En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Voici un autre petit souvenir visuel de mon récent voyage à Rome. Nous sommes ici dans la Curie - enfin, ce qu'il en reste - au beau milieu du Forum antique. Pour mémoire et sans vous assommer d'un cours d'histoire, la Curie était le bâtiment dans lequel se réunissait le Sénat romain. Et l'on voit ici sur la photographie l'empereur Vespasien qui, selon notre guide du moment, arbore, je la cite « un sourire en coin ». Ce cher Vespasien, à qui l'on attribue l'expression : « L'argent n'a pas d'odeur », au prétexte qu'il avait inventé une taxe sur la collecte d'urine parce que celle-ci constituait à l'époque un excellent fixateur pour les peintures.
Qu'on me permette alors d'élever une taquine protestation : selon moi, c'est plutôt d'un sourire en petit coin que Vespasien nous gratifie ici...
Chaque année, il semble qu'une fois l'automne venu, la belle ville de Rome compte de nouveaux et très nombreux habitants. On dit en effet qu'à la fin du mois de novembre, les pigeons - je ne parle pas ici des touristes qui s'agglutinent ici et là pour acheter des souvenirs made in China d'un goût très douteux comme ils le feraient dans n'importe quelle autre capitale - s'installent un peu partout et décorent les rues et les voitures de leurs fientes gluantes et acides. Un vrai fléau... Mais un peu plus tôt - c'était le cas la semaine dernière lorsque je me suis rendu dans cette cité tellement chargée d'histoire - d'autres oiseaux viennent planer par dizaines de milliers à la cime des arbres pour y trouver leur nourriture. Les étourneaux assiègent Rome et décrivent dans son ciel encore bleu d'incroyables figures géométriques mouvantes. Un incessant ballet aérien qui nous démontre que nous sommes bien à la découverte de la ville étournelle...
Attention aux conclusions hâtives ! On pourrait, à la vision d'une batterie occupant la place centrale de la scène et en observant la gestuelle habitée de Daniel Denis, penser qu'avec Univers Zéro on a affaire à une musique engendrée par la sphère Zeuhl. Si ce batteur a croisé un beau jour, voici longtemps maintenant, le chemin de Christian Vander au sein de Magma, et s'il reconnaît lui-même, dans un exercice d'humilité admirable, avoir beaucoup appris de ce dernier, la comparaison doit s'arrêter là. Daniel Denis et ses compagnons de Belgique méritent beaucoup mieux qu'une affiliation qui n'en feraient que des sous-produits d'un courant musical qui, en réalité, n'existe pas. Leur monde est tout autre et leur esthétique très divergente : ici, point d'imprécations ni d'appels furieux à la puissance d'un être supérieur aux contours parfois troubles. Pas de grandes déclarations fracassantes assénant la supériorité d'une musique sur toutes les autres. Pas de quête d'une fantasmatique vérité. Non, rien de tout cela. Avec Univers Zéro, nous sommes conviés à un voyage vers des paysages qui évoquent plutôt les tableaux de Brueghel l'ancien et ses personnages parfaitement mis en scène (Quand on demande à Daniel Denis si le monde qui nous entoure l'influence en tant que compositeur, le premier mot qui vient à la bouche de Daniel Denis est... la campagne !). La musique tournoie, danse, elle est dense ! Son climat assez unique, né de l'association d'instruments en provenance du rock avec d'autres, moins habituels tels que le basson ou le hautbois, la distingue nettement de toutes les autres. Elle est aussi sous l'influence des folklores de l'est de l'Europe et s'avère intemporelle, détachée des modes, depuis 35 ans. Car Daniel Denis se bat avec une énergie remarquable depuis 1974, date de la création d'un groupe qui se maintient en vie par delà les années. En aparté, Daniel Denis confie qu'il ne se sent pas le droit de donner des cours parce qu'il est un autodidacte tout en s'émerveillant d'avoir à orchestrer sa musique pour un orchestre symphonique lituanien. Une démonstration de fraîcheur qui force la sympathie pour un homme d'une exemplaire simplicité (il en va d'ailleurs de même pour tous les membres du groupe).
Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que le concert donné par Univers Zéro au Théâtre de la Manufacture constitue l'un des temps forts du Festival Nancy Jazz Pulsations ; il est l'occasion d'apprécier le talent de la jeune garde du groupe, rejointe depuis peu par l'ancien Michel Berckmans (hautbois et basson) et nous offre une élégante promenade qui va puiser dans d'anciennes pièces comme « Présage », « Toujours plus à l'est » ou « Dense », mais aussi dans de plus récentes, voire inédites telle que « Straight Edge », qu'on pourra découvrir sur Clivages, le prochain disque du groupe. Qui sera sans doute, comme ses prédécesseurs, une belle réussite et la marque d'une musique qui reste hors du temps.
En écoute, un extrait de "Présage", lors du concert d'Univers Zéro au Théâtre de la Manufacture de Nancy, le mardi 13 octobre 2009. Le son est probablement un peu assourdi en raison de l'acoustique de la salle, pas forcément la meilleure pour ce genre de musique...
