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Vécu - Page 2

  • Emotion Pictures

    bigpicture_krakauer.jpgEt soudain un disque opéra une spectaculaire remontée, puis parvint au sommet d’une pile suffisamment haute pour que la question de son équilibre fût posée depuis quelque temps déjà. Il somnolait là, attendant des jours meilleurs. En réalité, c’est le pire qui est advenu, baignant Paris dans le sang, suscitant effroi et sidération et nous plongeant dans un état d’hébétude dont le seul compagnon possible fut pour un temps le silence, en mémoire de ceux qui venaient de nous quitter, fauchés par la barbarie explosant à nos portes. Nous, Français et Européens, prenions en pleine figure cette violence inouïe qui ensanglante le monde depuis des décennies et dont nous aimions à imaginer, par insouciance ou ignorance, qu’elle ne viendrait jamais se répandre sur nous. Silence d’abord, mais très vite, le besoin de reprendre le cours des choses de la vie. Revenir dans le monde réel, s’immerger dans la foule, parler, partager, et si possible un peu mieux qu’avant. C’est en ces instants de redressement, ceux où il faut bien relever la tête et faire face, que s’est imposée comme une évidence la belle musique de David Krakauer et son nouvel album, The Big Picture. Le bon disque, au bon moment. Comme un précieux antidote.

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  • Avec le cœur

    henri roger, jean-baptiste boussougou, Dire qu’Henri Roger est prolifique relève de l’euphémisme. Sa discographie s’enrichit à une vitesse étonnante et les références du label Facing You / IMR se multiplient comme d’autres, en des temps plus reculés, multipliaient les petits pains. Comptez une dizaine d’albums en un peu plus de trois ans et vous prendrez la mesure de la créativité d’un multi instrumentiste (pianiste et guitariste au premier chef) qui paraît ressentir la nécessité de fixer ses belles rencontres musicales. Si vous êtes un lecteur, même occasionnel, de mes Musiques Buissonnières, vous n’ignorez pas que j’accorde la plus grande attention à son travail. Je vous ferai grâce d’une biographie qu’il vous sera toujours possible de découvrir en faisant un petit tour sur son site internet et résumerai le personnage en le qualifiant d’activiste des musiques improvisées.

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  • La stratégie de l'arbre à disques

    europe_72.jpgJe vais reculer les aiguilles de la grande horloge et vous parler d'un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Nous sommes le mercredi 13 décembre 1972. Je suis en possession d'un précieux billet dont la valeur - cent francs ! - est considérable pour qui la rapportera au montant de mes émoluments mensuels de l’époque, en d'autres termes mon argent de poche, soit cinq francs. Me voici prêt à engager une dépense déraisonnable qui hante mes rêves depuis plusieurs semaines déjà. Mais je vais un peu trop vite... Revenons d'abord à un autre jour, un jeudi celui-là, le 27 janvier de cette même année 1972. J’en profite pour rappeler aux plus jeunes qu'en ces temps préhistoriques, on n'allait pas au collège le jeudi après-midi ; c’est l’année suivante seulement que fut instaurée la pause hebdomadaire du mercredi pour les scolaires.

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  • Comme une rivière sans fin…

    olivier boge, expanded spacesL’histoire remonte à la fin de l’année dernière. Je crois même me rappeler – vous me pardonnerez ce détail un peu trivial – que je patientais dans la rue, devant ma boulangerie. Quand mon téléphone a sonné, interrompant ainsi l’écoute d’un disque – mais cette fois, je suis bien incapable d’en dire plus à son sujet – alors sur le point de faire l’objet d’une chronique, je n’ai pas identifié illico la personne qui m’appelait. Trop de bruit dehors, certainement. Avant de comprendre qu’Olivier Bogé, musicien dont j’apprécie le travail depuis un bout de temps (j’ai les preuves écrites : ici et ), était à l’autre bout de la ligne et souhaitait que j’écrive un texte destiné à son prochain disque, dont il venait de terminer l’enregistrement.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2015

    NJP, c'est fini ! Près de deux semaines très chargées en concerts, beaucoup de monde, des moments forts, d'autres moins... Telle est la vie d'un festival. J'ai pu non pas couvrir intégralement l'édition 2015 pour Citizen Jazz mais consacrer à cette manifestation automnale neuf soirées bien remplies dont j'ai essayé de rendre compte à ma façon. Pas question de tout voir (pour mémoire, il y a eu au total 181 concerts) ni d'être partout à la fois. Mes pérégrinations se sont limitées à trois salles : le Chapiteau de la Pépinière, la Salle Poirel et le Théâtre de la Manufacture.

    En suivant CE LIEN, vous pourrez lire ou relire mes élucubrations publiées au fil des jours...

  • Now I’m Gonin listen to Pink Floyd again...

    philippe gonin, pink floyd, the wall, le mot et le resteC’est malin, ça ! Je croule sous les disques à découvrir – toute une pile attend fiévreusement d’être accueillie par ma platine – et par la faute d’un Bourguignon que la simple vue d’une assiette de Munster flambée à l’alcool de cumin fait tourner de l'œil, me voici en train de replonger dans mes disques de Pink Floyd... Non mais vous le croyez ? Surtout que, pour ne rien vous cacher, le bougre a fait pire encore... Imaginez que jamais je n’avais acheté ni même réussi à écouter en entier un disque comme The Wall. Difficile de vous dire pourquoi, ça ne me parlait pas vraiment et puis, cette histoire un brin déprimante me donnait surtout envie de me replonger dans les albums qui avaient bercé mon adolescence, au premier rang desquels Meddle et sa deuxième face occupée par le seul « Echoes ». Pour moi, Pink Floyd, c’était une musique un peu planante, c’était aussi un concert au Parc des Expositions de Nancy au mois de décembre 1972, quand le groupe commençait la promotion de son disque à venir, un certain Dark Side Of The Moon, qui allait voir le jour quelques mois plus tard et après lequel plus rien ne serait comme avant. Un succès planétaire dont la cohésion de Pink Floyd n’allait pas se remettre.

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  • Images innées

    Chroniques de l'imaginaire.jpgLorsqu’à la fin de l’année dernière, Jean-René Mourot m’a contacté pour me demander si j’accepterais d’écrire le texte devant figurer sur un disque qu’il venait d’enregistrer (ce qu’on appelle parfois les liner notes), j’ai accepté sa proposition sans hésiter. Et pourtant, je connaissais à peine le pianiste (j’avais seulement lu dans Citizen Jazz sous la plume de mon collègue Olivier Acosta la chronique de son disque en solo), pas plus qu’il ne me connaissait lui-même. Mais il se trouve que mon nom (et donc mon éventuelle contribution) lui avait été soufflé par un certain Bruno Tocanne, batteur au sujet duquel j’ai déjà beaucoup écrit, ici-même ou pour Citizen Jazz ; voilà en effet un musicien que je tiens pour un des acteurs les plus attachants de la scène jazz contemporaine (précipitez-vous sur le Canto de Multitudes, magnifique disque publié sur Le Petit Label pour lequel il s’est associé au trompettiste Rémi Gaudillat et quelques autres camarades, en attendant au mois de décembre l’événement Over The Hills que j’ai déjà évoqué ici-même).

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  • Pourquoi j’écrirai (peut-être) encore quelques articles…

    ecriture, musiqueDans un récent billet de blog intitulé Pourquoi je n’écris plus (beaucoup) d’articles, notre très jeune camarade Raphaëlle T. alias Belette évoque les raisons pour lesquelles elle est aujourd’hui réticente à l’idée d’écrire sur le jazz, qu’il s’agisse de chroniques de disques ou de comptes rendus de concerts. Elle liste non sans à propos un certain nombre de  « tics » et d’expressions toutes faites dont usent et abusent les rédacteurs, elle évoque les contraintes qui s’imposent à lui (ou elle) quant à la longueur des textes et leur documentation… Bref, toute une série de raisons pour lesquelles elle éprouve une légitime lassitude face à l’exercice.

    Je suis d’autant plus sensible à son argumentation qu’il n’est pas une semaine, pour ne pas dire un jour, sans que je me sente assailli par ce genre de questionnement. Rarement satisfait d’un écrit, je sais que je n’échappe pas toujours aux pièges cités dans cette note opportune, je m’arrache les cheveux qui me restent pour imaginer des formulations qui soient un tant soit peu originales, sans forcément y parvenir, je déploie des efforts inconsidérés pour raconter des histoires qui feront, comme le dirait un autre camarade, « péter les formes de la chronique et en faire un exercice de style pour la transformer en sensation ». Parfois ça marche, mais parfois seulement.

