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Synapse m'était contée…

cellp, synapse, matias riquelme, tazio caputoOn pourrait dire qu’il s’agit d’un disque de contrebande... Non pas en raison de son caractère dématérialisé (pour l’instant, pas de version CD, juste la possibilité de l’écouter en ligne ici ou ), mais plutôt par sa manière de vous parvenir, à la façon d’une enveloppe qu’on aurait glissée sous une porte laissant filtrer la lumière d’une lampe. Un beau jour en effet, on reçoit un petit message avec un lien : soit une proposition d’écoute émanant d’un violoncelliste chilien, vivant en France depuis une dizaine d’années. Matias Riquelme, un musicien qui a terminé ses études classiques à Pantin dans la classe d’Ophélie Gaillard avant de se consacrer au jazz (notamment en travaillant avec Pierre Blanchard et Vincent Courtois) et aux musiques dites « actuelles », ainsi qu’à la musique contemporaine. Soulignons pour finir qu’on a pu le voir associé à quelques projets remarqués, comme celui de Médéric Collignon et sa Recherche du Roi Frippé en hommage à King Crimson ; ou bien le Mëtalïk Orkestra et son interprétation de Ëmëhntëhtt-Ré aux côtés de Magma. La carte de visite du monsieur, on l’aura compris, avait toutes chance de retenir l’attention...

Un disque en neuf étapes, intitulé Synapse, et publié par un quartet ayant pour nom Cellp. Comprenez par là un « projet cellulaire ». Je vous épargnerai mes vagues souvenirs de collège et de mes cours de ce qu’on appelait à l’époque les sciences naturelles, mais pour faire bref et reprendre la définition du dictionnaire, sachons qu’une synapse est la région de contact entre deux neurones ou entre un neurone et une autre cellule. Alors, ces cellules pourraient bien être synonymes de musiciens appartenant à un même corps, reliés entre eux par de drôles de connecteurs, soit autant de liaisons qui peuvent échapper à l’entendement de la plupart d’entre nous qui recevons une musique sans être associés pour autant à son processus créatif. Mais dans tous les cas, Cellp est la manifestation d’une chimie en expansion, puisque son cheminement cellulaire a commencé sous la forme d’un duo violoncelle / électronique, avec la complicité de Tazio Caputo, dont le rôle est ici, comme on le verra, déterminant. Avec eux, Lucas Gaudin au saxophone et Laurent Lacoult à la batterie complètent une équipe bien difficile à faire entrer dans une classification usuelle, ce que personne ne saurait lui reprocher, bien au contraire.

Synapse est un album attachant, à la fois sur le fond et sur la forme. Les musiciens de Cellp savent en effet élaborer des constructions complexes, où ruptures nombreuses et syncopes viennent créer la surprise à tout moment ; chacune des compositions, sous des couleurs différentes, est marquée par un sens aigu de la montée en tension. Ces quatre musiciens-là sont d’excellents scénaristes, mais aussi des illustrateurs très inspirés qui cultivent avec un réel appétit un amour prononcé pour les manipulations machiniques. A ce petit jeu, Tazio Caputo n’est pas le dernier, lui qui tout au long du disque se présente en inventeur de climats, n’hésitant pas à pratiquer  s’il le faut les traitements sonores « en direct », comme sur « Dead-Line », l’un des moments forts du disque. La dramaturgie de cette composition est exemplaire : le saxophone de Lucas Gaudin fait d’abord une apparition fantomatique, dans un va-et-vient discret du souffle, avant d’entamer un long chorus qui aboutira à un cri sur fond d’électronique traversée de bouillonnements. La cellule prend tout son sens, elle devient laboratoire et lieu d’exploration. On la retrouvera d’ailleurs en pleine action au cœur du disque, quand « 4 In The House II » ruissellera de bruits spatiaux et, en l’absence de toute mélodie, donnera naissance à une musique ambiante et planante.

Le violoncelle de Matias Riquelme déploie des couleurs multiples tout au long des neuf compositions de Synapse : il peut jouer le rôle d’une basse classique avec sa pulsion hypnotique comme dans « La course du lundi matin », une composition habitée de déphasages rythmiques ; sa distorsion sur un « Cucarachas » post-crimsonien – comme si l’homme schizoïde du XXIe siècle avait poussé le compteur dans le Red – en fera un peu plus tard l’instrument d’une rage née sans nul doute de l’élimination de Salvador Allende par la CIA, et dont le discours prémonitoire aux Nations-Unies en 1972 est utilisé en introduction d’un moment surpuissant de l’album, marqué au fer rouge par la rythmique lourde et la frappe sèche de Laurent Lacoult ; joué en pizzicato, le violoncelle est aussi la source d’une grande respiration ayant pour nom « Deux chaussons rouges » ; modifié par un delay, il sera l’un des acteurs du climat recueilli de « Ballade Para Mi Padre », autre pièce maîtresse du disque et l’occasion pour le saxophone de Lucas Gaudin d’un vacillement progressif avant un hurlement de douleur.

Le disque recèle bien d’autres secrets de fabrication, qu’il n’est pas indispensable de connaître mais qui témoignent de l’appétit créatif des quatre musiciens de Cellp. On pourra par exemple souligner les correspondances créées par Matias Riquelme dans l’écriture de « 19 », entre les lettres de son prénom et les temps sur lesquels sont posées les violentes frappes de la batterie. Ou encore l’intrusion facétieuse de « Cette chanson est pour vous madame », par Jean Sablon et Django Reinhardt en 1935...

Ni jazz, ni rock, ni électro... Ou un peu tout cela à la fois, mais exprimé avec une singularité qui n’est pas sans rapport avec sa formule sonore plutôt inédite et la volonté de brouiller les pistes par une succession d’injections électroniques, ce disque venu de nulle part est ailleurs, quelque part entre le lyrisme douloureux de ses émotions et la rugosité de ses formes mouvantes qui, jamais, ne font de concession à une approche qui serait décorative... Une belle découverte, donc !

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