Absence
France 5 diffusait hier soir un documentaire appelé « C'est fini ou ça commence ? ». Ce film de 50 minutes, réalisé en 2005 par Thomas Ceccaldi, est un hommage particulièrement émouvant à Claude Nougaro, pour lequel la femme du chanteur, Hélène (sa kiné, kiné, qui n'est plus en exercice) a apporté son soutien et son concours. Si le film se compose naturellement de tous les éléments classiques et presque obligés d'un hommage - images d'archives montrant le chanteur sur scène ou à la télévision, interviews réalisées en différentes époques depuis le début des années 60, témoignages de proches - sa colonne vertébrale est d'abord l'immersion au cœur des sessions de l'enregistrement de l'album, La Note Bleue, au studio Ferber. Ce disque ultime concrétisait pour Nougaro un rêve de toujours : être enfin publié sur un label mythique pour tout fan de jazz, Blue Note.
Attention : on ne sort pas indemne de ces images terribles captées en janvier 2004, quelques semaines avant la mort du Petit Taureau (qui nous quittera le 4 mars suivant). Épuisé par la maladie et les séances de chimiothérapie, considérablement amaigri, presque méconnaissable, Claude Nougaro rassemble ses dernières forces pour mener à bien un projet qui associe la crème des musiciens de jazz. Produit par le pianiste Yvan Cassar, La Note Bleue nous fait entendre André Ceccarelli, Nelson Veras, Eric Legnini, David Linx et bien d'autres, au rang desquels la chanteuse lyrique Nathalie Dessay, pour une version paradisiaque de « Autour de minuit ». Tout au long de ces minutes poignantes, on est instantanément gagné par une vraie souffrance mêlée d'admiration. Lui, symbole de force, le boxeur des mots, celui qui avait réussi à relever le défi de sa lamentable éviction de la maison Barclay au milieu des années 80 pour rebondir brillamment du côté de Nougayork, après avoir tout vendu et traversé l'Atlantique avec en poche trois numéros de téléphone comme seuls viatiques, le voilà qui se présente à nous dans une cruelle et impitoyable nudité, celle du combat contre une maladie dont il sait qu'il ne sortira pas gagnant : le titre même du documentaire reprend une mention manuscrite que Nougaro avait griffonnée au bas d'un dessin et qui est reproduite sur la pochette du disque. Il ne laisse aucun doute sur l'issue fatale que Claude Nougaro savait. Il aura eu beau boxer, boxer, la lutte était par trop inégale. N'écrivait-il pas à l'automne 2003 : « J'ai envie d'écrire, mais je ne sais pas quoi / La mort, je l'avoue, me laisse coi ».
Ce film n'est jamais larmoyant, mais il semble impossible de le visionner sans avoir les larmes au bord des yeux : il y a cette scène où, à bout de forces, presque sans voix, Claude Nougaro s'endort comme un enfant sur l'épaule de sa femme, alors qu'il écoute la dernière prise d'une des huit chansons qu'il réussira malgré l'adversité à enregistrer. Ou bien, quelque temps plus tard, nous sommes alors au mois de février, comment décrire la terrible absence de celui qui ne peut même plus se déplacer et à qui Yvan Cassar fait écouter au téléphone l'enregistrement d'une version instrumentale de « Bidonville », en espérant sans y croire sa venue au studio le lendemain ? On devine, même si le son de sa voix ne nous parvient pas, que Nougaro paraît satisfait du résultat, il prodigue quelques conseils avant que la conversation ne s'achève. Silence pesant des musiciens dans le studio, mines sombres, Yvan Cassar s'échappe rapidement tant l'émotion est grande. Il part pleurer... Ce jour-là, probablement, tous ont su que celui qu'ils admiraient tant ne reviendrait pas et que leur serait confiée la lourde tâche de terminer au mieux, sans son créateur, un disque au goût d'inachevé.
