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Une nouvelle suggestion de Bruno Tocanne (ou les bons comptes font les bons Ajmi)

AjmiLive_03.jpgSur le pont d’Avignon... on n’y danse pas seulement ! On y joue, aussi, et on y savoure le plaisir des musiques vivantes et libres. Ce n’est pas l’AJMI (Association pour le Jazz et la Musique Improvisée) qui prétendra le contraire. Sa renommée dépasse les frontières hexagonales et elle se fait fort d’accueillir des musiciens passionnants, en particulier dans sa propre salle appelée La Manutention (à Avignon, vous l’aurez compris). Une programmation régulière, des festivals, des actions de formation et un gros travail de sensibilisation du public au jazz. 2001 a vu la naissance d’un label, Ajmi Series et voici maintenant Ajmi Live, numérique exclusivement et consacré, comme son nom l'indique, aux concerts. Une belle façon de retranscrire et de fixer des instants privilégiés (pour un prix très modique, on peut le souligner). Parce que, comme on le dit du côté de chez eux : « Le meilleur moyen d’écouter du jazz c’est d’en voir ! » Ajmi Live, ou comment « mettre en boîte des rencontres inédites entre musiciens de différents horizons, voire de différents continents, des concerts ayant eu lieu à l’AJMi ».

Ajmi Live, donc, et déjà cinq références à découvrir sans attendre (j’évoquerai prochainement le concert du quartet Chut ! mené trompette battante par Fabrice Martinez, membre de l’actuel ONJ sous la direction d’Olivier Benoit). N’étant toutefois doté que deux oreilles et d’un cerveau en lambeaux, je n’ai pas encore eu le temps de tout écouter ; cependant, je ne peux faire autrement que de commencer par le troisième volume de cette série prometteuse, un enregistrement qui me tient particulièrement à cœur en raison de l’identité du musicien qui en est à l’origine et qu’il m’est arrivé de saluer ici à de nombreuses reprises. J’ai nommé le camarade Bruno Tocanne, batteur impressionniste et sensible. Le voici cette fois à la tête d’un trio enregistré le 8 mars 2013, dans la continuité d’un album enregistré, lui, en quartet appelé In A Suggestive Way, un disque rare auquel j’avais attribué un Coup de Maître.

Aux côtés du batteur, le trompettiste Rémi Gaudillat, compagnon de bien des aventures de Bruno Tocanne et le contrebassiste helvète Bänz Oester. Pas de doute, nous sommes entre artistes de très bonne compagnie. Nul besoin d’attendre longtemps avant de comprendre la capacité de ces trois-là à dire l’essentiel : des les premières mesures d’ « Alicante », le ton est donné, en douceur. A peine le thème esquissé, l’invitation à une exploration buissonnière, toute en délicatesse, est lancée. Trois musiciens en liberté nous racontent une histoire qui paraît s’écrire dans l’instant, ils écrivent un subtil scénario dont les dialogues spontanés sont nourris d’attentions réciproques et du besoin de solliciter l’imagination de chacun des protagonistes. « Dewey’s Tune », en hommage au grand Dewey Redman, va offrir aux trois énergies conjuguées l’occasion de se déployer. On peut alors vérifier – mais en était-il besoin ? – que Bruno Tocanne sait aussi recourir à une polyphonie de fûts et cymbales qui mobilise tout l’espace disponible si le besoin s’en fait sentir. Son dialogue haut en couleurs avec la contrebasse est une illustration de toute la richesse de son jeu, à la recherche constante de l’équilibre fragile entre force et douceur. Dédié tout comme le disque enregistré quelques mois auparavant à Paul Motian, le concert avignonnais ne peut omettre de rendre un hommage appuyé au maître batteur avec une de ses compositions : ici, c’est « Abacus », qui voit une fois de plus la paire Tocanne-Oester exécuter une joute réjouissante, juste après le thème exposé par Rémi Gaudillat. La contrebasse devient animale, gronde et pousse la batterie dans ses retranchements. De quoi donner de belles idées au trompettiste qui ne va pas se priver d’ajouter sa voix. Le trio s’envole... « Frémissement » est un retour au calme, son climat plus contemplatif met en valeur le jeu vagabond de Rémi Gaudillat, d’où surgissent des nuances presque nostalgiques. Ses compagnons, complices et attentionnés, soulignent avec délicatesse la mélodie vespérale qu’il vient de dessiner. En conclusion, un « Shape » musclé à souhait est comme un ultime bras de fer fraternel, qui nous fait comprendre que le temps a passé bien trop vite. 

Le trio In A Suggestive Way – comme pas mal de ses homologues dédiés aux musiques improvisées – est, à sa manière, une parabole de la vie. On peut décider de l’organiser, de la contrôler, on peut vouloir, on peut vivre dans l’illusion de la maîtrise de son destin... mais jamais on n’échappera aux incertitudes du hasard, aux rencontres qui peuvent en modifier le cours et lui imprimer une direction qu’on n’imaginait pas au départ. Quitte à batailler ferme par la discussion ou à passer par différents détours pour en arriver là où on le souhaitait et se dire qu’on a un peu grandi à chaque fois. On peut écouter ce bel enregistrement avec une telle idée en tête...

Ce disque-concert est une invitation à vibrer : il atteint non seulement son but, mais il ne fait qu’aviver notre impatience de découvrir un projet ambitieux dans lequel sont impliqués, une fois encore, Bruno Tocanne et Rémi Gaudillat, et dont les premières versions scéniques résonnent d’échos plus qu’enthousiastes. Over The Hills,  c’est ainsi qu’il s’appelle, est une (re)création du mythique Escalator Over The Hill de Carla Bley, accomplie par neuf musiciens (avec la bénédiction de Carla Bley elle-même), dont je reparlerai forcément. Surveillez vos agendas musicaux et, surtout, ne manquez pas l’occasion d’aller à la rencontre d’une musique de vérité plus que nécessaire en ces temps de mensonge élevé au rang de politique du quotidien. Une musique qui, elle, parle vrai, n’est jamais avare de ses offrandes et tend un fil précieux entre le cœur de ses créateurs et le nôtre. 

Bruno Tocanne Trio
« In A Suggestive Way » 

Bruno Tocanne (batterie) Rémi Gaudillat, (trompette), Bänz Oester (contrebasse).
Enregistré à La Manutention – Avignon, le 8 mars 2013.
AJMiLive #3


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