchante…

    Sphère : Parhélie
    Jean Kapsa, Antoine Reininger, Maxime Fleau. Ils sont jeunes, ils ont du talent à revendre. Leur premier disque, d’une grande maturité, n’est jamais démonstratif. La sérénité de leur propos vient apporter un contrepoint pacifié au quartet Festen, une autre formation subtilement créatrice de tension dont deux des musiciens du trio Sphère sont les membres très actifs. Tout ce petit monde est décidément passionnant.

    Ping Machine : Des trucs pareils
    Coup de cœur pour ce quasi big band aux envolées chaudes et puissantes, au sein duquel chaque musicien s’exprime dans un état de liberté dont on ressent vite le besoin à la manière d’une dépendance. Une réponse flamboyante aux fossoyeurs récurrents du jazz, qui est ici plus que vivant. Il bouillonne !

    Maria Laura Baccarini : Furrow
    Ou comment faire voler en éclats le répertoire de Cole Porter jusqu'à le rendre méconnaissable et lui donner une nouvelle dimension, fulgurante, entre jazz et rock, au point de dessiner parfois le portrait d’une version contemporaine du rock progressif. La voix de l’italienne est ici l’un des six instruments d’un groupe terriblement inventif. On se réjouit des prestations inspirées de Régis Huby ou Eric Echampard... et des autres !

    Pierrick Pédron : Cheerleaders
    Les majorettes du saxophoniste sont un peu énigmatiques. Rêve ? Réalité ? Allez savoir. Elles sont ici le prétexte à une suite d’histoires dans laquelle le sextet de Pierrick Pédron, ne cherche pas seulement à donner un prolongement au captivant Omry. Il est l’affirmation singulière d’une puissance aux couleurs presque rock et d’une créativité dont le jazz a le secret. Bref, c’est assez explosif et très chaleureux. Comme Pierrick Pédron lui-même.

    Samuel Blaser : Boundless
    Le jeune Helvète est un tromboniste prolifique qui n’hésite pas à bousculer notre confort douillet pour nous inviter à partager ses déambulations très imaginatives. Son association en quatuor dans lequel le guitariste Marc Ducret est parfait comme d’habitude, séduit par un cheminement complexe mais toujours débordant de vitalité. Quelques mois plus tôt, Blaser nous offrait avec Consort In Motion une relecture originale de Monteverdi, avec l’appui du regretté Paul Motian. Il était aussi de la fête des 4 New Dreams de Bruno Tocanne.

    Stéphane Kerecki & John Taylor : Patience
    Un duo presque nocturne, contrebasse et piano. Deux générations dont la conversation est une démonstration lumineuse. Ce disque est à sa manière une incarnation de l’harmonie vers lequel on revient naturellement, en toute confiance.

    Stéphane Belmondo : The Same As It Never Was Before
    Ici, il faudrait parler d’épanouissement. Le trompettiste est au meilleur d’une forme qui doit aussi beaucoup au talent de ses comparses et particulièrement d’une paire américaine de grande expérience, le pianiste Kirk Lightsey et le batteur Billy Hart. Un disque à savourer, tranquillement, pour sa plénitude et la sagesse qu’il dégage.

    Lionel Belmondo "Hymne au Soleil" : Clair Obscur
    Frère du précédent, le saxophoniste poursuit sa quête, celle du passage entre des univers qui ne sont séparés les uns des autres que dans les esprits les plus étroits. Suite d’Hymne au Soleil, Clair Obscur jette de nouveaux ponts entre la musique dite classique du début du XXe siècle et le jazz. Son « Nocturne », qui va de Gabriel Fauré à John Coltrane, est magnifiquement emblématique de la démarche d’un musicien habité.

    Giovanni Mirabassi : Adelante
    Le pianiste italien remet le couvert ! Dix ans après Avanti, Adelante se présente comme un manifeste avec sa succession d’hymnes puisés dans le patrimoine mondial de la résistance à l’oppression. Cette apologie de la liberté s’exprime dans toute la puissance d’une interprétation solitaire et méditative.

    Et pour quelques galettes de plus

    Je n’oublie pas, parmi des dizaines et des dizaines d’autres : Canto Negro (Henri Texier Nord Sud Quintet), Dig It To The End (Tonbruket), Five (Prysm), Songs Of Freedom (Nguyen Lê), The Crow (Plaistow), Avec deux ailes (Sébastien Llado Quartet), Heterotopos (D!Evrim), Seven Seas (Avishai Cohen), Prétextes (Christophe Dal Sasso), Downtown Sorry (Roberto Negro Trio), Nos sons unis (Big 4), Tower # 1 (Marc Ducret)… à vous de compléter maintenant.

    Il faudrait plusieurs vies, quand on y réfléchit...

  • Olivier Benoit ou la musique en lettres capitales

    orchestre national de jazz, onj, olivier benoit, europa osloEuropa Oslo, quatrième et dernière étape pour l'Orchestre National de Jazz sous la direction d'Olivier Benoit et une autre source de stimulation de son imagination. Instantanément, c’est le sentiment d’un nouveau choc, dans un grand souffle de soixante-neuf minutes. Chaque écoute s’offre ensuite à la manière d’une révélation, levant le voile sur des richesses qu’on avait jusque-là effleurées. L’ONJ déploie les fastes d’une musique dont la singularité est plus que jamais avérée. Il y a un langage Olivier Benoit, voilà qui ne fait aucun doute. Mais ça, nous le savions depuis longtemps. Encore faut-il être capable de tenir ses promesses et, si possible, de surprendre. Et c’est bien le cas, une fois encore...

    On identifie instantanément l'ONJ, en particulier par la richesse de ses textures sonores et de ses brusques changements de cap dont « Det Har Ingenting Å Gjøre » est une parfaite illustration. Mais aussi par ses entêtements rythmiques, dans une jonction heureuse qui se nourrirait à la fois de la « discipline » de Robert Fripp et des déphasages de Steve Reich – j'assume ces comparaisons qui pourront étonner – comme dans l'introduction de « A Sculpture Out Of Tune » et le final de « Pleasures Unknown ». Une force de frappe mise au service d'arrangements luxuriants où s’épanouissent dans une lumière froide violon, clarinettes, saxophones, trombone, guitare, piano, claviers, percussions et quelques sorcelleries électroniques.

    Europa Oslo n'est ni Europa Paris, ni Europa Berlin, ni Europa Rome. Il n’est pas question pour autant de froideur, car ce serait trop facile, trop attendu. Mais plutôt d'une prise de distance, loin du bouillonnement de Berlin et de l'exubérance de Rome, par exemple. À l'image de ce « stade vêtu de blanc » et illuminé qu'on découvre au recto de la pochette, dont Olivier Benoit dit qu’il « crée le lien entre la ville, le texte et la musique ». Europa Oslo est un disque qu'il faut laisser venir vers soi, patiemment. Ce à quoi nous invite par exemple « Oastracism », en ouverture de ce quatrième voyage.

    L'Orchestre fait une fois de plus la démonstration de sa capacité à agencer dans un même continuum une vue microscopique, parfois bruitiste et sa vision panoramique de la musique : « Intimacy » est le meilleur exemple de ce glissement, qui commence par le frottement croisé des cordes, celles de la guitare d'Olivier Benoit et du piano de Sophie Agnel, pour laisser la place au chant limpide de Maria Laura Baccarini avant un tutti majestueux caractéristique de cette formation qui – c’est un avis personnel – est sans nul doute le plus fascinant de tous les ONJ. Et puis il y a ce groove, tenace et entêtant vers lequel l’orchestre revient toujours, comme une nécessité nourricière. La deuxième partie de « An Immoveable Feast » ou de « Sense That You Breathe », presque métronomique, poussée par les rondeurs de la basse de Sylvain Daniel ou le final de « Ear Against The Wall » témoignent de cet appétit. Ou encore « Ear Against The Wall » et la pulsation machinique élaborée par les claviers de Paul Brousseau et la batterie d’Éric Échampard.

    Plus que jamais, l'ONJ se présente comme un collectif, une entité extrêmement généreuse, qui sait toutefois accorder le temps nécessaire à quelques interventions solistes, peut-être moins nombreuses qu'au cours des trois précédentes étapes, mais d’une inventivité débridée qui dit beaucoup du plaisir profond ressenti par chacun des protagonistes de cette histoire : Paul Brousseau sur « Ear Against The Wall », Alexandra Grimal sur « Sense That You Breathe », Hugues Mayot sur « A Sculpture Out Of Tune », Fidel Fourneyron sur « An Immoveable Feast », Fabrice Martinez sur « Det Har Ingenting Å Gjøre » ou encore Olivier Benoit, rocker flamboyant, libre et aérien sur « Intimacy » (mais quel bonheur celui-là, quel bonheur quand il s’y colle...).

    On connaissait Maria Laura Baccarini, notamment depuis les disques All Around et Furrow avec la complicité de son cher Régis Huby ; on savait toute son expressivité dramatique : écoutez Gaber, Io e le cose si vous avez besoin d'être convaincus. Elle est ici chanteuse, mais aussi récitante des mots de Hans Petter Blad qui a travaillé en étroite collaboration avec Olivier Benoit à l'écriture de cette nouvelle fresque. Il y a chez elle une manière particulière d'habiter les textes, presque théâtrale (n’oublions pas qu’elle est aussi une actrice), qui évoque parfois la présence magnétique de Dagmar Krause au temps d'Henry Cow dans les années 70 (c’est particulièrement saisissant sur « A Sculpture Out Of Tune » ou « Glossary »). Maria Laura Baccarini transporte la vie dans son chant ou dans les phrases qu’elle respire au creux de notre oreille (« Sense That You Breathe »). Quelle belle idée de l’avoir associée à ce dernier parcours.

    Je ne voudrais pas terminer la rédaction de cette note sans souligner le bonheur ultime des cinq dernières minutes de « Pleasures Unknown », car cette conclusion bonus du disque commencée dans un climat étale est époustouflante de beauté, comme si l’ONJ nous prenait à témoin de sa détermination sans faille depuis le début de son histoire. À faire dresser les poils sur les bras... Ni sans avoir pris le temps de citer, une fois encore, tous les musiciens d’un Paris Oslo aussi beau qu’on pouvait l’espérer. Olivier Benoit (composition, guitare) ; Hans Petter Blad (textes) ; Maria Laura Baccarini (voix) ; Jean Dousteyssier (clarinettes) ; Alexandra Grimal (saxophone ténor) ; Hugues Mayot (saxophone alto) ; Fidel Fourneyron (trombone) ; Fabrice Martinez (trompette et bugle) ; Théo Ceccaldi (violon) ; Sophie Agnel (piano) ; Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse) ; Sylvain Daniel (basse électrique), Éric Échampard (batterie, électronique).