Daniel Denis : batterie, Michel Berckmans : basson, hautbois, Pierre Chevalier : claviers, Dimitri Evers : basse, Martin Lauwers : violon, Kurt Budé : clarinette.
Nippon... ni mauvais, cet instantané a le mérite de s'imposer à vous au moment où vous flânez dans les allées du Jardin du Luxembourg baignées d'un soleil estival. Et pourtant, nous sommes à la fin du mois de septembre. Ici, la tradition colorée des costumes vient se frotter les ailes à un décor naturel qui semble presque issu d'un jardin japonais. Bois et feuillages... On devine derrière les grilles une vie urbaine plus trépidante, mais les personnages de ce tableau vivant lui opposent une indifférence bienvenue. A demi-caché derrière un arbre, j'empoigne mon Lumix et, sans plus réfléchir, j'appuie sur le déclencheur.
J'ai cru comprendre, en lisant des commentaires ici ou là, que certains d'entre mes lecteurs regrettaient parfois la version « light » de mon blog, quotidienne et généraliste. Je me suis déjà expliqué sur les raisons de cette évolution, qui n'est pas définitive mais sera la marque de l'année à venir. On doit parfois faire des choix, et malheureusement au détriment de ceux qui comptent parmi les plus fidèles supporteurs.
Cela étant dit, je veux bien faire une légère entorse à la direction générale de mes travaux en écriture en vous proposant une balade en trois humeurs. Ce sera là un petit signe de remerciement et d'espoir pour ceux et celles d'entre vous qui se morfondent à l'idée de ne pas s'injecter leur dose journalière de lecture.
Humeur 1 : bonne
Vous savez quoi ? Pour la première fois depuis deux ans, j'ai rendu une petite visite à mon cher Docteur D., principal héros de mes stimulochroniques qui feront un jour l'objet d'un tiré à part, tant elles sont constitutives de cet espace de gribouillage. L'objet de notre rencontre était, on s'en doute, un énième contrôle de mon cher Medtronic, ce boîtier mystérieux qui stimule mon muscle cardiaque et fonctionne en règle générale pendant près de 60% de mon temps de vie. Excellente nouvelle : le docteur D. est en pleine forme, il s'est acheté un nouveau Mac et s'échine à y faire fonctionner une vieille version de Photoshop. Et son logiciel de reconnaissance de caractères semble toujours aussi capricieux. Il m'a fait visiter son nouveau magasin dont je vous présente ici la vitrine. Faites votre choix, messieurs dames, un jour ou l'autre, vous aurez besoin des services de mon cardiologue préféré.
Humeur 2 : mauvaise
Une catastrophe ! Ni plus ni moins... Après une heure d'un splendide concert donné par le quintette de Denis Colin – vérification de visu de la très grande qualité de sa Société des Arpenteurs – voilà qu'une erreur de casting absolue est grimpée sur la jolie scène du Théâtre de la Manufacture. Je serai obligeant et tairai les noms de cette Canadienne et de ses deux acolytes : si l'absence doit s'incarner, elle le fera sans nul doute sous la forme de ce trio apathique et dépourvu de toute originalité. Une pâle chanteuse qui s'affaire mollement sur une caisse claire au moyen de deux balais, un guitariste et un contrebassiste qui risquent l'endormissement à chaque seconde. Tout comme nous d'ailleurs qui, placés au second rang, avons eu la politesse d'attendre la fin de cette éprouvante prestation. Pour vous faire une idée : imaginez un Renan Luce au féminin encore plus décaféiné et vous saurez à quoi ressemblait cette « artiste ». Le plu cruel pour nous, c'est lorsqu'après vingt minutes de si intenses efforts, l'impétrante s'est assise sur un siège en nous expliquant qu'elle allait chanter quelques chansons d'amour plus calmes. Je ne savais pas que c'était possible... Le public, en majorité composé d'invités d'un des sponsors du Nancy Jazz Pulsations, semble avoir apprécié le truc. Enfin, pas tout le monde, n'exagérons pas : nous avons retrouvé un ancien voisin qui, lui aussi, s'arrachait les cheveux en se demandant ce qu'il était venu faire dans cette galère. Ouf ! Il reste encore un peu d'espoir à placer en l'être humain...
Humeur 3 : excellente !
Magnifique conclusion de la trente-sixième édition du Nancy Jazz Pulsations avec le grand Joshua Redman venu en trio sous le Chapiteau de la Pépinière. Les grincheux peuvent toujours dire que le jazz y occupe une portion chaque année plus congrue... N'empêche : pour qui savait intelligemment piocher, il y a eu, cette année encore, de beaux moments de musique. Car avant le saxophoniste américain, nous avons pu nous régaler des concerts de Pierrick Pédron, Stabat Akish, Univers Zéro, Jean-Michel Albertucci ou encore Denis Colin. Et ce ne sont là que quelques exemples. Je vais m'atteler dès demain à la rédaction de mon compte-rendu pour Citizen Jazz et en attendant sa publication, je vous propose - chut, ne le dites pas - un extrait du concert de samedi soir. Joshua Redman (saxophone soprano) est entouré de Matt Penman (contrebasse) et de Gregory Hutchinson (batterie) : ils interprètent « Soul Dance » et c'est un petit enchantement. Merci à NJP pour tous ces moments si précieux !
