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« Songs » d’une nuit d’été…

shakespeare songs, guillaume de chassy, christophe marguet, andy sheppard, kristin scott-thomas, Voilà encore une réussite – et pas des moindres – à mettre au crédit d’Abalone Productions, label sur la destinée duquel veille l’éminent Régis Huby. Le violoniste n’est toutefois pas à la manœuvre musicale des Shakespeare Songs dont la paternité revient à un duo formé par le pianiste Guillaume De Chassy et le batteur Christophe Marguet. Ces deux-là travaillent ensemble depuis quelques années déjà et prennent un plaisir non dissimulé à explorer des territoires musicaux variés, qui unissent dans un même élan compositions originales, chansons françaises des années 30 ou encore musiques improvisées. Piano et batterie, autant dire une formule sonore qui les pousse à investir quand il le faut le champ des possibles de l’autre : si le premier instrument est naturellement harmonique, il peut et doit s’emparer du rythme et de la pulsation pour faire bonne mesure dans un contexte où chacun s'efforce d'occuper au mieux l’espace rendu disponible par le nombre restreint des protagonistes. On peut compter sur la main gauche de Guillaume De Chassy pour prendre une telle mission à son compte, ce qu’elle fera avec d’autant plus d’aisance que la batterie de Christophe Marguet – on le sait depuis un petit bout de temps maintenant – est elle-même une source mélodique au même titre qu’une force de frappe. A ce niveau d’interaction, un duo est, quand on s’y songe, bien plus qu’un duo. C'est un orchestre.

Malgré cette richesse éprouvée à deux, la collaboration entre Guillaume De Chassy et Christophe Marguet a finalement abouti à une extension les conduisant à la formule du trio par l’adjonction d’Andy Sheppard, qu’on qualifiera volontiers de saxophoniste parfait, et qui brille, entre autres, au cœur de la galaxie Carla Bley depuis près de vingt ans. Son élégance naturelle, la beauté formelle du son de son instrument (soprano comme ténor), la précision de son phrasé aérien, son aptitude à écrire de passionnantes pages musicales en faisaient le compagnon idéal des histoires que le duo brûlait de raconter.

Et puisqu’il est question d’histoires, c’est ici qu’il faut rappeler que De Chassy et Marguet, pour musiciens accomplis qu’ils soient, n’en sont pas moins hommes de cultures et, à ce titre, des lecteurs avides de sensations poétiques. L’un comme l’autre sont depuis belle lurette des adeptes de Shakespeare : aussi l’idée d’un travail puisant son inspiration dans l’univers du dramaturge de Stratford-Upon-Avon, sa poésie tourmentée et ses personnages aux destins souvent tragiques a-t-elle émergé dans leurs têtes et dans leurs cœurs. Ils n’étaient certes pas les premiers à se risquer à l'exercice, mais ils étaient certains de pouvoir faire entendre leur propre voix.

Hamlet, Othello, Macbeth, Le conte d’hiver, La tempête, Roméo et Juliette, Le Roi Lear, Le songe d’une nuit d’été... Un sacré terreau, pour ne pas dire un terreau sacré. Qu’importe, un tel défi n’était pas de nature à rebuter ces musiciens qui surent trouver le ton juste dès les premières répétitions. Et c’est à la suite d’une première tournée qu'une autre idée se fit jour : celle de parer leur musique des textes de Shakespeare ; ou plutôt, comme Guillaume De Chassy le dit lui-même, de « la faire surgir réellement du texte ». A ce petit jeu, pouvait-on rêver d’une meilleure voix que celle de Kristin Scott-Thomas pour un disque à venir ? Pouvait-on imaginer une parole mieux portée que par la plus française des actrices britanniques, formée à l'École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Paris, et certainement l’une des plus aptes à s’emparer d’une poésie dont les accents si particuliers appartiennent désormais au passé ? On a beau continuer d’appeler l’anglais la langue de Shakespeare, il ne faut pas oublier cependant que le poète est mort il y a 400 ans exactement…

L’actrice a enregistré les textes, les a habités avec une passion peu commune pour incarner Hermione (Conte d’Hiver), Prospero ou Caliban (La Tempête), Capulet (Roméo et Juliette), Othello, Cordelia (Le Roi Lear), Hamlet, Puck (Le Songe d’une Nuit d’Été)... En plein dans le mille ! Le trio était aussitôt subjugué par la qualité de son investissement dans le projet, son travail comblait les désirs de ses musiciens. Il ne restait plus qu’à unir cette voix et sa diction envoûtante à celles des instruments.

Pari largement tenu, et même au-delà : Shakespeare Songs réussit l’alchimie très précieuse entre une poésie aux accents souvent terrifiants, sublimée comme on l’a compris par l’interprétation de Kristin Scott-Thomas, et la beauté formelle d’une musique (trans)portée par un trio en lévitation. Le disque s’ouvre par « Le Roi a fait battre tambour », une chanson traditionnelle du XVIIe siècle, avant de céder la place à dix compositions originales signées De Chassy ou Marguet. Cette musique, dont l’élégance native vous saute au visage, prend des formes majestueuses ; surtout, elle vous invite à partager l’intimité entre les trois protagonistes, le trio privilégiant l’expression collective pour limiter la prise de parole individuelle à l'essentiel. Il n’y a plus de leader, c’est une union sacrée au service de Sa Majesté Shakespeare. On se demande ce qu’il faut aimer le plus dans le climat instauré : son pouvoir mélodique, le lyrisme de l’interprétation, la fluidité des interactions, la tension maintenue à son plus haut niveau à chaque instant, l’équilibre assuré entre écriture et improvisation, le caractère intemporel des couleurs sonores…

Gardons à l’esprit – je veux bien le parier – que ce disque ne prendra pas une ride dans les années à venir et qu’il pourrait bien devenir un classique, voire une référence. Shakespeare Songs est arrivé le 7 décembre 2015 : il s’est inscrit depuis ce jour dans la catégorie des disques dont on n’épuise pas les richesses à force de les écouter. La répétition ne saurait donc lui nuire. Bien au contraire, son pouvoir d’attraction ne fera que grandir de jour en jour. Il ne vous reste plus qu’à le découvrir. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

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