    Et puis, quand on y songe, à quoi bon ? N’y a-t-il pas mieux à faire en ce bas monde que de s’échiner sur son clavier pour essayer de communiquer à un autre invisible ce petit grain de folie qu’on appelle la passion ? Ne travaillons-nous pas exclusivement à la marge ? Nos élucubrations ne sont-elles pas destinées à un cercle restreint de spécialistes qui n’apprennent pas grand-chose en lisant notre prose, si ce n’est que nous aimons leur musique et prenons plaisir à le faire savoir ? Notre production laborieuse est-elle suivie d’un minimum d’effets qui exercent une influence sur le cours des choses ? Sommes-nous légitimes (surtout moi qui ne suis pas musicien) pour parler de musique ? Pas sûr…

    Dans ces moments de doute, je me prends à rêver d’isolement et d’arrêt du temps. Moi qui suis comme beaucoup d’autres un bénévole (ce qui signifie que mes différents travaux d’écriture prennent place en dehors du cadre d’un travail m’occupant environ 38 heures par semaine, donc le soir et le week-end), je suis saisi quotidiennement par un besoin radical : me couper de tous les réseaux une bonne fois pour toutes et prendre enfin le temps de me plonger dans ces innombrables bouquins (mon grand regret sera de n’avoir pas assez lu) que je délaisse depuis des années au profit de vilaines galettes qui défilent en sarabande sur ma chaîne au point que, parfois, elles n’y font qu’un passage éphémère. Retrouver mes vieux disques, ceux dont je sais la présence à mes côtés depuis une éternité mais que peut-être, je n’écouterai plus jamais. Enfiler un bon gros manteau et des chaussures de marche pour me perdre en longues randonnées main dans la main. Allumer un feu dans une grande cheminée et me repaître d'un vide existentiel dans un silence seulement troublé par le crépitement des flammes. Dire et faire plein de bêtises avec mes petites-filles. Bref me transformer en ermite vieux schnock et jouir en cercle restreint de tous les trésors, matériels ou non, accumulés au fil du temps et dont je ne profite pas autant que je le souhaiterais. Me couper du monde extérieur et fermer définitivement les yeux sur ses horreurs. Être enfin égoïste…

    Et puis viendront un petit message, un encouragement, un remerciement, un témoignage émouvant, une citation, une proposition, aussi. Non pas pour écrire une chronique, mais pour réfléchir à un texte qui puisse illustrer la pochette d’un disque. Ou pour assurer à intervalles réguliers la programmation et l’animation d’une émission de radio. Ou se lancer à nouveau dans une exposition. Alors au fil des amitiés, on se retrouve gagné par la fièvre, à composer des textes au calibrage impitoyable (parfois dans une grande urgence), à prendre des notes qu’on lira plus ou moins fidèlement au micro, à écrire des portraits, voire une fiction, qui prendront place au cœur d’expositions imaginées avec un complice photographe. L’écriture d’un premier livre suscite des échanges chaleureux qui sont autant de stimulations, au point qu’on en vienne à vouloir récidiver comme si l’histoire de la littérature n’attendait que ça, en imaginant un objet vaguement littéraire un peu bizarre dont les fragments viendront zigzaguer malicieusement parmi une cinquantaine d’instantanés. Et même à établir la liste de tous ces petits livres qu’on a en tête (au moins cinq ou six) et dont on repousse l’écriture à plus tard, quand on aura le temps. Dans ces moments, les doutes s’envolent, on ne pense plus aux avis péremptoires émis sur le bien-fondé et les motivations d’une chronique ou d’impressions post-concert. On avait la tête sous l’eau et la voici qui émerge pour avaler un grand bol d’air avant de replonger.

    Que faire ?

    Respirer. Si dire que tout cela est un privilège. Penser aussi que si une chose est dite avec le cœur, même maladroitement, alors elle peut être dite. Foin des railleurs et de ceux qui savent. Ne pas trop réfléchir à des stratégies de communication. Ne pas se sentir obligé mais seulement porté par une vague. Faire au mieux, sculpter, faire naître des formes pour donner envie. Essayer d'écrire une histoire, des histoires. Partager. Se bercer d’illusions en pensant que, peut-être, au détour d’une phrase, une personne (et pourquoi pas plusieurs ?) aura éprouvé le besoin d’en savoir un peu plus, de se lancer à la rencontre d’une musique qu’elle n’aurait pas eu la possibilité de connaître sans cet acte écrit. Ou plus simplement que cette personne aura ressenti pendant quelque temps une pointe de bien-être. Être soi-même, sans artifice.

    Tout est affaire d’humilité et de modestie : l’exercice de l’écriture a ses défauts et ses limites. Il est bon de les connaître, de ne pas trop se prendre au sérieux, de savoir rester à sa place sans cuistrerie et de ne pas rechigner à remettre l’ouvrage sur le métier autant que faire se peut. C’est une mécanique parfois austère, mais dont les rouages sont huilés par les passions qui nous habitent. Il n’est pas honteux, après tout, d’avoir envie de les transmettre. Avec la plus grande sincérité, quitte, parfois, à prendre le risque d’un enthousiasme pas toujours justifié a posteriori et dont il ne sera pas interdit de se moquer. Surtout, à bientôt 58 ans, je refuse (pour l’instant) de me laisser gagner par une humeur un poil top aigre qui, pour le coup, n’a aucune raison d’être si on la met en balance avec la cruauté ambiante de notre village mondialisé et mis en coupe réglée chaque jour un peu plus par la rapacité ou la folie d’une minorité. Je suis encore trop jeune pour tomber dans cet ultime gouffre. On verra un peu plus tard…

  • Ark 4 in motion (pictures) : quand une compagnie fait son cinéma

    Vous savez quoi ? Dimanche, je me suis rendu à Blénod-lès-Pont-à-Mousson (oui oui, ça existe et à ce moment précis de la semaine, vers 17 heures, on ne peut pas dire que la cité était très agitée, elle était même, comment vous dire ? Plutôt morose), et plus précisément au Centre Culturel Pablo Picasso, histoire de découvrir un ciné concert proposé par Ark 4 mettant en musique un vieux film allemand (il date de 1920 et selon mes sources, aurait été perdu pendant très longtemps pour n’être retrouvé qu’en 1963 par la RDA au Japon, dans une version incomplète). Le film en question a pour titre Von Morgens Bis Mitternachts, soit De l’aube à minuit.

    Comme vous le comprenez, j’ai des dimanches soir culturels. Mais bon, que cette introduction peu affriolante sur le papier (je devrais dire sur l’écran) ne vous effraie pas, faites-moi confiance et en même temps connaissance (bonjour zeugma) avec des protagonistes d’un genre pas banal.

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  • Une phrase buissonnière

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    Air, eau et vide - Jaume Plensa - Musée d'Art Moderne de Céret

    Musiques buissonnières, oui vous avez bien lu l’intitulé nouveau de mon blog, parce que Maître Chronique, qui a souhaité faire valoir ses droits à une retraite pas forcément méritée mais dont il veut profiter sans scrupules avant que la horde malsaine des fonds de pension et autres ayatollahs d’un ultralibéralisme inconséquent et échevelé ne lui presse l’avenir comme d’autres assoiffés le feraient d’un citron, vous dit un au revoir qui n’est pas vraiment un adieu puisque ce petit lieu d’écriture – en quelque sorte un atelier où circulent de temps à autre des mots, voire des idées à teneur essentiellement musicale – existe désormais sous une nouvelle identité pour un temps qui, à défaut d’être certain, devrait autoriser l’aboutissement d’une série de chroniques de longueur variable et à périodicité irrégulière, une agrégation aléatoire de notes citoyennes ou personnelles, motivées par l’idée qu’une passion mérite toujours d’être partagée avec d’autres, tous ceux dont les identités sont parfois connues ou au contraire mystérieusement voilées par l’anonymat d’une toile hôte du pire comme du meilleur, un réseau mondialement interconnecté qu’il semble nécessaire de continuer à imaginer comme un espace où les vagabondages sont une source de richesse et d’élévation personnelle, dans un monde gouverné par la voracité et la cupidité brutale d’une minorité agissant au nom d’idéaux dont l’immensité du spectre s’étend du matérialisme le plus abjectement mafieux à l’étendard de religions brandies comme justification à d’abominables exactions, et dont se repaissent à grand renfort d’images passées en boucle sur des écrans de télévision ou d’ordinateur devenus les meilleurs conseils en communication de causes indéfendables des spectateurs à la fois victimes et complices, mais auxquels les impératifs de consommation et les injonctions péremptoires de l’économisme casinotier soumis au diktat du profit immédiat interdissent chaque jour un peu plus toute possibilité d’exercer un arbitre qu’on n’ose plus qualifier de libre, et qui ne se voient plus accorder la moindre indication d’un chemin de traverse, cette piste buissonnière qui leur entrouvrira la porte d’un possible rêve nourri de liberté, d’imagination, de résistance et de lumière, cette ouverture vers la flânerie, pour ne pas dire le vagabondage, à l’écart des sentiers battus d’un temps qu’il s’agirait enfin de maîtriser pour mieux le retrouver, cette pause dans une course effrénée que je m’efforcerai de vous offrir ici-même dès la fin du mois d’août, sans excès d’optimisme ou de naïveté, mais pour le seul plaisir d’imaginer qu’ici où là – dans un quelque part qu’il est fort heureusement impossible de cerner – un être humain, ou pourquoi pas plusieurs, auront pris plaisir ou intérêt à lire par mon entremise des évocations musicales imagées et, c’est promis, construites cette fois au moyen de plusieurs phrases mises bout à bout, contrairement au texte sinueux et néanmoins sincère que vous avez eu le courage de lire jusqu’à son point final, faisant ainsi preuve d’une patience que je sais méritoire et dont je vous sais gré. 