Voilà une soirée qui sera prochainement le sujet d’un de mes articles pour Citizen Jazz(à propos, je rappelle que je consacre pas mal de temps d’écriture à mon magazine favori, ceci expliquant la parution moins abondante de notes pour ce blog. Mes dernières productions sontpar ici, d’autres sont en passe d’être publiées, d’autres encore sont en gestation).
J’étais hier à l’Autre Canal, pour une deuxième soirée de musique dans le cadre du Festival Nancy Jazz Pulsations. Le temps (très) fort de la soirée était le concert du saxophoniste Pierrick Pédronet son combo électrique Omry. Voici quelques mois, j’avais écritquelques lignesconsacrées à la parution de son disque éponyme, une flagrante réussite qui, j’en suis persuadé, sera un des plus beaux de l’année.
Et voici le temps de découvrir cette formation sur scène : malgré un confort très spartiate – la salle baptisée Club n’étant qu’un petite cube peu convivial où chacun doit se contenter d’une position debout, dans une ambiance où bien des spectateurs semblent plus préoccupés de s’approvisionner toutes les dix minutes en bière que d’écouter de la musique, ah, zapping, quand tu tiens nos cerveaux… – il me faut saluer sans attendre et une fois de plus un musicien qui, à force de talent et de ténacité, est en train de forger son propre univers. Je pèse mes mots… Excellente nouvelle pour tous les passionnés de musique : en fin d’après-midi, Pierrick Pédron me confiait qu’il souhaitait qu’Omrysoit plus qu’un disque et une série de concerts, mais une aventure qui s’inscrive dans le temps.
Dynamitée par la scène et la projection d’images souvent haletantes, la suite Omryexplose littéralement devant nous, chargée de l’électricité délivrée par le grand Vincent Artaud(basse) et Eric Löhrer(guitare) et du déferlement des « twin drummers » que constitue la paire Franck Agulhon/ Fabrice Moreauà la batterie. Au Fender Rhodes, Pierre De Bethmannlaisse échapper des coulées de notes… Un terreau de musique très fertile qui offre à Pierrick Pédron de quoi illuminer l’ensemble de ses somptueux chorus (au passage, n’oublions pas qu’il est un soliste époustouflant), et d'investir avec fièvre et brio tout un espace de liberté et d'improvisation, bien plus qu'il ne l'avait fait sur son disque. Et même si, selon lui, Omryn’est pas une œuvre de saxophoniste, cette longue suite est un formidable sujet qu’il ne se prive pas d’explorer, au même titre que ses camarades d’ailleurs. En témoignent par exemple une belle séquence de Vincent Artaud, longue montée solitaire à grands renforts de boucles, les solos ravageurs à la coloration très rock d’Eric Löhrer ou le duo final des deux batteurs, dans une magnifique exercice de gémellité bien frappée.
Je vous propose une illustration de cet excellent moment avec une chouette photo de mon amiJacky Joannèset une petite carte postale sonore captée par mes soins.
En écoute, quelques minutes extraites de "Osman", enregistrées avec l'aimable permission de Pierrick Pédron (saxophone alto) et la complicité musicale de Pierre De Bethmann (Fender Rhodes), Vincent Artaud (basse électrique), Eric Löhrer (guitare électrique), Franck Agulhon et Fabrice Moreau (batterie).
Cette histoire se déroule en trois temps. Elle me semble assez singulière pour que je prenne le temps de vous la raconter brièvement...
20 décembre 1980
Comme il m'arrive de le faire très régulièrement depuis cinq ans, date de mon arrivée à Nancy, je pousse la porte de mon magasin de disques favori, « La Parenthèse ». Aujourd'hui, j'achète deux disques : le premier, signé John Wetton, est passé aux oubliettes. Le second, lui, est beaucoup plus énigmatique. Publié sur le label Atem créé par celui-là même qui travaille encore chez ce disquaire alors installé Rue Gambetta, Gérard N'Guyen. Il me présente ce jour-là un drôle de Triskaidécaphobie (qui signifie la peur du chiffre 13), disque signé d'un groupe Bruxellois, Présent. Formée par le fantasque Roger Trigaux après son départ d'un autre groupe Belge, Univers Zéro, cette nouvelle formation s'inscrit dans la lignée directe de son jumeau mené d'une baguette virtuose par le batteur Daniel Denis. Une musique plutôt sombre, assez vertigineuse et qui convoque des esprits aussi divers que ceux de Belà Bartok, Györgi Ligeti, King Crimson ou encore Magma, pour citer les plus emblématiques. Un rock nocturne, haletant, hanté par des fantômes qu'on croise au détour d'une « Promenade au fond d'un canal », une scansion qui vous prend à la gorge, une sacrée symphonie mûe par une incroyable marche en avant, jusqu'au souffle final. Pas de tout repos, certes, mais profondément original et habité.