    Cet ONJ me manque déjà parce que je sais qu'il va bientôt parvenir au terme de sa trop courte vie (Europa Paris, le premier volet, fut publié en juin 2014, c’était hier). J'en viens à espérer qu'il continuera d'exister, sous une identité différente. Il lui reste tant d’histoires à raconter, tant de voyages à entreprendre. Tu m'entends, Olivier ? Vite, dis-moi quelque chose, promets-nous d’autres périples aussi passionnants. Vite...

  • Duos, duels...

    christophe marguet,daniel erdmann,together together,abalone,sylvain darrifourcq,akosh s,apoptose,meta records,jazzRégis Huby nous gâte encore : son label Abalone n’en finit pas d’abriter de petits trésors musicaux vers lesquels on revient à intervalles réguliers. Ici-même ou du côté de Citizen Jazz, j’ai déjà eu l’occasion de saluer quelques-unes de ses pépites qu’il me plaît de citer une fois de plus pour vous suggérer d’aller y laisser traîner vos oreilles averties, si le cœur vous en dit : Constellation, du sextet de Christophe Marguet, ou Pulsion de son quintet Résistance Poétique ; Thisisatrio de Franck Vaillant ; Songs No Songs du H3B de Denis Badault ; Ways Out du quartet de Claude Tchamitchian ; Traces du trio de Jean-Charles Richard ; Furrow, de Maria Laura Baccarini ; Cixircle du Quatur IXI ; ou encore les If Songs de Giovanni Falzone et Bruno Angelini. Vous comprendrez très vite le haut niveau de la maison et la richesse de ses productions...

    La fête continue avec Together, Together!, une nouvelle formule en duo au cœur de laquelle on retrouve une fois de plus le batteur Christophe Marguet, dont l’impressionnisme du jeu vient esquisser une danse d’une grande élégance avec le saxophone de Daniel Erdmann, musicien quadragénaire qu’on connaît tout particulièrement pour être membre du revigorant Das Kapital, aux côtés d’Edward Perraud et Hasse Poulsen (celui qu’on appelle Ass !).

    Un duo saxophone batterie. Je vous épargnerai la petite leçon d’histoire du jazz que mériterait cette association pas si courante, mais il m’est impossible, quand un dialogue d'une telle nature est engagé, de ne pas penser au 22 février 1967, lorsque John Coltrane et Rashied Ali étaient entrés en studio pour graver dans le marbre un moment essentiel appelé Interstellar Space. Un album qui constitue, aujourd’hui encore, un enregistrement de référence que Marguet et Erdmann, connaissent forcément sur le bout des doigts, même si leur rencontre est esthétiquement très éloignée de cette matrice aux allures de combat jusqu’au-boutiste. Coltrane voyait venir la fin de son chemin et voulait une fois encore repousser ses propres limites, celle d’un langage à la frontière du cri universel : à cet égard, Interstellar Space avait des allures de duel (qui inspirera d’autres disques du même type, je pense en particulier à Linkage d’Eric Barret et Simon Goubert, mais aussi à Soul Paintin’, trop méconnu à mon goût, de Boris Blanchet et Daniel Jeand’heur).

    Together, Together! est tout sauf un combat ou un duel, il faudrait plutôt parler de conversation ou de dialogue. Ce serait la définition d’un duo, celui de deux musiciens dont les jeux paraissent chercher à s’entrelacer avec beaucoup de sensualité. Christophe Marguet et Daniel Erdmann enchantent leurs compositions  (toutes originales et assez brèves, à l’exception de deux reprises, l’une de Duke Ellington « African Flower », l’autre de Billy Strayhorn « Lush Life ») par leur capacité à suggérer chacun de leurs mouvements – parce que ce disque est assurément celui du mouvement – plus qu’à les asséner ; tous deux esquissent des pas de danse dont le rythme s’échappe parfois vers des contrées nourricières : « African Dancer » en est un bel exemple, quand les mailloches de Marguet résonnent des échos d’une Afrique qui n’est pas sans évoquer celle du Canto Negro que sait si bien raconter Henri Texier (avec lequel Marguet a longtemps joué, il faut le rappeler). « Lush Life » est une autre illustration de la délicatesse avec laquelle Erdmann tourne, tourne et tourne encore autour du thème avant que Marguet ne le rejoigne pour chanter avec lui. Deux musiciens qui prennent plaisir à inverser leurs fonctions supposées ou plutôt à les fusionner, le batteur étant capable d’endosser le costume du mélodiste tout autant que du rythmicien tandis que le saxophoniste ira se glisser dans le rôle du pourvoyeur d’un rythme d’une souplesse féline. Elle est là, cette danse entre les deux, cette conversation entre gentlemen qui définit leur art du duo et se renouvelle à chaque instant ; une autre déclinaison de la résistance poétique si chère au batteur. Together, Together! n’est pas de ces disques qu’on écoute avec passivité ; il fait plutôt partie des instants d’équilibre un peu miraculeux, dont on connaît la fragilité, et qu’on ne veut pas laisser filer entre ses doigts. On laisse approcher la musique, on lui accorde tout son temps, pour qu’elle nous souffle ses délicatesses au creux de l’oreille. Musique sensuelle, on vous dit ! 

    Daniel Erdmann & Christophe Marguet – Together, Together!

    Daniel Erdmann (saxophone ténor) ; Christophe Marguet (batterie).
    Abalone Records 2014 – AB016

     

    christophe marguet,daniel erdmann,together together,abalone,sylvain darrifourcq,akosh s,apoptose,meta records,jazzAvant de conclure, puisqu’il est question ici de duo saxophone batterie, je ne peux passer sous silence un nouvel épisode de cette association qui peut aussi s'avérer d’une âpreté abrasive : Sylvain Darrifourcq et Akosh S. avancent leurs pions sur le terrain beaucoup plus brûlant d’un corps à corps violent et livrent une musique fiévreuse, presque hantée, avec Apoptose. Difficile en l’occurrence de parler de conversation tant l’échange entre les deux vous emporte loin, là où l’angoisse peut aussi vous étreindre : portée par une énergie qui est celle de la vie elle-même (reportons-nous pour mieux comprendre à la définition du mot apoptose, qui signifie la mort cellulaire, phénomène bénéfique parce que nécessaire à la survie), cette musique souvent sombre, hurlée quand il le faut, est d’une puissance ravageuse qui vous prend aux tripes pour ne plus vous lâcher. Ce n’est certes pas l’album qu’on conseillera pour une fin de banquet, mais celui-ci est assurément un choc émotionnel qu’il faut vivre pour le croire. Et comprendre que l’être humain reste un mystère, même si le voyage n’est pas de tout repos. 

    Akosh S. & Sylvain Darrifourcq – Apoptose

    Akosh Szelevényi (saxophone, bols thibétains, cloches, zither) ; Sylvain Darrifourcq (batterie, percussions, zither, sextoys, iPhone).
    Meta Records 2014 – Meta 067

  • « Songs » d’une nuit d’été…

    shakespeare songs, guillaume de chassy, christophe marguet, andy sheppard, kristin scott-thomas, Voilà encore une réussite – et pas des moindres – à mettre au crédit d’Abalone Productions, label sur la destinée duquel veille l’éminent Régis Huby. Le violoniste n’est toutefois pas à la manœuvre musicale des Shakespeare Songs dont la paternité revient à un duo formé par le pianiste Guillaume De Chassy et le batteur Christophe Marguet. Ces deux-là travaillent ensemble depuis quelques années déjà et prennent un plaisir non dissimulé à explorer des territoires musicaux variés, qui unissent dans un même élan compositions originales, chansons françaises des années 30 ou encore musiques improvisées. Piano et batterie, autant dire une formule sonore qui les pousse à investir quand il le faut le champ des possibles de l’autre : si le premier instrument est naturellement harmonique, il peut et doit s’emparer du rythme et de la pulsation pour faire bonne mesure dans un contexte où chacun s'efforce d'occuper au mieux l’espace rendu disponible par le nombre restreint des protagonistes. On peut compter sur la main gauche de Guillaume De Chassy pour prendre une telle mission à son compte, ce qu’elle fera avec d’autant plus d’aisance que la batterie de Christophe Marguet – on le sait depuis un petit bout de temps maintenant – est elle-même une source mélodique au même titre qu’une force de frappe. A ce niveau d’interaction, un duo est, quand on s’y songe, bien plus qu’un duo. C'est un orchestre.

    Malgré cette richesse éprouvée à deux, la collaboration entre Guillaume De Chassy et Christophe Marguet a finalement abouti à une extension les conduisant à la formule du trio par l’adjonction d’Andy Sheppard, qu’on qualifiera volontiers de saxophoniste parfait, et qui brille, entre autres, au cœur de la galaxie Carla Bley depuis près de vingt ans. Son élégance naturelle, la beauté formelle du son de son instrument (soprano comme ténor), la précision de son phrasé aérien, son aptitude à écrire de passionnantes pages musicales en faisaient le compagnon idéal des histoires que le duo brûlait de raconter.

    Et puisqu’il est question d’histoires, c’est ici qu’il faut rappeler que De Chassy et Marguet, pour musiciens accomplis qu’ils soient, n’en sont pas moins hommes de cultures et, à ce titre, des lecteurs avides de sensations poétiques. L’un comme l’autre sont depuis belle lurette des adeptes de Shakespeare : aussi l’idée d’un travail puisant son inspiration dans l’univers du dramaturge de Stratford-Upon-Avon, sa poésie tourmentée et ses personnages aux destins souvent tragiques a-t-elle émergé dans leurs têtes et dans leurs cœurs. Ils n’étaient certes pas les premiers à se risquer à l'exercice, mais ils étaient certains de pouvoir faire entendre leur propre voix.