  • L’éclipse

    Ce texte fera peut-être partie de ceux qui je rassemblerai – un jour, sans nul doute – dans un livre à venir dont le nom de code est Ligne 2 (Chronique ton bus), constitué des chroniques douces amères de mes nombreux trajets dans le bus qui, chaque jour ou presque, me conduit au travail, dans un aller-retour propice à l’observation de mes congénères.

    Il est le résultat (pas abouti complètement) d’un exercice réalisé dans le cadre d’un atelier d’écriture, sous l’égide de Frédéric Vossier. Le point de départ était une pièce courte de Daniel Keene intitulée Le violon. Frédéric nous a demandés d’en respecter certaines caractéristiques : le nombre de personnages, l’utilisation de sept monologues selon un rythme 1-2-3-1-2-3-1, l’évocation d’une même action décrite par chacun d’entre eux selon une temporalité passé / présent, l’utilisation de motifs récurrents.

    Je ne sais pas si j’ai réussi à atteindre ces objectifs, mais après tout... Quelle importance ?
    Ce sera mon petit cadeau de printemps pour vous.

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  • Collines inspiréees

    Il n’entre pas trop dans mes habitudes de vous alerter sur des projets dont la réalisation passe par le soutien matériel (sonnant et trébuchant, donc) de son public potentiel. Pourtant, j’aimerais déroger ici à ce règlement personnel en vous proposant de découvrir, encourager et, si possible, aider un travail dont je sais qu’il aboutira à un disque important.

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  • « Siderrons-nous » les uns les autres !

    Siderrances.jpgSi je m’étais croisé il y a une vingt-cinquaine d’années, je ne me serais jamais cru si, dans une conversation avec moi-même, je m’étais expliqué tout le bonheur ressenti à l’écoute de musiques improvisées. Costumé dans mes certitudes étroites de trentenaire pas loin de devenir quadra, mon double jeunot m’aurait ri au nez, j’en suis certain. Bien sûr, je savais le pouvoir de quelques sorciers de l’exercice : à cette époque, j’avais englouti bon nombre d’heures épicoltraniennes, et tout particulièrement celles de l’été 1966 au Japon et j’avais abordé, parmi d’autres, les rivages du free jazz d’Ornette Coleman ; je n’ignorais pas non plus qu’au temps de mon adolescence, au début des années 70, certains de mes groupes fétiches – tel The Grateful Dead – m’avaient démontré qu’on peut sortir du cadre restreint d’une « chanson » de trois ou quatre minutes pour pratiquer les chemins de traverse sans douleur (pour moi en tous cas). 

    Mais il y avait toujours, tapie dans l’ombre de mes craintes irrationnelles, la peur d’être un peu perdu, de rester à l’écart des imaginaires débridés de musiciens dont jamais je ne pensais pouvoir comprendre les rudiments d’une langue jugée a priori complexe. 

    On change. Ou plutôt on évolue, par un effet de sédimentation des connaissances qui enrichit et ouvre des perspectives qu’on pensait réservées à d’autres ou qu’on ignorait, tout simplement. Surtout quand certains musiciens jouent avec bonheur le rôle de passeurs, comme d’autres pédagogues sauront vous apprendre une langue étrangère. 

    Henri Roger est de ceux-là ! Pianiste, guitariste, musicien libertaire et imaginatif, notre homme ne cesse de multiplier les rencontres et de susciter une curiosité passionnée. J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer à de nombreuses reprises ici-même ou pour le compte de Citizen Jazz, parce que le monsieur n’est pas avare de beaux enregistrements, en solo, en duo ou en plus grand nombre, sa géométrie personnelle étant de nature variable. Allez comprendre pourquoi ses pérégrinations musicales m’ont toujours parlé de près, quand même bien leurs destinations ne sont pas explicitement indiquées aux candidats au périple que nous acceptons d’être. Henri Roger est un voyageur de l’intime, une sorte de vagabond errant, un type volontiers nietzschéen (son paradigme personnel se situant quelque part entre hasard et gai savoir) à qui on peut faire confiance, dès lors qu’il s’agit de nous inciter à découvrir de nouveaux paysages. Un type fiable, un mec bien qui ne déçoit pas, parce qu’il ne triche pas. Et sympa, de surcroit, ce qui ne gâte rien. J’en profite ici pour remercier une fois encore mon camarade Bruno Tocanne qui eut, un jour, la bonne idée de se confronter à lui, de façon très amicale, dans un Remedios La Belle très stimulant. Une belle porte d’entrée dans le monde bariolé d’Henri Roger. 

    Cette fois, c’est une association avec un autre agitateur de particules, le guitariste Noël Akchoté, qui fait merveille dans un double album dont le titre, Siderrances, constitue la meilleure des synthèses possibles : comme s’il était  l’enfant naturel d’une déambulation conjointe et d’un étonnement réciproque. Déambulation et étonnement partagés dans l’instant par celle ou celui qui voudra bien, non pas y prêter, mais y offrir ses deux oreilles.

    Akchoté n’est pas le dernier venu, loin s’en faut : passé d’abord par la filière du jazz classique (je mets volontairement des italiques car ma relation aux étiquettes est assez distendue), il n’a pas tardé à s’orienter vers des formes plus expérimentales, sans jamais se fixer de limites stylistiques. A titre personnel, je l’ai découvert au milieu des années 90, quand il évoluait aux côtés d’Henri Texier dans une magnifique formation appelée Sonjal Septet. Et tout récemment, je l’ai retrouvé en duo avec un autre de mes musiciens compagnons de jeunesse, Richard Pinhas. Pour le reste, un petit coup d’œil à sa discographie suffit à percevoir toute l’étendue de ses horizons artistiques… Un sacré bonhomme, on l’aura compris et un partenaire de choix pour le pianiste ! Pour décrire sa rencontre avec le guitariste, Roger emploie un terme qui dit beaucoup de choses : celui de slow dating. Il veut en réalité nous faire comprendre qu’entre Akchoté et lui, il y a bien plus qu’une confrontation musicale, aussi belle soit-elle. Il est question d’un processus de découverte à maturation lente : à travers l’écoute d’un disque du guitariste, puis d’échanges écrits (par l’intermédiaire d’un réseau social qu’il n’est pas nécessaire de citer, mais dont on voit qu’il est possible d’en faire un usage intelligent) sur leurs impressions respectives autour du monde de la musique. Ou comment prendre le temps d’une compréhension mutuelle avant d’aborder la phase ultime, celle de la réalisation d’un enregistrement qui s’est déroulé le 3 juin 2014. Un duo piano acoustique – guitare électrique, accompli dans un état de plaisir manifeste, dont les vibrations se transmettent tout au long de sept séquences qui cumulent en une bonne centaine de minutes.

    J’écoute ce disque depuis pas mal de temps maintenant. Et je n’en vois pas la fin. J’avoue volontiers ma difficulté à le décrire, parce qu’il appartient à la catégorie des disques qu’on vit plus qu’on ne les écoute. Une invasion de soi. A chaque fois, il me faut y revenir et me laisser porter par ses éléments, dont la fluidité est tout aussi aérienne que liquide. Comme une longue vague en mouvements immobiles (oui, j’assume l’oxymore), porteurs d’une sérénité qui contraste avec les urgences un peu foldingues de When Bip Bip Sleeps sous la férule de sa Sérieuse Improvised Cartoon Music ou les outrenoirceurs lumineuses de Parce Que, en hommage à Pierre Soulages. Rien d’étonnant toutefois de la part d’Henri Roger qui nous avait entraînés voici peu dans une belle Parole Plongée en trio avec Benjamin Duboc et Didier Lasserre, avant de nous convier, en solitaire cette fois, à prendre un bain de soleil subaquatique dans un captivant Subathing Underwater publié durant l’été (en version numérique seulement). Il semble bien que, depuis quelque temps, Henri Roger soit pris du besoin d’explorer les contrées mystérieuses de son piano aqueux... Et je vous étonnerai peut-être en disant qu’à la première écoute de l’album, j’ai pensé à mon cher Grateful Dead (évoqué un peu plus haut) : non pas le groupe aux intonations folk d’American Beauty, mais celui des premiers temps, psychédéliques et volontiers acides, lorsque le groupe se lançait dans de longues improvisations en s’échappant du thème de « Dark Star ». Je n’irai pas plus loin dans la comparaison, parce qu’elle n’a probablement de sens que pour moi, mais j’y vois la même nécessité d’abandon, de lâcher prise (pour des causes légèrement différentes puisque du côté de San Francisco à cette époque, l’étirement à l’infini de l’espace temps passait par le recours à diverses substances qui n’ont, je pense, pas cours chez Henri Roger !). Siderrances est un disque auquel on doit en effet s’abandonner… Loin des urgences de notre monde, il offre son temps long (le deuxième disque ne comporte que deux titres, respectivement de 20 et 32 minutes) et laisse aux deux protagonistes le loisir d’engager une conversation de l’intime qui, jamais, ne nous laisse de côté. Là est sa grande force : il nous parle au creux de l’oreille dans sa langue propre, mais très empathique. La guitare de Noël Akchoté distille d’un bout à l’autre une douceur sinueuse, à peine troublée par quelques effets appliqués aux cordes. Elle émet des ondes qui viennent se mêler aux notes du piano, les enrouler, les enrober de leur pouvoir magnétique. Henri Roger, toujours adepte du registre grave de son instrument, s’échappe plus qu’à l’accoutumée vers les aigus et lui répond, visiblement habité d’une confiance en l’autre. C’est un dialogue qui se dessine naturellement, sans le moindre effort apparent (mais on a vu que pour parvenir à cette fusion, les deux musiciens n’avaient pas compté leur temps pour apprendre à se connaître). Une musique qui coule de source et s’invente, seconde après seconde. Et qui semble n’avoir ni début, ni fin. Un flux continu, un peu irréel. 