Hiver 2005
Univers Zéro a poursuivi sa route selon un rythme assez irrégulier, tout comme Présent dont l'existence s'est faite intermittente : l'un comme l'autre ont publié six ou sept albums en vingt-cinq ans. Entre temps, la roue de la vie a tourné, faisant naître puis grandir mes enfants. Ah, ce drôle de concours de circonstances qui veut que mon propre fils, alors âgé de vingt ans, rencontre la tribu Trigaux et intègre le nocturne Présent pour en devenir le saxophoniste ! Comment aurais-je pu imaginer, en ce jour de décembre 1980, que mon histoire personnelle serait ainsi reliée à celle du groupe ? Je raconterai, plus tard probablement, comment les événements ont conduit un jeune musicien de jazz à apprivoiser l'univers fantasmatique de ce compositeur chef d'orchestre pas comme les autres par mon entremise indirecte.
Septembre 2009
Présent est toujours là : une tournée sur le continent américain en juillet 2005, des apparitions en Allemagne, à Paris, au Portugal en 2006, au festival Rock In Opposition de Carmaux en 2007. Cette manifestation annuelle voit en 2009 les retrouvailles des deux jumeaux Univers Zéro et Présent. Chacun se produit sur scène le dimanche 20, avant un grand final en commun où treize musiciens enflamment un public dont on dit qu'il a souvent quitté la salle les larmes aux yeux. Larmes de bonheur, évidemment. Un grand moment de musique, semble-t-il...
Mais 2009, c'est aussi la publication d'un nouveau disque pour Présent : un CD inédit et un DVD de près de trois heures proposant des extraits de concerts en 2006 et 2007, ainsi que quelques archives des années 90. Barbaro (Ma Non Troppo) est une incontestable réussite, peut-être même s'agit-il du plus beau disque du groupe... Et qu'on ne se méprenne pas sur mes propos : je suis certes fier que mon fils participe à cette aventure et de constater que la place qu'il y occupe est plus que significative, mais mon attendrissement paternel n'est pour rien dans l'admiration que j'ai pour le disque. Barbaro (Ma Non Troppo), ce sont trois longues compositions haletantes et majestueuses, d'une très belle facture et dont les arrangements complexes font merveille et méritent une écoute attentive et répétée. S'appuyant sur une rythmique de fer (Dave Kerman à la batterie, Keith Macksoud à la basse, Pierre Chevalier au piano), les conversations qu'engagent le violoncelle de Mathieu Safatly, la guitare de Trigaux père et fils, les claviers de... Pierre Chevalier, encore lui et le saxophone de Pierre Desassis sont passionnantes d'un bout à l'autre : « Vertiges », « A Last Drop » et, comme si l'histoire devait se réécrire encore et encore, une nouvelle version de « Jack The Ripper » signée Daniel Denis et Roger Trigaux, qu'on pouvait déjà écouter sur le deuxième album d'Univers Zéro en 1979. Et puis... comment ne pas s'émerveiller devant un groupe qui, en 2009, se paie le culot d'utiliser un instrument tel que le mellotron, qui connut son heure de gloire voici bien longtemps par avec des formations mythiques telles que les Moody Blues ou King Crimson ? On sort des quarante-cinq minutes de cette musique pas comme les autres un peu étourdi, la tête un peu ébouriffée et... on en redemande !
En écoute, les trois premières minutes de « Vertiges » (Roger Trigaux)...
Roger Trigaux (guitare, claviers), Reginald Trigaux (guitare), Pierre Chevalier (piano, claviers), Dave Kerman (batterie, percussions), Keith Macksoud (basse), Mathieu Safatly (violoncelle), Pierre Desassis (saxophones), Udi Koomran (son).
Barbaro (Ma Non Troppo) est publié par Ad Hoc Records, dont le président n'est autre qu'un certain... Dave Kerman !
France 5 diffusait hier soir un documentaire appelé « C'est fini ou ça commence ? ». Ce film de 50 minutes, réalisé en 2005 par Thomas Ceccaldi, est un hommage particulièrement émouvant à Claude Nougaro, pour lequel la femme du chanteur, Hélène (sa kiné, kiné, qui n'est plus en exercice) a apporté son soutien et son concours. Si le film se compose naturellement de tous les éléments classiques et presque obligés d'un hommage - images d'archives montrant le chanteur sur scène ou à la télévision, interviews réalisées en différentes époques depuis le début des années 60, témoignages de proches - sa colonne vertébrale est d'abord l'immersion au cœur des sessions de l'enregistrement de l'album, La Note Bleue, au studio Ferber. Ce disque ultime concrétisait pour Nougaro un rêve de toujours : être enfin publié sur un label mythique pour tout fan de jazz, Blue Note.
