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Musiques buissonnières - Page 21

  • Nguyên Lê - Songs of Freedom

    nguyen le, songs of freedom, citizen jazzDécidément, le rock et ses différents affluents n’en finissent pas de s’épancher hors du cadre qui est théoriquement le leur… On ne compte plus les musiciens de jazz qui vont faire un tour du côté de ce monde souvent binaire, rendant perméables les frontières entre les deux univers et nous rappelant par la même occasion que leur histoire s’est aussi construite au son des Beatles, de Stevie Wonder, de David Bowie ou de Led Zeppelin, pour ne citer que quelques têtes d’affiche parmi les plus revisitées.

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  • Chaud devant !

    Je vous ai donné beaucoup (trop ?) à lire avec ma note consacrée au monumental Africa / Brass Sessions de John Coltrane. Aussi, ce n’est pas sans un certain plaisir mâtiné de la fierté du nigaud parvenu à délacer ses chaussures sans les entortiller en un nœud définitif, le soir en rentrant du boulot, que je vous propose un retour en arrière plus visuel qu’écrit sur une soirée festive à laquelle il m’a été donné d’assister tout récemment.

    electro deluxe, big band, new morningMais que les choses soient claires, afin qu’on ne me suspecte pas de partialité paternelle : si je me suis rendu lundi soir au New Morning pour voir (et écouter) le concert d’Electro Deluxe version Big Band, c’est bien à l’origine parce que, parmi les treize soufflants que le groupe s’était adjoints pour l’occasion, se trouvait un saxophoniste connu de certains sous l’identité de Madjazz Boy et qui, par ailleurs, doit assumer avec courage et ténacité depuis un peu plus de 26 ans le fait d’être mon fils. Cette relation père-fils étant ainsi déclarée, je me sens d’autant plus libre d’écrire ici, indépendamment de toute appréciation à caractère familial, le plaisir qui aura été le mien de vibrer durant plus de deux heures dans une moiteur souriante à une musique fiévreuse et ruisselant d’un groove bienfaisant. Quel bonheur en effet – malgré une température ambiante rien moins que tropicale – de pouvoir dire noir sur blanc (ou plutôt blanc sur noir) que cette soirée aura été une absolue réussite, un de ces moments dont on sait au moment précis où on les vit qu’ils sont là, pour toujours, inscrits quelque part dans notre mémoire pourtant si anarchique et chaque jour plus incertaine.

    Electro Deluxe jouait à guichets fermés dans un New Morning plein comme un œuf : son line-up de base (Gaël Cadoux aux claviers, Arnaud Renaville à la batterie, Jérémie Coke à la basse et Thomas Faure au saxophone mais aussi, et surtout pour ce qui nous concernait ce soir-là aux arrangements, totalement réécrits pour l’occasion – un super bravo, Thomas !) a bénéficié du renfort de cinq saxophonistes, quatre trompettistes et quatre trombonistes. Excusez du peu ! Dès les premières secondes de sa mise à feu, l’ensemble a fait parler la poudre, interprétant pour l’essentiel le dernier disque, Play, proposant un petit retour sur Stardown avec « Point G » ainsi que sur Hopeful pour une reprise charnue du « Stayin’ Alive » des Bee Gees. Le feu d’artifice était prêt, totalement dynamité par la présence survoltée du chanteur James Copley, qui n’a pas ménagé son talent ni sa transpiration pour communiquer au public une fièvre chargée d’un pulpeuse pulsion : ici, sur un tapis jazz et funk dont l’épaisseur cuivrée me rappelait parfois les belles heures du groupe Chicago (en particulier la période de son album V) planaient les ombres d’Otis Redding, de Stevie Wonder et de bien d’autres, bref de toute celle soul music qu’on aime, celle de la Motown, dont pas un seul instant l’âme ne fut confite dans un passé idéalisé par la nostalgie, mais bien au contraire en prise directe avec le ressenti de notre époque : en témoignait la présence de 20Syl, le rappeur d’Hocus Pocus, lors de la dernière partie du concert. Et pour que la fête soit encore plus belle, les deux chanteurs de Because Of Lily (qui avaient assuré une courte et néanmoins chaleureuse première partie) sont venus ajouter leurs voix à celles qui, déjà, nous donnaient beaucoup.

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    [Electro Deluxe Big Band au New Morning]

    Et ton fils dans tout ça ? Ecoutez… ça me gêne un peu d’en parler, parce qu’il était 1/13e du Big Band, pas plus. Mais je vous accorde volontiers qu’il aura eu le privilège de quelques minutes bien à lui lorsqu’il a entrepris l’ascension d’un petit chorus comme il en a le secret sur « Point G ». Et là, c’est toujours pareil, papa a le trac, papa sent son pacemaker qui envoie du courant, papa se sent un tout petit peu responsable d’avoir occasionné indirectement cette exhibition talentueuse, papa se dit qu’il aurait dû obliger son fils à aimer... les maths, la physique, la chimie, à devenir ingénieur ou je ne sais quoi… Un truc bien utile, sérieux avec un costume et une cravate, pas comme la musique et ses saltimbanques dépenaillés… Mais bon, papa quand même un peu fier surtout, hein, mais pas trop, non non, juste content d’être là au bon moment et de participer à la fête. Et puis, je sais pour avoir tendu l'oreille ici ou là que ce moment a été fort prisé du public.

