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Musiques buissonnières - Page 6

  • On Air... elle !

    airelle_besson_radio_one.jpgJe me demande si je ne vais pas oser glisser dans les premières lignes de cette notule un soupçon de vulgarité, certes fugitif mais... je dois bien vous confier que [Radio One], le nouveau disque de la trompettiste Airelle Besson, qui va très vite voir le jour sur le label Naïve, m’a, comme on dit, mis sur le cul ! Oui oui, vous avez bien lu le gros mot : sur le cul... Bluffé. Emballé. Émoustillé. Conquis. Il doit exister d’autres adjectifs pour qualifier l’état de ma satisfaction, je vous laisse les chercher parce que je vous sais curieux de la synonymie... Non que jusque-là je fusse ignorant du talent de cette musicienne qu’on a pu écouter aux côtés de différentes personnalités passionnantes telles que Bruno Reignier, Alban Darche, Laurent Cugny, Édouard Ferlet ou encore Didier Levallet ; ou être l’actrice de dispositifs tels que son duo avec le guitariste Nelson Veras ou le quintet Rocking Chair dans lequel évoluait, entre autres, un certain Sylvain Rifflet. Tout cela, je le savais bien. À titre plus personnel cette fois, je peux même vous confier que son chemin a croisé celui de mon propre rejeton de saxophoniste puisque tous deux jouaient, le temps d’un « Amazing Grace » sur Twelve Secrets Of A Lady, de la chanteuse Sophie Darly. Donc j’étais bien conscient des nombreuses qualités d’une artiste ayant vécu à Oxford durant les premières années de sa vie. Mais là, il se passe un petit quelque chose qui tape dans le mille avec une précision d’horlogerie. La petite flèche en plein cœur... Ce qu'a par ailleurs fort bien expliqué Matthieu Jouan dans les colonnes de Citizen Jazz.

    Les symptômes de cette douce maladie sont assez aisés à identifier, en voici quelques-uns. À peine avez-vous terminé l’écoute des cinquante-trois minutes de [Radio One] qu’il vous tarde de remettre la musique en marche. Ça ne peut pas attendre. Et hop, le disque tourne à nouveau, en boucle. Nécessité oblige. En deux temps trois mouvements, cette même galette fait par ailleurs l’objet d’un clonage dans votre téléphone intelligent et devient le compagnon privilégié de votre marche urbaine et néanmoins quotidienne. Finie la grisaille citadine et la laideur des visages automobilistiques, oublié l’air vicié de la cuvette locale, snobées les trottinettes assassines, contournées les crottes de chien, vous êtes en possession de la parade absolue. Ça coule délicieusement dans vos oreilles. Un peu de douceur dans ce monde de brutes... Une sortie en voiture, une poignée de kilomètres à parcourir ? Comme par hasard, en ouvrant la console centrale qui sépare les deux sièges avant, votre main innocente attrape le CD pour le glisser avec autorité dans le lecteur. Allez savoir pourquoi c’était celui-là qui phagocytait le sommet de la pile, mystère...

    C’est un peu comme s’il y avait eu chez Airelle Besson une sorte d’alignement des planètes. Un moment rare. On frise la perfection instrumentale, l’équilibre des forces en présence impose le respect, les couleurs sonores sont rien moins que lumineuses. Tout est en place. Airelle Besson le dit elle-même : « Dès les premières répétitions en janvier 2014, un son a émergé ». Et cette fois, c’est un quatuor qui est en action pour livrer neuf compositions qu’on pourrait – mais ce n’est pas une obligation, faites comme bon vous semble – ranger en deux catégories principales. Il y a d’un côté une série de thèmes plutôt joyeux, presque sautillants dont la première des vertus est de vous entraîner, presque malgré vous, à les fredonner très vite : « Radio One », « The Painter And The Boxer », « Candy Parties », « No Time To Think ». Confiez-moi les clés des ondes et je vous fais de la première un hit single en deux temps trois mouvements. On peut rêver, non ? Et puis les autres (« All I Want », « La galactée », « Around The World », « People’s Thoughts », « Titi »), beaucoup plus éthérées, un brin féériques pour ne pas dire planantes à certains moments. Tout au long du disque, on passe d’un climat à l’autre dans un seul souffle heureux et on se laisse embarquer par quatre musiciens en état d’apesanteur. [Radio One] a de faux airs d’un rêve éveillé, attrapé au vol avec la maestria qu’on lui connaît par Gérard de Haro au Studio La Buissonne.

    Parlons des musiciens, aussi. Airelle Besson forcément, qui a composé tout le disque, paroles en anglais incluses. Trompettiste fluide, jamais invasive mais toujours habitée, dont le lyrisme de velours trouve en Isabel Sörling une complice qu’on aurait envie de qualifier de naturelle. Cette chanteuse suédoise (dont on a déjà pu apprécier toute la saveur vocale dans le récent Moondog, hommage au Clochard Céleste par Cabaret Contemporain paru à la fin de l’année dernière chez Subrosa) est l’autre source enchantée de [Radio One]. C’est incroyable comme ces deux-là se trouvent sans se chercher, qu’elles chantent d’une même voix ou qu’elles se répondent l’une l’autre. Elles dansent sur la musique, elles semblent sur un petit nuage. Il faut dire aussi qu’elles peuvent compter sur les talents conjugués de Fabrice Moreau et Benjamin Moussay. On connaît les vertus coloristes du premier, batteur souple tout aussi apte à suggérer des motifs qu’à veiller sur la bonne tenue du tempo. Quant au second, il faut admirer sa capacité à se démultiplier et à agencer l’environnement harmonique. Son omniprésence aux claviers (parmi lesquels un synthétiseur basse) force le respect. Lui aussi est un peintre, doublé d’un architecte imaginatif et d’un inventeur de textures sonores. Magistral Moussay !

    Airelle Besson et son quartet seront les prochains invités du Manu Jazz Club au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Et les derniers de la saison, de surcroît. Ils feront suite aux Shakespeare Songs de Guillaume de Chassy, Andy Sheppard et Christophe Marguet, qui ont su subjuguer un public venu nombreux une fois encore. Vous imaginez quelle chance cela peut être pour les amoureux de la musique vivante ? Mieux que le disque, la scène et ses vibrations irremplaçables. Tiens, c’est bien simple, j’en frémis déjà d’aise et je me réjouis par avance d’une soirée qui ne pourra qu’être réussie... et trop courte, ça ne fait aucun doute ! Fort heureusement, la fête durera encore longtemps grâce à ce disque habité par une grâce mélodique des plus séduisantes.