    On peut écouter Siderrances à l’infini. Se réjouir aussi du soin apporté à la dénomination de certains titres, comme « Décoller à tes rires » ; goûter le flou savamment entretenu par le graphisme d’Anne Pesce ; se dire aussi qu’on a de la chance qu’un label tel qu’IMR nous donne à écouter de si beaux disques…

    Bref, tomber dans le panneau du duo Roger / Akchoté avec bonheur. Si je n’avais qu’un conseil à vous donner, il serait d’une grande simplicité : laissez-vous siderrer sans retenue, montez le son (une écoute au casque est parfaite) et ne pensez plus. Vous avez la clé, entrez !

  • #NJP2014, échos des pulsations /6

    Samedi 18 octobre, 18 heures. La fin approche et c’est le moment d’un premier bilan devant la presse. Claude-Jean Antoine alias Tito et Patrick Kader, respectivement président et directeur de Nancy Jazz Pulsations, partagent leurs impressions ainsi que quelques chiffres qu’il n’est pas inutile de rappeler ici.

    NJP : 165 concerts dont plus de la moitié dans les 7 salles de Nancy ; une fréquentation globale de 90000 spectateurs ; 30000 entrées payantes (parce que bon nombre de concerts sont gratuits), soit une légère progression par rapport à l’édition 2013, ce n’est pas négligeable ; des apéros jazz ; Pépinière en fête ; des actions culturelles : les quartiers musiques, les concerts jeune public, Jazz de Cœur (en hôpital), Jazz Inside (au Centre Pénitentiaire), des ateliers d’éveil musical, des expositions photo, un ciné jazz ; des captations de concerts ; 200 personnes chargées d’assurer le déroulement du festival... On le voit, NJP va au-delà du simple festival, c’est une dynamique à la fois horizontale (parce qu’elle s’étend sur toute la région) et verticale parce qu’elle couvre un grand nombre de styles musicaux et déploie les musiques par de nombreux moyens, pédagogiques notamment.

    Du côté musical proprement dit, Patrick Kader a rappelé les temps forts et quelques uns de ses coups de cœur : Grégory Porter, Sylvain Luc & Stefano Di Battista, Thomas de Pourquery, Christine & The Queens, Otis Taylor, Guillaume Perret et, il le souligne, Electro Deluxe, grosse sensation de l’édition 2014, ce que je ne contredirai pas, on le sait ! Sans oublier ceux qui vont encore se produire, comme Gilberto Gil et Ibrahim Maalouf.

    C’est un peu tout cela, NJP : il ne faut surtout pas s’arrêter au mot « jazz », qui reste très présent, en particulier à travers la programmation du Théâtre de la Manufacture et de la Salle Poirel (alors qu’il est de bon ton de pleurer sur un passé idéalisé et de déplorer la disparition du jazz) ; mais comprendre que cette manifestation cherche à attirer des publics diversifiés et, peut-être, se présenter pour eux comme l’occasion de belles découvertes. En 2014, comme en 2013 et en 2015, NJP suscite des enthousiasmes et des regrets, des sourires et des grimaces, mais joue pleinement son rôle. C’est un événement indispensable à l’automne de Nancy et ses environs, pour ne pas dire la Lorraine.

    Et puisqu’on évoque la Lorraine, voici une habile transition au moment d’entrer sous le Chapiteau pour la dernière soirée.


    Un groupe lorrain pour commencer, voilà finalement une bonne idée et c’est avec plaisir qu’on découvre un Mr Yaz en excellente forme. Un set ramassé (environ 45 minutes), une mise en place impeccable (le son est parfait), pour une musique mêlant funk, soul music et un rock très carré, le tout habilement saupoudré de quelques effets électroniques. Mais sans effets de manche inutiles, ce qui est à porter au crédit des cinq musiciens. La formation est bien emmenée par son chanteur Yacine El Fath, à l'évidence un adepte de Jamiroquai qui, on peut prendre les paris, a certainement dû être galvanisé par la prestation de James Copley la veille avec Electro Deluxe. Mr Yaz est une parfaite entrée en matière pour une soirée qui s’annonce assez longue ; surtout, la mise en avant de musiciens locaux devant un public nombreux (le Chapiteau est plein à craquer, même les escaliers des gradins sont occupés à 100%) est une pratique hautement recommandable, il faut remercier NJP de ne pas l’avoir oublié.

    Ce concert de Mr Yaz est, de plus, pour moi l’occasion de souligner la présence aux claviers de Stéphane Escoms, dont le récent Meeting Point avec son Trio+ est un disque à découvrir. Escoms, qui a travaillé avec Chucho Valdés et Mario Stantchev, y dévoile une personnalité attachante et voyageuse, amoureuse de la mélodie et des rencontres (c'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre ce +). Une autre facette – le versant jazz – d’un musicien qu’on a pu écouter au Chapiteau dans une expression plus binaire avec laquelle il semble très à son aise. Je lui adresse ici un amical salut et lui souhaite bonne route pour ses prochaines aventures !

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    Mr Yaz

    Yacine El Fath (chant), Laurent Pisula (guitare), Stéphane Escoms (claviers), Claire Chookie Jack (basse), Romain Di Loreto (batterie).
    Album associé : Dancing On The Moon (Mr Yaz - 2014)


    Preuve que le nombre ne fait parfois rien à l’affaire. Il est entré seul en scène, avec l’air de celui qui est content de retrouver de vieux amis auxquels il va raconter quelques histoires savoureuses. Des tranches de vie. Avec le sourire. Gilberto Gil, c’est un grand monsieur, un septuagénaire en état de plénitude dont le récent Gilbertos Samba va constituer une partie importante de son répertoire. Ce titre n’est pas vraiment un clin d’œil narcissique, parce qu’il évoque avant tout la musique de son ami Joao Gilberto, même si le prénom commun peut aussi apparaître comme un point de passage entre leurs deux univers. Gil ira de ses propres compositions, dont une en français, un brin désuète, appelée « Touche pas à mon pote », écrite dans les années 80 ; il se fraiera aussi un chemin du côté de la Jamaïque en allant chercher deux compositions de Bob Marley, dont « No Woman No Cry ». Ce qui frappe avant tout pendant les 75 minutes de sa prestation, c’est le sentiment que le temps s’est arrêté et qu’une autre communication est possible, presque d’humain à humain, malgré la foule. La voix de Gilberto Gil reste ferme malgré les années qui ont passé, parfois il se risque à quelques élans vers les aigus, la tête perdue dans des rêves de fraternité. Et puis, le plus fascinant peut-être, ce rythme implacable, ce jeu de guitare sobre mais animé d’une force retenue qui vient vous chatouiller au creux de l’estomac. Celui qui fut Ministre de la Culture du Brésil est un musicien avant tout, habité par son art. Le public, venu en grande partie pour lui, lui réservera un triomphe bien mérité et sera récompensé par un double rappel. Un grand monsieur vient de passer.

