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Accélérations amoureuses

in_love_with_axel_erotic.jpgJ’ai l’impression très nette que Sylvain Darrifourcq est en train de devenir l’un des pensionnaires les plus marquants de l’auberge des Musiques Buissonnières... Il a désormais son rond de serviette à cette table. Je ne vais pas vous réécrire toute son histoire – aujourd’hui, quand on veut savoir, on peut – mais seulement vous rappeler qu’il m’est arrivé à quatre reprises au moins de saluer le talent de ce musicien singulier. Ce qui ne constitue qu’un modeste échantillon du bouillonnement créatif d’un personnage très attachant, sachez-le... Je me souviens par exemple d’Apoptose, son duo avec le saxophoniste Akosh S. ; mais aussi de Spezial Snack, quatrième petite folie du quartet d’un autre saxophoniste, et pas des moindres, j’ai nommé le génial Émile Parisien ; sans oublier un étourdissant trio formé avec le pianiste Xavier Camarasa et le violoncelliste Valentin Ceccaldi dont le nom, MILESDAVISQUINTET! en forme de trompe l’œil (mais aussi de trompe la trompe, si vous me passez cette expression assez auriculaire quoique manifestement éléphantesque) en étonnera plus d’un ; et puis, tout récemment, encore un trio, sobrement intitulé Hermia / Ceccaldi / Darrifourcq celui-là, et qu’il nous a fallu suivre sur la piste incertaine d’un God At The Casino...

Chabadabada... voici notre batteur insatiable qui revient ! Une cinquième évocation pour moi, forcément, celle d’un autre trio, où Valentin Ceccaldi fait en quelque sorte figure d’habitué et se voit rejoint par Théo son violoniste de frère, dont les amoureux de l’ONJ tendance Olivier Benoit connaissent bien les sorcelleries encordées. Ce triangle – amoureux semble-t-il – s’appelle In Love With (décidément... il y a quelque temps, Darrifourcq était In Bed With Julien Desprez et Kit Downes, serions-nous avec lui en présence d’une musique horizontale ?) et vient de concocter un Axel Erotic de derrière les fagots : soit un nouvel ustensile mis au service de la grande cuisine du Tricollectif, pour l’heure employé dans la maison Becoq (il y a un jeu de mots, je peux vous aider si vous ne trouvez pas), un petit label aux trésors dont il a déjà été question ici. Ne me demandez pas pourquoi ce disque porte un tel titre, car mis à part le fait qu’il peut arriver à Sylvain Darrifourcq d’ajouter des sextoys à sa panoplie percussive, je ne suis pas suffisamment intime pour vous dévoiler un éventuel secret. La parole est aux initiés.

Mais pour dire les choses simplement, de façon très triviale j’en conviens, qu’est-ce que c’est bien ce truc qui ne ressemble à rien d’autre, nom de Dieu ! Jamais entendu quelque chose qui soit à la fois aussi jubilatoire et imprévisible, comme animé d’un survoltage continu. En plus, le trio est d’une redoutable efficacité. Trente-cinq minutes, pas une de plus pas une de moins, pour faire la démonstration d’une originalité feu follet et d’une capacité à coordonner ses élans peu commune. Je vais être très franc avec vous : je ne sais pas trop comment vous expliquer tout cela, les mots ne viennent pas facilement. Néanmoins, je serais volontiers tenté de vous conseiller d’écouter avec tout le respect qu’elles méritent leurs déflagrations qui crissent parfois comme une paire de patins à glace au fond d’une baignoire, de vous laisser embarquer avec trois musiciens libres au gré de leurs embardées, de vous repaître de leurs synchronismes à couper le souffle, d’admirer leur frénésie incantatoire, d’être admiratif du spectacle offert par une succession de petits scénarios haletants (ce disque en compte sept). Vous pourriez aussi vous amuser des titres donnés aux compositions, avant même d’écouter la première note : « Bien peigné en toute occasion », « A saveur de très beurre », « Asil Guide », « Les flics de la police » (déjà au programme de Spezial Snack), « Sexy Champagne », « Le bousier » ou « Chauve et courtois ». Tout ça, je pourrais le faire, c’est vrai...

Alors il y a la forme bien sûr : violon + violoncelle + batterie et percussions, avec un zeste de cithare elle-même relevée d’une pointe d’ebow (qui est un petit appareil électronique aux fonctions de résonateur. En d’autres termes, cela signifie qu’il émet un champ magnétique provoquant le mouvement des cordes pour restituer un son proche de celui d’un archet – en Anglais, bow. Vous pouvez par exemple découvrir son utilisation dans l’introduction de « Chauve et courtois »). Plutôt inédite, cette association instrumentale, non ? Surtout qu’en matière de percussions, Sylvain Darrifourcq n’est jamais à court d’imagination... Chez lui, tout objet – y compris un cintre, une bille, tout ce que vous voulez... – est potentiellement percussif. Faites attention à vos affaires, il pourrait bien les détourner à son profit (et au nôtre, c’est vrai). Mais surtout, et là j’adopte une tonalité plus sérieuse, ce monsieur est non seulement un spectacle réjouissant à lui tout seul qui fait jeu de tout doigt, mais il s’avère au fil du temps un des batteurs les plus (d)étonnants qu’il m’ait été donné d’entendre depuis bien longtemps. Il n’est pas question pour lui de simplement battre la mesure, mais plutôt de débattre de la démesure, de la provoquer, d’enclencher à grand renfort d’accélérations frénétiques une mécanique infernale, d’échafauder des constructions faussement instables mais en réalité d’une solidité à toute épreuve, qui vous sautent à la figure et ne vous donnent a priori aucune idée du chemin qu’elles pourront prendre. À tout instant guette le dérapage, mais en réalité le bolide avance vite et droit. Avec un tel phénomène au cœur du dispositif, on se doute qu’il faut une sacrée dose de complicité et un redoublement des attentions pour faire vivre un ménage à trois du genre explosif. Les frères Ceccaldi, par définition, se connaissent depuis toujours, ils savent que leur compère dynamiteur peut compter sur eux. Leurs cordes vivent bien des vies en un peu plus d’une demi-heure : elles battent, scandent, frappent, geignent, chantent en pizzicato, lancent des appels suraigus, participent de plein manche à l’urgence quand elle s’installe. Bref, elles vibrent... Une urgence qu’on ne saurait confondre avec un état homonyme car ici, il est question d’aventure et de liberté, fièrement conquises et transmises jusqu’à nous avec une joie évidente.

Mine de rien, et c’est peut-être par là qu’il aurait fallu que je commence, ces trois-là inventent leur propre langage. C’est la première impression qu’Axel Erotic me laisse (mais je pense avoir été habité par ce genre de constat précédemment)... In Love With, c’est un idiome de l’inouï, une incitation pressante à la découverte, une histoire mise en forme à la façon d’une horlogerie à la fois ludique et démoniaque. En cherchant bien, je ne serais guère surpris qu’on trouve, caché derrière les fûts de Sylvain Darrifourcq et les cordes des Ceccaldi, un savant un peu excentrique tirant les ficelles de cette mécanique malicieuse. Et qui partirait d’un grand rire... Parce que, vous je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, voilà le genre de disque qui me fait un bien fou – j’en suis d’une certaine façon tombé in love with – et me donne envie de partir d’un grand éclat de rire. Je vais de ce pas en demander le remboursement intégral par la Sécurité Sociale. À très bientôt !

En attendant, jetez donc un petit coup d’œil à cette vidéo et régalez-vous du travail de haute couture sonore intitulé « Le bousier ». Épatant, comme on disait autrefois !

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