    Hamlet, Othello, Macbeth, Le conte d’hiver, La tempête, Roméo et Juliette, Le Roi Lear, Le songe d’une nuit d’été... Un sacré terreau, pour ne pas dire un terreau sacré. Qu’importe, un tel défi n’était pas de nature à rebuter ces musiciens qui surent trouver le ton juste dès les premières répétitions. Et c’est à la suite d’une première tournée qu'une autre idée se fit jour : celle de parer leur musique des textes de Shakespeare ; ou plutôt, comme Guillaume De Chassy le dit lui-même, de « la faire surgir réellement du texte ». A ce petit jeu, pouvait-on rêver d’une meilleure voix que celle de Kristin Scott-Thomas pour un disque à venir ? Pouvait-on imaginer une parole mieux portée que par la plus française des actrices britanniques, formée à l'École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Paris, et certainement l’une des plus aptes à s’emparer d’une poésie dont les accents si particuliers appartiennent désormais au passé ? On a beau continuer d’appeler l’anglais la langue de Shakespeare, il ne faut pas oublier cependant que le poète est mort il y a 400 ans exactement…

    L’actrice a enregistré les textes, les a habités avec une passion peu commune pour incarner Hermione (Conte d’Hiver), Prospero ou Caliban (La Tempête), Capulet (Roméo et Juliette), Othello, Cordelia (Le Roi Lear), Hamlet, Puck (Le Songe d’une Nuit d’Été)... En plein dans le mille ! Le trio était aussitôt subjugué par la qualité de son investissement dans le projet, son travail comblait les désirs de ses musiciens. Il ne restait plus qu’à unir cette voix et sa diction envoûtante à celles des instruments.

    Pari largement tenu, et même au-delà : Shakespeare Songs réussit l’alchimie très précieuse entre une poésie aux accents souvent terrifiants, sublimée comme on l’a compris par l’interprétation de Kristin Scott-Thomas, et la beauté formelle d’une musique (trans)portée par un trio en lévitation. Le disque s’ouvre par « Le Roi a fait battre tambour », une chanson traditionnelle du XVIIe siècle, avant de céder la place à dix compositions originales signées De Chassy ou Marguet. Cette musique, dont l’élégance native vous saute au visage, prend des formes majestueuses ; surtout, elle vous invite à partager l’intimité entre les trois protagonistes, le trio privilégiant l’expression collective pour limiter la prise de parole individuelle à l'essentiel. Il n’y a plus de leader, c’est une union sacrée au service de Sa Majesté Shakespeare. On se demande ce qu’il faut aimer le plus dans le climat instauré : son pouvoir mélodique, le lyrisme de l’interprétation, la fluidité des interactions, la tension maintenue à son plus haut niveau à chaque instant, l’équilibre assuré entre écriture et improvisation, le caractère intemporel des couleurs sonores…

    Gardons à l’esprit – je veux bien le parier – que ce disque ne prendra pas une ride dans les années à venir et qu’il pourrait bien devenir un classique, voire une référence. Shakespeare Songs est arrivé le 7 décembre 2015 : il s’est inscrit depuis ce jour dans la catégorie des disques dont on n’épuise pas les richesses à force de les écouter. La répétition ne saurait donc lui nuire. Bien au contraire, son pouvoir d’attraction ne fera que grandir de jour en jour. Il ne vous reste plus qu’à le découvrir. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

  • Accès illimité

    Demeter-No-Access-Marjolaine-Reymond.jpgPas simple de redonner vie à un blog moribond depuis plusieurs mois. Les disques se sont entassés sur ma table de travail au point que la vue d’une pile grandissante jour après jour m’a comme pétrifié. Par où commencer ? Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Écrire long ou court ? Et selon quelle périodicité ? Autant de questions auxquelles il m’est impossible d’apporter la moindre réponse, aujourd’hui encore. En attendant d’approfondir cette réflexion, ma main a fini par se poser sur un album paru au printemps dernier. Une petite folie, une autre, signée Marjolaine Reymond, chanteuse, vocaliste, compositrice, manipulatrice ès effets électroniques.

    Sacré personnage en effet que cette musicienne. Dans le magazine Citizen Jazz, j’écrivais en janvier 2014 au sujet de son précédent disque – To Be An Aphrodite Or Not To Be : « Marjolaine Reymond, chanteuse de bonne aventure qui sonde vos rêveries pour mieux envoûter, vous emportera à coup sûr dans le tourbillon de son univers éthéré. Et c’est au moment où vous pensez l’approcher qu’elle s’éloignera, gardant tout son mystère et cultivant son amour d’un irréel liquide et vaporeux ». Eh bien croyez-moi : près de cinq ans plus tard, on pourrait presque dire la même chose de Demeter No Access, qui a vu le jour sur le label Cristal Records. Parce que cette artiste n’est pas de ceux ou celles qui enregistrent par hasard ou trichent avec leur propre vérité. En des temps reculés, Christian Vander aimait dire, dans un style qui n’appartient qu’à lui : « Graver, c’est grave ». Il me plaît de penser que Marjolaine Reymond est guidée par un principe très proche de ce que voulait signifier le démiurge de la planète Kobaïa. Car ce nouveau disque est à n’en pas douter un autre accomplissement, à la fois complexe et d’une remarquable… accessibilité, quoique puisse en dire son titre. Mais porteur d’une intrigante différence, empreinte de mystères, il faut bien le dire aussi.

    Pour mener à bien cette nouvelle aventure, la chanteuse s’est entourée d’autres musiciens et pas des moindres. Ceux-là, comme leurs prédécesseurs, sont capables de restituer avec toute la précision nécessaire et la vibration requise l’univers poétique et, pour tout dire, atypique de Marjolaine Reymond. Je les cite : Bruno Angelini (piano et Fender Rhodes), Denis Guivarc’h (saxophone alto), Olivier Lété (basse électrique), Christophe Lavergne (batterie), auxquels il faut ajouter un quatuor à cordes qui est une déclinaison du quatuor IXI emmené par Régis Huby (violon), avec Clément Janinet (violon), Guillaume Roy (alto) et Marion Martineau (violoncelle). Marjolaine Reymond chante, multipliant sa voix au besoin, se joue de quelques effets électroniques et néanmoins perturbateurs, dans un esprit volontiers bruitiste. Elle a composé tout le répertoire, guidée par l’inspiration et les textes de trois poétesses (Emily Brontë, Elisabeth Browning et Emily Dickinson), organisant en quatre parties d’essence littéraire ce qui s’apparente à un concept album : Le Bestiaire, Les Métamorphoses, L’Odyssée et L’Exode. Mais comme le dit fort justement mon camarade citoyen du jazz Joël Pailhé dans sa chronique du disque pour notre magazine préféré : « Il n’est absolument pas nécessaire d’adhérer pleinement à ces problématiques (exactement comme un laïc face à l’art religieux) pour pouvoir apprécier au plus haut degré le travail réalisé par Marjolaine Reymond ». Dont acte. On aura néanmoins envie de citer l’intention de ce disque, qui est essentielle : celle de « la possibilité pour l’individu de retrouver ses pulsions archaïques, sauvages et ludiques tout en s’intégrant au monde social et civilisé » (sic). Vaste programme…

    Demeter No Access est tout aussi dense que le disque auquel il fait suite. Plus peut-être… Et ce qui séduit, une fois encore, c’est l’idée que mille musiques y sont incluses et se croisent au fil des quatorze plages pour n’en faire plus qu’une. Le quatuor à cordes apporte des couleurs qui évoquent une musique de chambre contemporaine ; la rythmique chahute le groove par son recours aux métriques impaires (magnifique travail accompli par le duo Lavergne / Lété) ; le Fender Rhodes de Bruno Angelini allume de splendides contrefeux ; Denis Guivarc’h est particulièrement en verve tout au long de l’album, sa volubilité et ses envolées s’offrant à l’évidence comme les répliques fiévreuses aux élans de la chanteuse. Voix contre voix ! Écrivez cette phrase au pluriel si vous le souhaitez, même si le monde élaboré avec beaucoup de minutie est singulier quant à lui.

    Marjolaine Reymond est inclassable, on l’a compris, et c’est pour cette raison qu’on aime son jazz prospectif, tour à tour minimaliste, symphonique et expérimental. Son chant – avec ou sans paroles en anglais et une délicieuse pointe d’accent français – est celui d’un envol cérémoniel vers des cimes nébuleuses ; il est porté par une démesure suffisamment contrôlée pour que l’ensemble ne soit jamais grandiloquent. Il faudrait presque parler d’ivresse, celle-ci trouvant peut-être sa source dans les incursions sérielles de certaines compositions.

    Demeter No Access est un voyage. Sur un long fil tendu entre rêve et réalité, dans les méandres de l’âme humaine. Et par sa manière de vous captiver, on peut y voir (et y entendre) un tour de magie dont on n’a pas besoin de connaître tous les secrets. On ferme les yeux, on se laisse porter…

  • Ark 4 in motion (pictures) : quand une compagnie fait son cinéma

    Vous savez quoi ? Dimanche, je me suis rendu à Blénod-lès-Pont-à-Mousson (oui oui, ça existe et à ce moment précis de la semaine, vers 17 heures, on ne peut pas dire que la cité était très agitée, elle était même, comment vous dire ? Plutôt morose), et plus précisément au Centre Culturel Pablo Picasso, histoire de découvrir un ciné concert proposé par Ark 4 mettant en musique un vieux film allemand (il date de 1920 et selon mes sources, aurait été perdu pendant très longtemps pour n’être retrouvé qu’en 1963 par la RDA au Japon, dans une version incomplète). Le film en question a pour titre Von Morgens Bis Mitternachts, soit De l’aube à minuit.

    Comme vous le comprenez, j’ai des dimanches soir culturels. Mais bon, que cette introduction peu affriolante sur le papier (je devrais dire sur l’écran) ne vous effraie pas, faites-moi confiance et en même temps connaissance (bonjour zeugma) avec des protagonistes d’un genre pas banal.

