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Racine cubique de 148877

groove catchers, 53, julien stella, bastien weeger, antoine guillemette, Johan barrerJe vous dois une confidence : j’ai connu le trio Groove Catchers presque par hasard. Je dis presque, en raison du fait que, selon mes propres itinérances mentales, le hasard n’existe pas. Mais ce n’est pas le sujet, j’en parlerai plus tard... ou pas, c’est le hasard qui décidera. En réalité, l’histoire remonte au mois de mars 2014, le 20 plus précisément. A peine plus d’un an, donc. Abonné au rendez-vous mensuel du Manu Jazz Club au Théâtre de la Manufacture de Nancy, je me réjouissais de découvrir le quintet étatsunien Kneebody et son cocktail de jazz, rock et, dit-on de source sure, de hip-hop. Mais les aléas de la programmation peuvent contrarier certains agendas et ce soir-là, point de Kneebody... Une fois passée la déception de ne pas faire la connaissance du saxophoniste Ben Wendel (dont je vous recommande les Small Constructions en duo avec le pianiste Dan Tepfer), je me suis installé tranquillement, non dans la grande salle comme à l’accoutumée, mais sur les gradins de sa petite sœur voisine appelée La Fabrique, prêt à découvrir un programme de substitution sous la forme d’un trio (augmenté d’un tiers depuis 2011, aboutissant de ce fait à un quartet) de jeunes français appelé Groove Catchers, déjà auréolés d’une récompense non négligeable puisqu’ils avaient été, trois ans auparavant, lauréats du Tremplin Jazz de la Défense. Une bien belle surprise en réalité, que je me suis fait un plaisir de relater dans un compte rendu publié dans le magazine Citizen Jazz... et que je vous invite à découvrir si le cœur vous en dit.

Après un EP prometteur intitulé sportivement 1er Round (disponible en téléchargement gratuit sur le site du groupe), Groove Catchers, formé depuis 2009 dans un atelier dirigé par le pianiste Guillaume De Chassy, passe à la vitesse supérieure avec son premier vrai CD, dont le titre, 53, ne manque pas de susciter d’abord une pointe de perplexité et présente pour seul point commun avec son prédécesseur un revigorant « Paracétamol ». Mais ces gamins facétieux d’origine tourangelle ne sont pas à court de suggestions et proposent différentes explications, toutes plus singulières les unes que les autres, histoire peut-être de démontrer qu’on peut être sérieux sans se prendre au sérieux. Je vous en cite quelques-unes, sachant que 53 peut signifier : l’indicatif téléphonique pour appeler Cuba ; le pourcentage des Ecossais ayant voté pour leur indépendance ; le numéro du département de la Mayenne ; l’année au cours de laquelle Néron épouse Octavie... Pour ma part, je n’ai pas hésité à élever la musique de Groove Catchers à la puissance 3 – non en référence aux récentes productions du saxophoniste Alban Darche et ses déclinaisons en cubes (dont il sera bientôt question ici) – mais parce que l’énergie qui circule tout au long des 13 étapes de 53 est saine et très communicative. Nous allons revenir sur ce point...

Trêve de plaisanterie : 53 est une allusion directe à l’adresse de la maison dans laquelle a vécu le trio durant trois ans, au 53 Boulevard Gambetta, chacun des titres de l’album étant censé évoquer l’une de ses pièces. Une maison mère, une maison nourricière, une maison de musique dont la cave pouvait aussi se transformer en studio.

Il est temps de parler de Groove Catchers et ses protagonistes. Nous sommes en présence d’une formule plutôt sèche, puisque sans appui harmonique du fait de l’absence de piano ou de guitare, pour l’élaboration d’une musique ancrée dans une esthétique très contemporaine qui fait la part belle à un jazz nourri au funk, mais aussi au rock, voire au hip-hop. Mais sécheresse ne signifie pas aridité pour autant parce que Bastien Weeger (saxophones), Antoine Guillemette (basse), Johan Barrer (batterie) et Julien Stella (beatbox, clarinette basse) ont très bien compris qu’en fonçant droit dans leur musique, comme des boxers sur un ring, en la parant d’atours qui en fait à l’évidence un objet de fusion – au double sens du terme, à la fois un croisement des styles et un processus de création par l’élévation de la température – ils expriment au plus près leur volonté de dépasser les styles et d'écrire dans une langue tout autant porteuse de jubilation que de respect pour tous les héritages qu’elle véhicule, avec l’urgence comme point commun à toutes les directions prises. Treize compositions au menu, toutes originales à l’exception d’une reprise de « Soul Makossa », en hommage à Manu Di Bango, parrain d’un tremplin gagné à Montauban, et de « Crosstown Traffic », en provenance de la planète Hendrix et plus précisément de l’album Electric Ladyland. La preuve, s’il en était besoin, qu’aucun défi n’est impossible à relever pour eux, car il n’est jamais sans danger de s’attaquer à une icône... Un exercice périlleux dont ils se sortent plutôt bien, parce qu’ils ont eu la bonne idée de ne pas s’enfermer dans une matrice indépassable, et de gorger leur interprétation d’une grosse dose de vitamines. Ces maniaques du groove s’y entendent pour débouler à tous les coins de la maison, chacune de ses pièces recélant sa propre formule pour attraper (en anglais, to catch) celui qui y entre et l’entraîner dans une danse irrépressible (l’enchaînement de « Versus », « Paracétamol » puis « Night Shoes » en étant un bel exemple ; plus loin, le puissant « Focus » grondera des slaps d’une basse héritière de Marcus Miller).  L’arrivée de Julien Stella à partir de la septième pièce fait parfois basculer le groupe dans une autre dimension, comme si la musique avait décidé de quitter la maison pour arpenter les rues de la ville et s’y frotter à des réalités urbaines peu dociles. L’ajout de la clarinette basse densifie la texture et ses chorus explorations sont comme autant de fulgurances (« Semtex »), ou de propositions de voyage entre Orient et Occident (« From East To West »). Toujours cette volonté de fusionner, d’imaginer des traits d’union... On se rend très vite compte que sur disque, c’est le clarinettiste qui l’emporte nettement sur l’homme du beatbox, très impressionnant sur scène mais ici plus discret (le disque effaçant en grande partie et tout naturellement la dimension très visuelle de cette pratique musicale). Sa conjugaison au saxophone est une belle réussite, qui s’appuie en toute décontraction sur la puissance d’une rythmique gagnée par le feu (somptueux « Method 44 ») et qui ne trouve le repos que le temps d’une « Ballad » bien nommée.

Groove Catchers est une quarte sans complexe, jeune, libre de ses influences et prête à en découdre. 53 est un disque reflet d’une belle vigueur, celle de jeunes adultes en pleine possession de leurs moyens, qui ne se déploie jamais aussi bien que sur les scènes que le groupe ne va pas manquer de hanter dans les temps à venir. Foncez les voir !

En attendant, intéressez-vous à ce seizième plus petit nombre premier...

Groove Catchers53
Such Productions – Distribution Harmonia Mundi

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