Attention : on ne sort pas indemne de ces images terribles captées en janvier 2004, quelques semaines avant la mort du Petit Taureau (qui nous quittera le 4 mars suivant). Épuisé par la maladie et les séances de chimiothérapie, considérablement amaigri, presque méconnaissable, Claude Nougaro rassemble ses dernières forces pour mener à bien un projet qui associe la crème des musiciens de jazz. Produit par le pianiste Yvan Cassar, La Note Bleue nous fait entendre André Ceccarelli, Nelson Veras, Eric Legnini, David Linx et bien d'autres, au rang desquels la chanteuse lyrique Nathalie Dessay, pour une version paradisiaque de « Autour de minuit ». Tout au long de ces minutes poignantes, on est instantanément gagné par une vraie souffrance mêlée d'admiration. Lui, symbole de force, le boxeur des mots, celui qui avait réussi à relever le défi de sa lamentable éviction de la maison Barclay au milieu des années 80 pour rebondir brillamment du côté de Nougayork, après avoir tout vendu et traversé l'Atlantique avec en poche trois numéros de téléphone comme seuls viatiques, le voilà qui se présente à nous dans une cruelle et impitoyable nudité, celle du combat contre une maladie dont il sait qu'il ne sortira pas gagnant : le titre même du documentaire reprend une mention manuscrite que Nougaro avait griffonnée au bas d'un dessin et qui est reproduite sur la pochette du disque. Il ne laisse aucun doute sur l'issue fatale que Claude Nougaro savait. Il aura eu beau boxer, boxer, la lutte était par trop inégale. N'écrivait-il pas à l'automne 2003 : « J'ai envie d'écrire, mais je ne sais pas quoi / La mort, je l'avoue, me laisse coi ».
Ce film n'est jamais larmoyant, mais il semble impossible de le visionner sans avoir les larmes au bord des yeux : il y a cette scène où, à bout de forces, presque sans voix, Claude Nougaro s'endort comme un enfant sur l'épaule de sa femme, alors qu'il écoute la dernière prise d'une des huit chansons qu'il réussira malgré l'adversité à enregistrer. Ou bien, quelque temps plus tard, nous sommes alors au mois de février, comment décrire la terrible absence de celui qui ne peut même plus se déplacer et à qui Yvan Cassar fait écouter au téléphone l'enregistrement d'une version instrumentale de « Bidonville », en espérant sans y croire sa venue au studio le lendemain ? On devine, même si le son de sa voix ne nous parvient pas, que Nougaro paraît satisfait du résultat, il prodigue quelques conseils avant que la conversation ne s'achève. Silence pesant des musiciens dans le studio, mines sombres, Yvan Cassar s'échappe rapidement tant l'émotion est grande. Il part pleurer... Ce jour-là, probablement, tous ont su que celui qu'ils admiraient tant ne reviendrait pas et que leur serait confiée la lourde tâche de terminer au mieux, sans son créateur, un disque au goût d'inachevé.
Claude Nougaro aurait eu 80 ans le 9 septembre. Il manque terriblement dans le paysage de la chanson française. Il nous a laissés cois.
Je choisis de vous faire écouter « Fleur Bleue », qui me semble traduire au mieux ces heures douloureuses. La voix de Claude Nougaro reste ferme, mais on en ressent la doluoureuse fêlure. Avec Yvan Cassar (paino), Rosario Bonaccorso (contrebasse), André Ceccarelli (batterie), Nicolas Montazaud (percussions), Eric Chevalier (Orgue Hammond B3).
P.S. : un bel hommage vient d'être rendu à Claude Nougaro. Sous la houlette d'André Ceccarelli, avec la complicité de Pierre-Alain Goualch (piano), Diego Imbert (contrebasse) et David Linx (chant), Le Coq et la Pendule vient à point nommé nous rappeler toute la force des chansons de Claude Nougaro. Le disque a paru tout récemment chez Plus Loin Music. A consommer sans modération !
Après Play Time et Mon Oncle qui ont déjà fait l'objet d'une belle restauration et dont les rééditions en DVD sont impeccables, Sophie Tatischeff, Jérôme Deschamps et leurs complices des Films de Mon Oncle ont entrepris de faire revivre Les Vacances de Monsieur Hulot. Ce film, tourné en 1953, avait déjà été la source de plusieurs révisions, à l'instigation de son réalisateur, le génial et méticuleux Jacques Tati, en particulier dans son montage, dont les principales sont intervenues en 1962 et 1978. Très abîmée par le temps, la pellicule de ce petit chef d'œuvre d'humour poétique revit aujourd'hui en salles dans une forme qui, au-delà de l'énorme travail effectué sur les images elles-mêmes pour en restituer au mieux le noir et blanc, respecte les exigences finales de celui dont Philippe Labro disait au moment de la mort en 1982 : « Adieu Monsieur Hulot. On le pleure mort,il aurait fallu l'aider vivant ! ».
Car ce Monsieur Hulot, qu'il est d'usage de qualifier de personnage lunaire, est un formidable grain de sable galant ! Venu passer ses vacances à l'Hôtel de la Plage de Saint-Marc sur Mer (petite bourgade côtière entre Saint-Nazaire et Pornichet, où trône désormais une belle statue de son héros), le voilà qui dérègle inéluctablement la mécanique trop bien huilée des habitués du lieu. Il est très difficile de traduire en mots tout le bonheur qu'on éprouve à (re)vivre ces moments du quotidien savamment bouleversés par l'homme à la pipe, mais on peut citer : une partie de tennis où Monsieur Hulot exécute tous ses adversaires au moyen d'un service que lui seul maîtrise ; une entrée à grand renfort de courants d'air ; des obsèques très... pneumatiques ; un feu d'artifice nocturne... La réalisation est minutieuse, chaque situation fait l'objet d'un soin visuel et sonore presque maniaque. C'est un enchantement, à des années-lumière de toutes les vulgarités contemporaines qui, à force de s'auto-proclamer drôles, n'en sont que plus pitoyables et vaines.