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    Ark 4, kesako, me direz-vous ? Ni plus ni moins qu’un pétillant quartet composé de musiciens volontiers explosifs, tous membres de la Compagnie Latitudes 5.4, celle-ci rassemblant plusieurs formations de dimensions variables et dont il faudra que je vous reparle plus en détail, probablement à l’occasion d’un article à écrire pour Citizen Jazz (dont la trame est dans ma tête mais j'en repousse la rédaction parce que je dois faire la place à diverses chroniques d’albums tombant en pluie chez moi depuis la fin du mois d’août). Et comme le dossier de presse de la dite compagnie le précise, il s’agit pour ces groupes « d’explorer tantôt le jazz actuel, tantôt les musiques improvisées en s’associant au gré des envies et des projets, à des artistes invités ou issus d’autres disciplines. » Des musiciens rompus à l’expérimentation et adeptes de l’imprévisible, ce qui, forcément, me les rend sympathiques en ces heures de rigueur où l’écrêtement des budgets va souvent de pair avec celui de l’imagination et de la singularité, pour ne pas dire de la dissonance… Les chemins de traverse n'ont pas la cote en notre monde financiarisé. Pour être complet, il me faut préciser que ces valeureux musiciens travaillent en Lorraine, ils vivent comme moi dans une région qui prendra bientôt la sympathique dénomination de Chamallo – pour Champagne, Alsace, Lorraine) et vous avez toutes chances de les croiser un jour ou l’autre dans les rues de Nancy, parfois attablés à la terrasse d’un bar dont le propriétaire est une ancienne vedette du football qui n’omet pas de se promener régulièrement en compagnie d'un chien nonchalant. 

    Ark 4 est composé de Jean Lucas (trombone), François Guell (saxophone alto), Pierre Boespflug (claviers) et Christian Mariotto (batterie). Les plus avertis d’entre vous auront noté qu’il s’agit là d’une moitié du Bernica Octet, sur lequel je reviendrai également très vite puisque le groupe s’apprête à nous faire découvrir son Vagabondage, dans une formation légèrement remaniée depuis la fin de sa collaboration avec François Jeanneau (et avant, m'a soufflé un certain René Dagognet, un travail à mener avec l’excellent Régis Huby). L’arrivée dans le groupe du saxophoniste Michael Cuvillon me fait d’ailleurs penser qu’1/4 de Bernica équivaudra à 2/5 de Shoplifters (dont Cuvillon et Mariotto sont membres), qui lui-même n’est pas affilié à la Compagnie Latitudes 5.4. Mais foin de cette arithmétique dont l'exotisme encore lorrain pour un temps risque de vous échapper et revenons à Blénod ainsi qu'à notre film muet… 

    L’histoire de Von Morgens Bis Mitternachts, film muet en cinq actes de Karlheinz Martin, est simple à résumer : le caissier d’une banque, légèrement tourneboulé par la visite d’une riche cliente italienne, décide de voler l’argent de sa caisse pour sortir d'une condition qu'il sait médiocre. Durant une journée (d’où le titre De l’aube à minuit), il va s’efforcer de réaliser ses rêves et de vivre des heures passionnées. Une quête douloureuse qui n’aboutira qu’à la solitude et à la mort. Les décors, surréalistes, sont le reflet des visions du personnage principal et le climat du film – sorte de théâtre d’ombres et de lumière – symbolise ce qu’on a appelé l’expressionnisme allemand. Dans son livre intitulé Cinéma expressionniste (1984), Francis Courtade rappelle à ce sujet que « ce film est le seul à s’être inspiré d’une pièce expressionniste majeure et à avoir été dirigé par un metteur en scène de théâtre expressionniste, l’un des plus importants ». J’arrête là mes citations cuistres façon Enthoven… et je reviens à la musique. 

    Ce qui, de mon point de vue, est passionnant dans la démarche d’Ark 4, c’est que les musiciens n’ont pas cherché un « accompagnement » traditionnel des images par leur musique. Celle-ci n’est pas paraphrase, elle ne se plaque pas systématiquement au rythme des actions. Trop simple et pas le genre de la maison Latitudes… Bien sûr, on repère quelques motifs ici ou là qui amorcent un glissement éphémère vers une esthétique plus figurative : le clavier simule un texte écrit en morse ou marque la présence de la mort, les balais évoquent l’ambiance ouatée d’un paysage enneigé, le saxophone alto se fait tournoyant comme les cyclistes engagés dans une course sur piste… Mais l’essentiel est ailleurs : la force du quatuor réside dans sa capacité à modeler des formes sonores selon une géométrie en constante variation, par l’association des instruments en paires ou en tierces (celles-ci pouvant inclure la voix de Jean Lucas, ou encore celle de Christian Mariotto passée au tamis métallique d’un petit mégaphone), jusqu’à la construction d’élans collectifs qui voient le groupe parler d’une seule voix, avec beaucoup de force et de lyrisme. On s’aperçoit qu’un « thème » s’est construit petit à petit, que les dialogues des instruments les uns avec les autres sont devenus un chant. Cette belle mécanique de l'élaboration spontanée (« Comme un collage qui, dans sa version ultime, finit par dessiner un tableau », appréciez l'auto-citation) avait séduit l’an passé à Nancy Jazz Pulsations quand les musiciens d’Ark 4 avaient convié à leur fête deux musiciens connus pour leur capacité à multiplier les incartades : le guitariste Olivier Benoit, actuel directeur de l’Orchestre National de Jazz, flanqué du saxophoniste Hugues Mayot, lui-même membre de l’ONJ. 

    De l’aube à minuit : au-delà du scénario du film, c’en est un autre, haut en couleurs et tourmenté, qui vient de s’élaborer ; cerise sur le gâteau, on ne sait pas s’il faut se concentrer sur les images qui défilent devant nous ou se laisser emporter par une musique qui accorde peu de répit aux spectateurs. 74 minutes pour traduire et tout dire, ou presque, de cette histoire qui finira mal, tout en créant sur le vif son propre langage.

    Nous n’étions pas très nombreux dimanche soir. On peut toujours le déplorer, mais après tout, c’est le lot de la plupart des artistes qui ne veulent pas se résigner à cesser d’être ce qu’ils sont vraiment : des explorateurs. On n’agit pas hors du cadre sans risque, c'est le prix à payer. Toujours ces chemins de traverse...

    Ah, j’allais oublier une bonne nouvelle : tout comme Bernica, Ark 4 publiera prochainement un disque (de même que Linky Toys, un trio membre de la Compagnie Latitudes 5.4 et dont François Guell est le saxophoniste ; je vous laisse faire les calculs sachant qu'1/3 etc etc), à l’automne, très probablement. De quoi faire durer la fête encore un peu. En attendant, voici un petit témoignage vidéo réalisé il y a quelque temps déjà. C'était au mois de janvier dernier, du côté des Trinitaires de Metz...

    Et merci à mon ami Jacky Joannès pour sa photographie !

  • Traces profondes

    Traces.jpgIl faut quelques secondes à peine pour se sentir happé par cette musique et ses « Poussières d’Anatolie ». C’est une conjonction de forces terriennes, comme une secousse qui fait trembler le sol sous vos pieds, qui vous prend aux tripes, par surprise, sans vous accorder le temps d’accepter ou de refuser d’en être. D’emblée, c’est une une contrebasse sous tension qui creuse un sillon profond, un saxophone baryton entêtant et l’obsession rythmique d’une guitare qui vous captent. Et comme paraissant voler au-dessus d’eux, un saxophone soprano virevolte à vous donner le tournis. Pas moyen de se défaire de l’idée que le chemin sera étourdissant même s’il promet d’être escarpé. Et voilà, surgie de nulle part, une voix de femme qui exhorte hommes, femmes et enfants – « Allez ! Ouste ! » – à avancer sur un chemin poussiéreux où le répit accordé sera rare. Où sommes-nous ? Où allons-nous ? C’est toute la question que semble poser un disque décidément habité de mille histoires de vie...

    Après le splendide Ways Out publié en 2012 sur Abalone Records, le contrebassiste Claude Tchamitchian revient avec Traces, pour évoquer l’Arménie de ses origines. Des racines qu’il n’avait jusque-là pas célébrées en tant que telles même si, comme le lui avait fait remarquer André Jaume à la fin des années 80, « dans les inflexions de ses mélodies affleuraient les traces de ses origines arméniennes ». Mais cette fois, pas d’allusion indirecte, pas de réminiscences, l’Arménie est au cœur du sujet. Le contrebassiste a choisi d’évoquer le pays de ses ascendants et plus particulièrement le génocide sous la forme d’une suite dont le point de départ est l’œuvre du romancier Krikor Beledian, et notamment son roman Seuils. Ce dernier a écrit une fresque qui retrace les destins de trois femmes à partir de photos de famille retrouvées et surgies du passé. Tchamitchian le dit lui-même, Traces se veut « un album de photographies sonores, chaque thème se présentant comme l’évocation d’un épisode de la vie de personnages imaginaires, mais aussi comme une rêverie autour de l’histoire de l’Arménie. C’est une œuvre sur la mémoire étouffée » pour laquelle Claude Tchamitchian « convoque à la fois l’esprit de Mingus et la mélancolie des vieilles compositions traditionnelles d’Anatolie ». Une musique aux frontières de la réalité et de l’imaginaire.

    Quelle chance pour celle-ci d’être exprimée comme dans un seul souffle – ou plutôt le souffle coupé, on le comprendra un peu plus loin – sous la pulsion d’un sextette en fusion, mobilisé pour une cause qui reste toujours aussi brûlante malgré tout le temps passé depuis la tragédie. Si vous ignorez encore qui est Claude Tchamitchian, vous aimerez peut-être savoir que ce contrebassiste est, entre autres faits d’armes, membre du MégaOctet d’Andy Emler (ce même Emler avec lequel il a formé le trio ÉTÉ dans lequel on retrouve aussi l’actuel batteur de l’ONJ, Eric Échampard, lui-même membre du MégaOctet, vous me suivez ?), mais aussi leader de l’ensemble Lousadzak, dans lequel évoluent une série de pointures telles que Catherine Delaunay, Fabrice Martinez, Régis Huby, Stéphan Oliva, Guillaume Roy, Rémi Charmasson, Edward Perraud et…, Géraldine Keller, chanteuse polyvalente aussi à l’aise dans la musique ancienne que dans l’interprétation d’œuvres contemporaines et qui peut évoluer dans le cadre de musiques écrites comme improvisées, et qu’on retrouve à l’affiche de ce nouveau disque. On est très heureux, aussi, de retrouver le guitariste Philippe Deschepper – que j’avais un peu perdu de vue, je dois bien l’admettre – et dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il fut l’un des membres fondateurs du quartet d’Henri Texier au début des années 80. Et qu’il a travaillé avec de fortes personnalités comme Gérard Marais, Louis Sclavis, Michel Portal, Michel Godard ou encore Jean-Luc Capozzo.