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    [Pierre "Madjazz Boy" Desassis]

    Zut, c’est encore trop de lecture, alors pour me faire pardonner, je vous offre : quelques photos et une vidéo de mon crû, auxquelles j’ajoute un échantillon de petits témoignages filmés trouvés sur la Toile. J’espère qu’ils vous donneront une bonne idée de l’ambiance survoltée qui régnait en ce 20 juin 2011.

    Autant vous dire qu’avec cette bonne grosse dose de musique survitaminée, je n’ai pas un seul instant ressenti le besoin, vingt-quatre heures plus tard, de déambuler à la fraîche dans les rues de Nancy pour slalomer entre les canettes de bière et des passants titubants aux yeux rougis par l’alcool. Je ne sais plus comment on appelle ça. Ah oui, la fête de la musique…

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    [James Copley]

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    [Thomas Faure]


    Et pour quelques minutes de plus, un petit bouquet de vidéos...




  • Africa / Brass Sessions

    Quinzième édition (eh oui, le temps passe si vite…) du rendez-vous désormais trimestriel que nous donne le Z Band, collectif spontané – et moins virtuel qu’il n’y paraît – ayant pour passion commune la musique en général et le jazz en particulier. Lorsqu’un l’un d’entre nous a lancé l’idée de l’Afrique comme sujet de rédaction, mon choix fut vite fait, l’hésitation n’était pas de mise. D’autant que ce mois de juin 2011 est  l’occasion de fêter le cinquantième anniversaire d’un enregistrement fascinant.

    Afrique… Africa… Africa / Brass SessionsJohn Coltrane.

    On me pardonnera, je l’espère, une certaine volonté de concision lorsqu’il s’agira de situer cet enregistrement du saxophoniste dans une carrière météorique. Une note entière n’y suffirait pas : quelques spécialistes ont savamment étudié son parcours et je ne peux que vous recommander la lecture du John Coltrane, Sa vie, sa musique de Lewis Porter sorti aux Etats-Unis en 1999 et publié en 2007 dans sa version française aux éditions Outre Mesure. Une somme qui passionnera non seulement les musiciens mais constituera pour tous une belle porte d’entrée dans l’univers de Coltrane. Pour ce qui est d’une approche discographique, on peut se reporter au site officiel, mais aussi faire un petit tour par ici.

    john coltrane,africa brass,z bandNous sommes donc au printemps 1961. John Coltrane arrive au terme de son contrat avec Atlantic (dont on peut écouter la totalité des disques, assortis de quelques pépites inédites, dans le coffret The Heavyweight Champion) : deux années particulièrement riches, celles qui l’ont vu s’envoler comme leader incontesté après une période dense de tous les apprentissages, parsemées d’un nombre impressionnant de sessions pour le compte du label Prestige (des enregistrements qui ont eux-mêmes fait l’objet d’une réédition sous la forme d’une somptueuse intégrale en 16 CD), mais aussi de son éclosion au sein du quintet de Miles Davis (oserez-vous confesser n’avoir jamais entendu parler de Kind Of Blue ?). A partir de 1959, le saxophoniste va vraiment avancer à pas de géants et se forger un univers hors du commun, progressivement habité d’une très forte spiritualité. Sa réappropriation en octobre 1960 d’un thème tiré d’une chanson populaire, celui de « My Favorite Things » issu de la comédie musicale The Sound Of Music, en est peut-être l’illustration la plus symptomatique. Car non seulement Coltrane y bouleverse la tradition du saxophone soprano, comme s’il s’agissait de réinventer l’instrument, mais il crée l’envoûtement par une version longue et tournoyante, hypnotique et enchantée, qui n’en finit pas de fasciner, plus de cinquante ans après. John Coltrane, inexorablement, entre dans la légende du jazz ; il devient même le sujet d’un article dans le magazine Time. Il y a chez lui quelque chose qui relève alors de la magie.

    En ce 23 mai 1961 donc, date de la première session d’Africa Brass, l’activité de John Coltrane est particulièrement intense car viennent s’y entrecroiser les différents chemins qu’il a dû emprunter comme par nécessité : quelques jours plus tôt, les 20 et 21 mai plus exactement, il est pour la dernière fois de retour en studio avec Miles Davis pour l’enregistrement de deux titres : « Someday My Prince Will Come » et « Teo ». Deux jours plus tard, le 25 mai, il solde son contrat avec Atlantic et met en boîte Olé, qui résonne de l’influence espagnole : la longue composition éponyme (qui occupe à l’origine toute une face du 33 tours) est basée sur un chant populaire connu sous les titres de « Venga Vallejo » ou « El Vito ». Mais Coltrane, travailleur forcené, vient de signer avec un autre label propriété de la Paramount : Impulse. Ce sera d’ailleurs son dernier contrat et rétrospectivement, on associe cet engagement avec tout ce qui fera l’identité Coltranienne : l’innovation, la marche en avant, une quête sans relâche vers une musique qui soit une et universelle, celle d’un cri vital. Autant dire que le premier enregistrement pour le compte d’Impulse revêt une importance capitale. Il s’agit, bien plus qu’un envol, d’une véritable ascension vers des sommets dont il ne pourra jamais revenir. Le climax de cette dernière étape d’une durée de six ans aura probablement été l’année 1965, d’une fécondité confondante et sans véritable équivalent dans l’histoire du jazz.