    Ah, et puis, j'ai oublié de vous dire... [Radio One] est peut-être un disque de jazz. Ou peut-être pas. Je vous laisse juges. On s'en moque après tout, parce que c'est d'abord un disque qui chante de la première à la dernière minute.

  • Marche ou rêve

    sebastien_texier_dreamers.jpgJe ne sais pas si Sébastien Texier sera d’accord avec moi, mais à l’écoute de Dreamers, son nouveau disque en quartet publié sur le label Cristal Records, j’ai ressenti illico un petit je-ne-sais-quoi qui avait de faux airs d’une épiphanie. Au sens le plus littéraire du terme, qu’on pourra expliquer comme « une prise de conscience de la nature profonde d’un événement ». Rien de religieux donc dans ma perception, mais plutôt le sentiment de me retrouver face à un musicien s’exposant au plus près de ce qu’il est vraiment, en toute sérénité. Dreamers est, je crois, le quatrième disque en leader de ce saxophoniste clarinettiste qui, pour fils du grand Henri Texier qu’il puisse être, n’en est pas moins avant tout un artiste dont la personnalité paraît grandir et s'affirmer au fil des années. Le voici qui avance avec une maturité qui le place définitivement comme un des musiciens importants de la scène jazz française. Il m’est d’ailleurs arrivé d’évoquer le sujet de la relation familiale avec son père et je peux témoigner ici que ce dernier n’a jamais manifesté une indulgence particulière à l’égard de son fils, tant il est vrai qu’il apprécie avant tout chez celui-ci le musicien, qui est de toutes ses aventures depuis plus de vingt ans. Si ma mémoire ne me trahit pas, il faut remonter à l’album Mad Nomad(s) enregistré en 1995 par le Sonjal Septet pour trouver la première trace discographique de l’association Texier père et fils. Pour Sébastien le leader, il y eut donc Chimères en 2004, Don’T Forget You’re An Animal en 2009 et enfin Toxic Parasites en 2011. Je vous ferai grâce des innombrables collaborations qui ont émaillé son parcours pour attirer sans plus attendre votre attention sur ce disque dont la grande fraîcheur m’enchante depuis plusieurs semaines maintenant.

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  • Matricule AYLCD-149

    sarah murcia,never mind the future,sex pistols,never mind the bollocks,ayler recordsCette petite chronique pourrait vite ressembler à un foutoir si je n’y prenais garde. Parce que j’aimerais aujourd’hui dire deux ou trois mots au sujet de Never Mind The Future, disque enregistré par la contrebassiste Sarah Murcia, dûment entourée de son groupe Caroline augmenté de deux unités pour l’occasion, soit une belle brochette de musiciens iconoclastes pour une relecture assez inattendue de Never Mind The Bollocks, l’unique album des Sex Pistols dont la parution en 1977 avait quelque peu fait chavirer certaines âmes sensibles du côté de la perfide Albion.

    Mais parler d’un tel disque, c’est aussi rappeler l’existence de ce valeureux label qu’est Ayler Records, dont j’ai déjà souligné tant la qualité du travail fourni par Stéphane Berland qui veille sur sa destinée avec un soin amoureux, que la diversité des couleurs d’une écurie qui peut, en quelques mois et trois références successives portant les numéros 147, 148 et 149, vous entraîner dans la nuit un peu glacée de l’Abbaye de Noirlac avec le Quatuor Machaut, histoire de vous donner à entendre une version pour quatre saxophones de la Messe de Notre Dame, chef d’œuvre du XIVe siècle signé Guillaume de Machaut, avant de vous entraîner du côté du Triton, aux Lilas, pour affronter la brûlure du guitariste Marc Ducret, dont le trio formé avec Bruno Chevillon et Eric Echampard se voit renforcé de trois soufflants ébouriffants que sont Fabrice Martinez (trompette), Christophe Monniot (saxophones) et Samuel Blaser (trombone) à l’occasion d’un Metatonal chauffé à blanc sur la pochette duquel les exégètes de la cause du rock progressif n’auront pas manqué de repérer un drôle de renard immortel à neuf queues déguisé en femme leur rappelant la pochette d’un vieux disque de Genesis, pendant que les amoureux de Bob Dylan comprendront vite qu’avec « 64 », composition célébrant l’année où Marc Ducret à découvert les titres de Mister Zimmerman, ils pourront retrouver, joyeusement intriqués dans un corps à corps sensuel, deux thèmes de leur héros, « The Times They Are A Changin’ » et « Wigwam ». Mine de rien, soit dit en passant, vous venez de lire une phrase comptant à elle-seule 1502 signes. Je vous en félicite...

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  • Accélérations amoureuses

    in_love_with_axel_erotic.jpgJ’ai l’impression très nette que Sylvain Darrifourcq est en train de devenir l’un des pensionnaires les plus marquants de l’auberge des Musiques Buissonnières... Il a désormais son rond de serviette à cette table. Je ne vais pas vous réécrire toute son histoire – aujourd’hui, quand on veut savoir, on peut – mais seulement vous rappeler qu’il m’est arrivé à quatre reprises au moins de saluer le talent de ce musicien singulier. Ce qui ne constitue qu’un modeste échantillon du bouillonnement créatif d’un personnage très attachant, sachez-le... Je me souviens par exemple d’Apoptose, son duo avec le saxophoniste Akosh S. ; mais aussi de Spezial Snack, quatrième petite folie du quartet d’un autre saxophoniste, et pas des moindres, j’ai nommé le génial Émile Parisien ; sans oublier un étourdissant trio formé avec le pianiste Xavier Camarasa et le violoncelliste Valentin Ceccaldi dont le nom, MILESDAVISQUINTET! en forme de trompe l’œil (mais aussi de trompe la trompe, si vous me passez cette expression assez auriculaire quoique manifestement éléphantesque) en étonnera plus d’un ; et puis, tout récemment, encore un trio, sobrement intitulé Hermia / Ceccaldi / Darrifourcq celui-là, et qu’il nous a fallu suivre sur la piste incertaine d’un God At The Casino...

