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Marche ou rêve

sebastien_texier_dreamers.jpgJe ne sais pas si Sébastien Texier sera d’accord avec moi, mais à l’écoute de Dreamers, son nouveau disque en quartet publié sur le label Cristal Records, j’ai ressenti illico un petit je-ne-sais-quoi qui avait de faux airs d’une épiphanie. Au sens le plus littéraire du terme, qu’on pourra expliquer comme « une prise de conscience de la nature profonde d’un événement ». Rien de religieux donc dans ma perception, mais plutôt le sentiment de me retrouver face à un musicien s’exposant au plus près de ce qu’il est vraiment, en toute sérénité. Dreamers est, je crois, le quatrième disque en leader de ce saxophoniste clarinettiste qui, pour fils du grand Henri Texier qu’il puisse être, n’en est pas moins avant tout un artiste dont la personnalité paraît grandir et s'affirmer au fil des années. Le voici qui avance avec une maturité qui le place définitivement comme un des musiciens importants de la scène jazz française. Il m’est d’ailleurs arrivé d’évoquer le sujet de la relation familiale avec son père et je peux témoigner ici que ce dernier n’a jamais manifesté une indulgence particulière à l’égard de son fils, tant il est vrai qu’il apprécie avant tout chez celui-ci le musicien, qui est de toutes ses aventures depuis plus de vingt ans. Si ma mémoire ne me trahit pas, il faut remonter à l’album Mad Nomad(s) enregistré en 1995 par le Sonjal Septet pour trouver la première trace discographique de l’association Texier père et fils. Pour Sébastien le leader, il y eut donc Chimères en 2004, Don’T Forget You’re An Animal en 2009 et enfin Toxic Parasites en 2011. Je vous ferai grâce des innombrables collaborations qui ont émaillé son parcours pour attirer sans plus attendre votre attention sur ce disque dont la grande fraîcheur m’enchante depuis plusieurs semaines maintenant.

Car oui, décidément, le rêve sied parfaitement à un Sébastien Texier fort bien entouré pour l’occasion. Si le groove de Guillaume Dommartin n’est pas nouveau chez lui et cependant toujours aussi bienvenu (le batteur était déjà partie prenante de Toxic Parasites), c’est avec beaucoup de plaisir qu’on retrouve à ses côtés un guitariste tel que Pierre Durand dont le Chapter One : The NOLA Improvisations avait eu l’honneur de ces pages voici maintenant plus de trois ans. Ce qui m’incite d’ailleurs à vous en conseiller l’écoute si par malchance, vous étiez passé à côté de cette petite pépite au sujet de laquelle j’avais écrit qu’elle était : « une déclaration d’amour, un chant profondément humain qui vous dresse les poils des bras, c’est un petit éclair qui vient zébrer votre quotidien. Une musique chair de poule. » Pierre Durand n’était au départ que l'invité d’un trio qu’il a vite transformé en quatuor en imposant son jeu toujours aussi habité et brûlant. Quant à Olivier Caudron – qu’on veuille bien me pardonner mon ignorance – voici un musicien que je découvre et dont l’orgue Hammond B3 me semble tenir ici un rôle prépondérant et compter pour beaucoup dans la définition des textures sonores et dans la joie de vivre qui habite toutes les compositions. Ce musicien-là a une sacrée présence, qu’on se le dise. On en oublie même l’absence d’un contrebassiste qu’il se charge de remplacer avec un sens de la mise en espace réjouissant.

Parce que Dreamers m’a tout l’air d’un disque heureux. Un défi peut-être paradoxal en notre époque sanglante et cynique, mais la belle santé affichée par le quatuor fait vraiment plaisir à entendre. C’est un grand ballon d’oxygène. La musique est, ainsi que le laisse entendre le titre du disque, une incitation à tous les rêves possibles. Elle est festive et virevoltante (« Let’s Roll » ou « Frienship »), voyageuse (« Cape Cod », « Crest Waves ») ; si elle peut sembler un peu nostalgique parfois, elle n’est pas triste pour autant (« Silent March » et la majesté de son blues, la valse de « Cape Cod ») ; elle suggère la douceur (« Smooth Skin » et le bel unisson orgue-clarinette), la liberté et l’imagination (« Dreaming With Ornette » dédié à Ornette Coleman, musicien libre), la contemplation et l’élévation (« Dreamers » et son climat céleste)… Chacun pourra y trouver de quoi assouvir son besoin d’évasion.

Dreamers, c’est avant tout une succession de « thèmes » aux couleurs vives, qui manifestent chez Sébastien Texier un puissant désir mélodique, celui-là même qu’on avait pu percevoir tout au long de ses précédentes productions, mais qui est ici exprimé avec une ferveur plus que jamais communicative. Il me pardonnera, je l’espère, de penser qu’une vie passée aux côtés d’un maître chanteur tel qu’Henri Texier n’est pas sans conséquence sur sa manière de construire son propre idiome. On retrouve chez le fils la même façon de faire chanter la musique que chez le père, c’est évident. Et c’est un compliment, bien sûr… Clarinette ou saxophone alto sont à la fête, l’orgue déploie ses fastes, la guitare vole, la batterie est polyphonie. Le temps passe vite avec ce quartet solaire qui est d’ores et déjà l’une des très belles surprises de ce début d’année.

Let's Roll !

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