    La lecture du livre de Lewis Porter nous rappelle la passion que Coltrane vouait aux musiques du monde entier : « L’intérêt pour les gammes et modes venus d’Inde et d’ailleurs était indissociable de la mission plus large qu’il s’était assignée, celle de découvrir les universaux de la musique ». Coltrane aimait beaucoup Ravi Shankar (son propre fils ne s'appelant pas Ravi pour rien...) dont l’aspect modal de son art le fascinait. « Il y a beaucoup de musique modale qui est jouée chaque jour de par le monde. Elle est particulièrement évidente en Afrique mais, que vous vous tourniez vers l’Espagne ou l’Ecosse, vers l’Inde ou la Chine, c’est encore elle que vous retrouvez à chaque instant. Si vous voulez bien regarder au-delà des différences de styles, vous constaterez qu’il existe une base commune ». L’Afrique donc, ce berceau dont Coltrane a étudié les musiques, en particulier par les enregistrements du percussionniste Michael Babatunde Olatunji (en 1962, John Coltrane composera pour lui le splendide « Tunji »).  Il est donc manifeste que le saxophoniste semble s’imprégner véritablement des influences africaines, qu’il assimile de façon régulière. On en retrouve deux témoignages directs : dans la composition « Dahomey » d’une part, sur l’album Olé, et qui aurait été inspirée par un enregistrement in situ de deux chanteurs africains ; et puis, bien sûr, dans « Africa », cœur de ces Africa / Brass Sessions interprétées en grande formation.

    Pour faire aboutir le projet ambitieux de ces Brass Sessions, John Coltrane va en effet réunir un grand ensemble qui vient souffler sur son quartet (McCoy Tyner au piano, Elvin Jones à la batterie, Reggie Workman à la contrebasse) un vent chaud, organique et soyeux, donnant encore plus d’épaisseur à sa musique. Il y a là Eric Dolphy (au saxophone alto, à la flûte et à la clarinette basse) qui s’implique aussi assez largement dans l’orchestration ; une section complète de cors anglais, un tuba, un euphonium ; Booker Little et Freddy Hubbard et leur trompette ; parfois la contrebasse est doublée, par Paul Chambers ou Art Davis. Comme le souligne Lewis Porter, Coltrane voulait davantage se concentrer sur la mélodie, le rythme devenant alors un point de départ. « J’ai un disque africain à la maison et ils chantent ces rythmes, certains de leurs rythmes ancestraux, alors j’en ai emprunté une partie et je l’ai donnée à la basse. Elvin joue une partie et McCoy s’est arrangé pour trouver quelque chose à jouer, des sortes d’accords. (…) Je n’avais pas de mélodie non plus, je l’ai inventée en cours de route ».

    La journée du 23 mai 1961 constituera en réalité la première de deux sessions, la seconde se déroulant quelques jours plus tard, le 4 juin. John Coltrane enregistre d’abord « Greensleeves », un chant traditionnel anglais qui se présente comme une valse et vient s’enchaîner naturellement à celle de « My Favorite Things », quelques mois plus tôt. Pas totalement satisfait de cette première version, Coltrane en souhaitera une seconde, non sans avoir préalablement mis en boîte « Song Of The Underground Railroad », une composition née de ses recherches autour de la musique folklorique du XIXe siècle. Il restera ce jour-là peu de temps pour enregistrer « Africa » qui fait suite à une quatrième composition intitulée « The Damned Don’t Cry ». « Africa » et ses deux lignes de contrebasse, « Africa », massif et dense. « Africa » comme dans un souffle. Encore un choc.

    Comme il en avait l’habitude, Coltrane est rentré chez lui avec, sous le bras, l’enregistrement de cette session. Et même si l’ensemble lui apparut alors satisfaisant, il ressentit le besoin de revenir sur « Africa », d’autant qu’un nouveau rendez-vous en studio était d’ores et déjà programmé pour le 4 juin. Et c’est une formation légèrement différente (une trompette et un cor en moins, Art Davis prenant la seconde contrebasse à la place de Paul Chambers, …) qui commencera par enregistrer « Blues Minor » avant de s’attaquer à deux nouvelles versions de « Africa » : celles-ci diffèrent par bien des détails de la première. Sans entrer dans une exégèse fastidieuse : les cors sont plus mis en avant, Eric Dolphy joue du saxophone alto et ajoute quelques cris. Il semble qu’une plus forte énergie parcoure l’ensemble, ce qui rejaillit bien entendu sur le jeu de Coltrane. Et tout l’intérêt de la réédition en 1997 de ces deux journées atypiques sous la forme d’un double digipack intitulé The Complete Africa / Brass Sessions est de nous permettre, entre autres, de comparer trois versions d’une même œuvre, d’en apprécier les variations subtiles et de faire le constat de l’exigence qui guidait chacun des projets du saxophoniste. Et ce d’autant plus qu’elles sont le témoignage (avec Ascension en 1965) d’une de ses rares incursions vers une musique orchestrale.