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    Gilberto Gil (chant, guitare).
    Disque associé : Gilbertos Samba (Sony - 2014)


    C’est après que les choses se sont un peu gâtées… On ne peut pas tout réussir tout le temps, on n’est jamais à l’abri d’une erreur de programmation. Et personne n’en voudra à NJP de s’être un peu pris les pieds dans le tapis du Chapiteau pour une fois… Ce soir de clôture n’était ni le lieu, ni le moment propice au concert du trio suédois Dirty Loops. Coincée entre deux têtes d’affiche dont les musiques disent la géographie du monde, leur prestation fait un peu l’effet d’une dose de crème Chantilly versée dans un grand cru de Bourgogne. Un mélange parfait pour provoquer une indigestion et, en l’occurrence, fortement brouiller l’écoute. Insupportables claviers exhumés des funestes années 80, un chanteur certes techniquement au point mais sans âme, des reprises de ce qu’on peut imaginer de plus kitsch dans la galaxie pop mercantile des années passées et actuelles. On nous laisse entendre qu’il faudrait aborder cette démarche artistique au second degré ; que Jonah Nilsson, Henrik Linder et Aron Mellergårdh sont d’excellents musiciens…Mouais… Ce qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, c’est que le brouet est de ceux qui vous forcent à quitter la salle un peu plus tôt que prévu. Ce que j’ai fait, je dois bien l’avouer. Peut-être n’ai-je rien compris ? Peut-être suis-je trop vieux ? Mais tout cela me paraît si conformiste, si inoffensif… si rien.


    Je n’aurai donc pas eu l’occasion de revoir Ibrahim Maalouf et ses musiciens interpréter leurs Illusions (ce qu’ils avaient déjà fait au même endroit et presque à la même date l’année dernière). Mais quelques témoins privilégiés m’ont fait comprendre qu’ils avaient passé un bon moment, à peine troublé par un volume sonore trop élevé semble-t-il (c’était aussi le cas en 2013). Et je conclus naturellement ces échos par un ultime portrait signé de mon camarade Jacky Joannès, que je tiens à remercier ici chaleureusement pour ses livraisons de photographies tout aussi quotidiennes que bienvenues. Nous vous invitons lui et moi à retrouver prochainement Nancy Jazz Pulsations 2014 à travers un photo-reportage complet qui sera publié dans notre cher www.citizenjazz.com !

    Rendez-vous en octobre 2015, pour la prochaine édition de Nancy Jazz Pulsations.

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  • #NJP2014, échos des pulsations / 5

    Je reviendrai sans tarder sur la soirée de clôture de l'édition 2014 de Nancy Jazz Pulsations, ce qui me permettra d'établir un bref bilan chiffré plutôt encourageant. Je dois aussi m'excuser auprès de Guillaume Perret pour n'avoir pu assister à l'Autre Canal au concert de son phénoménal Electric Epic en raison d'un vilain virus qui m'a cloué au lit jeudi, mais d'autres occasions se présenteront, ça ne fait aucun doute. En attendant, mon fidèle complice Jacky Joannès veillait au grain (quoi de plus normal pour un photographe ?) et n'as pas manqué de laisser traîner son objectif dans la salle rouge… Voici deux portraits (Perret partageant l'affiche avec Robert Glasper) qui, peut-être, me feront pardonner mon absence ! 

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    Guillaume Perret

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    Robert Glasper

    Mystère de la nature ? Effet secondaire de la venue d'Electro Deluxe au Chapiteau de la Pépinière vendredi soir ? Un combat nocturne et très exsudatoire m'a fait triompher du mal et, bien qu’épuisé comme après un marathon, un constat s'impose à moi : plus de fièvre, plus de douleurs, je suis fin prêt pour vibrer au spectacle que vont offrir pendant 75 minutes sept musiciens dont une longue soirée, la veille à l'Olympia avec le renfort de son décoiffant Big Band et des quatre DJ's de C2C, n'a pas réussi à épuiser les forces. 

    Mais avant d'évoquer le tsunami provoqué par le septette, je ne peux que partager mon plaisir d'avoir assisté au concert émouvant de la chanteuse Bettye LaVette, qui sait si bien glisser dans sa black music une bonne dose de rock britannique (ainsi son British Rock Songbook paru en 2010). Celle qui a publié en 2012 une autobiographie appelée A Woman Like Me (ce qu'elle n'a pas manqué de rappeler) se présente sur scène en toute simplicité, vêtue de noir. On compare souvent son timbre de voix à celui de Tina Turner : peut-être, mais un peu simpliste tout de même… Sa prestation, humble et imprégnée de soul, semble bien loin des excès de cette dernière (incluant quelques kitscheries). Bettye LaVette joue une carte plus intime et chante comme d'autres vous font des confidences. Les quatre musiciens qui l'entourent expriment une puissance contrôlée, le son - je le souligne - est d'excellente qualité. Le public adopte vite cette grande dame qui sera passée sur scène un peu à la façon d'un ange et en qui couve un feu très humain. Et je garde en tête son interprétation très émouvante de « Isn't It A Pity », magnifique chanson de George Harrison qu'on peut trouver sur l’album légendaire du guitariste All Things Must Pass (pour l’anecdote, il faut savoir que cette chanson faisait partie de celles que les Beatles avaient refusé d’inclure à leur répertoire...). Seul bémol : le public a un peu tardé à faire son entrée au Chapiteau, ce qui a posteriori ressemble à une erreur, d'autant que la vibration de Bettye LaVette constituait un excellent apéritif au grand show qui allait suivre… Nancy, as-tu de l'esprit ? Oui !

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    Bettye LaVette (chant), Alan Hill (claviers), Brett Lucas (guitare), James Simonson (basse), Darryl Pierce (batterie).
    Album associé : Thankful 'n Thoughtful (Anti, 2012)


    Un des grands moments de Nancy Jazz Pulsations 2014… Mais amusez-vous à interroger celles ou ceux qui voyaient sur scène Electro Deluxe pour la première fois : ils ne douteront pas une seule seconde du fait que James Copley, l’ami américain du groupe, son chanteur charismatique à l’élégance scénique qui ferait de lui un autre James, comme un James Bond de la soul music, est le leader du groupe qui vient de les faire chavirer. Ce en quoi ils auraient parfaitement tort : Electro Deluxe existe depuis treize ans et ses membres fondateurs (tous présents à NJP, bien sûr) ont pour nom Thomas Faure, Gaël Cadoux, Jérémie Coke et Arnaud Renaville. A l’origine orienté vers ce qu’on appelle communément l’électro-jazz, Electro Deluxe a imprimé à son répertoire un virage assez marqué le conduisant à une expression typique de la musique noire américaine des années 60, cette soul music qui n’en finit pas (et ne finira jamais) de vibrer en beaucoup de cœurs. On entend battre les cœurs des maîtres, Otis Redding, James Brown, Stevie Wonder et quelques autres... Pulsations...

    Parmi les coupables de cette inflexion, James Copley, bien sûr, rencontré un peu par hasard par nos quatre amis et qui eurent tôt fait de le convaincre de les rejoindre dans leur aventure musicale et de laisser tomber son boulot de l’époque (l’histoire veut qu’après l’avoir entendu chanter, son patron lui aurait vivement conseillé d’arrêter de vendre des T-Shirts pour se consacrer exclusivement à la musique). Copley fera son apparition sur Play, le troisième album publié en 2010 et occupera une place de plus en plus importante au fil des mois, prenant sa part dans le travail de composition et signant de nombreux textes. Un Live In Paris paru en 2012 et retraçant un mémorable concert à l’Alhambra quelques mois plus tôt en administre la preuve. Et de façon d’autant plus éclatante qu'Electro Deluxe se produisait ce soir-là pour la deuxième fois en version Big Band (après un premier essai très concluant au New Morning en juin 2011) : au total 18 musiciens sur scène et un feu d’artifice que les créateurs du groupe aiment reproduire autant que faire se peut.

    Mais on ne déplace pas une équipe à 18 aussi facilement qu’une équipe à 7 et c’est dans sa version « réduite », incluant le trompettiste Vincent Payen et le tromboniste Bertrand Luzignant, qu’Electro Deluxe va faire tourner les têtes au chapiteau. James Copley interdit la station assise, il peut compter sur un public rajeuni pour lui obéir et il accomplit l’exploit consistant à faire se lever les spectateurs ayant pris place dans les gradins. Pas une mince affaire... Le spectacle est sans pause – à peine un moment de calme avec « Home » dont les paroles et les évocations parlent beaucoup de son enfance et de son père qui l’emmenait chanter dans les églises quand il était gamin – et d’une efficacité redoutable ; parfois, Copley cède le devant de la scène pour laisser ses camarades exploser, ce qu’ils font avec une maîtrise remarquable. On pourrait être mal à l’aise parce qu’il s’agit d’un véritable show, mais les doutes sont immédiatement évacués : Electro Deluxe est une machine à groove, une impressionnante embarcation dont les capitaines maintiennent le cap avec l’assurance des plus grands. Presque tout le répertoire du dernier disque, Home, sera passé en revue, avant un final associant le très funky « Stayin’ Alive » des Bee Gees (je me permets de souligner le mot funk car on appose trop souvent et par erreur l'étiquette disco à cette période des trois frères Gibb) et « Let’s Go To Work », autre composition phare d’Electro Deluxe (chantée par James Copley et Gaël Faye sur l’album Play).