Aucune hésitation possible, allez donc rendre une petite visite à Monsieur Hulot, il le mérite bien. Vous ne regretterez pas vos vacances !
Plusieurs millions de mes lecteurs m'ont écrit hier pour me remercier de les avoir divertis avec ce drôle de panneau d'affichage surgi de nulle part à Lyon. J'ai répondu à chacun d'entre eux. Quel bonheur d'avoir ainsi répandu la joie de par le monde ! Aussi, ce n'est pas sans un certain plaisir que je récidive aujourd'hui, avec cette perle qui comblera de béatitude mes concitoyens avides de plaisirs simples. Je vous imagine, qui au coin du feu surfant sur la Toile pendant que leur grand-mère raconte ses histoires de vie, qui au boulot profitant d'une pause pour découvrir avec une impatience bien compréhensible mon nouveau texte, qui consultant ses fils d'informations où mon blog figure en bonne place, sur un téléphone multifonctions. Etrange diaspora liseuse de bonnes aventures, inconnue et pourtant si proche...
Oh, hé ! On arrête les conneries... En fait, il fait une chaleur à crever, hier soir les moucherons nous ont tous dévorés pendant que nous testions, en compagnie de deux saltimbanques souffleurs de saxophones, une petite bouteille de mirabelle 2007, un peu jeune et pourtant bonne déjà. Mal dormi... Et je n'ai pas beaucoup d'idées aujourd'hui. Voilà, c'est mieux comme ça, non ? Je suis un type honnête, finalement. On ne peut pas avoir que des qualités.
Dans notre grande série « On ne peut tout de même pas être sérieux tous les jours », je vous propose de découvrir un affichage dont le moins qu'on puisse dire est qu'il nous laisse perplexe et traduit peut-être un drôle d'inconscient collectif qui peine à accorder une place digne de ce nom à certaines catégories de nos concitoyens... Je me désole de n'avoir pas eu la chance de me trouver face à ce panneau pour le photographier moi-même, malgré plusieurs séjours cette année dans la Capitale des Gaules.
Et j'adresse un amical clin d'œil à celui qui me l'a fait parvenir et qui se reconnaîtra ! Tiens, maintenant que j'y pense, je vais écouter son dernier disque...
Parce qu'on ne peut pas toujours écrire sur un blog... et qu'on s'efforce, à la façon d'un tâcheron, de mettre sa plume au service d'un magazine - Citizen Jazz - qui défend l'idée d'une musique comme on l'aime par ici. Je vous invite par conséquent à suivre un lien qui vous emmènera vers la lecture d'un article du type « deux en un », dont le personnage central est Robert Wyatt.
Habité par la grâce, le film « Jaffa » nous plonge au cœur d'une famille israélienne et du drame qu'elle va connaître. La réalisation, au plus près des personnages - Reuven, le père garagiste, sa femme Osnat qui, tant bien que mal, s'accommode du comportement de leur fils Meir, querelleur et fainéant. Et puis il y a la fille, Mali, qui vit une histoire d'amour avec Toufik, l'employé arabe de son père - nous immerge dans leur quotidien austère mais jamais ennuyeux. « Jaffa », c'est un moment de cinéma juste et émouvant comme on aime en débusquer de temps à autre au détour d'une salle où les rongeurs de pop corn experts en SMS nocturnes sont proscrits. Il est aussi l'occasion de voir ou revoir cette formidable actrice qu'est Ronit Elkabetz (qui joue ici le rôle de la mère), dont on avait déjà pu apprécier le talent dans un autre film particulièrement attachant, « La visite de la fanfare ». Voilà une très bonne surprise, un film cinq étoiles, assurément !
Nous vivons décidément dans un monde de brutes (oui oui, je sais, ma première phrase est la dernière de la note précédente, c'est fait exprès, chers amis, c'est un petit truc, comme ça, pour décorer mon texte...). Et totalement incohérent. Je prends au hasard deux exemples attrapés au vol de mon quotidien.
J'entendais hier à la radio la promotion lugubre de je ne sais quel bouquin sanglant chez un éditeur à gros tirage mais pas forcément spécialisé dans la littérature. Une voix censée nous faire peur dit : « La plupart des hommes ignorent à quoi ressemble une femme sans peau ». S'ensuit la glorification d'un criminel, sujet central du livre, et de tous les supplices qu'il inflige à ses victimes, des femmes bien entendu. Jusque là, c'est du commerce banal, racoleur et cynique... Donc, normal. Sauf que cette publicité vient s'insérer au beau milieu d'un débat moralisateur sur les dangers d'Internet pour les enfants. Faux débat, me semble-t-il, car le vrai danger, c'est la violence dans laquelle on plonge quotidiennement nos enfants, bien trop tôt, bien trop vite, une violence amplifiée par la démission de trop de parents. Et une belle démonstration d'hypocrisie de la part de cette radio qui nous rappelle que l'argent n'a pas d'odeur.