    On l’aura compris, le cœur de ces deux sessions, leur colonne vertébrale, ce qui nourrit en réalité l’ensemble du disque est bien « Africa » (et n’enlève rien au reste du disque, bien entendu), longue composition, de 14 à 16 minutes selon les versions, qui gronde d’une pulsion magnifiquement transmise par les contrebasses et la batterie pendant que la section de cuivres lance de longs appels vibrants, comme autant de cris d’animaux sauvages, ceux-ci nous conduisant dans une jungle incertaine, tantôt redoutable, tantôt splendide. La musique dessine des paysages majestueux, une course effrénée commence devant nous. John Coltrane y est incantatoire, déchirant, magistral. On le ressent tellement habité, parcouru d’un souffle vibratoire qu’on en vient soi-même à retenir notre respiration. Elvin Jones nous offre de son côté un chorus lumineux, qui s’éteint sur le battement de la contrebasse avant la reprise du thème final. Un joyau de plus, en attendant les suivants.

    A l’écoute de cette musique enregistrée voici maintenant 50 ans, on comprend très vite que les années qui ont suivi auront été celles d’une musique hors de toutes les normes, une musique qui fera voler en éclats tous les cadres usuels. Quelques mois plus tard, du 1er au 5 novembre, John Coltrane investira le Village Vanguard de New York et bouleversera une fois de plus les codes en vigueur, inventant de nouvelles règles du jeu. Une deuxième pièce majeure à verser au dossier Impulse, qui a réédité en 1997 l’intégralité de ces soirées sous la forme d’un coffret de quatre disques : rien moins qu’essentiel, tant il nous dit le caractère séminal de ces heures. Le Coltrane de la folie débridée est en germe. Et s’il n’y interprète pas « Africa » (seul « Greensleeves » est intégré au répertoire), Coltrane fait la démonstration d’une force presque surhumaine, d’un engagement total – comme originel – et imprime à son art une spiritualité qui ne cessera de grandir durant les six années à venir.

    Aucun doute : la pulsion de l'Afrique – car c’est elle notre sujet du jour, ne l’oublions pas – aura très certainement contribué pour beaucoup à cette évolution foudroyante du saxophoniste, comme par l’injection dans les veines de John Coltrane du sang de la vie… Le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à ce continent meurtri.

    Assez parlé, on écoute maintenant : "Africa" (version 3), extrait de la session du 4 juin 1961

    John Coltrane (saxophone ténor), McCoy Tyner (piano), Reggie Workman & Art Davis (contrebasse), Elvin Jones (batterie), Eric Dolphy (bass clarinet), Booker Little (trompette), Britt Woodman (trombone), Carl Bowman (euphonium), Bill Barber (tuba), Pat Patrick (saxophone baryton), Julius Watkins, Donald Corrado, Bob Nothern & Robert Swisshelm (cor anglais).

    Du côté de chez Z, l'Afrique retrouvée :

    JazzOCentre : La trilogie Slavis-Romano-Texier

    Jazz Frisson : Abdullah Ibrahim et le temps dérobé

    Jazzques : Une interview d'Oran Etkin

    Mysteriojazz : L'Afrique, un sujet pas mal gâché...

    Ptilou's Blog : Afrique en chambre, Ballaké Sissoko et Vincent Segal

    Flux Jazz : Beautiful Africa - Bobby Few 4tet z'Avant Garde

     

     

  • Stéphane Belmondo - The Same As It Never Was Before

    stephane belmondo, citizen jazzIl flotte sur ce disque comme un parfum de plénitude… Stéphane Belmondo ne s’en cache pas : The Same As It Never Was Before est l’aboutissement d’un projet qui lui tenait particulièrement à cœur et sur lequel il a travaillé des années. Cinq, pour être exact. Un disque qui lui vaut par ailleurs une signature sur le prestigieux label Verve, celui de son enfance et des disques qu’écoutait son père. On imagine volontiers son bonheur à l’idée d’allier rêves de toujours et réalité…

    L’actualité des Belmondo et de leurs proches est très riche en ce moment : Laurent Fickelson, compagnon de route et directeur artistique de The Same As It Never Was Before, propose de son côté un envoûtant The Mind Thing où le trompettiste est naturellement impliqué. Lionel Belmondo, le vrai frère, réédite de son côté avec une ferveur peu commune son Hymne au soleil, devenu le nom d’une formation pour un album tout aussi réussi que son prédécesseur, Clair obscur.