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    NJP est emporté par une fièvre on ne peut plus contagieuse, Electro Deluxe vient de lui asséner une sacrée décharge comme il a appris à le faire et en maîtrise les codes secrets. Un grand moment, sans aucun doute (qui sera d’ailleurs souligné par Patrick Kader, directeur du festival, lors de la conférence de presse du lendemain).

    Les responsables de NJP peuvent donc se le tenir pour dit : Electro Deluxe doit revenir très vite, et cette fois augmenté de son Big Band, dont les éclats ne sont plus un secret pour personne. Ils n'ont pas le choix et pourront mesurer la capacité de cette équipe hors normes à embraser encore plus - oui, c'est possible - l'espace historique qu'est, malgré sa récente mue, le Chapiteau de la Pépinière. Grand spectacle assuré. Banco ?

    James Copley (chant, claviers), Gaël Cadoux (claviers), Thomas Faure (saxophones), Jérémie Coke (basse), Arnaud Renaville (batterie), Vincent Payen (trompette), Bertrand Luzignant (trombone).
    Disque associé : Home Deluxe Edition (Stardown, 2013)


    On va penser que je ne suis pas un type sérieux mais... les personnes que j’ai croisées après le concert de Lee Fields & The Expressions m’ont toutes certifié qu’elles avaient passé un bon moment. Dont acte, je me fais un plaisir de rapporter leurs dires et d'ajouter un autre portrait signé Jacky.

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    Parce que vous l’avez compris, j’ai vite quitté la salle pour passer un bon moment avec quelques uns des musiciens d’Electro Deluxe tout près du stand merchandising. En particulier en échangeant une poignée d’anecdotes personnelles avec James Copley qui ne se contente pas d’être un showman d’exception mais se présente aussi comme un homme qui peut parler de son enfance et de ses parents avec attendrissement tout comme il vous racontera avec force détails ses choix vestimentaires, d’un chic si britannique qu’on en oublierait presque qu’il est américain ! Un sacré monsieur, que je salue ici bien bas.

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  • #NJP2014, échos des pulsations / 4

    Elle avance pieds nus, presque sur la pointe des pieds. Elina Duni est une chanteuse albanaise ayant émigré en Suisse à l’âge de dix ans, mais qui garde de son pays natal, tout près du cœur, bon nombre de chansons qu’elle va interpréter en compagnie de son trio, lui-même originaire de Suisse.

    « Au-delà de la montagne », telle est la traduction de Matanë Malit, disque dont Elina Duni va chanter une grande partie des compositions. La chanteuse, qui s’exprime dans un français que beaucoup de nos compatriotes pourraient lui envier, prend le temps d’expliquer au public ce que racontent les chansons. Il est question d’exil, d’hommes qui partent en traversant les montagnes, de femmes qui restent seules. Il est beaucoup question d’amour aussi, mais un amour sublimé, comme dans un conte. On voyage en Albanie bien sûr (au nord comme au sud) ainsi qu’au Kosovo.

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    Les trois musiciens aux côtés d’Elina Duni sont bien plus que des accompagnateurs : cette formation est un véritable quatuor, très équilibré, qui sait pratiquer la suspension des temps ou la répétition hypnotiques des notes. On se surprend parfois à réaliser que le piano de Collin Vallon est souvent un instrument rythmique tandis que Norbert Pfamatter dessine de nombreux motifs mélodiques avec sa batterie. A l’arrière de la scène, casquette vissée sur la tête, Patrice Moret intériorise beaucoup son jeu, comme s’il était lui-même un des protagonistes des histoires racontées. Ce trio, par instants, n’est pas sans faire penser, par sa façon de scander et de créer la tension, par l'utilisation fréquente des rods, à celui du regretté Esbjörn Svensson, mais dans une coloration plus feutrée.

    Elina Duni, très recueillie, vit ses chansons avec intensité, sa voix envoûte et conquiert très vite la salle qui est tombée sous le charme. Comme si chacun d’entre nous touchait du doigt une beauté éternelle, hors de temps et témoin de l’histoire tourmentée d’un peuple qui souffre aujourd'hui encore, au-delà du spectacle de paysages somptueux, au-delà de la montagne.

    Un concert moment de grâce, qu’il faut sans attendre prolonger en écoutant Matanë Malit, disque confident et tout aussi magnétique que cette heure enchantée. 

    Elina Duni 4tet

    Elina Duni (chant), Collin Vallon (piano), Patrice Moret (contrebasse), Norbert Pfamatter (batterie).
    Disque associé : Matanë Malit (ECM, 2012)


    Il ne s’en est pas caché : ce concert était pour le saxophoniste Pierrick Pédron le premier du répertoire Kubic’s Cure, du nom de son récent disque consacré à une relecture à sa façon du groupe The Cure, chantre de la Cold Wave emmené depuis la fin des années 70 par le lettré Robert Smith, l’homme au « noir à lèvres ». Pour corser l’affaire, son trio a dû faire appel à un remplaçant à la contrebasse, en l’absence de Thomas Bramerie, titulaire du poste. C’est donc le Suédois Viktor Nyberg qui était chargé de prendre sa place hier soir, un exercice dont il s’est sorti semble-t-il avec le plus grand naturel.

    Quand on s’y songe, il faut être culotté pour s’attaquer à une adaptation de ce rock aux mélodies minimalistes et à l’esthétique glacée ! « Pourquoi pas Motorhead, pendant que tu y es ? » lui a d’ailleurs fait remarquer Franck Agulhon, compagnon de route du saxophoniste depuis de nombreuses années. Pierrick Pédron prend des risques : d’abord de heurter une partie du public pas forcément disposée à admettre ce qui, pour certains, serait de l’ordre du blasphème. Comment, faire subir une telle Cure au jazz, non mais vous n’y pensez pas ? Si si, justement Pierrick Pédron y pense et plutôt deux fois qu’une. Ensuite dans la réalisation du concert : tout près de lui, un petit boîtier dont il se sert pour ajouter des effets à son saxophone alto. Il faut savoir se dédoubler, pratiquer le strabisme divergent, un exercice qui peut s'avérer délicat. Et puis le Breton chante et c’est nouveau (sur l’album, c’est Thomas de Pourquery qui était chargé de la mission à trois reprises). On me souffle d’ailleurs dans l’oreillette que Pierrick Pédron pourrait récidiver sur son prochain disque mais chut, je n’ai rien dit.

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    Les perplexes ont eu tort car le trio est d’une efficacité redoutable : Franck Agulhon est omniprésent et met beaucoup de couleurs dans son jeu, ce musicien-là est un partenaire précieux, doublé d’un homme aux qualités humaines peu courantes ; Viktor Nyberg, faussement impassible, construit à l’arrière une belle charpente, il est plus qu’un substitut. Quant à Pierrick Pédron, il ne demande qu’à s’envoler et souffler un vent à la fois puissant et d’une très grande clarté (le timbre de son alto est d’une précision démoniaque). Ses interventions énergiques ne perdent jamais de vue la trame mélodique des thèmes sur lesquels il improvise et c’est un plaisir de l’entendre glisser un peu de Thelonious Monk au milieu d’une composition de The Cure. Comme ça, mine de rien, histoire de nous rappeler s’il en était besoin que la précédente expérience du trio avait consisté à transfigurer le pianiste sur un album urgent et bluffant (Kubic’s Monk) enregistré en deux ou trois jours. Il faut aussi souligner son extraordinaire chorus sur « A Reflection » : parce qu’il s’agissait pour l’occasion de se substituer à la zorna (une sorte de hautbois oriental à anche double) de Ghamri Boubaker sur le disque. Un sacré défi, relevé haut les anches, tout en modulations et vibrations qui fleuraient bon le Maghreb. Encore un pari réussi. Le trio est revenu pour un rappel au milieu duquel Franck Agulhon aura la part belle : « Just Like Heaven », certains d’entre vous s’en souviennent-ils peut-être ? C’était l’indicatif de l’émission de télévision « Les enfants du rock » au siècle dernier. Un enfant du rock, ce qu’est aussi Pierrick Pédron et qu’il n’a pas manqué de rappeler. Et comme le saxophoniste, sans me prévenir, a tenu à me remercier publiquement d’avoir écrit le texte de présentation destiné à la pochette de Kubic’s Cure, je ne peux que lui rendre la pareille. Merci Pierrick, je ne sais pas si, comme tu l’as dit, je suis un « grand monsieur », mais je suis certain que travailler pour toi est un immense plaisir. Dont acte ! 

    Pierrick Pédron Trio

    Pierrick Pédron (saxophone alto, chant, effets), Viktor Nyberg (contrebasse), Franck Agulhon (batterie).
    Disque associé : Kubic’s Cure (Act Music, 2014)

  • # NJP2014, échos des pulsations / 3

    Voici venu le temps d’une première visite au Théâtre de la Manufacture pour une soirée qui promettait de faire le choix des chemins de traverse et des embardées plutôt que de célébrer un jazz à la papa. Objectif atteint, public satisfait. Que demander de plus ?