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  • T'as pas cymbales ?

    Rêves de batteries, batteries de rêve... Une petite flânerie, des digressions, forcément, avec pour point commun de tortueuses histoires de fûts et de caisses.

    China_cymbale.jpgC'était il y a fort longtemps, très longtemps. La preuve, j'étais jeune, quelque part entre la sortie de l'enfance et l'entrée dans cette phase – dont je ne suis pas toujours persuadé d'avoir réussi à m'extraire – qu'on nomme adolescence et que les psychologues de tout poil s'acharnent à rendre impossible à vivre... À cette époque, j'avais dans un premier temps caressé l'espoir de devenir un jour un guitar hero : les exemples vinyliques ne manquaient pas chez moi et le té en bois dont on m'avait imposé le recours pour d'erratiques cours de technologie au collège m'avaient de temps à autre permis de prendre la place avantageuse d'un John Fogerty ou d'un Eric Clapton au mieux de leur forme. Mais ma gestuelle silencieuse (et par conséquent inoffensive) avait vite trouvé ses limites lorsqu'après avoir emprunté à plusieurs reprises la (vraie) guitare de ma sœur qui, me semble-t-il, n'en a jamais fait un usage beaucoup plus intensif que le mien, malgré quelques tentatives risquées de l'ascension du sommet technique que constitue « Jeux Interdits » pour tous les gratteux, je m'étais rendu compte que la pratique régulière de cet instrument était fort douloureuse pour les doigts. Enfin, les miens en tous cas, pour les autres, je ne sais pas... Un camarade de classe, plus obstiné que moi, avait par ailleurs fini par me convaincre que l'apprentissage d'une six cordes risquait fort de s'apparenter à un vrai de chemin de croix, repoussant ainsi dans les limbes de ma rêverie mes pauvres ambitions musicales.

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  • Protojazz

    stantchev-martin-gottschalk.jpgOn ne va pas se mentir... Voilà bientôt onze ans que je consacre une part non négligeable de mon temps à gribouiller sur mon blog de trop longues phrases très souvent consacrées à la musique ou à ses protagonistes. Jusqu’à une période récente (pour être précis le 2 janvier dernier, soit le jour où j’ai reçu le disque dont il est question aujourd’hui), je n’avais jamais entendu parler d’un certain Louis Moreau Gottschalk, pianiste compositeur ayant traversé le XIXème siècle à la vitesse de l’éclair. Je préfère jouer la carte de l’honnêteté en affichant mon ignorance plutôt que celle du cuistre auprès de mes lecteurs, qui ne m’en voudront pas d’exposer ainsi une lacune coupable. Je ne suis pas omniscient, juste un récepteur imparfait... Deux musiciens on ne peut plus contemporains, Mario Stantchev et Lionel Martin, ont décidé de se réapproprier, près de cent cinquante ans après sa mort, le répertoire de celui qui me fut (trop) longtemps inconnu. Publié sur le label Cristal Records, leur disque porte le titre évocateur de Jazz Before Jazz : une façon de nous faire comprendre que, sans être précisément un « grand-père du jazz », Gottschalk est à considérer selon eux comme « le chaînon manquant reliant la musique savante occidentale et ce qui deviendra le jazz quelques décennies après sa mort ».

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  • Corps à cordes...

    helene labarriere, hasse poulsen, hasse poulsen, innacorJ’aime beaucoup le portrait d’Hélène Labarrière que brosse le tromboniste Yves Robert : « Contrebassiste rousse aux collaborations musicales aventureuses. Une grande musicienne créative à l’affût de vocabulaires nouveaux ». On ne saurait mieux résumer la personnalité d’une artiste tout autant amoureuse des mélodies de toutes époques que des territoires musicaux restant à explorer, seule ou bien accompagnée. Qu’elle joue en solo, l’occasion pour elle de revisiter entre autres le répertoire de la chanson française ; en duo avec Violaine Schwartz (actrice, romancière et chanteuse) pour célébrer ce qu’on appelle la chanson réaliste du début du XXe siècle ; qu’elle scrute dans l’ensemble Dédales de Dominique Pifarély la belle géographie du temps du violoniste (je fais ici allusion au disque Time Geography, qui est une spendeur) ; qu’elle se produise en trio avec François Corneloup au saxophone baryton et Simon Goubert à la batterie, ou dans son propre Désordre avec, outre Corneloup, Christophe Marguet à la batterie et Hasse Poulsen à la guitare... Hélène Labarrière est un chant à elle-seule. Alors nul ne sera surpris de la retrouver en duo avec le même Hasse Poulsen pour Busking, un disque parmi les plus attachants de ce début d’année 2016 et qui voit le jour sur le label breton Innacor.

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  • L’éthique de l’orchestique

    orchestique, possible(s) quartet, remi gaudillat, fred roudet, loic bachevillier, laurent vichard, instant music recordsC’était il y a un peu moins de trois ans. Le trompettiste Rémi Gaudillat – pensionnaire régulier des Musiques Buissonnières, en raison notamment de sa collaboration fructueuse avec Bruno Tocanne, un autre habitué de ma petite auberge scripturale – publiait sur le label Instant Musics Records un disque en quartet intitulé Le chant des possibles. Il emmenait avec lui une formation atypique puisque composée exclusivement d’instruments à vent, dont les officiants ressemblaient à s’y méprendre à une bande d’amis (ce qu’ils sont, à n’en pas douter) : Fred Roudet (trompette, bugle), autre fidèle de la maison Tocanne, récemment au générique de l’enthousiasmant (et unanimement salué) Over The Hills ; Loïc Bachevillier (trombone) lui qui, non content d’être de l’aventure de The Amazing Keystone Big Band depuis plus de cinq ans, est aussi le complice de Gaudillat dans une célébration de Lester Bowie judicieusement nommée Docteur Lester ; Laurent Vichard (clarinettes), enfin, musicien aguerri formé à l’école classique mais adepte du jazz et des musiques improvisées et par ailleurs l’un des compagnons du théâtre Turak (qui présente depuis quelque temps une Carmen en Turakie d’après l’œuvre de Georges Bizet).