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  • Parhélie "live"

    Le trio Sphère (Jean Kapsa : piano, Antoine Reininger : contrebasse ; Maxime Fleau : batterie) vient de publier un bel album appelé Parhélie. Ce disque est d’ailleurs l’objet de la chronique que j’écris actuellement pour Citizen Jazz, un texte que vous pourrez (si vous le voulez, bien sûr, je ne peux pas vous y obliger…) lire prochainement en ligne sur le site du magazine. Tout m’indique que je vais proposer qu’il soit classé dans la catégorie « Élu » tant je suis sensible à l’alchimie très séduisante que ces trois jeunes musiciens (ils ont l’âge de mes enfants, eh oui…) ont su créer : un disque extrêmement mélodique, habité d’une retenue qui témoigne de leur grande maturité et sur lequel leurs improvisations sont toujours convaincantes, comme le fruit naturel de leur travail et de leur connivence. Le trio manifeste un bel équilibre qui, à n’en point douter, est implicitement évoqué dans le titre de son premier disque.

    Je n’évoquerai donc ici Parhélie qu’indirectement, après avoir pu assister dimanche soir à un concert de la formation au Théâtre du Petit Hébertot à Paris (Zacharie Abraham remplaçant Antoine Reininger, engagé ailleurs). Dans le cadre intime de cette salle chaleureuse, les trois musiciens ont largement confirmé le bien que peut inspirer leur disque. Surtout, il nous ont montré que cet équilibre dont le centre est variable mais constant – là est bien le sens de ce parhélie musical – s’appuie sur de belles énergies reposant sur des personnalités différentes : presque timide, Jean Kapsa porte un discours souvent méditatif, il sait ne pas jouer une note quand elle n’est pas nécessaire et nous épargne les grands effets de manche et les chevauchées acrobatiques sur son clavier. Maxime Fleau, de son côté, est plus l’homme de la tension, d'une expression progressive de la puissance de son jeu. Remplaçant du moment, Zacharie Abraham a su trouver sa place (on imagine volontiers que l’exercice consistant à s’insérer dans un espace occupé par un autre depuis trois ou quatre ans n’est pas des plus aisés), discrètement mais sans faille néanmoins.

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    Le trio Sphère au Théâtre du Petit Hébertot - Paris, le 29 mai 2011.

    La petite conversation que j’ai pu avoir avec les musiciens après le concert a fini de me convaincre : voilà des artistes humbles et sincères, dont les horizons musicaux ne sont pas finis et qui regardent devant eux. Sphère a proposé une composition inédite ; lors de l’interview, nous avons pu aussi parler de l’autre groupe dont ils sont les membres actifs, Festen, et d’un projet de second disque. Attention : Sphère et Festen sont deux entités bien distinctes, aux esthétiques différentes. Par son approche, le premier est typiquement jazz, quand le second est manifestement porté par une vibration qui lorgne avec bonheur du côté du rock. Mais ce sont les mêmes êtres humains qui interagissent, c’est le même sang qui coule dans les veines des deux formations.

    Des formations que je surveille de près, croyez-le bien, parce qu’elles annoncent une génération d’artistes qui connaissent l’histoire du jazz sur le bout des doigts (voire de la musique classique : pour la petite histoire, on soulignera que Maxime Fleau, avant d’être batteur, a suivi un cursus de clarinettiste) mais qui savent lui adjoindre d’autres chapitres, sans le moindre complexe. Inutile de dire que leur cocktail a tout pour me plaire…

    En écoute, quelques minutes du concert au Théâtre du Petit Hébertot, avec un extrait de "Sept lieues sous les mers".
    Jean Kapsa (piano), Zacharie Abraham (contrebasse), Maxime Fleau (batterie). La captation privilégie (involontairement) le son de la batterie, mais le son d'ensemble me paraît écoutable...

    podcast

    PS : l'illustration est un montage un peu rustique... Parisien d'un jour sans appareil photo, j'ai dû faire avec les moyens du bord : plusieurs clichés pris avec mon téléphone, avant un petit rafistolage informatique, histoire de présenter le trio d'un seul coup d'œil...

  • Nuit d'ombrelle

    Didier Malherbe, Eric Löhrer, Nuit d'ombrelle, citizen jazzOn connaît la passion que Didier Malherbe éprouve depuis près de vingt ans pour le doudouk, instrument à vent originaire d’Arménie et chargé de la mémoire des hommes qui souffle depuis des siècles le velours de ses sons nostalgiques, souvent très émouvants. Cette passion s’épanouit notamment au sein d’Hadouk Trio, réjouissant tant par la personnalité attachante de ses membres (Steve Shehan et Loy Ehrlich) que par son répertoire ethnicisant. On peut en goûter les charmes soyeux au long de sept albums publiés en une quinzaine d’années.

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  • Essais de portraits...

    Une fois n’est pas coutume – et voilà que je me rends compte de ma trop longue absence bloguesque… enfin, quand je dis trop longue, je parle pour moi, pour vous, je ne sais pas – je vais vous donner plus à voir qu’à lire. Chers lecteurs, ayez suffisamment d’indulgence envers mon humble personne pour comprendre que le travail d’écriture que j’entreprends régulièrement pour Citizen Jazz devient à mes yeux prioritaire (ce que vous n’avez pas manqué de comprendre au fil des liens présents sur cet espace) et que se forme tout doucement un ensemble qui, à défaut d’être cohérent, se révèle plutôt chronophage… Car mes activités ici présentes seront prochainement (à la fin de l’année) complétées par le premier volume de la série de cinq livres en chantier du côté de par ici… Chroniques, blog, évocations plus personnelles… Autant de fragments, certainement vains, mais ô combien stimulants ! 

