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Comme une rivière sans fin…

olivier boge, expanded spacesL’histoire remonte à la fin de l’année dernière. Je crois même me rappeler – vous me pardonnerez ce détail un peu trivial – que je patientais dans la rue, devant ma boulangerie. Quand mon téléphone a sonné, interrompant ainsi l’écoute d’un disque – mais cette fois, je suis bien incapable d’en dire plus à son sujet – alors sur le point de faire l’objet d’une chronique, je n’ai pas identifié illico la personne qui m’appelait. Trop de bruit dehors, certainement. Avant de comprendre qu’Olivier Bogé, musicien dont j’apprécie le travail depuis un bout de temps (j’ai les preuves écrites : ici et ), était à l’autre bout de la ligne et souhaitait que j’écrive un texte destiné à son prochain disque, dont il venait de terminer l’enregistrement.

Je n’ai pas réfléchi. J’ai dit oui. Avant même d’en avoir entendu la moindre note. Question de confiance, comme vous l’aurez compris. Quelque temps plus tard, j’ai reçu cette musique par voie électronique : elle était la confirmation de ce que j’avais pressenti. J’avais entre les oreilles un disque d’une indéniable beauté formelle et surtout, fruit du travail entrepris par un musicien multi-instrumentiste (saxophone, guitare, piano, voix) qui se présente comme un humain aux prises avec notre monde, dans toute sa complexité, et en ce qu’il peut signifier pour un artiste : une source d’inspiration où la réflexion sur soi le dispute à l’onirisme de la contemplation. D’abord appelé Expanded Spaces, l’album a finalement vu le jour sous le titre Expanded Places. Où l’on voit qu’Olivier Bogé est aussi homme de lettres…

Cet exercice d’écriture souvent contraint par un nombre de signes à ne pas dépasser (ponctuation et espaces comprises) n’est pas des plus simples et comme disait Boileau : « Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage / Polissez-le sans cesse et le repolissez / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez ». Il est très difficile de déterminer le moment précis où le texte en arrivera à sa version définitive (ou jugée comme telle). Fort heureusement, mes échanges téléphoniques avec Olivier m’ont permis de parvenir à un ajustement assurant un équilibre entre sa demande initiale, le nombre de caractères et ma propre perception d’un disque. Il fallait que je traduise, en faisant fi de toute approche descriptive titre par titre, ce qu’Expanded Places disait d’Olivier Bogé et comment son approche de la musique pouvait, par son fort pouvoir empathique, séduire le plus grand nombre.

C’est à l’instant où l’on met un point final au texte qu’on commence à avoir peur. Peur d’être à côté de la plaque. Peur d’être lu par un plus grand nombre de personnes que ce qui constitue le cercle restreint et bienveillant des fidèles de votre blog. Parce que ce travail est aussi une exposition de soi-même, sans toutefois la moindre tentation narcissique, puisqu’il s’agit d’essayer de se glisser, sans se cacher pour autant, dans la peau du musicien pour dire les choses comme s’il en était l’auteur. Presque penser à sa place… Il ne faut pas trahir ses intentions, tout en restant fidèle à sa propre perception. Peur d’être inconsistant ou banal. Peur d’une imposture. Le trac, quoi ! Envie de se cacher et de ne plus rien savoir…

Ce texte figure donc sur le livret d’Expanded Places paru au début du mois d’octobre sur le label Naïve et vous en trouverez la reproduction ICI. Merci à Olivier pour sa confiance.

Faut-il ici en dire plus ? J’espère que ces quelques lignes se suffisent à elles-mêmes… Néanmoins, je ne peux que souligner la persistance du plaisir que procure ce disque au fil des écoutes. Olivier Bogé (qui est d’abord pianiste de formation) compose essentiellement à la guitare et au piano, même s’il est considéré en règle générale comme un saxophoniste. Chacune des neuf compositions est un petit monde en elle-même et stimule l’imagination (aussi bien auditive que visuelle) jusqu’à l’emporter vers de somptueux paysages. On voit des couleurs, on entend des rêves, on se prête à imaginer qu’un enchantement est possible. On entend peu de solos dans ce disque, l’ensemble ayant fait l’objet d’un long travail d’écriture et, à cet égard, Expanded Places, encore plus que ses prédécesseurs, s’écarte assez fortement du cadre de ce qu’on appelle le jazz. A mon sens, ce sont plutôt des chansons ou, mieux encore, des chants sans paroles, portés à l’incandescence par une interprétation solidaire. Celle-ci englobe toutes les voix d’Olivier Bogé auxquelles il faut ajouter celle de Nicolas Moreaux (contrebasse), Karl Jannuska (batterie), ses fidèles amis. Sans oublier les enluminures de Guillaume Bégni (cor) et Manon Ponsot (violoncelle), et le travail entrepris par Tony Paeleman sur le son. Et puisqu’on parle d’amitié, il est impossible de ne pas citer celle qui lie Olivier Bogé à Tigran Hamasyan et qui inspire un splendide « Apedjan » en clôture de l’album.

Je pourrais citer ici les influences qui nourrissent le travail d’Olivier Bogé et qui vont bien au-delà des musiques qui sont sa matière première (classique, jazz, rock, folk, …). Mais il faudrait beaucoup de temps pour ne rien oublier. Avec lui, vous pourrez parler littérature (certains titres sont d’inspiration littéraire), poésie et cinéma. Il est intarissable et jamais rassasié. C’est tout cet appétit de vie, sociale comme intérieure, qui transpire de chaque note jouée dans Expanded Places. Comme une rivière sans fin…

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