    Disque de souffle, disions-nous un peu plus haut, et pas n’importe lequel puisqu’il trouve une incarnation particulièrement révélatrice à travers les inspirations / expirations de Daniel Erdmann aux saxophones ténor et soprano et François Corneloup aux saxophones baryton et soprano. On connaît le premier pour être membre du trio Das Kapital aux côtés du batteur Edward Perraud et du guitariste Hasse Poulsen ; le second quant à lui est l’un des compagnons de très longue date d’une route étincelante, celle d’un autre contrebassiste auquel Traces peut faire penser à certains moments par le choix des textures sonores ou par le blues qui le nourrit (écoutez « Vergine », par exemple), le grand Henri Texier.

    Et pour compléter cette équipe déjà solide, l’un des batteurs les plus riches de nuances, Christophe Marguet, qui connaît ici beaucoup de monde ! Déjà au génériquee de Ways Out, il a voici quelque temps enregistré un duo d’une grande subtilité avec... Daniel Erdmann et connaît son Henri Texier sur le bout des baguettes pour avoir été à ses côtés dans le Strada Quartet ou Sextet (dont faisait partie un certain... François Corneloup).

    J’ai hésité longuement entre rendre compte de ce disque titre par titre, proposer un jeu d’écoute commentée et... une autre solution, plus radicale, consistant à dire peu de choses. Dire simplement que Traces est vital. Parce qu’avec ce nouveau disque, Claude Tchamitchian frappe fort, à l’estomac. C’est en ce sens qu’il coupe le souffle. Mais j'ai choisi de passer par une voie intermédiaire, qu’on pourra qualifier d’impressionniste.

    La force de Traces réside dans son alliance de douleur et d’énergie que ses histoires donnent à entendre, dans leur narration dont la tension est maintenue de bout en bout par un collectif qui paraît se consumer au fil des minutes. Voilà une expédition fiévreuse au service de laquelle Géraldine Keller prête une voix tour à tour chant, cri, confidence et scansion, elle paraît danser sur une corde instable et prendre le risque du déséquilibre (« Antika »). Elle contribue pour beaucoup à instiller à ce disque une part de folie qui serait aussi celle de la survie. Traces est à vivre comme une épopée de poussière et de lumière, émaillée d’une série de morceaux de bravoure qu’on ne citera pas tous mais parmi lesquels on retiendra un phénoménal combat engagé par François Corneloup et Christophe Marguet au cœur d’une majestueuse composition intitulée « Lumière de l’Euphrate », dont les treize minutes sont sans nul doute le sommet de l’album. Après l’exposition du thème déclamé par Géraldine Keller, saxophone baryton et batterie s’élèvent très haut, très haut, jusqu’au cri. On pense au vertige Coltranien et à son incandescence, à son mysticisme exacerbé. Corneloup va chercher son dernier souffle, jusqu’à l’épuisement. Comme un animal blessé qui finit par se coucher sur le flanc... avant de se relever, aidé par une contrebasse jouée à l’archet qui vient unir sa voix à la sienne. C’est un très grand moment de musique qui vient de se jouer là. Un peu plus loin, on retrouve Philippe Deschepper en pleine lumière pour nous rappeler, s’il en était vraiment besoin, quel guitariste rageur il sait être. Le protéiforme Daniel Erdmann, quant à lui, est puissant et droit comme un i au ténor, pour devenir solaire et libre comme un oiseau au saxophone soprano.

    Traces est un disque haletant, qui donne moins envie de parler musique que d’accomplissement. C’est une œuvre du bouillonnement, un manifeste. Il est sorti le 13 avril sur le label Émouvance dont le fondateur n’est autre que Claude Tchamitchian lui-même. Les clichés ont la vie dure, tant il est tr èscommode d’employer l’expression de « colonne vertébrale » lorsqu’on évoque le travail d’un contrebassiste. On me pardonnera donc de recourir à cette facilité, non sans avoir rappelé à quel point son lyrisme puissant trouve dans Traces un des plus beaux exutoires et combien l’empreinte de ce disque est profonde au bout de quelques écoutes seulement.

  • Deuxième cérémonie de remise des « Coups de Maître »

    Eh oui, le temps passe très vite, les disques n'en finissent pas de pleuvoir au point qu'un rapide calcul suscite mon effarement : depuis un an, j'ai dû “découvrir” environ 150 albums. C'est peu, juste une goutte dans l'océan de la musique, par comparaison au volume de la production mondiale, tous genres confondus ; mais c'est énorme si, comme moi, vous disposez d'environ 365 jours chaque année (parfois 366, je l'admets) pour consacrer un peu de temps à vos passions. Sachant que bon nombre de ces nouveaux arrivants misicaux nécessitent plusieurs écoutes, sachant aussi que leurs prédécesseurs méritent de revenir au front (et parfois, croyez-moi, ils reviennent de très loin et s'accrochent à vos basques en vous suppliant de ne pas les oublier), vous comprendrez aisément que la tâche n'est pas si facile. Passionnante, source de plaisirs multiples mais, tout de même, un sacré boulot ! Quant à l'idée saugrenue consistant à extirper dix élus de cette abondante récolte, on peut la considérer d'un œil amusé, se dire que l'exercice est vain, penser aussi qu'il sera forcément injuste (c'est vrai). Mais ce choix est une façon de revenir en arrière, de se souvenir des émotions les plus fortes et des élans singuliers que certains disques ont suscités. Et d'avoir une pensée pour les oubliés, dont beaucoup nous ont offert des instants singuliers.

    Alors voilà pour l'année 2013 : dix albums, tous très beaux, choisis parmi un grand ensemble dont bien des éléments auraient très pu aisément franchir la barrière de mes « Coups de Maître ». Tiens par exemple, prenez Slim Fat de l'Imperial Quartet... eh bien, il serait volontiers entré dans ma confrérie du moment, rien que pour sa dégaine sonore pas comme les autres et son déluge saxophonique...  Pareil pour Le Rêve de Nietzsche de Jean-Rémy Guédon et son Archimusic, quand jazz et hip hop s’acoquinent avec la philosophie... Et je ne vous parle même pas des Passagers du Delta, du Trio ALP, si beau, en deux temps, dans son livre élégant.

    Et puis, on va encore me dire que la coloration de ma sélection est très hexagonale ! J'assume ces choix, ce qui ne signifie pas pour autant que j'ignore la musique qui a vu le jour ailleurs, Outre-Atlantique notamment. Mais je connais plein d'amis qui parlent très bien, beaucoup mieux que moi, de musique et dont les écrits sont toujours passionnants : Jean-Jacques Birgé, Franpi Sunship, Mozaïc Jazz, Les Dernières Nouvelles du Jazz, Belette Jazz, Ptilou's Blog, JazzOCentre, Jazzques, Les Allumés du Jazz, et quelques autres que vous n'aurez aucun mal à dénicher. Vous pouvez prendre le risque d'aller faire un petit tour chez eux : dans le pire des cas, ils vous donneront envie de vibrer encore plus fort avec leurs choix ; dans le meilleur, ils finiront pas vous convaincre que – comme nous tous – il vous faudra vivre d'autres vies pour étancher votre soif de musique !

    Ma petite sélection sans prétention apparaît dans l'ordre chronologique de l'arrivée des disques dans ma boîte aux lettres. Il m'est arrivé d'écrire à leur sujet, n'hésitez pas à cliquer sur les repères... pour en savoir [+] !

    Festen
    Family Tree

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDeuxième volet des aventures de cette jeune quarte qui allie la science du jazz à l’énergie du rock. Damien Fleau (saxophone), Maxime Fleau (batterie), Jean Kapsa (piano) et Oliver Degabriele (contrebasse) écrivent une musique dense, nerveuse et habitée. Ils savent aussi atteindre l’épure, privilège des grands, leur « Grandfather’s Bed » en est une preuve. On est heureux de se sentir un peu comme membre de cette belle famille au sein de laquelle circule une énergie très contagieuse. [+]

    Samuel Blaser
    As The Sea

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GEncore une très belle année pour le tromboniste ! Hyperactif, notre Helvète préféré a notamment doublé la mise avec deux albums qui séduisent par la somme d’imagination et de liberté qu’ils respirent. Tout récemment, Mirror To Machaut offrait une relecture limpide de la musique de deux Guillaume du Moyen-Âge : de Machaut et Dufay. Mais avec As The Sea, Blaser avait sculpté quelques mois plus tôt la matière sonore d’un univers mouvant et jamais fini, en compagnie de ses amis Marc Ducret, Gerald Cleaver et Bänz Oester. Un disque énigmatique et passionnant de bout en bout.  [+]

    Rémi Gaudillat
    Le chant des possibles

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLe souffle cuivré d’un quatuor libre et onirique : celui de Rémi Gaudillat et Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse). Quatre musiciens qui savent demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels et leur donner le muscle de la pulsation. Leur musique entre ombre et lumière exhale un parfum impressionniste des plus séduisants, elle est une porte grande ouverte sur un imaginaire poétique dans lequel on plonge sans réserve. [+]

    Stéphane Chausse & Bertrand Lajudie
    Kinematics

    festen,samuel blaser,remi gaudillat,christophe marguet,alban darche,art sonic,gordiani desprez scarpa,olibier bogé,dominique pifarely,pan-gQuand deux amis décident de se donner les moyens et le temps de faire aboutir un vieux rêve : jouer une musique dont chaque détail compte, par un travail d’orfèvre appliqué à une matière sonore qui fait l’objet d’un soin maniaque. Leur jazz funk bienvenu est habité d’un gros son, il est interprété par une ribambelle d’amis dont certains ne sont pas les derniers venus, comme Marcus Miller. Un disque de plaisir total, qu’on écoute avec gourmandise en se disant qu’une production aussi aboutie est tout de même rare de nos jours. Chouette cadeau ! [+]

    Christophe Marguet Sextet
    Constellation

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GUn récidivisite, déjà haut placé en 2012, j'espère ne pas l'assommer avec mes coups de mâitre à répétition... Cette fois, le batteur joue la carte d’une dream team aux couleurs chatoyantes et forme un orchestre dont les richesses n’en finissent pas de se dévoiler au fil des écoutes. Constellation est de ces disques dont on peut dire sans se tromper qu’ils sont empreints de magie. Normal, Christophe Marguet s’est entouré de magiciens : Régis Huby (violon), Steve Swallow (basse), Benjamin Moussay (claviers), Chris Cheek (saxophone) et Cuong Vu (trompette). Du grand art. [+]