    Mais je tenais à souligner ici que la période récente aura été pour moi celle d’une magnifique série de concerts…

    Pensez-donc : en moins d’un mois, j’aurai pu assister à un concert du Bernica Octet venu présenter son nouveau disque Périple en Soundpainting / Bric-à-brac dont la chronique est à venir sur Citizen Jazz : François Jeanneau et sa bande de complices lorrains auront fait la démonstration de leur énergie communicative et d’une inventivité réjouissante que le recours à cette technique musico-gestuelle qu’est le soundpainting a bien mis en évidence. Et même si, après leur prestation, les musiciens recensaient une à une les imperfections de cette soirée (je ne suis pas certain de les avoir toutes détectées…), force est de constater que le public venu les encourager à la MJC Pichon de Nancy en est sorti plutôt souriant. Et j’en étais !

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    François Jeanneau (Bernica Octet)

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    Bernica Octet (Denis Moog)

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    Bernica Octet (Pierre Boepsflug)

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    Bernica Octet (Jean-Luc Déat)

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    Bernica Octet (Christian Mariotto)

    Quelque temps après, c’était le début du Marly Jazz Festival avec pour première soirée un concert de Stefano Di Battista venu, lui aussi, présenter son nouvel album, Woman’s Land (dont je suis en train d’écrire la chronique pour… qui vous savez). On oubliera vite la soporifique première partie pour mieux souligner la verve lyrique du saxophoniste italien, magnifiquement épaulé par ses acolytes au rang desquels il faut mentionner la présence de deux musiciens américains de haut vol : le batteur Jeff Ballard (par ailleurs membre du trio de Brad Meldhau) et le guitariste Jonathan Kreisberg dont le jeu se marie à la perfection au flux envoûtant et débordant de sève de celui de Di Battista. Retenez bien le nom de ce monsieur (qui a déjà plusieurs albums à son actif : prêtez une oreille attentive au tout dernier appelé Shadowless), qu’il m’a été donné d’apprécier avant le concert dans une démonstration inédite de guitare-trampoline… À chacun ses privilèges !

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    Stefano Di Battista

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    Jonathan Kreisberg

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    Un exercice de guitare-trampoline...

    Le surlendemain, voici le quartet du très grand Renaud Garcia-Fons : on sait peut-être que je lui voue une grande admiration, qu’il m’a déjà été donné d’évoquer ses disques ICI ou mais le plaisir de le voir sur scène est si rare que l’annonce de sa venue au Théâtre Gérard Philippe de Frouard m’a fait courir comme un lapin traqué par un chasseur à la rencontre vivante de sa musique qui transpire l’amour du sud et de la Méditerranée. Son quartet Linea del Sur a fait merveille : David Venitucci à l’accordéon, Kiko Ruiz à la guitare, Pascal Rollando aux percussions et, bien sûr, Renaud Garcia-Fons à la contrebasse), suscitant trois rappels de la part d’un public ayant rempli la salle. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer : la virtuosité de l’ensemble ? l’extrême humilité avec laquelle le contrebassiste se présente sur scène ? la chaleur très communicative qui émane de ses mélodies ? Une seule certitude : cette soirée était lumineuse à force d’ensoleillement.

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    Renaud Garcia-Fons (Quartet Linea Del Sur)

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    Kiko Ruiz (Quartet Linea Del Sur)

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    David Venitucci (Quartet Linea Del Sur)

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    Pascal Rollando (Quartet Linea Del Sur)

    Comme si cette forte dose de musique ne suffisait pas, le lendemain m’emmenait une nouvelle fois à Marly pour un concert du trio d’Avishai Cohen. Sacrée affiche, une fois encore, et bravo aux organisateurs. Le contrebassiste a soulevé la salle, il ne fait qu’un avec son instrument et son chant ladino est toujours aussi émouvant. Un concert comme un seul souffle… À ses côtés, le fidèle Shai Maestro au piano et le jeune Amir Bresler à la batterie (un peu bavard parfois, mais reconnaissons-lui un vrai sens du spectacle). La réussite de cette soirée de clôture aura été d’autant plus éclatante que se produisait en première partie un passionnant combo parisien aux accents zorniens (et admirateur déclaré de John Hollenbeck) : dans sa formule originale (saxophone, vibraphone, tuba, batterie), et sous la houlette de son fondateur Julien Soro, le Big Four Quartet a bien réussi son coup, il ne fait pas de doute qu’on reparlera de ces musiciens très impliqués dans leur musique.

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    Big Four Quartet (Julien Soro)

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    Big Four Quartet (Stephan Caracci)

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    Avishai Cohen

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    Shai Maestro (Avishai Cohen Trio)

     

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    Amir Bresler (Avishai Cohen Trio)

    D’autres scènes vont venir, très vite : demain, ce sera Louis Sclavis avec une soirée qui associera sa formation Lost On The Way et l’Ebony 5tet  dans la belle salle de l’Arsenal de Metz ; dimanche soir, au Théâtre du Petit Hébertot (Paris), le concert du trio Sphère à l’occasion de la sortie de son premier (et très beau) disque Parhélie (chronique en cours pour… etc etc). Il ne faudra surtout pas manquer le Grand Bernica au Festival Music Action de Vandœuvre-lès-Nancy le 3 juin : plus de 80 artistes sur scène, ça mérite d'être vu ! Retour enfin à Paris le 20 juin pour voir Electro Deluxe Big Band au New Morning : mon Madjazzboy de fils sera de la fête, j’espère pouvoir en revenir avec quelques instantanés.