Hier toujours, je vois sur mon chemin, dans la vitrine d'un bureau de tabac, la figure hilare de notre Président sous la une d'un magazine hebdomadaire ultraconservateur : « La raclée des anti-Sarkozy ». Il faut être doué d'une belle dose d'hypocrisie, là encore, pour parvenir à une telle conclusion après les élections européennes. Qu'elles soient une débâcle pour le Parti Socialiste, personne ne peut le nier. Qu'elles soient une belle baffe pour le MoDem, chacun le vérifiera. Qu'elles aient permis aux écologistes de tirer leurs marrons du feu plutôt mieux qu'à l'habitude, c'est vrai aussi, parce que 16 % de 40 % des électeurs, ça nous donne plus de 6 % du total, soit une performance légèrement supérieure à ce que les Verts connaissent actuellement. Mais franchement, ce qui s'est passé dimanche dernier n'est-il pas l'expression d'une défaite pour l'ensemble des partis politiques, quand 6 électeurs sur 10 décident de ne pas se rendre au bureau de vote ? Et comment peut-on exagérer à ce point la réussite des listes issues du pouvoir en place, quand celles-ci ont tout juste rassemblé plus de 10 % du corps électoral ? La Fontaine nous dit que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute... On peut le vérifier, une fois encore.
J'ai débusqué fortuitement à la télévision une publicité pour un jus de fruit - dont je serais bien incapable de vous donner le nom, ces choses-là traversant ce qui me reste de cerveau à la vitesse de l'éclair, désintégrant du même coup sans difficulté mon mur du con - dont le texte m'a laissé perplexe. Une voix off nous donne la liste de tous les ingrédients nécessaires à la confection de ce précieux nectar : un certain nombre de fraises, trente-quatre je crois, six pommes, deux bananes et demie (eh oui, c'est du fait main, m'sieurs dames, sachez qu'il se trouve sur Terre quelqu'un qui travaille à couper les bananes en deux !), encore d'autres fruits que j'ai oubliés mais en quantité précise et, si j'ose dire, cerise sur le sirop : dix-neuf raisins ! Alors là, ça m'en bouche une grappe... Je passe sur le fait qu'un nombre impressionnant de personnes a dû participer à la création de ce spot, qu'un bon paquet d'autres ont émis des avis circonstanciés, et qu'il s'est même trouvé des commanditaires pour payer grassement l'agence de communication chargée de réaliser ce chef d'œuvre... sans qu'il se trouve qui que ce soit pour dénoncer la bizarrerie de cette formulation. Dix-neuf raisins qui n'ont choqué personne ! Et encore, nous pouvons nous réjouir car nous avons tous échappé à l'invention d'un milk shake qui aurait nécessité l'incorporation de deux laits... Nous vivons décidément dans un monde de brutes.
Ne croyez pas un seul instant les pisse-froid façon Inrockuptibles qui vont expliqueront qu'avec Looking For Eric, Ken Loach a réalisé un film moralisateur surfant sur la vague du coaching et qui serait pétri de bons sentiments gnan-gnan. C'est oublier d'abord que le cinéaste fait d'abord une belle démonstration de tendresse envers son personnage (un postier en pleine déprime, confronté à la dureté du quotidien anglais, formidablement interprété par Eric Evets) qui reçoit les conseils de son idole, Eric Cantona, un maître à penser qui lui apparaît quand il s'adonne à la fumette des joints qu'il va piquer à son fils. Ken Loach fait aussi preuve d'une belle dose d'humour (la scène finale est un moment particulièrement savoureux), ce qui n'est pas une première chez lui, et en profite pour dresser le portrait glacial d'une Angleterre où même les classes populaires finissent par ne plus pouvoir se payer les billets d'entrée au stade pour soutenir leur club de Manchester, dont les parkings regorgent de grosses berlines. A voir en V.O., exclusivement, au risque de passer à côté de l'essentiel.
Petit retour en arrière sur un moment hors du temps, probablement le plus beau avec le Serbie Academic Choir Coll et ses chanteuses magnifiques, offert par le Festival International de Chant Choral de Nancy. Avec un magnifique ensemble, une interprétation au cordeau, un répertoire exigeant mais jamais austère, un humour élégant et un arc-en-ciel pour les yeux, le Japan Tokyo Trouvere a suscité l'émerveillement. De quoi inspirer les chorales locales dont le manque d'ambition artistique et l'amateurisme étaient flagrants, un peu à l'image de l'enseignement de la musique en France, trop souvent frileux, embourgeoisé et académique. Vivement la prochaine édition en 2012 et la plongée dans d'autres cultures.
