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Avec le cœur

henri roger, jean-baptiste boussougou, Dire qu’Henri Roger est prolifique relève de l’euphémisme. Sa discographie s’enrichit à une vitesse étonnante et les références du label Facing You / IMR se multiplient comme d’autres, en des temps plus reculés, multipliaient les petits pains. Comptez une dizaine d’albums en un peu plus de trois ans et vous prendrez la mesure de la créativité d’un multi instrumentiste (pianiste et guitariste au premier chef) qui paraît ressentir la nécessité de fixer ses belles rencontres musicales. Si vous êtes un lecteur, même occasionnel, de mes Musiques Buissonnières, vous n’ignorez pas que j’accorde la plus grande attention à son travail. Je vous ferai grâce d’une biographie qu’il vous sera toujours possible de découvrir en faisant un petit tour sur son site internet et résumerai le personnage en le qualifiant d’activiste des musiques improvisées.

Depuis quelque temps, Henri Roger s’adonne à l’exercice du duo selon un rythme qui connaît une accélération notable au cours de la période récente : avec Bruno Tocanne (Remedios la Belle), Noël Akchoté (Siderrances, Speed), Augustin Brousseloux (Shlouwarpch !), Jean-Marc Foussat (Géographie des Transitoires). Rien que des personnalités singulières pour une série d’explorations où l’inattendu le dispute à l’écoute attentive du comparse. Des voyages musicaux pas forcément de tout repos, mais à chaque fois un rendez-vous honoré avec tous les amoureux de la découverte.

Avec Mourim, on retrouve une fois encore Henri Roger en duo, comme partenaire du contrebassiste (mais pas seulement) Jean-Baptiste Boussougou. Leur déclaration d’intention est d’une grande simplicité : une invitation faite par ce dernier au pianiste « à le rejoindre et à improviser à partir de quelques thèmes et sonorités créés avec un oud, un ngomi, un ney, une senza, une boîte à tonnerre, une contrebasse (dont toutes les ressources, mélodiques et percussives, sont sollicitées) et une voix ». L’énoncé des instruments laisse rêveur et augurer d’une multiplication des couleurs et des parfums lointains, en provenance de la mémoire de deux hommes épris de liberté.

Improviser, vraiment ? On peut en effet se poser la question tant cette rencontre musicale (et bien plus que cela, car on ressent à l’écoute de Mourim l’intensité d’une profonde vibration, celle d’une aventure appelée amitié) paraît fusionnelle, comme si Jean-Baptiste Boussougou et Henri Roger avait reçu cette musique en levant les yeux vers le ciel, découvrant ainsi une partition céleste et lumineuse qu’il ne leur restait plus qu’à déchiffrer ensemble. J’allais dire « main dans la main », mais il faudrait plutôt écrire « dans un émouvant cœur à cœur ». Que les amis du pianiste cités un peu plus haut me pardonnent cette remarque, mais avec ce disque d’une limpidité confondante, dont il émane un sentiment de paix, on se dit que cette nouvelle association tutoie les anges et la beauté, comme rarement Henri Roger a pu y parvenir au cours des années passées. Il s’est vraiment passé quelque chose les 15 et 16 juillet 2015, lors de la naissance de cet enregistrement au Studio 26 d’Antibes.

Il est dit qu’en Punu, le langage oral du Gabon dont Jean-Baptiste Boussougou est originaire, le mot « mourime » signifie « avec cœur ». Il ne fait aucun doute que son battement est entré en résonnance directe avec celui d’Henri Roger, lui-même natif d’Egypte. On en vient aussi à penser qu’en ces jours ensanglantés, Mourim a des allures de chant d’espoir, dans chacune de ses notes mais aussi pendant les silences que les deux musiciens savent ménager, au plus profond de leur dialogue, et qui sont le témoignage le plus abouti du respect de l’un envers l’autre. Un espoir qui est aussi, comme beaucoup d’autres aujourd'hui, à comprendre comme un acte de résistance.

Il faut, pour conclure, souligner la qualité du travail fourni par les trois orfèvres qui se sont penchés sur la restitution sonore de cette si belle rencontre. C'est l'occasion de les citer : Fred Bétin (prise de son), Maïkôl Seminatore (mixage) et Marwan Danoun (mastering)... et de les féliciter !

Je viens d’essayer de vous parler d’un disque magnifique. C’est peut-être une erreur de ma part car il n’est jamais aisé d’évoquer l’indicible. Or Mourim fait à l’évidence entendre, avec ses manières feutrées et elliptiques, par sa grande traversée de tous les états de l’âme humaine, une musique de l’indicible. Il porte l’Afrique en lui, certes, mais au-delà de ses sources, il tisse une toile généreuse à même d’unir les femmes et les hommes de bonne volonté. Pour cette seule raison, il faut l’écouter, encore et encore.

Commentaires

  • merci !

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