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Décoiffant

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On peut dire que l’acronyme – formé par les initiales des noms de chacun des musiciens – correspond parfaitement aux obsessions qui semble hanter les cerveaux des trois membres de TOC (pour Ternoy, Orins, Cruz). Leur coupe de cheveux a de faux airs d’un ébouriffage en bonne et due forme. Haircut est en effet le nom de leur troisième disque après Le gorille (2009) et You Can Dance If You Want (2012). Pas impossible non plus qu’elle n’en défrise quelques-uns, mais après tout, faut-il vraiment plaire à tout le monde ?

Peter Orins (batterie), Yvann Cruz (guitare), Jérémie Ternoy (Fender Rhodes). Il y a quelques mois, j’avais évoqué ici même 12, le disque du Circum Grand Orchestra, dont les deux premiers cités sont membres : CGO, une aventure collective de toute beauté. Orins, rappelons-le, est un musicien très actif basé à Lille, dont le trio a aussi publié il y a quelque temps un splendide Liv et qu’on retrouve aussi au cœur du Quartet Base et son récent Diapason qui mérite une oreille attentive. Cruz, de son côté, fait partie des expérimentateurs, de ceux qui ne peuvent se contenter de laisser fructifier leurs obligations musicales en bon père de famille. Le risque est toujours présent dans leur portefeuille d’actions sonores. Quant à Jérémie Ternoy, encore un nordiste, auteur d’un beau Bill en trio, pianiste de Magma, il est aussi – et j’en reparlerai en évoquant Inner Village qui sortira prochainement – membre du quartet de Gérard Marais, qui le voit évoluer aux côtés de deux autres grands messieurs que sont Henri Texier et Christophe Marguet.

Trois cartes d’identités qui peuvent laisser supposer que leur association a bien peu de chances d’engendrer la banalité. C’est le moins qu’on puisse dire...

Au départ, on ne se méfie pas trop. Une batterie discrète lance de lointains appels – il faut presque tendre l’oreille – à peine infiltrés par les sonorités d’un clavier et d’une guitare, dont il n’est pas aisé de démêler les fils entrecroisés. Rien dans cette introduction ne paraît devoir annoncer les minutes qui vont suivre. Lancinantes. Hypnotiques. Etouffantes. Il n’est pas question de notes, encore moins de mélodie, mais bien d’une pulsation, sourde et obsédante, qui va petit à petit envahir l’espace et ne plus vous lâcher. Les sons, saturés et électriques, de la guitare et du Fender Rhodes, imperceptiblement, tracent leurs propres chemins, au rythme d’un « tambour » aux allures machiniques. TOC vient de vous serrer dans ses griffes et vous aurez bien du mal à vous en dégager. Il lui aura fallu près de 7 minutes pour vous désigner comme sa proie et vous entraîner dans un voyage sans retour possible. Reste-t-il des humains dans cette lande aride au sol brûlé, baignée d’une lumière crue, celle qui vous fait cligner des yeux ? Pas sûr...

Haircut est un disque radical, au sens le plus littéral du mot. Comme si le trio en action mettait en œuvre tous les moyens dont il dispose pour gagner un combat contre un ennemi qu’on ne voit jamais. A certains moments, on peut penser à une autre quête d’absolu, celle – ancestrale et trouble – de Christian Vander et son Theusz Hamtaahk, au moins pour sa dimension hypnotique. Mais ici en plus ramassé encore, dans un seul souffle rauque, dans un seul cri de métal. On peut imaginer que cette similitude des deux dramaturgies n’a pas échappé à Jérémie Ternoy, actuel pianiste de Magma, et qui a pu toucher du doigt la force des énergies qui peuplent les mondes du batteur aux yeux hallucinés. TOC, dans son extrémisme électrique, se rapproche aussi parfois des recherches menées par un musicien tel que Richard Pinhas et ses sources frippiennes depuis plusieurs décennies. Cette musique dépasse le temps, elle vise au paroxysme, parce qu’il est plus dangereux, semble-t-il, de s’arrêter en chemin que de poursuivre une route, certes dangereuse, mais promesse d’un ailleurs à découvrir, quelles qu’en soient les irradiations collatérales. En deux mouvements de 23 minutes, « Halp Updo » et « Updo », Jérémie Ternoy, Ivann Cruz et Peter Orins installent un climat définitif qui pourrait être celui d’après la grande explosion.

En relisant ces phrases, j’imagine que le lecteur pourra s’inquiéter de ce qu’il va découvrir en écoutant le trio. Il n’y trouvera pas le repos, c’est plus honnête de l’annoncer d’emblée. Il saura avant tout qu’à l’heure d’un affadissement global programmé par les algorithmes de nos commerçants virtuels, fers de lance des insatiables oligarchies, on peut encore trouver des combattants qui refusent de se résigner. Il pourra même accepter de suivre cette route tracée à grands coups de serpe, à la condition de s’y préparer avec méthode – tel le marathonien qui additionne les entraînements avant de se dire prêt à la compétition – et d’accepter l'idée d'un échec possible.

Haircut est une petite folie sonore qui nous rappelle à l’ordre : puisque nous sommes tous menacés d’un trop plein de tiédeur, il est temps de se livrer, parfois, à des excès, salvateurs ceux-là, de température. Pour ne pas courir le risque de vivre dans un sommeil debout.

TOC Haircut
Jérémie TERNOY : Fender Rhodes, Rhodes bass ; Yvann CRUZ : guitare ; Peter ORINS : batterie
CIRCUM-DISC CIDI1404

Commentaires

  • Cela change, on ne peut pas dire. Bonne soirée Denis.

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