    À propos de photographies : je suis bien loin de maîtriser toutes les subtilités de mon petit NEX-5, surtout lorsque je lui adjoins un drôle de zoom surdimensionné… Celles que vous pouvez voir sur cette note sont à prendre pour ce qu’elles sont : des tentatives (plus ou moins réussies) de portraits, à travers lesquels j’aimerais que puisse au moins transparaître la foi de ces artistes en leur musique. Ce serait déjà un début de réussite, même si je connais bien mes limites. Ne s’appelle pas Jacky ou Hélène qui veut…

    NB : l’exercice de guitare trampoline a été capté avec les moyens du bord, l’appareil photo de mon vieil iPhone…

  • Alain Debiossat - Valse & Attrape

    alain debiossat, sixun, valse & attrape, citizen jazzEntre la Vienne, l’Amérique et l’Afrique : ainsi pourrait-on résumer le parcours chamarré que nous propose Alain Debiossat avec Valse & Attrape, sa première réalisation en solo. Encore faudrait-il fortement nuancer ce dernier mot, finalement peu adéquat tant l’entourage du saxophoniste de Sixun a fière allure et s’apparenterait plutôt à un big band de luxe rythmique.

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  • Artaud - Music From Early Times

    vincent artaud, music from early times, citizen jazzIl faut parfois oser prendre les paris, ce que nous ferons ici sans la moindre réticence : Music From Early Times est un grand disque. Un très grand même, de ceux qui marquent de leur empreinte la production contemporaine.

    Intemporel, inclassable, inventif, méditatif et œcuménique, il se place d’emblée très haut sur la pile des disques qu’on garde près de soi, pour y revenir, non jusqu’au tarissement du plaisir, mais parce que tout nous dit qu’il aura beaucoup à offrir, et pour longtemps. Une sorte de source vivifiante à laquelle on s’abreuve, mû par la nécessité d’une confrontation avec la beauté et l’indicible. Un éclat de lumière, celle peut-être d’une aube rougissante, née d’un harmonieux brassage de jazz, de musique contemporaine mais aussi classique, de jazz-rock ou de musique électronique, sur un fond de philosophie cabalistique et de métaphysique.

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  • Cédric Hanriot - French Stories

    cedric hanriot, french stories, citizen jazzNous avions rencontré Cédric Hanriot et son complice Bertrand Béruard voici près de quatre ans. Ils nous avaient raconté leur parcours et la fécondation in musica de leur enfant commun, le dénommé Frog’n’Stein, un batracien aux tentations électro-jazz qui avait finalement donné naissance à un premier disque réussi et attachant, Electrify My Soul.

    Et voilà qu’en 2010, Cédric Hanriot revient fièrement de son voyage initiatique aux Etats-Unis avec, sous le bras, ses French Stories.

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  • Alien - Antibes 1983

    alien_trio_1983.jpgIl faut d’abord s’attarder sur la pochette : Christian Vander, mystérieux comme toujours, presque inquiétant, semble sonder de son glacial regard d’acier le mystère de la vie, cette vie si précieuse qui, en cet été 1983, n’a pas encore filé entre les doigts virtuoses des deux musiciens habités par la grâce qui l’entourent. Alby Cullaz et Michel Graillier posent à ses côtés dans une posture plus décontractée, pour ne pas dire plus humaine, préfigurant ce que traduit la musique. Une opposition formelle – la démesure du batteur face à la liberté décrispée de ses compagnons – dans une complémentarité d’esprit que, peut-être, Vander n’atteindra jamais plus au sein de ses différentes expériences sur la scène jazz.

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  • Fielleux

    Dans un récent article du journal Le Monde, Sylvain Siclier se paie assez méchamment la chanteuse coréenne Youn Sun Nah après sa prestation en duo avec le guitariste Ulf Wakenius au Printemps de Bourges.

    Voici ce qu’il nous dit : « …Youn Sun Nah en fait trop, épuisante de virtuosité. Sur la forme, le principe est un peu répétitif. Elle pose, avec le guitariste Ulf Wakenius la mélodie, qu’elle double de la voix, sans louper un quart de ton, une quintuple croche. Puis les deux improvisent. Dans la vitesse la plupart du temps. Et même sur tempo lent ils en mettent partout. C’est bluffant au premier abord. Puis assommant. Du jazz, elle oublie le nécessaire swing et la fantaisie ».