    Gordiani, Desprez, Scarpa
    21

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLa formule est d’une apparente simplicité. 21 signifie ici 2+1, et plus exactement deux guitares et une batterie. Une combinaison originale et très électrique. Il y a ici tout ce qu’on aime (enfin, quand je dis on, je parle de moi, mais je sais que je ne suis pas seul à penser ainsi) : l’énergie, l’imprévu, le mystère, la fougue, les élans... En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles. Coup de cœur et de foudre garantis à tous les amoureux des escapades un peu folles ! [+]

    Ensemble Art Sonic
    Cinque Terre

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDécidément, Sylvain Rifflet (clarinette, saxophone) et Joce Mienniel (flûte) sont au sommet de leur art. En 2012, ils figuraient déjà en très bonne place dans ce palmarès. Avec l’Ensemble Art Sonic, ils inventent un univers géographique et sublimé, une musique de chambre du XXIème siècle. A leurs côtés, Cédric Chatelain (hautbois, cor anglais), Baptiste Germser (cor) et Sophie Bernardo (basson) sont les pièces vitales d’un quintette à vents irrésistible. Mine de rien, on assiste avec ce très beau disque à la naissance d'une musique qui n'en est qu'à ses premiers frémissements, en attendant la suite, qui nous comblera. [+]

    Olivier Bogé
    The World Begins Today

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GQue la lumière soit ! Après nous avoir raconté l'histoire d'un voyageur imaginaire, le saxophoniste prouve avec son second disque qu’il est bien plus qu’un jeune musicien talentueux : il est aussi un humain conscient, en quête d’un chant solaire qui irradie sa musique de la première à la dernière note. Il est entouré d’amis de renom : Tigran Hamasyan, Jeff Ballard, Sam Minaie. Ces derniers savent mettre leur art, avec humilité, au service d’une inspiration/respiration commune qui s'épanouit sur des compositions d'une grande limpidité. Bogé partage, partageons sa musique... [+]

    Dominique Pifarély / Ensemble Dédales
    Time Geography

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GAussitôt arrivé, déjà au sommet de la pile ! Neuf musiciens haut de gamme composent l’Ensemble Dédales dirigé par le passionnant violoniste Dominique Pifarély : Guillaume Roy (alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Vincent Boisseau (clarinettes), François Corneloup (saxophone baryton), Pascal Gauchet (trompette, bugle), Christiane Bopp (trombone), Julien Padovani (piano), Eric Groleau (batterie), tous au service d’une musique à la fois savante et nourrie d’une pulsion hypnotique, libre et engagée dans l'invention de nouveaux paysages entre jazz et musique de chambre contemporaine. Time Geography est un disque aux variations subtiles, dont les richesses se dévoilent au fil des écoutes. 

    Alban Darche
    My Xmas traX

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GC’est d’une certaine manière le label Pépin et Plume d’Alban Darche qui est ici récompensé. Sa première référence, L’Orphicube, manifestait un fort pouvoir de séduction. Mais en fin d’année, le saxophoniste glissait au pied du sapin un second disque, une boîte de Noël un peu magique, pleine à craquer de chants tels que tous les enfants que nous sommes rêvent d’écouter le soir de la veillée. Un disque durable et enchanté, au plaisir augmenté par la lecture d'un conte signé Franpi Barriaux. Quoi, on n'a plus le droit de dire du bien des copains ? [+]

    Alban Darche, pour ses deux albums pépinoplumesques, mais aussi parce que les mois qui viennent de s’écouler nous auront valu de sa part d’autres disques ô combien précieux, reçoit à l’unanimité de mon jury (dont je suis le seul membre, je le précise par honnêteté, et je ne vous cacherai pas qu'il m'arrive fréquemment de ne pas être d'accord, ce qui complique beaucoup les choses, parfois) le Maître d’Honneur 2013 : Cube, Gros Cube ou Orphicube, tout est bon chez le saxophoniste ! Ce ne sont pas les camarades Citoyens Julien ou Franpi (encore lui...) qui me démentiront...

  • 22, v’là les « Maîtres » !

    Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous livre le palmarès de la première cérémonie de remise des trophées qu’on appelle par ici les Maîtres. Cette soirée très privée – j’en étais à la fois le Président et l’unique spectateur – est née de mon incapacité absolue à me résoudre à l’élaboration d’une liste de mes dix albums préférés de l’année 2012. Je l’ai tenue chez moi, dans la solitude de ma perplexité, face à de cruels choix auxquels personne ne m’avait contraint. Un exercice auquel s’est déjà livré mon camarade Franpi, dont je vous invite à découvrir la sélection beaucoup plus sévère sur son blog. J’ai cru comprendre, par ailleurs, que la camarade Belette n’avait pas résisté au charme des listes...

    Mon Top Ten, comme y disent, sera un Top 22… Je dois être trop enthousiaste, certainement, et donc vite prompt à vanter les mérites d’un grand nombre de disques, au risque, peut-être, de dissoudre dans un ensemble trop vaste les qualités immenses et intrinsèques de chacun d’entre eux. Mais c’est ainsi : je me dois de partager les bonheurs que me procurent la musique et les musiciens. J’ai bien peur d’apparaître comme un béat niais, toujours prêt à imaginer que ma joie peut aussi être celle des autres. M’en fous, j’assume... Comble de malchance, je ne dispose que d’une seule vie, ce qui ne me permet pas d’écouter tout ce qui mériterait de l’être (les grands absents de ma liste sont les premières victimes de cet agenda un peu trop chargé, et croyez-moi, ils sont nombreux). Et surtout que l’on ne se méprenne pas : j’ai énormément souffert pour parvenir à cette longue liste, j’ai sous le coude un bon paquet de disques qui auraient pu, ici ou là, en pousser d’autres vers la sortie. Que leurs auteurs ne m’en tiennent pas rigueur...

    Ou peut-être que les mois qui viennent de s’écouler auront vu s’épanouir à nos oreilles des heures et des heures de musique enchantée en très grande quantité, faisant de 2012 un cru d’exception. Allez savoir…

    Je ne trouve pas de réponse à ces interrogations. Je sais aussi qu’il va s’en trouver ici ou là pour me reprocher comme l’an passé d’avoir oublié le continent américain, dont je ne méconnais pas l’importance (même si, en réalité, beaucoup de disques m’auront échappé, forcément) mais qui, finalement, n’a pas besoin de mes modestes services pour se faire connaître. N’y voyez là aucune trace d’un patriotisme de mauvais aloi, comprenez simplement que bien souvent, tout près de nous, parfois à peine un peu plus loin, c’est déjà l’abondance ! Des labels, petits ou un peu plus grands, « sans bruit », en plastique ou en « carton », parfois associés en réseaux, déploient des trésors d’imagination pour faire vivre cette Musique qui le mérite bien ! Des artistes creusent jour après jour, non sans difficultés, leur sillon pour « réaliser » leurs rêves et les partager avec nous. Je n’ai donc entrevu – ou plutôt entrécouté – qu’une infime parcelle de ce vaste terrain sur lequel tous les jeux de l’imaginaire sont possibles.

    On sera donc indulgent avec une sélection qui, finalement, n’en est pas une : elle est à prendre comme une suite de suggestions parmi lesquelles il se trouvera forcément un disque que vous aimerez. Ouvrez vos yeux, vos oreilles et votre cœur, le reste viendra naturellement… bref, gardez en vous toute la fraîcheur qui sera toujours votre alliée. L’ordre est alphabétique, parce que je ne vois aucune raison de m’astreindre à un classement...

    Alea jacta est !

    PS : in extremis, trois jours plus tard, je me suis permis d'ajouter un vingt-troisième élément que j'avais commis la grave erreur d'oublier alors qu'il a enluminé le début de l'année. Il s'agit de Soul Shelter, de Bojan Z. La mémoire a ses mystères, parfois... Ce Top 22 est en fait un Top 23 !

    Yuvai Amihai Ensemble

    cover.jpgLa musique embrasée du guitariste Yuval Amihai est portée avec ce disque à un haut niveau de chaleur. Chant, mélodie, lyrisme et tradition… C’est beau, tout simplement. Damien Fleau y rayonne au saxophone soprano. Plus

    Olivier Bogé : Imaginary Traveler

    Cover.jpgLe jeune saxophoniste a quelque chose d’un philosophe. Son premier album est en réalité une proposition – toujours mélodique et solaire – de retour sur soi. Se connaître, goûter chaque instant pour célébrer la vie. Une chance pour nous, un disque lumineux. Plus 

    Emmanuel Borghi Trio : Keys, Strings And Brushes

    keys_strings_brushes.jpgParce qu’il semble enfin lui-même, le pianiste Emmanuel Borghi frappe très juste avec un disque intime et mélodique. Sorti sur la pointe des pieds, son album mérite vraiment qu’on s’y attarde. Plus 

    Philippe Canovas : Thanks

    canovas-thanks.jpgEn toute discrétion, le guitariste Philippe Canovas offre une musique raffinée et intime. C’est peu son histoire qu’il évoque, en une vingtaine d’épisodes courts et séduisants. Plus 


    Pierre Durand : Chapter 1 NOLA Improvisations

    cover.jpgDisque presque solitaire, fruit d’un voyage initiatique à la Nouvelle Orléans entrepris par Pierre Durand dont la guitare évoque Coltrane, John Scofield et l’Afrique. Séduction immédiate. Plus 

    Electro Deluxe Big Band : Live in Paris

    E2L Live in Paris.jpgUn feu d’artifice entre soul, funk et jazz et un autre « maître », de cérémonie celui-là, en la personne du chanteur James Copley qui a fort à faire face à un Big Band furieux de douze soufflants. Ce disque devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Plus 

    Renaud Garcia-Fons : Solo (The Marcevol Concert)

    RGF-SOLO.jpgLe contrebassiste est un virtuose, on le sait. Mais habiter sa musique avec autant d’intensité est la marque des très grands. Ce concert en solitaire, où l’instrument ne rechigne pas à s’abandonner à quelques effets sonores, en est le témoignage vibrant et intemporel. Plus 

    Antoine Hervé PMT QuarKtet

    pmt_quarktet.jpgOn pensait qu’Antoine Hervé était un musicien sérieux. Il est bien plus que cela et son quartet, dynamité par Jean-Charles Richard, Philippe Garcia et la facétieuse acousmatique de Véronique Wilmart, nous prouve qu’il est un passionnant créateur. Magique !