    Puisez quelques musiciens dans la marmite Emil 13, plus précisément la moitié d’un Bernica Octet et vous obtenez Ark 4, soit Jean Lucas (trombone), Pierre Boespflug (claviers), François Guell (saxophone alto) et Christian Mariotto (batterie). Et comme si cette quarte d’électrons libres – passés maîtres dans l’art de la construction collective de formes où l’improvisation est le ciment de compositions jouées dans un ordre non défini à l’avance – ne suffisait pas, n’hésitez pas à épicer le tout en saupoudrant  deux autres musiciens épicés et néanmoins estampillés Orchestre National de Jazz. Olivier Benoit d’abord, son actuel directeur, un guitariste incisif qui nous a impressionnés voici quelques mois avec la publication d’un fascinant Europa Paris, premier volet des pérégrinations de l’ONJ en direction des grandes capitales d’Europe. Hugues Mayot enfin, saxophoniste de cet orchestre décidément pas comme les autres et instrumentiste rompu à l’exercice périlleux des musiques improvisées. Tous les ingrédients étant réunis, vous voici en route pour une aventure aux parcours rendus surréalistes, tant par la présence de textes énigmatiques où il sera question, par exemple, d’observer le paysage depuis sa douche, que par la volonté de faire feu de tout instrument, quitte à lui faire subir quelques outrages pour lui en extirper d’autres sonorités (trombone démonté, saxophone sans bec, …). Mais surtout, ce qui émerge au fil des minutes d’un tel concert fouineur, c’est la faculté des musiciens de se retrouver, pas à pas, après s’être cherchés par tous les moyens nés de leur imagination à saveur bruitiste, avant de s’unir autour d’un thème fédérateur interprété en puissance. Là est la force des musiciens d’Ark 4 et leurs invités d’un soir : d’abord susciter la curiosité par l’exposition de formes sonores qui semblent disparates (et non dénuées d’humour), puis retenir l’attention du public par leur assemblage final. Comme un collage qui, dans sa version ultime, finit par dessiner un tableau. Un groupe tout autant musical que pictural, quand on y songe.

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    Olivier Benoit

    Ark 4 et invités

    Christian Mariotto (batterie), Jean Lucas (trombone, voix), François Guell (saxophone alto, voix), Pierre Boesgflug (claviers), Olivier Benoit (guitare), Hugues Mayot (saxophone ténor).


    MONUMENTAL ! Il faut quelques secondes seulement pour savoir que le Supersonic de Thomas de Pourquery va offrir l’un des grands moments de Nancy Jazz Pulsations 2014. Il y a quelque chose qui ressemble à un commando dans cette formation tonitruante qui a su, avec son récent Plays Sun Ra, rendre plausible l’idée qu’on pouvait pénétrer aisément l’univers pourtant cosmicomplexe de l’Arkestra. J’avoue très honnêtement faire partie de ceux qui n’ont, pour l’instant, pas réussi à trouver la porte d’entrée de Sun Ra – plus de 200 albums au compteur de ce pianiste compositeur un peu déjanté, imaginez le défi – qui aurait fêté des 100 ans cette année et fut, souvenons-nous en, l’une des têtes d’affiche de la première édition de NJP en 1973. Mais Thomas de Pourquery est un passeur, un showman rubicond et facétieux de la transmission de son patrimoine ésotérique ; un héritage foisonnant qu’il transforme pour mieux le restituer sous la forme de standards chantés et chahutés, dans une grande fête aux allures de fantaisie débridée. Il faut dire que l’équipe dont il est entouré a de quoi soulever des montagnes : qu’il s’agisse des soufflants que sont Laurent Bardainne (saxophone) ou Fabrice Martinez (trompette), le premier plus convulsif, le second plus volontiers porté sur une approche mélodique. Et que dire d’Edward Perraud, dont on savait que la gestuelle était à elle-seule un spectacle à part entière ? Ce batteur fascinant ne connaît jamais l’immobilité (après le concert, Thomas de Pourquery m’a laissé entendre que si, peut-être, pendant son sommeil… Et encore, pas sûr !) et fait le show assis, debout, en lançant si nécessaire baquettes et mini cymbales. De leur côté, les claviers d’Arnaud Roulin lancent des appels cosmiques pendant que la basse électrique (utilisée parfois avec un archet, ce qui est peu courant) de Fred Galiay gronde jusqu’au rugissement final d’une « Watusi Egyptian March » pendant laquelle le public sera sommé de chanter. Le leader altiste mène sa troupe avec enthousiasme, pratique avec eux l’accolade camarade et passe, sourire aux lèvres, du saxophone au chant. Le temps file à la vitesse de l’éclair dans cet espace supersonique. Parfois, une pause s’impose et ce sera « Love In Outer Space », une sorte de chanson d’amour à dimension spatiale, chantée à trois voix. Le groupe reviendra pour un rappel tout aussi vocal et un « Enlightenment » final, jusqu’à l’extinction progressive de son chant heureux. Le Théâtre de la Manufacture, quasi plein, a fait un drôle de voyage. Thomas de Pourquery et ses acolytes ont signé là un concert explosif et vitaminé : qu’ils en soient mille fois remerciés.

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    Thomas de Pourquery

    Thomas de Pourquery & Supersonic

    Arnaud Roulin (claviers, piano, chant), Edward Perraud (batterie, chant), Fred Galiay (basse, chant), Fabrice Martinez (trompette, bugle, chant), Laurent Bardainne (saxophone ténor, chant), Thomas de Pourquery (saxophone alto, chant).

    Disque associé : Plays Sun Ra (Quark, 2013)

  • #NJP2014, échos des pulsations / 2

    Le Chapiteau de la Pépinière a fait peau neuve : une nouvelle bâche, plus de places debout aussi (au point que les premiers rangs des gradins finissent par être loin de la scène). Ce premier samedi du festival est l’occasion d’une immersion dans l’univers du blues, qui constitue depuis de longues années une tradition du festival. En 2014, c’est une soirée « 3 au lieu de 4 », en raison de l’incident cardiaque dont a été victime Darick Campbell pendant le vol qui le conduisait en France. Pas de Cambell Brothers donc... et forcément, un timing trop serré pour trouver des remplaçants au groupe.

    Le public est venu très nombreux, certain de trouver ce qu’il était venu chercher. Il n’est pas question de surprise, mais plutôt d’une célébration à caractère patrimonial ; le blues est entré dans l’histoire, il mérite bien son temps fort et NJP ne l’oublie pas.

    Lurrie Bell est un chantre du Chicago Blues, qui est né de l’exode rural lors de la Grande Dépression vers les villes industrialisées au premier rang desquelles Chicago. D’un point de vue formel, il s’est traduit par l’introduction d’instruments comme la guitare électrique, la basse et la batterie au couple traditionnel constitué par la guitare acoustique et l’harmonica. Chez Lurrie Bell, on est dans le plus grand classicisme à cet égard : l’heure de concert est marquée par la forte présence de l’harmoniciste Russell Green, qui vient parfois voler la vedette au leader qui, de son côté, vit son histoire avec une intensité communicative. Le son saturé de l’harmonica, associé à un volume sonore trop élevé et au jeu étonnant d’un batteur plutôt à côté de la plaque, ont un peu gâché la fête proposée par un musicien sincère et généreux. Ces réserves mises à part, Lurrie Bell a tout de même largement mérité sa place en cette soirée festive.

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    Lurrie Bell

    Lurrie Bell (guitare, chant), Russell Green (harmonica), Melvin Smith (basse), Willie Hayes (batterie).
    Disque associé : Blues In My Soul (Delmark, 2013)

    Avec sous le bras le répertoire de son bel album My World Is Gone, Otis Taylor avait de quoi magnétiser le public. Et comme prévu, le colosse du Colorado, personnalité très singulière (cet adepte du banjo a été antiquaire, enseignant, entraîneur cycliste...), dénonciateur des injustices sociales et raciales, musicien charismatique défenseur du peuple amérindien et de la tribu Nakota, a rencontré un franc succès suivi d’un rappel mais... comment dire ? Il faut avoir l’honnêteté d’analyser le concert avec un minimum de lucidité : on ne s’y retrouvait pas dans cette musique, si belle dans sa conception originelle, mais ici totalement défigurée par un groupe où dominaient deux insupportables violonistes (capables du massacre en règle de « Amazing Grace »), dont les instruments électrifiés étaient un supplice pour les oreilles, et ce malgré les contorsions à visée sensuelle de l’une d’entre eux, Anne Harris. Tout comme le furent les solos désincarnés et d’une absolue vacuité de chacun des protagonistes d’un soir. Absence de cerise sur ce gâteau un peu indigeste, Otis Taylor est venu sans son banjo, pourtant son compagnon fétiche, le multi-instrumentiste se cantonnant à une guitare électrique pas toujours bienvenue. Dommage ! Mais on ne peut être au meilleur chaque soir et je m’autorise un conseil : écoutez My World Is Gone, c’est un très beau disque.