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  • MédoO’s brew

    médéric collignon, jus de bocse, moovies, jazz, funkNe me demandez pas pourquoi je n’ai pas consacré la moindre ligne à Médéric Collignon au cours des années passées. Je serais bien incapable de fourbir une explication raisonnée. Je n’en sais fichtre rien. Pourtant, y a de la matière à phrase avec ce lascar, on pourrait laisser filer le stylo ou le clavier pendant des heures pour tenter de cerner un musicien décidément pas comme les autres. Une sorte de planète à lui tout seul... Surtout que cet adepte, que dis-je, ce prosélyte du cornet n’a jamais eu besoin du moindre piston pour se hisser au sommet du jazz funk électronique survolté et atypique qui est sa marque de fabrique. Un silence que je vous autorise à qualifier d’injustice. Il faut dire que le personnage est – comment dire ? – du genre pas facile à ranger dans une case, qu’il appartient à la catégorie des grandes gueules qui n’hésitent pas à la ramener quand bon leur semble. Au risque, parfois, de se fabriquer subséquemment des inimitiés tenaces dont il se bat probablement l’œil avec une queue de sardine, comme aurait dit autrefois un de mes inutiles enseignants universitaires en marketing. Je soupçonne même certains écriveurs jazzifiants d’avoir dans la tête une petite réserve de chroniques acerbes visant à exécuter par avance des disques dont l’idée n’a même pas encore germé dans la tête de celui qu’on surnomme Médo. Médéric Collignon, un type pas comme les autres, un agité du cornet, un tricoteur de cordes vocales, un trafiquant de bidouilleries sonores et autres beatboxes dont il a le secret et qu'il aime par dessus tout, car tel est son bon plaisir, inoculer à ses créations ou celles des musiciens qu’il a côtoyés sans jamais engendrer autre chose qu’une électrisation instantanée de leurs univers musicaux. Il est entier, ne cherchez pas à en faire le tour, vous n’y parviendrez pas. Vous l’aurez à peine approché qu’il vous aura déjà filé entre les oreilles, à la vitesse du Road Runner de Tex Avery.

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  • Danseurs célestes

    texier_henri_sky_dancers.jpgSi mes comptes sont exacts, Sky Dancers est le dix-huitième disque qu’Henri Texier publie en tant que leader chez Label Bleu. Une longue et belle série qui retrace un large pan de l’histoire du contrebassiste – dont l’origine remonte aux années 60 – depuis La Compañera en 1989. À tous ces enregistrements, il faut bien sûr ajouter les quatre productions du trio Romano-Sclavis-Texier, qui couvrent la période 1995-2011, ainsi que le troisième et ultime album d’un autre trio formé avec François Jeanneau et Daniel Humair, Update 3.3 en 1990. Voilà donc un musicien fidèle qui élabore, année après année, une œuvre d’une grande cohérence dont l’homogénéité et la constance forcent l’admiration. Cette fidélité a d’ailleurs été récompensée en 2008 par une compilation sous la forme d’un double CD intitulé Blue Wind Story qu’on peut recommander à celles et ceux qui souhaiteraient pousser la porte de son domaine. Et pour peu qu’on s’accorde le temps d’un retour en arrière et d’une écoute attentive de toutes ces pages de musique écrites avec une passion inaltérable, qui se nourrit autant d’une révolte devant la violence des hommes que d’une admiration sans bornes pour les beautés que notre monde peut offrir, alors la conclusion s’imposera vite : Henri Texier est un artiste essentiel, qui vient de fêter son soixante-et-onzième anniversaire et qu’il s’agit de célébrer de son vivant. On a trop souvent l’occasion de louer, à grand renfort de « RIP », le talent des grands au moment où ils nous quittent qu’il serait absurde de ne pas rendre hommage dès à présent à celui qui est bien vivant. Surtout que son nouveau disque, Sky Dancers, est très certainement l’un de ses plus beaux.

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  • « Songs » d’une nuit d’été…

    shakespeare songs, guillaume de chassy, christophe marguet, andy sheppard, kristin scott-thomas, Voilà encore une réussite – et pas des moindres – à mettre au crédit d’Abalone Productions, label sur la destinée duquel veille l’éminent Régis Huby. Le violoniste n’est toutefois pas à la manœuvre musicale des Shakespeare Songs dont la paternité revient à un duo formé par le pianiste Guillaume De Chassy et le batteur Christophe Marguet. Ces deux-là travaillent ensemble depuis quelques années déjà et prennent un plaisir non dissimulé à explorer des territoires musicaux variés, qui unissent dans un même élan compositions originales, chansons françaises des années 30 ou encore musiques improvisées. Piano et batterie, autant dire une formule sonore qui les pousse à investir quand il le faut le champ des possibles de l’autre : si le premier instrument est naturellement harmonique, il peut et doit s’emparer du rythme et de la pulsation pour faire bonne mesure dans un contexte où chacun s'efforce d'occuper au mieux l’espace rendu disponible par le nombre restreint des protagonistes. On peut compter sur la main gauche de Guillaume De Chassy pour prendre une telle mission à son compte, ce qu’elle fera avec d’autant plus d’aisance que la batterie de Christophe Marguet – on le sait depuis un petit bout de temps maintenant – est elle-même une source mélodique au même titre qu’une force de frappe. A ce niveau d’interaction, un duo est, quand on s’y songe, bien plus qu’un duo. C'est un orchestre.

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  • Black Starman ou le voyage d'hiver de David Bowie

    bowie_black_star.jpgJe suis très ennuyé. Et bien triste aussi... Dimanche après-midi, j’avais écrit quelques pages au sujet de Black Star, le nouveau disque de David Bowie, publié le jour-même de son soixante-neuvième anniversaire. Et ce faisant, j’en profitais pour rapprocher quelques temps forts de sa discographie (je n’ai jamais eu l’occasion de le voir sur scène) de ma petite histoire personnelle. Et voilà que David Jones nous quitte. J’ai appris cette nouvelle brutale lundi matin, dans la Matinale Culturelle de France Musique. Les hommages n’ont pas manqué de déferler... Les exégètes de tout poil (y compris ceux qui le brocardaient autrefois, j’ai des noms) dissèquent sa foisonnante et longue carrière (un demi-siècle, tout de même), en égrènent les hauts faits pour mieux surligner la dimension iconique d’un personnage protéiforme et presque surnaturel. Soixante-neuf, pas un âge pour mourir, bordel ! Après mure réflexion pendant deux jours, j’ai choisi de vous proposer la lecture de mon texte, qui ne vous apprendra rien d’important et ne changera absolument rien à la vie de ce monde, pas plus qu’il ne fera revenir Bowie à la vie (même si comme quelques autres, j'attends son imminente résurrection au quatrième jour), j’en conviens, mais sera une manière pour moi de rendre hommage à un chanteur qui m’aura accompagné durant toute la période commençant à mon adolescence, jusqu’à mon entrée dans le monde des adultes. Ce n’est pas rien, dans une vie.