Claude Nougaro aurait eu 80 ans le 9 septembre. Il manque terriblement dans le paysage de la chanson française. Il nous a laissés cois.
Je choisis de vous faire écouter « Fleur Bleue », qui me semble traduire au mieux ces heures douloureuses. La voix de Claude Nougaro reste ferme, mais on en ressent la doluoureuse fêlure. Avec Yvan Cassar (paino), Rosario Bonaccorso (contrebasse), André Ceccarelli (batterie), Nicolas Montazaud (percussions), Eric Chevalier (Orgue Hammond B3).
P.S. : un bel hommage vient d'être rendu à Claude Nougaro. Sous la houlette d'André Ceccarelli, avec la complicité de Pierre-Alain Goualch (piano), Diego Imbert (contrebasse) et David Linx (chant), Le Coq et la Pendule vient à point nommé nous rappeler toute la force des chansons de Claude Nougaro. Le disque a paru tout récemment chez Plus Loin Music. A consommer sans modération !
Commentaires
Né un 9 septembre, la même année que Brel, mort trop tôt en 2004... Que de chefs d'œuvres entre ces deux parenthèses de l'existence. Un artiste indémodable car jamais à la mode. Chacun de ses disques aurait pu être enregistré hier. Brel lui-même pourquoi lui qui était si ringard (sic) avait du succès alors que le public boudait Nougaro qui avait 10 ans d'avance sur tout le monde...
Né un 9 septembre ? Hum, j'en connais d'autre(s) !
Moi aussi: ton grand père (en 1897), Dave Stewart (en 1952), Rick Van Steenbergen (1928?)...
Je n'ai pas l'album «Blue Note», je crois que c'est une lacune.
Pour moi Nougaro c'est aussi quelqu'un qui a su «réconcilier les genres», du romantisme le plus tendre au jazz le plus endiablé.
J'ai appris la mort de Claude Nougaro le jour de mon arrivée en Afrique du Sud, le 5 mars 2004. C'est une des rares nouvelles que j'ai apprise pendant ce séjour lointain, avec les attentats islamistes à Madrid le 11 mars. Les bonnes nouvelles sont rarement relayées et mon voyage, magnifique cependant, fut marqué par ces 2 très mauvaises nouvelles.
Ton beau texte exprime exactement ce que nous avons ressenti en regardant cette poignante émission...
J'y ajouterai cette simple petite remarque de Michel: " de ses chansons, j'aime tout!!!"
FR
Bien sûr, ça n'a rien à voir (quoique...) mais Aldo Romano avec Henri Texier et Louis Sclavis à La Comète le 26 janvier pour "African Flashback", ça peut être intéressant, non?
"J'aime une kiné qui n'est qui n'est plus en exercice...." j'ai ce disque en cassette. Et NougaYork aussi. Je n'ai que ces 2 là.
@Quiet Man : si bien sûr, Aldo Romano a beaucoup à voir, ne serait-ce que sur La Note Bleue ! Non seulement, il joue en tant que batteur, mais mieux, Nougaro adapte deux de ses compositions.
Quant au 26 janvier... why not ? On en profitera pour fêter les 65 ans d'Henri Texier, car son anniversaire est le lendemain. Et je te le présenterai, c'est un homme vraiment très attachant.
@Elisabeth : Cette chanson est l'une de "Pacifique", qui faisait suite à Nougayork. Et je te recommande aussi bien d'aller fouiner dans les disques plus anciens que dans les plus récents (comme "Chansongs", "L'enfant phare" ou "Embarquement immédiat")
@Françoise : je suis comme Michel. J'ai un peu de mal à piocher dans la discographie d'un artiste. Je la prends comme un tout. Et chez Nougaro, vraiment, j'aime tout.
@Sister : tu donnes ainsi la définition de ces artistes que j'appelle des "passeurs". Ce sont souvent les plus intéressants.
Je te remercie pour ta réponse, seulement maintenant mais OUI je connais les disques plus ancien de Nougaro.