Marche attaque !
Et soudain, le wagon dans lequel j'étais assis l'autre jour fut envahi - je ne trouve pas d'autre mot - par une horde verdâtre dûment décorée d'autocollants assénant à qui voulait bien les lire son amour du mariage. Enfin, soyons clairs, pas le mariage pour tous, hein, le leur, le seul, le vrai à ces gens si bien élevés. Pas nécessairement un mariage d'amour, parfois même conçu comme un arrangement entre gens du même milieu, sans brassage et avec de beaux enfants uniformes en bermuda. Une institution qui bien souvent se fracasse les certitudes sur quelques statistiques défavorables et le ballet des cocus de tout poil, mais chut, faut pas le dire… Monsieur, parfois, a la main un peu leste sur la croupe domestique et s'octroie quand le besoin se fait trop pressant quelques extras non déclarés officiellement (comme une sorte d'exil conjugal, pour reprendre un mot en vogue). Madame s'accommode ou se console de son côté, c'est la vie et rien d'autre, n'est-ce pas ? Un groupe très bavard, donc, et parlant trop fort, aux allures d'enfants de troupe lepenoïde, sûr de son fait, armé d’un sourire glacial d'où suinte un rictus ostentatoire et tranquillement condescendant. Mais si caricatural qu’à un certain moment, je me suis cru transporté dans une bande dessinée de Marcel Gotlib. Même pas, dommage, au moins là, j’aurais ri un peu.
Nous sommes dans un train de la banlieue ouest de Paris, quelque part entre Marly-le-Roi et La Celle Saint Cloud. J’ai hâte d’arriver Gare Saint Lazare car l’ambiance est franchement fétide, ça sent le renfermé…
Tiens, on voit même se pavaner un prêtre bodybuildé au teint hâlé qui roule des mécaniques et, je n’en doute pas, prêchait quelques minutes auparavant son très mécanique « aimez-vous les uns les autres » devant un parterre d’ouailles superstitieuses latinisantes au portefeuille matelassé. Fière soutane, épaules altières, monsieur jubile au cœur de son aréopage bien blanc de peau. Teint clairs, yeux bleus, une belle et grande famille… Drôles de paroissiens !
Ça piaille dans tous les coins, les stratégies s'élaborent sur les banquettes. C'est sûr, des millions de Français, de vrais Français, vont montrer à leur pays déliquescent de quel bois de croix ils se chauffent. On spécule sur les alliances à venir au coin de la rue, on balaie d'un revers de la veste de velours côtelé les minauderies de la dirigeante d'extrême droite : les gens (bas) du Front seront bien là, fidèles au rendez-vous, pour bouter ces sous humains hors du cercle étriqué de leur imagination. Ils seront avec nous, ça ne fait pas le moindre doute…
Et tout à coup, plus personne : en moins de temps qu'il n'en faut pour engloutir une hostie, la troupe s'est évaporée, organisant bruyamment la suite de son chemin de crôa sur le quai de la gare de La Celle Saint Cloud. Pour retrouver ses amis bleu marine qui les attendent, si j'ai bien compris, du côté de la Porte Maillot.
Mon voisin de banquette - qui veut absolument nous faire part de sa soixantaine décomplexée ayant tout compris depuis longtemps - explique que cette pauvre histoire n'est en réalité qu'une conjonction d'intérêts. Entre politique car le Front jubile et trouve là un os à ronger avec son lot de recrues potentielles, et la caste des avocats qui vont s'en mettre plein les poches avec tous ces divorces qui ne manqueront pas de s’abattre sur ces braves gens qui tiennent tant à cette union officielle ! « Vous n'êtes pas avocat, au moins ? » Je le laisse pérorer tandis qu'il ajoute que ses amis homos, eux, ne veulent pas se marier. Vivement Saint Lazare…
C’est assez étonnant quand on y pense : savoir qu’une foule veut manifester, non pas pour revendiquer un droit, mais pour s’opposer à ce que d’autres puissent bénéficier de ceux dont ils jouissent, eux… Mais que croient-ils donc, ces pèlerins d’un autre âge ? Que des millions de français sont déjà dans les starting blocks, la langue pendue, bave aux lèvres, prêts à devenir homos à la minute même où le mariage pour tous sera promulgué, provoquant ainsi l’extinction inéluctable de leur si belle race ? Alors qu’il ne s’agit en réalité que d’accorder ce qui, finalement, est le plus légitime des droits, celui à l’indifférence, à quelques uns d’entre nous. Oui, l’indifférence, à prendre aussi dans le sens où les droits doivent être indifférenciés.