    Voici donc ce que j’écrivais dimanche. Notez que si parfois je m’exprime au passé, ce n’est pas en raison de je ne sais quel talent prémonitoire, mais tout simplement parce que la musique de David Bowie me renvoie à une époque bien lointaine maintenant... donc à mon passé ! C’est un peu foutraque, je pensais y revenir pour faire une petite toilette à mon texte, mais non. Je le laisse en l’état, avec ses paragraphes qui pourraient être présentés dans un ordre différent, ses phrases certainement bancales et ses idées mal ordonnées. J’ai mis en évidence la partie de texte écrite en premier. Pour le reste, c’est trop tard.

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  • Panem et Circum-Disc

    toc_qeqert.jpgCes trois-là sont quand même de sacrés phénomènes, déjà cités au « tableau d’honneur » de mes écrits aléatoires. C’était au mois de mars dernier, quand le trio TOC a publié un troisième disque assez redoutable, dont le caractère obsessionnel, la démesure et la radicalité avaient quelque chose de décoiffant. C’est d’ailleurs le titre que j’avais choisi pour illustrer ma note. Normal après tout, puisque cette production atypique s’intitulait Haircut. J’avais résumé cet objet sonore non identifié de la façon suivante : « Cette musique dépasse le temps, elle vise au paroxysme, parce qu’il est plus risqué, semble-t-il, de s’arrêter en chemin que de poursuivre une route, certes dangereuse, mais promesse d’un ailleurs à découvrir, quelles qu’en soient les irradiations collatérales ». C’est vrai qu’on pouvait ne pas sortir indemne d’un disque électrochoc et trouver dans cette masse sonore animée d’un mouvement frénétique et implacable de quoi frémir pour un petit bout de temps. Janvier 2016 : voilà que Jérémie Ternoy (piano), Peter Orins (batterie) et Ivann Cruz (guitare) remettent le couvert : et s’ils laissent tomber un acronyme laissant penser que leurs santés mentales étaient susceptibles de connaître des défaillances, c’est pour mieux assumer leurs incartades et se présenter en leurs noms propres. Ils choisissent en outre – je vois là une manière de taquinerie – de compliquer notre tâche oratoire en optant pour un titre plutôt imprononçable : Qeqertarsuatsiaat ! régnant sur un album publié chez Circum-Disc, un label basé du côté de Lille et qu’on connaît pour être habitué des séances d’ébouriffage musical, pour notre plus grand bien. C’est vrai, non ? Entre une vieille pièce qui sent le renfermé et une séance au grand air, vous choisiriez quoi ?

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  • Il y a 40 ans...

    zao-shekina-1975.jpgDrôle d’idée, tout de même, de regarder derrière soi. C’est vrai qu’à trop scruter le rétroviseur, on voit parfaitement le dessin formé par les rides, on peut compter les pattes d’oie... Mais allez savoir pourquoi, je me suis amusé hier à compulser mes archives, histoire de me rappeler les disques que je m’étais procurés au mois de janvier 1976. Drôle d’idée, oui, et drôle d’époque. Il y a quarante ans, j’avais 18 ans, je m’ennuyais ferme en première année de licence de Sciences économiques, une filière d’études supérieures vers laquelle je m’étais dirigé... sans vraiment la choisir. C’était une sorte d’échouage par élimination des cursus (très nombreux) dont je n’avais pas envie et de ceux que mon entourage me déconseillait parmi mes quelques rares envies. On est bête à cet âge-là. L’enseignement universitaire est pourtant l’exact opposé de celui qu’appelle mon propre mode de fonctionnement. Étant tout sauf un intellectuel, j’ai besoin de pratiquer d’abord avant de labourer le champ théorique (et croyez bien que je ne suis pas un grand fermier, comme dirait l’ami Richard Gilly). Je fais partie de ceux qu’on nomme les inductifs, ces gens formés de bric et de broc qui déduisent les concepts à partir du réel, faute de mieux... Or, à l’Université dans les années 70 (je ne me prononcerai pas sur son état actuel, même si je continue de m’interroger sur le bien-fondé du pernicieux Traité de Lisbonne qui impose la norme de 50% d’une classe d’âge au niveau licence comme une absolue nécessité), c’était tout l’inverse : on vous déversait des kilomètres d’enseignements à ingurgiter en un temps record (et qu’on oubliait aussi vite qu’on les avait appris) et puis, parfois, sous la forme d’exercices ou de travaux dirigés en groupes resteints, les laborieux de mon acabit devaient s’efforcer de donner à ces cours-purges un peu de cette matérialité dont leurs contenus étaient dépourvus. Ces choses-là n’étaient pas conçues pour moi et si je n’avais pas par la suite, le temps d’un partiel de statistiques, mis à genoux un amphithéâtre de 600 personnes en étant le seul à réussir (avec la note de 29 sur 30) en un temps record (une heure trente) un examen désastre pour les autres (tous avaient obtenu en trois heures une note largement inférieure à la moyenne), je pourrais parler d’échec sur toute la ligne. J’ai même compromis ma place de major (preuve qu’on peut s’insinuer malgré soi à la tête d’un classement) en année de licence après avoir claqué une porte au nez d’un expert comptable, non sans l’avoir traité de connard... Il faut dire aussi que cet abruti venait arrondir ses fins de mois en distillant sa morgue et ses bilans sur les pauvres larves étudiantes que nous ne manquions pas d’être... Mais on ne réécrit pas l’histoire et à cette époque – je reviens maintenant à l’essentiel – la musique occupait déjà dans ma vie une place, certes démesurée, mais ô combien essentielle.