J'ignore si la foule qui se presse à la Nuit des Musées chaque année à date fixe nourrit une passion réelle pour la peinture ou la sculpture et, plus généralement, pour l'histoire de l'art ou si, comme le glissent perfidement quelques pisse-froid, la gratuité l'attire comme des souris sur un morceau de fromage, mais le plaisir de voir un enfant ouvrir grand les yeux devant un tableau ou d'entendre un jeune couple exprimer sa satisfaction après les explications savantes d'un guide suffit à me convaincre du bien fondé d'une telle manifestation. Après tout, le plus grand risque de cette soirée fiévreuse n'est-il pas qu'une partie de ce public accepte par la suite de débourser quelques euros pour apprendre et découvrir ?
Samedi soir, entre Musée Lorrain et Musée des Beaux Arts à Nancy, il fallait faire preuve d'un peu de patience si l'on n'avait pas pris la précaution d'être ponctuel... Une belle occasion de découvrir le travail méconnu de Francis Gruber (fils de Jacques Gruber maître verrier bien connu par ici) dont la courte vie (1912 - 1948) a permis l'émergence d'un talent où s'exprime une souffrance assez crue née de la maladie (l'asthme puis la tuberculose) et des horreurs de la guerre. Ses portraits de femme sont assez symptomatiques de cette douleur, comme si le corps devait traduire en sécheresse et nudité la violence du quotidien. Des corps qui paraissent s'apaiser dans les dernières années, exprimant une douceur retrouvée malgré la fin qui s'annonce.
Mon œil a été attiré par un tableau splendide appelé « La chambre » et peint en 1932. Francis Gruber, très jeune puisqu'il n'avait alors que vingt ans, ignorait probablement que dix ans plus tard, Raoul Dufy peindrait un « Atelier aux Raisins » (qu'on peut admirer au deuxième étage du Musée des Beaux Arts de Lyon) qui, par bien des aspects, lui serait comme un écho adouci, plus heureux.
Il faut parfois se méfier des coups de cœur, surtout lorsque, comme moi, on est porteur d'un pace maker ! Mais il est bon aussi, de temps à autre, de ne pas prendre le temps de la réflexion et de se laisser emporter par une impulsion, quitte ensuite à tourner et retourner dans sa tête toutes les idées qui s'agitent et vous pointent du doigt en vous désignant comme être humain déraisonnable. Mais comment comprendre alors ce phénomène par lequel, alors que vous êtes face à une toile, vous êtes saisi par une certitude : cette peinture est faite pour vous, vous savez d'ores et déjà où elle prendra place dans votre salon, l'hésitation n'est pas de mise ? J'ai été la victime de ce sortilège hier après-midi alors que j'entrais dans la galerie d'Arnaud Flow, en vieille ville à Nancy. C'est un jeune peintre dont j'avais déjà évoqué le travail voici quelques mois et dont le travail me fascine. Quant à ces personnages en mouvement, traversant une rue (de Paris ou d'ailleurs), cette scène résolument ancrée dans un quotidien urbain et contemporain, et puis... cette animation flottante jouée par un beau de coup de pinceau, lui aussi en mouvement et créant un flou dynamique et énigmatique : ils m'attendaient ! Durant quelques secondes, j'ai pensé à la pochette d'Abbey Road, le disque des Beatles, probablement en raison de la traversée d'une rue. Et puis, très vite, j'ai entendu la musique de Steve Reich, celle de City Life : le compositeur avait enregistré des bruits dans New York avant de créer son propre environnement en s'appuyant sur leur rythme. Voici donc cette association que je m'autorise, j'espère qu'elle suscitera l'approbation d'Arnaud.
Pauvre Jacques Tati ! Déjà que de son vivant, ses contemporains oublièrent de célébrer son génie de cinéaste au point qu'il lui fallut passer par des périodes très difficiles et finir sa vie empêtré dans de nombreux problèmes financiers, voilà maintenant qu'à l'occasion d'une exposition qui lui est consacrée à la Cinémathèque, une application stupide et bas du front de la loi Evin conduit la société Métrobus (qui est la régie publicitaire de la RATP) à éradiquer la pipe que le réalisateur arbore fièrement sur l'affiche pour la remplacer par... un moulin à vent miniature ! Le père de cette loi lui-même est obligé de reconnaître le caractère absurde de cette mesure : « La présentation de Monsieur Hulot avec sa pipe s'inscrit dans notre histoire, dans notre culture cinématographique ». Outre le fait qu'une telle décision est la marque d'un grand mépris politiquement correct pour le public (qu'on semble juger infantile au point que l'apparition de cette bouffarde le ferait replonger dans la dépendance au tabac..., pas bien ça, méchant public !), elle est aussi la traduction d'une négation totale de ce qu'était le personnage récurrent des films de Jacques Tati. Alors, pour cette seule raison, je vous propose un instantané montrant ce cher Monsieur Hulot fumant la pipe. Avec ce petit regard en coin qui semble dirigé contre ses futurs censeurs. Et dans la foulée, la même société repousse l'affiche du film de Ron Howard, « Anges et démons », qui mettrait soit disant en cause le Vatican et celle de « Coco avant Chanel », le film d'Anne Fontaine, sur laquelle Audrey Tautou exhibe une cigarette. D'ores et déjà, je tiens à présenter mes excuses à la France, celle qui vit, qui vibre, pour le triste spectacle qui lui est ainsi offert.