Que d'efforts additionnés pour marquer sa détestation de l'autre, son drôle d'amour qui conjugue la division dans un temps passé, volontiers pétainiste et prêt pour s'affirmer aux yeux des médias - on soulignera cette contradiction - à des alliances politiques contre nature. Moi-même j'ai un peu hésité avant d’écrire ces quelques lignes, parce que je n'aime guère laisser transpirer un ressentiment, mais quand je pense à la phrase prononcée par Barack Obama lors de sa cérémonie d'investiture : « Our journey is not complete until our gay brothers and sisters are treated like anyone else under the law », je ne peux m'empêcher de penser que toute cette agitation rétrograde est vaine, stupide et fielleuse. Encore une guerre de retard, une de plus… Tout cela me donne la nausée, et c’est dans ces moments-là que j’ai un peu honte d’être Français.
Je vais reprendre des forces en écoutant les African Jazz Roots de Simon Goubert et Ablaye Sissoko, au risque d’aggraver mon cas aux yeux de ces marcheurs sans amour au cœur qui vont certainement trouver beaucoup à redire à cet autre mariage qu’ils jugeront contre nature, celui de musiques occidentales et africaines. Tant pis pour eux s’ils sont aveugles au point de ne pas être saisis d’admiration devant la beauté de cette union et le métissage sublimé qui en résulte. Ils se consoleront avec la médiatocratie frelatée de la nightclubbeuse rancie qui leur sert temporairement d’égérie et les ridiculise aux yeux de tous. On a les génies qu’on mérite, après tout…
Je ne voudrais pas laisser filer ce dernier jour de l’année sans avoir adressé un petit clin d’œil à un pianiste dont la récente production discographique (mais pas seulement, on le comprendra assez vite) aura été la source d’un vrai ravissement. Et j'aimerais par avance présenter mes excuses à
Dans sa leçon consacrée à Wayne Shorter, Antoine Hervé nous explique que le saxophoniste est un créateur d’univers, un artiste qui veut inventer sa propre musique. Eh bien, je me demande si ce désir d’innovation n’est pas le sang qui coule dans les veines du PMT QuarKtet qui vient de publier un disque absolument ébouriffant. Il figure d’ailleurs dans la (longue) liste de mes disques de l’année 2012 et je dois confesser que si j’avais eu le courage de compresser mon Top 22 en un Top 5, l’album ferait partie de cette quinte ultime. Sans la moindre hésitation, je lui décerne un « Coup de Maître », amplement mérité tant son écoute répétée depuis deux mois est une source inépuisable de plaisirs multipliés qui jamais ne se départissent de leur mystère originel. Aux côtés d’Antoine Hervé, on retrouve l’exaltant Jean-Charles Richard au saxophone (qui a lui-même reçu un « Maître d’Honneur »), Philippe Garcia à la batterie (tiens, voilà qui me ramène pas mal d’années en arrière et au Collectif Mu, trop vite disparu) et Véronique Wilmart à... l’acousmatique. Acousmatique, kesako ? Tiens, il faudrait que le professeur Hervé nous explique tout cela, il ferait ça beaucoup mieux que moi. Disons, pour faire très court, qu’il s’agit ici de recourir à des matières sonores qui vont être comme sculptées et transformées, dans une démarche qui est celle de
Véronique Wilmart co-signe avec Antoine Hervé toutes les compositions de ce disque magnifique et je suis certain que le pianiste ne m’en voudra pas de souligner à quel point sa comparse nourrit le disque de toute sa science de l’invention et de la perturbation atmosphérique (en ce sens que ses trouvailles sonores viennent tranquillement bousculer l’agencement d’un jazz déjà riche de toutes ses couleurs). Elle est la pourvoyeuse des climats, ceux sur lesquels les autres musiciens peuvent parvenir encore mieux à un épanouissement complet (Jean-Charles Richard est une fois de plus exemplaire, il n’est pas hasardeux de penser que bien souvent, Wayne Shorter le guette du coin de l’anche avec beaucoup de bienveillance). Impossible de « caser » cette musique dans une catégorie bien précise : il y a du jazz, forcément, mais ici on confinera à la musique sérielle, là à une séquence plus électro, avec une dose de minimalisme improvisé. Parfois on se croirait dans un film urbain et un peu frénétique (« Les triplettes de Barbès ») et pour tout dire, ces variations énigmatiques dessinent un monde très singulier, avec ce petit air de jamais entendu qui attire instantanément.