    En janvier 1976, j’étais dans une sorte d’entre-deux discographique. La décennie écoulée m’avait permis de découvrir, non sans l’entremise de mon frère aîné qui aura joué un rôle de passeur irremplaçable, un nombre impressionnant de musiques dont, sans lui, je n’aurais peut-être jamais soupçonné l’existence, allez savoir... J’étais l’enfant d’une famille où la musique n’occupait qu’une place périphérique : mes plus jeunes années avait résonné des airs de quelques chanteurs comme Georges Brassens, Jacques Brel, Nana Mouskouri ou les Compagnons de la Chanson. Une compagnie honorable, parfois troublée par la présence bien plus dispensable d’une poignée de chanteurs ou chanteuses de variété, dont le kitsch et l’imposture m’ont sauté aux oreilles peu de temps près. A mon tableau de chasse d’il y a 40 ans, on trouvait donc – je vous fournis une liste loin d’être exhaustive mais présentée dans un ordre chronologique que vous pourrez interpréter comme le témoignage d’une évolution progressive vers des formes musicales plus complexes – des noms tels que : Beatles, Bee Gees, Rolling Stones, Creedence Clearwater Revival, The Grateful Dead, Chicago, Neil Young, Eric Clapton, Gérard Manset, Hot Tuna, Emerson Lake & Palmer, King Crimson, Yes, Genesis, Santana, Mahavishnu Orchestra, Caravan, Soft Machine, Robert Wyatt, Hatfield & The North, Heldon, Magma... Vous avez noté qu’on ne trouve pas la moindre trace de jazz au sens classique du terme dans cette liste. J’y suis venu un peu plus tard, probablement par l’intermédiaire de groupes transgenres comme Mahavishnu, avec à sa tête l’immense John McLaughlin venu de la planète du Miles Davis électrique, ou Magma dont le leader Christian Vander ne cessait d’évoquer l’importance d’un certain John Coltrane. Il me faudra attendre quelques années encore...

    En janvier 1976 donc, – comme tout cela est étonnant – je note m’être procuré plusieurs disques dont les deux plus présents dans ma mémoire sont : Magma Live/Hhaï et Shekina de Zao. Il est assez troublant de noter en effet que ces deux formations viennent de refaire surface dans mon actualité la plus récente, comme si j’étais moi-même constamment mû par une série de cycles me ramenant à ces fondamentaux évoqués un peu plus haut.

    Magma Live/Magma Hhaï : probablement le témoignage parfait de la puissance dégagée sur scène par ce groupe atypique. Ce disque est à l’origine un double trente-trois tours, enregistré au mois de juin 1975 à la taverne de l’Olympia par une formation au sein de laquelle on peut noter, outre Christian Vander à la batterie bien sûr, la présence au violon d’un gamin de 19 ans nommé Didier Lockwood. Deux ans auparavant, Magma avait publié ce qui est, aujourd’hui encore, son plus bel enregistrement studio, Köhntarkösz, qui occupe la première moitié de Live/Hhaï (son titre est devenu « Köhntark », pour d’obscures raisons de droit, semble-t-il). Quant au « Mekanïk Zaïn » qui en occupait à l’origine toute la face 4 et voit le trio Lockwood-Paganotti-Vander incendier le final de l’album, c’est un moment inoubliable. Certains vont me contredire, mais je m’en fiche : jamais la force magnétique du jeu de Christian Vander n’a été aussi bien captée et restituée. Et je m’amuse en constatant que cet enregistrement est remonté à la surface de mes écoutes il y a quelques jours avec la publication d’un monumental coffret de 12 CD, Köhnzert Zünd, dont je rendrai prochainement compte dans Citizen Jazz. Le grand bal de cette boîte rouge et noire s’ouvre, comme de bien entendu, par Live/Hhaï qui non seulement n’a pas pris une seule ride mais domine de la tête et des épaules les 36 années de live passées en revue dans ce bel objet paru sur Seventh Records et distribué par Jazz Village.

    Shekina par le groupe Zao, avec François Cahen (claviers), Yochk’o Seffer (saxophones), Gérard Prévost (basse) et... Jean-My Truong à la batterie. Cahen et Seffer avait quitté quelques années plus tôt la planète Kobaïa (donc, Magma) pour former ce groupe dont la musique mêlait les influences de Béla Bartók, des musiques traditionnelles hongroises et d’un jazz-rock très raffiné. C’était là le troisième album de Zao qui s’était adjoint pour l’occasion les services d’un quatuor à cordes (le quatuor Margand). Jean-My Truong, cordes, il y a 40 ans... Et voici qu’hier, le batteur m’appelle, après m’avoir fait parvenir le master de son prochain disque (à paraître au mois de septembre), pour me demander de lui écrire un texte de présentation. En commençant à réfléchir à ce travail, après avoir écouté deux fois le disque, relu la documentation dont je dispose et parlé avec lui, je me rends compte à quel point l’ADN de la musique qu’il compose et interprète en 2016 est le jumeau de celui des années 70. C’est la même lumière, portée ici par son groupe (les fidèles Sylvain Gontard à la trompette, Leandro Aconcha aux claviers et Pascal Sarton à la basse), que viennent intensifier la voix aux accents McFerriniens du géant Nicolas Calvet (connu aussi pour être tubiste) et quelques invités prestigieux comme Dominique Di Piazza à la basse ou Neyveli Radhakrishna au violon. Je note que ces deux derniers ont déjà eu l’occasion de travailler avec John McLaughlin, musicien évoqué un peu plus haut et dont Jean-My Truong et moi-même sommes des inconditionnels de très longue date. J’ai glissé le mot « cordes » pour souligner aussi une certaine permanence dans les amours musicales du batteur : sur Secret World (puisque tel est le nom de ce disque à venir), on pourra souligner la présence d’un quatuor à cordes qui vient, en quelque sorte, boucler la boucle et me ramène à ce beau Shekina acheté voici quatre décennies.

    Alors, dans ces conditions, ma décision est prise puisqu’une nouvelle année commence et que le temps des bonnes résolutions est venu : considérez que, malgré l’écoulement inexorable du sablier de ma vie, j’ai 18 ans pour toujours. Un point c’est tout...