    Daniel Humair New Reunion : Sweet & Sour

    sweetandsour.jpgLe batteur Helvète n’a certainement plus rien à prouver et pourtant, il rebat les cartes en s’entourant d’une jeune garde dont la liberté d’expression invente un menu musical savoureux et épicé. Plus 

    Stéphane Kerecki : Sound Architects

    sound_architects.jpgL’élégance de cet album est certainement celle du contrebassiste Stéphane Kerecki lui-même. Son trio est ici... un quintet, puisque Tony Malaby et Bojan Z sont aussi de la fête. La musique est habitée, la pulsation celle du cœur. Plus 

    Christophe Marguet Résistance Poétique : Pulsion

    cover.jpgLa générosité est la marque de fabrique de ce quintet qui brille de mille feux. Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Mauro Gargano (contrebasse), Bruno Angelini (piano) et Jean-Charles Richard (saxophones) entourent le batteur pour un chant… irrésistible ! Plus 

    Joce Mienniel : Paris Short Stories Vol. 1

    ParisShortStories.jpgProche de Sylvain Rifflet avec lequel il pratique l’art secret de l’encodage, le flutiste Joce Mienniel n’est pas en reste avec un disque malicieux où trois trios rivalisent d’invention pour célébrer leurs amours musicales. On veut le volume 2 de ces très bonnes nouvelles ! Plus 

    ONJ : Piazzolla !

    ONJ-Piazzolla--cover.jpgDaniel Yvinec et sa bande d’artificiers s’attaquent à un nouveau monument, Astor Piazzolla. Un tour de force où l’on n’entend pas de bandonéon ni même de tango. Et pourtant, la sensualité, celle de magnifiques textures sonores, est là. Plus 

    Anne Paceo : Yôkaï

    front.jpgLa batteuse élargit son trio, faisant appel à la solidité de Stéphane Kerecki et à la jeunesse d’Antonin-Tri Hoang. Un disque qui fait affleurer une enfance africaine très chantante. Plus 


    Pierrick Pédron : Kubic’s Monk

    cover.jpgOn l’attendait plutôt avec un troisième volet de ses aventures électriques, mais voilà le saxophoniste qui déboule dans un hommage urgent et parfaitement maîtrisé à Thelonius Monk, enregistré en quelques heures. Le jazz comme il n’a jamais cessé d’être et le sera pour longtemps encore. Plus 

    Jean-Charles Richard : Traces

    cover.jpgLe saxophoniste éclate aux côtés de Christophe Marguet (Pulsion), d’Antoine Hervé (PMT QuarKtet), mais aussi en trio pour un disque dont le titre aurait tout aussi bien pu être Empreintes tant il éclabousse de sa fougue une musique en climats aussi variés qu’intenses. Plus 

    Sylvain Rifflet : Alphabet

    pochette_v2.jpgDeux disques coup sur coup au début de l’année : d’abord de passionnants Beaux-Arts, puis cet Alphabet aux sonorités singulières, hors de toutes influences. Une création à l’état pur.  Plus 

    Rusconi : Revolution

    rusconi-revolution.jpgUn trio Helvète adepte de Sonic Youth, plutôt inclassable et éclectique, qui joue la carte d’un minimalisme mélodique très attachant. Au cœur de l’album, une longue composition, “Alice In The Sky”, avec le grand Fred Frith dans le rôle de l’invité. Plus

    Jacques Schwarz-Bart : The Art Of Dreaming

    cover.jpgQuand le rêve d’un homme devient la réalité d’un artiste. Avec ce disque, le saxophoniste parvient à une forme d’épanouissement qui confine à l’enchantement. On est à la fois heureux pour lui et pour nous tous qui profitons de cette irradiation. Plus 

    Louis Sclavis Atlas Trio : Sources

    sources.jpgLe clarinettiste n’en finira donc jamais de nous surprendre. Chaque disque est pour lui une nouvelle quête, et pour nous une formidable invitation au voyage, cette fois en trio. Du grand art. Plus 

    Claude Tchamitchian : Ways Out

    cover.jpgLe contrebassiste s’électrifie pour un album fascinant en quartet, avec Régis Huby (violon), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Un univers se modèle devant nous, quelque part entre jazz et musiques progressives. Les cordes s’entrelacent, la batterie chante. Plus 

    Bruno Tocanne : In A Suggestive Way

    inasuggestiveway.jpgPlus coloriste que jamais, attentif à ses compagnons comme toujours, le batteur rend un hommage sensible à son « héros » Paul Motian. On est là au cœur du processus de création, c’est l’essence du jazz. Plus 

    Bojan Z : Soul Shelter

  • Fin de partie (avant la suivante) et tentative assez mesquine de rattrapage estival...

    Parfois vous avez les yeux plus gros que le ventre et, armé des meilleures intentions, vous laissez trôner devant vous une pile de disques dont vous êtes absolument certain de rendre compte en trouvant les mots appropriés en un temps suffisamment rapproché de la publication des disques concernés. Histoire d’être un type sérieux... Voilà, ça, c’est pour la théorie. La pratique peut s’avérer très différente, surtout lorsque parallèlement à vos activités de chroniqueur estampillé Citizen Jazz et de tricoteur de phrases trop longues publiées dans un blog que vous maintenez vaille que vaille, vous avez été gagné par l’idée saugrenue d’écrire un roman dans le cadre d’une exposition menée main dans la main avec un ami photographe. Et que celui-ci (le livre, pas le photographe) fait l’objet d’une publication (on peut se le procurer ICI), une vraie avec des pages et du papier, ce qui vous a contraint à mobiliser les deux ou trois compétences que votre état de quasi-sexagénaire a bien voulu laisser subsister dans la friche que constitue votre cerveau fatigué parce que lorsque vous ne faites pas appel à un éditeur, il vous faut être capable de réaliser plein de petites choses fort utiles sans lesquelles votre tapuscrit resterait au chaud dans l’espace clos du disque dur niché sous le capot de votre ordinateur (et dûment sauvegardé en deux ou trois exemplaires).

    Ces prolégomènes sinueux à vouvoiement Butorien ne sont rien d’autre qu’une mauvaise excuse pour dire qu’on ne tient pas toujours ses promesses. Qu’on peut embarquer avec soi dans son refuge estival une somme de musique en se promettant de rattraper le temps perdu tout en émettant l’hypothèse – fort réaliste – d’une non réalisation de l’objectif qu’on s’est stupidement assigné. J’avoue, je confesse, j’implore votre pardon, j’aurais pas dû, et je ne manquerai pas, dès l’écriture du point final de cette note, de me flageller longuement dans l’espoir de redorer mon blason d’obsédé textuel un poil digressif. Car c’est vrai : en mettant le cap sur le site incomparable de la ville de Collioure, j’ai par la même occasion glissé dans mes valises une série de galettes savoureuses ainsi que pour la plupart d’entre elles le dossier de presse associé. Je m’étais persuadé que je serais capable de leur consacrer le temps nécessaire. Tu parles ! Erreur fatale, je n’ai fait que lire et marcher, entrecoupant ces nobles activités de quelques rapides séances de baignades suffisamment décalées dans le temps estival pour échapper dans les meilleures conditions à la horde des vacanciers invasifs. Mais d’écriture, point ! Et c’est injuste eu égard aux qualités de disques que je vais me permettre de citer ici, non pour rattraper le coup comme on dit, mais pour attirer votre attention sur eux tant ils le méritent vraiment. On y va ?

    ceol_mor.jpgPatrick Molard : Ceòl Mòr / Light & Shade, paru chez Innacor pour dérouler sa « grande musique des hautes terres d’Écosse » avec un line-up dans lequel on retrouve, aux côtés du joueur de cornemuse et de son violoniste de frère Jacky Molard une paire rythmique sublime, constituée d’Hélène Labbarière à la contrebasse et de Simon Goubert à la batterie. C’est envoûtant, hypnotique et celtique. Un disque d’ailleurs...

    housewarming.jpgLe très beau duo formé par Bojan Z (piano et claviers) et Nils Wogram (trombone) : Housewarming est paru chez Nwog et c’est ici tout l’art de la conversation si chère au jazz qui se joue là. Élégance et fluidité, voilà un disque dont on ressort avec l’envie irrépressible de parler à quelqu’un, parce qu’on vient de recevoir une bonne dose de chaleur (mais non caniculaire). Et puis Bojan Z, hein, c’est quand même un sacré client. Plus de 20 ans que je le suis, celui-là et je m’aperçois qu’il se refuse obstinément à me décevoir.

    octurn.jpgTiens, voilà peut-être un disque parmi les plus fascinants, pour ne pas dire mystérieux, qu’il m’ait été donné d’écouter durant ces derniers mois. Imaginez un quartet belge dénommé Octurn (avec Bo Van Der Werf au saxophone, Jozef Dumoulin aux claviers, Fabien Fiorini au piano et Dré Pallemaerts à la batterie). Déjà, ça sent fort le talent... Rien que Dumoulin et Pallemaerts, moi j’accoure ventre à terre quand je lis leurs noms. Mais si je vous dis qu’ils publient sur le passionnant label Onze Heures Onze un double CD intitulé Tantric College parce qu’ils ont été frotter leurs molécules à celles des moines tibétains de Gyuto, alors vous commencerez à comprendre ma curiosité. Au début, j’étais circonspect, j’avais peur d’un montage artificiel, d’une rencontre qui n’en aurait pas été une. Erreur ! Cette musique vous happe et vous incite à ne rien faire d’autre qu’à l’écouter. Ne me demandez pas de vous la décrire, l’exercice ne m’intéresse pas. Pour tout vous dire, c’est presque magique.

    alban_darche_pacific_cover.jpgEncore un oublié des derniers mois : le saxophoniste Alban Darche qui publie chez lui, c’est-à-dire sur le label Pépin & Plume... un 33 tours. Eh oui, ils reviennent à la mode ces beaux objets qu’on a envie de posséder parce qu’on veut extraire le vinyle de sa pochette, parce qu’on aime le petit cérémonial d’écoute, parce que certains disent que leur son est incomparable. Je n’ouvre pas ici le débat mais vous recommande très chaudement un Pacific enchanteur qui vient s’offrir comme un espace de jazz west coast en écho à son pendant east qu’avait pu être Crooked House, du même Darche dans une formation baptisée Hyprcub. Ici, pas de Cube, gros ou pas, juste un nouvel exemple de Darche en avant avec une quarte qu’on ne saurait blâmer d’être aussi inspirée : Samuel Blaser au trombone, Geoffroy Tamisier à la trompette, Josef Dumoulin, encore lui, au piano et au Rhodes et Steve Argüelles à la batterie. Voilà du jazz qui n’a pas d’âge et qui, à peine mis en musique, vous garantit une belle longévité sans oublier de verser son écot à la collaboration de Gil Evans et Miles Davis. Et vous savez quoi ? C’est le genre de disque que vous glissez dans la platine quand, à force de scruter vos rayonnages, vous ne parvenez pas à vous décider pour l’un ou l’autre. Parce qu’il est plein de l’essentiel. Un jazz durable, en quelque sorte. Souvent, on me demande : « C’est quoi pour toi, le jazz ? » Question à laquelle je suis incapable de répondre. En revanche, je peux toujours suggérer l’écoute d’un tel disque, c’est une façon de ne pas laisser mon interlocuteur dans l’expectative.