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    Otis Taylor

    Otis Taylor (guitare, chant), Taylor Scott (guitare), Todd Edmunds (basse), Josh Kelly (batterie), Anne Harris & xxx (violon électrique).
    Disque associé : My World Is Gone (Telarc, 2013)

    Je vous épargne la titraille éculée façon « Son nom est Personne », « Du blues comme Personne » ou « Tout le monde aime Personne ». Parce que Paul Personne, adepte d’un blues rock efficace depuis une quarantaine d’années, musicien chanteur fidèle à ses convictions, celles des origines de sa carrière (dont le déclencheur serait, selon ses dires, l’album de John Mayall Bluesbreakers with Eric Clapton – on peut comprendre la force d’une telle stimulation, tant ce disque fait partie du patrimoine du blues anglo-saxon) mérite un peu mieux que ces facilités convenues. L’Argenteuillais porte bien ses 65 printemps et c’est entouré d’une jeune garde normande (dont les deux frères Anthony et Nicolas Bellanger à la guitare et à la basse) qu’il est venu jouer sa musique tirée au cordeau, émaillée de joutes de guitares à l’unisson qui doivent beaucoup à des groupes tels que Wishbone Ash ou The Allman Brothers Band (j’ai même cru entendre le solo de Dicky Betts sur « Jessica » de l’album Brothers & Sisters... mais ce n’était qu’une impression fugitive). Un set sans faute, dans l’esprit de son récent et réussi Puzzle 14, qui a démontré s’il en était besoin qu’on peut associer avec beaucoup de naturel la langue française avec une musique d’essence américaine. Surtout, jamais Paul Personne ne tombe dans le piège de la mièvrerie si caractéristique de tant de chanteurs de variétés : il est avant tout un homme du blues et du rock qui défend sans faillir sa cause de toujours. Avant le début du concert, on savait ce qu’allait jouer Paul Personne : il a répondu exactement aux attentes du public avec un grand professionnalisme, à défaut d’une originalité qu’il n’a jamais revendiquée. Efficace, honnête et enthousiaste : c’est un bilan dont beaucoup aimeraient se targuer. Et les deux rappels étaient bien mérités.

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    Paul Personne

    Paul Personne (guitare, chant), Anthony Bellanger (guitare), Nicolas Bellanger (basse), Brice Allanic (batterie).
    Disque associé : Puzzle 14 (Verycords, 2014)

    Post-scriptum

    Une double question de ma part :

    - quelle est la justification d’un volume sonore aussi élevé tout au long de la soirée ? Si la qualité de l’acoustique du chapiteau est à l’évidence meilleure qu’auparavant, ce qu’il faut souligner, l’excès de décibels, du début à la fin de la soirée, finit par gâcher une partie de la fête...

    - certains spectateurs semblent avoir oublié qu’il est interdit de fumer dans les lieux publics, comme l’est le Chapiteau de la Pépinière. Les responsables de la sécurité auraient-ils oublié leur machine à claques ?

  • Célébrons la fache cachée de la lune

    nguyen_le_dsotm.jpgAu mois de juillet dernier, le guitariste Nguyên Lê m’a téléphoné pour savoir si je voulais bien lui rendre un petit service : dans un laps de temps très court (environ 36 heures), écrire le texte de présentation de son prochain CD, ainsi qu’une version un peu plus longue qui serait utilisée pour accompagner les envois à la presse. Un beau cadeau et pour moi un petit défi que j’ai accepté avec plaisir. Le disque, enregistré avec le NDR Big Band et une poignée d’artistes de renom dont la magnifique Youn Sun Nah, est une « relecture » de Dark Side Of The Moon, l’album culte enregistré par Pink Floyd en 1973 qui constitue par ailleurs l’une des plus grosses ventes de toute l’histoire du rock. Cet hommage – mais qui est bien plus que cela en réalité parce qu’il dépasse de très loin par ses arrangements (dont certains sont à mettre au crédit du grand Michael Gibbs) et ses petits ajouts très personnels, le travail qu’aurait mené un cover band sans imagination – sera très prochainement disponible : je vous propose de lire ici le texte français écrit pour la pochette de l'album et vous invite à vous reporter, si vous le souhaitez, à la traduction anglaise signée Martin Davis. L’ensemble des écrits consacrés à Celebrating The Dark Side Of The Moon sont consultables sur ma page A côtés.

    Nguyên Lê with Michael Gibbs & NDR Big Band
    Celebrating The Dark Side Of The Moon

    Mars 1973... Un quatuor connu pour ses inclinations psychédéliques livre au monde son album forteresse : Dark Side Of The Moon, un objet musical faisant appel aux technologies les plus avancées de l’époque, un disque stratosphérique, miroir des errances humaines et de notre société. Pink Floyd s’apprête à écrire une page essentielle de l’histoire du rock et va connaître un succès planétaire ; l’album reste, aujourd’hui encore, l’une des plus grosses ventes de tous les temps.

    L’idée de sa relecture fut imaginée par Siegfried Loch, directeur d’ACT, avec Stefan Gerdes et Axel Dürr, producteurs de la NDR, dont les amoureux du jazz connaissent bien le Big Band. Le pari était audacieux, mais un tel projet, impliquant un orchestre capable d’allier tradition et modernité, présentait d’autant plus de chances de réussite qu’il allait recevoir le concours de Michael Gibbs, compositeur, arrangeur et ami de longue date. Surtout, l’association de leurs forces à celles de Nguyên Lê, guitariste du dépassement des frontières stylistiques, devait sans nul doute aboutir au meilleur.

    Nguyên Lê : un magicien dont l’art se révèle à travers ses propres compositions, mais aussi en célébrations renouvelées d’un passé musical qu’il sculpte telle une matière première. On se rappelle Purple, hommage à Jimi Hendrix ou, plus récemment, Songs Of Freedom et ses évocations des grandes heures du rock. Et si ce guitariste flamboyant sait faire montre de déférence envers le matériau source, il exprime d’abord la diversité d’un imaginaire engendré par son histoire, celle d’un autodidacte virtuose et nomade. Sa musique se nourrit d’influences qui embrassent tous les continents et la peignent aux couleurs du jazz, du rock ou d’une fusion world imprégnée de lumière.

    Avec Celebrating The Dark Side Of The Moon, c’est bien l’imagination de Nguyên Lê qui est au pouvoir ; elle nous guide sur d’autres chemins, plus personnels et habités d’une fraternité musicale dont il ne s’est jamais déparé depuis de longues années. Comme si l’œcuménisme du chant faisait partie de son ADN créatif. Pas question en effet pour le guitariste de s’enfermer, par excès de respect, dans le cadre contraint du répertoire de Pink Floyd : avec ses allures de joyau, on se doute bien que l’entreprise consistant en une relecture par trop mécanique du disque aurait présenté un grand risque, celui de la fadeur et du manque d’âme. Mais Nguyên Lê est de ceux qui savent viser juste, au plus près du cœur, et ont appris à laisser parler un moi profond comme passeport de leurs émotions. Durant une heure, il donne de nouvelles formes aux dix compositions dans une complicité duale avec le NDR Big Band, formation aguerrie dont les textures chaudes, rehaussées par les orchestrations de Michael Gibbs, parviennent à détourner avec beaucoup d’élégance le propos initial sans pour autant le trahir. Ensemble, ils dépouillent la musique première de ses habits progressifs pour la présenter dans un autre écrin, celui d’un idiome dont la sensibilité dominante, celle du jazz, s’épanouit dans le confort des motifs orchestraux du NR Big Band. Il n’est même pas certain que les questionnements ontologiques qui hantaient les textes de Roger Waters et de ses camarades (l’argent, la mort, la vieillesse, la folie) comptent pour beaucoup dans cette célébration contemporaine. L’essentiel semble être ailleurs, dans une traduction plus intemporelle de leur esthétique et une libération des énergies. Les arrangements, signés par Gibbs lui-même pour trois d’entre eux et par le guitariste pour les autres, offrent une place de choix aux inspirations des solistes et laissent émerger d’autres compositions, qui prennent la forme d’extensions naturelles du corpus originel. Nguyên Lê, armé de son jeu rageur aux accents orientaux qu’on aime tant, peut aussi s’appuyer en toute confiance sur les invités que sont Jürgen Attig, Gary Husband ou Youn Sun Nah, magnétique dépositaire de la grâce et pourvoyeuse de sortilèges.

    Celebrating The Dark Side Of The Moon n’est pas un simple hommage à un disque entré dans l’histoire : il est l’expression fervente de la recréation – exempte du moindre effet d’imitation – d’une partition présente en filigrane. C’est un palimpseste aux teintes chaudes, dont l’écriture est forgée dans le respect de la matrice et l’expression multiple de l’identité. Comme un principe de vie.