  • Grand format

    Bruno Tocanne & Over The Hills © Jacky Joannès

    Cette année, je vous épargnerai mon palmarès des disques de l’année. Qu’il soit 10, 25 ou 100, mon top rechigne désormais à s’exhiber, jugeant l’exercice un peu vain et surtout injuste. Je n’ai pas la prétention d’avoir « tout » écouté cette année, ni même d’avoir le droit de classer des albums aux couleurs souvent très différentes (et incomparables, à tous les sens du terme). Je me suis adonné à une telle pratique au cours des années passées, mais j’ai préféré tourner la page. Durant les douze mois qui viennent de s’écouler, j’ai découvert (avec plus ou moins d’assiduité) environ 180 nouveaux disques (ou coffrets). C’est beaucoup quand on songe qu’on ne peut se contenter d’une seule écoute, et qu’il est important de se laisser gagner et imprégner par la musique, donc d’écouter et écouter encore. Après tout, l’année ne comportait que 365 jours (et je mettrai à profit le petit supplément qui nous sera accordé en 2016, croyez-moi)… Mais c’est peu au regard du nombre impressionnant de productions qui ont pu voir le jour. Je ne suis qu’une oreille partielle et partiale. Une goutte d’eau dans l’océan.

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  • Ah, ce Poulsen !

    hasse poulsen, das kapital, the langston project, open fistJe crois que je pourrais me damner pour un chorus de guitare tel que celui dont Hasse Poulsen nous gratifie d’emblée sur « Webstern », la composition signée Edward Perraud qui ouvre avec majesté le nouveau disque du trio Das Kapital, paru sur Label Bleu. Car son intervention décisive – véritable saillie électrique – est rien moins que magistrale et me renvoie aux grandes heures d’un Neil Young chevauchant son Cheval Fou. En peu de notes, d’une intensité foudroyante, le Danois semble expulser hors de lui une force hors du commun et dévoile l’une des nombreuses facettes de son talent, qui est immense. Amusante conjonction (mais il ne saurait y avoir ici le moindre hasard), Poulsen était la semaine dernière au tableau d’honneur de Citizen Jazz : deux chroniques d’albums, un reportage photo, un portrait, un entretien. Normal, car nous sommes là en compagnie d’un personnage pas comme les autres, que j’ai eu la chance de découvrir il y a bien longtemps déjà, quand il évoluait dans la formation Napoli’s Walls de Louis Sclavis, aux côtés de deux autres musiciens atypiques, le cornettiste Médéric Collignon et le violoncelliste Vincent Courtois. C’était en... 2003, je crois. Un grand disque (tous les disques de Louis Sclavis sont de grands disques), un moment de scène comme je les aime, dans le cadre intime du Caveau des Trinitaires de Metz.

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  • Testament à l’anglaise

    john taylor, 2081, kenny wheeler, stephane kerecki, camjazzC’est étrange tout de même… John Taylor nous a brutalement quittés pendant l’été, s’éclipsant alors qu’il était tout entier en musique, devant son piano. Le 17 juillet dernier en effet, alors qu’il se produisait avec le quartet Nouvelle Vague du contrebassiste Stéphane Kérecki au festival Saveurs Jazz de Segré, un malaise cardiaque l’a terrassé. Il est mort quelques heures plus tard. Ce musicien anglais avait 72 ans. On ressent à distance le choc, le sentiment brutal d’un vide que nul n’aurait pu imaginer quelques instants plus tôt. Et si cette disparition a quelque chose de tragiquement beau (qui ne rêverait pas de partir en plein accomplissement de sa passion, sans avoir le temps d’être gagné par l’idée même de la mort ?), on peut deviner l’état de sidération dans lequel ont dû être plongés celles et ceux qui le côtoyaient en ces moments de joie soudain baignés de larmes.

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  • Petit exercice en Darche arrière

    alban darche, crooked house, hyprcub, On dit que le temps ne fait rien à l’affaire… C’est vrai probablement, mais il m’est difficile de ne pas culpabiliser à la seule idée d’avoir omis de souligner les qualités intrinsèques d’un disque paru au mois d’avril dernier. Non qu’il n’ait jamais été question d’Alban Darche du côté de mes Musiques buissonnières : il m’est au contraire déjà arrivé de souligner à plusieurs reprises les qualités du saxophoniste compositeur arrangeur, géniteur fécond d’une singulière lignée de Cubes, en particulier quand l’Orphicube a publié sa Perception Instantanée ou bien encore au moment de Noël, il y a deux ans presque jour pour jour, à l’occasion d’une Xmas boX tout aussi colorée et réjouissante, tombée de façon très opportune dans mon Hotte Club. Il n’empêche que dans la foulée d’une Horloge ayant tourné ses aiguilles au mois de février, mettant ainsi à l’heure les pendules d’un jazz de chambre soyeux et qui voyait un saxophone se laisser aller aux caresses d’une sixte de cordes (celles d’un quatuor augmenté d’une guitare et d’une contrebasse), un autre petit événement musical nous était conté, histoire de témoigner d’un fructueux voyage outre-Atlantique à la fin du printemps 2014. Voilà que notre homme, pensant peut-être qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des E, dévoilait les contours d’un HYPRCUB pour se présenter en architecte d’une maison qu’il prétendait biscornue. Estampillée Yolk Records comme il se doit, cette Crooked House était en réalité une construction bien plus costaude qu’elle ne voulait le prétendre. Je me suis empressé d’en proposer un extrait dans l’émission Jazz Time à laquelle je collabore une fois par mois : c’était le 22 mai, pour être précis. Et puis le temps a passé, mon horloge n’étant peut-être pas réglée sur le fuseau horaire Darchien, et probablement victime des soubresauts multiples occasionnés par une abondance discographique qui sera pour ce qui me concerne la marque de cette année finissante.