La 39e édition du festival
Ce disque est comme le journal de bord d’un temps qui appartient au passé : il faut imaginer l’ambiance d’une salle de cinéma à l’ancienne, avec ses ouvreuses et leurs paniers de friandises à l’entracte. En première partie, un court-métrage qu’on a regardé d’un œil distrait parce qu’on n’est pas venu pour ça. Quelques bandes-annonces pour patienter, deux ou trois réclames... On attend le film, pas toujours en couleur, un policier avec ses personnages dont on sait d’avance que l’histoire peut les mener à un destin tragique. Des histoires au parfum d’années 60, juste avant la marchandisation industrielle d’un art qui n’en est plus toujours un, avec ses grandes gueules et ses codes d’honneur qui n’ont peut-être existé que dans l’imagination de leurs inventeurs.
Il y a quelque chose d’assez surréaliste dans la soirée qui s’annonce. Pensez donc :
C’est en contemplant le spectacle figé des centaines de disques méthodiquement rangés à l’ombre d’un deuxième étage sous les toits que je me suis laissé gagner par ces pensées presque nocturnes. Chers disques, sources de tant de rêves en musique, objets de convoitise parfois, générateurs d’impatiences et d’obsessions égotistes… Ils sont là, aujourd’hui silencieux, inactifs pour la plupart, les plus anciens ayant depuis longtemps franchi le cap de la quarantaine. Je passe devant les rayonnages et les piles qui s’entassent, faute d’une rigueur dans le travail de classement parce qu’on verra plus tard… Je scrute les amoncellements et les déséquilibres verticaux. Puis, plutôt que de m’apitoyer sur cette savante mise en désordre, j’essaie d’exercer ma mémoire en tentant d’identifier les tranches des 33 tours ou des CD, je cherche à me rappeler où et quand je les ai achetés. Alors c’est la grande plongée dans l’océan trouble des images qui défilent, le télescopage des souvenirs aux contours flous parfois.

Electro Deluxe
Pour une fois, il ne sera pas ici question de musique... Encore que l’atelier d’écriture auquel j’ai eu la chance de participer du mois de janvier jusqu’à samedi dernier (six séances de quatre heures) résonne dans ma tête d’une vraie musique des mots : pas seulement les miens, mais aussi ceux de mes camarades qui, tous, ont accepté de plancher sur les exercices proposés par l’attentif et bienveillant 

Dans ce deuxième épisode, on voit se côtoyer des musiciens escortés d’une légende qui peut soit engendrer la déception (Billy Cobham), soit élever la musique vers des sphères méditatives (Charles Lloyd), alors que d’autres vont faire parler leur lumière propre (Stéphane Belmondo, Manuel Rocheman, Mulatu Astatke). D’autres enfin paraissent un peu désuets (China Moses), voire totalement incongrus (Raphael Gualazzi). Mais en définitive, dix jours de de bonnes vibrations à haute dose.
Pour une fois, laissons nos yeux et rien qu'eux partir en promenade rétrospective du côté des scènes automnales de l'édition 2011 de
NJP 2011, c’est fini ! Au-delà d’un bilan qui atteste de la vitalité du festival malgré des nuances qu’on doit apporter (si la fréquentation globale, tous lieux et concerts confondus, est en progression, le cru 2011 aura été moins faste au Chapiteau de la Pépinière que son prédécesseur dont on s’aperçoit a posteriori qu’il était exceptionnel), 