    FreeVertical.jpgJe ne compte plus les disques publiés par Henri Roger. Ni les directions dans lesquelles il dirige son inspiration. Vous trouverez ici-même de nombreux échos de mon enthousiasme pour lui. Free Vertical Compositions (chez Facing You / IMR) est un autre exemple de sa faculté à engendrer des ovnis, une sorte de condensé des heureux hasards de l’informatique et de leur confrontation avec l’imagination d’un touche-à-tout qui, jamais, ne s’éloigne de son rôle, je le cite, d’électro-libre. Henri Roger est un heureux papa musical  qui prend plaisir à nous surprendre, quitte à nous égarer pour mieux nous retrouver ! Et quand je vous aurai dit qu’on doit la restitution sonore de ces compositions verticales libres à Maïkôl Seminatore et Marwan Danoun, vous saurez que le risque est grand d’en prendre plein vos mirettes acoustiques.

    tous_dehors.jpgJe ne sais pas comment Régis Huby s’y prend pour offrir un si beau catalogue sur son label Abalone... Toujours est-il que Les sons de la vie, nouvelle œuvre de l’ensemble Tous Dehors mis en musique par le saxophoniste clarinettiste Laurent Dehors n’échappe pas à la règle d’or instaurée par le violoniste depuis de longues années : sortir du cadre et vivre sa passion à fond. Encore un disque choc et presque un concept album, au sens où Les sons de la vie racontent... l’histoire d’une vie, du début à la fin, en commençant par la rencontre amoureuse, la conception, l’enfance, l’adolescence et tout ce qui suit jusqu’à la mort. Surtout, ce grand ensemble de neuf musiciens (et deux invités de marque : le guitariste Marc Ducret et le pianiste Matthew Bourne) est la source d’une véritable explosion de sons. Ah la la... ça fourmille là-dedans, ça grouille, ça joue et ça déjoue, c’est entêtant, romantique parfois, on s’y aime, on s’y amuse et il arrive qu’on en meure. Un exercice de haute-voltige qu’on écoute en état de suspension, en retenant son souffle. Celui qui s’y ennuiera sera immédiatement excommunié de mon blog.

    flash-pig-couv-585.jpgDu côté de chez Nome, on ne se mouche pas du catalogue non plus. Les frères SanchezMaxime au piano, Adrien au saxophone ténor – forment avec Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie une quarte qu’ils ont décidé d’appeler Flash Pig. Je ne sais pas trop pourquoi mais ça n’a guère d’importance. C’est le contenu qui prime et pour ce qui est de la musique, je peux vous garantir que leur cochon éclair avance de beaux arguments mélodiques et rythmiques qu’ils ont choisi de valoriser en faisant appel à trois invités qui à eux-seuls ont des milliards d’histoires de jazz à raconter : Émile Parisien (saxophone soprano), Pierre de Bethmann (Wurlitzer) et Manu Codjia (guitare). Le disque n’a pas d’autre titre que le nom du groupe et, croyez-moi, ça suffit amplement à notre bonheur. C’est un jazz vivace et virevoltant comme avait pu l’être celui d’Ornette Coleman (auquel un hommage est rendu par une reprise de « The Vell »), où l’inspiration est guidée par un principe de liberté collective. Et quand tout ce petit monde est réuni le temps d’un « Enèf » en conclusion du disque, vous pouvez me croire, voilà du jazz qui remue bien dans les brancards. Oh que ça fait du bien !

    mienniel-tilt.jpgNe me demandez pas pourquoi j’ai zappé Tilt, le plus très récent disque du flûtiste Joce Mienniel, entouré de Guillaume Magne (guitare), Vincent Lafont (Rhodes) et Sébastien Brun (batterie), publié chez Drugstore Malone. Une très grossière erreur de ma part puisque cet enregistrement est disponible depuis un bon bout de temps et qu’il est rien moins que splendide. Une musique urbaine et sombre, un peu oppressante parfois et de la part de Mienniel une capacité assez fascinante à instaurer un climat. On pense parfois à la bande originale d’un film et à des scènes de rue dans lesquelles vous vous sentez comme happé par une urgence dont la cause vous échappera peut-être. Tilt est un peu comme un disque piège, mais un piège, bien sûr, auquel vous vous abandonnez sans la moindre réserve. Un des indispensables de l’année.

    lubat_luc.jpgChez Cristal Records, on a décidé d’octroyer une place de choix au fantasque Bernard Lubat, pianiste batteur acrobate des mots. Déjà en 2015, il nous avait convié en solo à des Improvisions, mot qui à lui-seul donne une idée assez précise de sa volonté de nous associer à son imaginaire plutôt débridé. Mais avec Intranquille, c’est un duo qui nous attend et, il faut bien l’admettre, une association qui peut étonner puisqu’on le retrouve live chez lui, à Uzeste, en compagnie du guitariste Sylvain Luc. Les deux musiciens multiplient les couleurs : la guitare est tour à tour acoustique ou électrique, tandis que Lubat passe d’un instrument à l’autre. C’est une confrontation, une proposition de mise en danger très pacifique qui nous rend impatients des prochains duos annoncés : avec Louis Sclavis d’une part, puis Michel Portal d’autre part. C’est quand vous voulez messieurs, continuez sur ces chemins escarpés dont on ressort en état de quasi ébriété. Nous serons là pour vous écouter...

    NicolasParentTrio-TORI.jpgMon camarade Olivier Acosta a, je crois, vanté non sans raison dans sa chronique de Citizen Jazz les qualités du trio formé par le guitariste Nicolas Parent avec Guillaume Arbonville (percussions) et Kentaro Susuki (contrebasse) lors de la sortie de l’album Tori chez L’Intemporel. Je ne peux que plussoyer et souligner à mon tour les beautés voyageuses de cette musique, d’une grande délicatesse mélodique, qui semble décidée coûte que coûte à nous emporter avec elle vers des sommets où l’air qu’on respire est source de sérénité. C’est une façon pour moi de constater qu’en ces temps où plus que jamais règne la violence des actes et des mots, un peu d’intelligence ne saurait nuire à l’exercice de notre quotidien. Je marche donc dans les pas de Nicolas Parent avec la plus grande joie. C’est presque de la béatitude...

    toux_gauthier.jpgJusqu’à une époque très récente, j’ignorais complètement l’existence du pianiste Gauthier Toux et de son trio. Oh je vous voir venir avec vos airs moqueurs... Gardez toutefois vos remarques pour vous, parce que je suis certain qu’en cherchant bien, je pourrais trouver de mon côté des musiciens dont vous n’avez jamais entendu parler. Mais il est bien vrai que quand j’ai reçu l’album Unexpected Things, qui est son deuxième disque, j’ai compris l’étendue de mon erreur. Associé à Kenneth Dahl Knudsen (contrebasse) et Maxence Sibille (batterie), Gauthier Toux délivre une musique d’une étonnante intensité – cousine parfois de celle qui traversait un autre trio, celui du regretté Esbjörn Svensson – dont l’effet de séduction est immédiat. Le pianiste présente ce disque comme une photographie d’instants forts : qu’il soit rassuré, on perçoit sans la moindre difficulté toute l’énergie qui circule au sein du trio. Voilà une formation qu’on a envie de découvrir sur scène tant on pressent qu’elle est en mesure de faire parler la poudre. Et puis disons les choses simplement : Unexpected Things est un disque assez majestueux qui en impose...

    Ubik-petit.jpgIl est un quasi big band – ils sont quinze, tout de même – qui ne se refuse rien et a sorti simultanément deux disques chez Neuklang. Le groupe s’appelle Ping Machine et on peut dire pour simplifier qu’il est animé par la créativité du guitariste Frédéric Maurin. Mais il y a plein de beau monde dans cette formation (dont le saxophoniste Jean-Michel Couchet, le tromboniste Bastien Ballaz, le guitariste Paul Lay, le trompettiste Quentin Ghomari) et tout le quartet Big Four...) exploratrice qui offre d’une part une longue suite intitulée U-bi__K et d’autre part un Easy Listening qu’on pourra peut-être écouter en premier. Encore que ça n’a pas beaucoup d’importance, finalement, je n’en suis même pas certain... L’essentiel est dans la beauté formelle de cette musique, très mouvante et de grande ampleur, qui n’exclut pas un certain minimalisme à certains moments. Votre attention sera requise parce qu’il ne s’agit pas là d’un jazz confortable mais au contraire assez ambitieux, qui donne accès à un univers dont il faut pousser les portes avec curiosité. Une fois ouvertes, elles vous en feront entendre de toutes les couleurs.

    borghi.jpgEnfin, et c’est bien malheureux, je n’ai pas le droit d’évoquer ici un enregistrement signé d’un remarquable trio... parce que le disque n’existe pas encore ! Incroyable que l’addition des talents d’Emmanuel Borghi (piano), Jean-Philippe Viret (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie) n’ait pas encore trouvé preneur. Non mais vous avez vu le pédigr