    Mais les mois de décembre servent aussi à regarder un peu derrière soi et prendre le temps d’établir un rapide bilan. L’absence de Crooked House était injustifiable, un point c'est tout. Cerné par une rythmique maison (et quelle paire !) échafaudée par Sébastien Boisseau à la contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie, Alban Darche décidait de faire appel à deux hommes distants l’un de l’autre d’un océan : le saxophoniste américain ténor Jon Irabagon (pour mémoire, récent co-responsable avec Sylvain Rifflet d’un  Perpetual Motion en hommage à Moondog qu'on ne saurait que trop recommander) et le claviériste belge Jozef Dumoulin (allez donc tendre l’oreille à son Fender Rhodes Solo pour comprendre à quel point ce musicien-là est facteur de climats). Et pour faire bonne mesure, le même Rifflet était convié à la fête de la construction de ce grand pont, pour y faire entendre sa clarinette ou son saxophone ténor le temps de trois morceaux. C’est là une équipe qui laisse croire au meilleur à la seule lecture de la pochette, avant même d’avoir glissé le disque dans la platine. Alban Darche n’est pas seulement architecte, il est aussi un maître de maison avisé.

    Autant dire que le plaisir est là. Ce disque semble déborder d’une multitude d’histoires aux intonations volontiers nostalgiques, celles que sait si bien conter Alban Darche. Je pense avoir déjà eu l’occasion de le dire, mais ce jazz est – on me pardonnera un néologisme paresseux – cinégénique. Comme si son story-board, à l’écriture inventive, aux textures élégantes, ouvrait en grand la porte d’improvisations multiples, propres à esquisser par leurs propres couleurs un mouvement d’ensemble tout en variations de nuances. Le disque – qu’on veut toucher comme on le ferait d’un beau tissu – a d’un bout à l’autre les atours d’une conversation de haute tenue (parce que, pour chantante que soit sa musique, celle-ci n’en est pas moins le fruit d’un travail exigeant dont les détails se révèlent au fil des écoutes) et je me refuse à isoler plus qu’un autre l’un de ses acteurs. Certes le travail d’un Jozef Dumoulin est en lui-même un voyage entre éclats et brumes électriques, certes les élans d’un Jon Irabagon ont des allures de traversée, certes Alban Darche lui-même est ici un écrivain tout autant qu'un compositeur… Il faut savoir prendre tout son temps pour épuiser les richesses de cette production raffinée. On peut de plus aborder Crooked House sous des angles multiples : en s’abandonnant à ses mélodies, sans éprouver le besoin d’en savoir plus, afin de dérouler tranquillement un film imaginaire projetant des images (que je vois toujours en noir et blanc, allez comprendre pourquoi...) et dont on sera volontiers l’un des protagonistes ; en observateur curieux des interactions entre les musiciens et de leurs dialogues nourris ; en scrutateur méticuleux des combinaisons sonores et des contrepoints (je reviens sur ce que je viens de dire… le Fender Rhodes, tout de même, quel bonheur ! Que les autres musiciens ne prennent pas mal cette distinction, surtout...). Et si Crooked House commence par une étonnante « Albanolgy » qui pourrait nous laisser croire durant quelques mesures que le saxophoniste a plongé au cœur des années be bop chères à Charlie Parker, la suite va faire la démonstration d’une écriture très ouverte sur notre monde, un scénario qui nous donne à le ressentir dans tous ses émois. Il y a de la joie, de la tristesse et avant toute chose beaucoup de souffle ; rien n’est jamais simple, mais c’est bien la fusion des énergies qui pourra nous aider à aller de l’avant. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le titre de l’album : biscornue peut-être en raison des matériaux multiples qui la forment, cette maison symbolise-t-elle, ainsi que s’interroge Alban Darche lui-même, une musique à plusieurs dimensions ? Ou la vie, tout simplement ? Oui, à n’en pas douter…

    Huit mois après sa publication, Crooked House a conservé toute sa fraîcheur et sa faculté de retenir notre attention au fil d’une élaboration aux rebondissements nombreux. Il est de ces disques qu’on ré-écoute. Décembre a bien fait de venir… Et vive la Darche arrière, donc !

  • Sur le chemin de Vincent Payen

    Find_My_Way.jpgVoilà un peu plus de deux ans maintenant que le trompettiste Vincent Payen a enregistré, avec son groupe Leeway & Friends, On The Road To Lee Morgan, une déclaration d’admiration à un jazzman mort à l’âge de 33 ans dans des conditions plutôt tragiques (sa femme l’ayant tué d’un coup de pistolet après une dispute) et qui, quand on y songe, est à considérer par-delà sa contribution au mouvement hard bop comme l’un des pères putatifs du funk.

    Vincent Payen publie aujourd’hui son deuxième disque, Find My Way. Après la route, le chemin donc, tout cela semble cohérent… Vous connaissez certainement ce musicien si par ailleurs vous vous intéressez à Electro Deluxe, une formation qui ne cesse de porter avec beaucoup d’aplomb (et de public) la voix d’une soul music décomplexée, en particulier depuis que le très charismatique James Copley en est le chanteur. Le trompettiste est en effet l’un des sept membres réguliers de ce groupe en fusion.

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  • Petite conversation entre amis

    jonathan orland, small talk, jazzIl est des disques qui, à première vue (ou écoute), n’ont l’air de rien... Pas du genre à jouer les gros bras, à vous dégainer des chorus à décorner les bœufs ou à faire la démonstration d’une virtuosité clinique un brin réfrigérante. Ni même à explorer des territoires encore vierges pour vous perdre avec eux dans leurs mystères créatifs. Des disques qui se présentent en toute simplicité, pour ne pas dire avec discrétion, nés du plaisir d’un partage de l’instant. Small Talk, publié par saxophoniste alto Jonathan Orland sur le label Absilone, est de ceux-là. Son titre lui-même ressemble à une déclaration de modestie, puisqu’on peut le traduire par conversation sans importance, causette... dont le sens n’exclut pas l’idée des banalités du quotidien. Avec une telle entrée en matière, le risque d’une « éviction par la transparence » n’est pas mince. Mais ce serait une erreur de laisser ainsi passer à la trappe le deuxième album de ce mathématicien trentenaire, auparavant passé par les fourches caudines du CNSM de Paris puis du Berklee College of Music de Boston, qui s’accomplit autant comme leader que comme sideman dans des registres variés où peut pointer l’influence des musiques folkloriques de l’Europe de l’Est. Une erreur, oui, au point qu’on se demande si le choix de Small Talk ne traduit pas la volonté d’alléger par une position distanciée un propos imprégné en réalité de gravité.

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