    Je me demande bien qui, dans cette histoire, manque de fantaisie et de la plus élémentaire fraîcheur d’esprit. Si chacun d’entre nous est libre de ses opinions, force est de constater qu’on a connu le journaliste beaucoup mieux inspiré. Quelle est donc cette amertume qui le conduit à s’égarer ainsi et déverser laconiquement une bile hors de propos ? Pour avoir eu la chance d’assister à un concert du même duo lors de la dernière édition des Nancy Jazz Pulsations, je ne peux que m’inscrire en faux et souligner, une fois encore, la grâce de ces deux artistes chaleureux ! Point de démonstration – même si l’un comme l’autre sont effectivement de vrais virtuoses – de leur part, juste une salutaire décharge de lumière dont les effets bienfaisants se font sentir bien longtemps après la dernière note jouée. Sans oublier une belle dose d’humour, prenant appui sur une prise en compte sincère du public avec lequel ils dialoguent tout naturellement. Cerise sur le gâteau, Youn Sun Nah est une personne délicieuse qui a conservé une simplicité très touchante à travers laquelle elle démontre que l’être humain habite son art au plus près du cœur. Quelques instants après le rappel, je la vois encore s’émerveiller – comme si elle doutait de son propre rayonnement – en parlant avec un groupe d’enfants venus l’écouter et qui s’étaient précipités pour lui poser des questions minutieusement préparées avec leur professeur de musique. Son regard pétillait d’une joie non feinte. Juste avant de prendre le temps de bavarder tranquillement avec moi, sans la moindre distance.

    youn sun nah
    Photo Youn Sun Nag © Jacky Joannès

    Au rayon des circonstances atténuantes pour le journaliste, on pourra peut-être émettre l’hypothèse qu’au mois d’octobre dernier, Youn Sun Nah se produisait dans le cadre intime et chaleureux de La Fabrique, cette petite salle jouxtant le Théâtre de la Manufacture de Nancy. Un lieu idéal pour cette musique puisant aussi bien dans un répertoire jazz que dans la comédie musicale (avec la reprise de « My Favorite Things », une chanson extraite de The Sound Of Music), en passant par les influences de la tradition musicale de sa Corée natale, une composition de Nirvana ou Van Halen. Ce qui n’était peut-être pas le cas de la scène du Printemps de Bourges, certainement plus adaptée aux grosses machineries en vogue et hautement périssables. Mais on ne pourra m’empêcher de penser que cette vacherie adressée à Youn Sun Nah trouve aussi son origine dans un dépit mal placé. Comme si Sylvian Siclier regrettait que la reconnaissance dont bénéficie désormais la chanteuse l’avait fait sortir du cadre strictement réservé aux spécialistes dont il pense être l’une des voix autorisées. Comme si son succès actuel la rabaissait au rang d’objet de curiosité commerciale, indigne de la nécessaire austérité derrière laquelle tout musicien digne de ce nom doit se ranger.

    Oublions donc cette saillie condescendante et réjouissons-nous plutôt à l’idée que le talent, parfois, rencontre un large public. Cette jonction n’est pas si fréquente qu’il faille à tout prix tomber dans le dénigrement hautain et les jugements péremptoires d’un spécialiste qui devrait se rappeler que les colonnes d’un grand journal ne sont pas extensibles au point qu’on puisse s’autoriser à les remplir d’une démonstration de grand vide émotionnel.

    Alors écoutons les disques de Youn Sun Nah (ses deux dernières productions, appelées Same Girl et Voyage sont de véritables petits bijoux de sensibilité) et prenons le temps de l’écouter nous parler de sa version de « My Favorite Things ».

  • Patience

    stephane kerecki, john taylor, patienceIl est parfois des disques qui semblent tombés du ciel… La veille, on ignore encore jusqu'à leur existence et puis, un beau matin, votre boîte aux lettres – ou plutôt l’orifice dans la porte d’entrée qui fait office de boîte aux lettres, au grand dam du facteur qui fulmine régulièrement contre son exigüité et qui vous le fait savoir en glissant un avis de passage notifiant l’échec de sa livraison et sa volonté stupide de réitérer dès le lendemain à la même heure, c’est-à-dire une fois de plus en votre absence, second ratage qui vous conduira au bout du troisième jour au bureau de Poste le plus proche – résonne de la chute d’un paquet inattendu sur le tapis rectangulaire destiné à adoucir la brutalité d’une atterrissage non désiré. Plouf ! Une enveloppe matelassée attend désormais qu’on veuille bien rompre la solitude dans laquelle elle a tout juste eu le temps de se morfondre depuis son échouage. Scritch ! Scratch ! Scrontch !* A quoi il faudrait aussi ajouter un « Aïe ! » douloureux, assorti de quelques grossièretés que ma retenue naturelle m’interdit de reproduire ici, soit autant d’expressions spontanées consécutives à la vilaine et douloureuse coupure que cette saloperie de papier a mesquinement provoqué sur mon doigt fragilisé par une petite onzaine de milliers de comprimés d’anticoagulant absorbés à doses quotidiennes durant plus de 30 ans.

    Ah, c’est un CD ! Allez savoir pourquoi, malgré plus de quatre décennies pendant lesquelles la musique a occupé une place centrale dans votre vie et anéanti toute la vitalité calculée de votre argent de poche, la prise en main d’un disque – je parle ici de l’objet, avec sa pochette, son livret, ses pages à tourner, ses notes à lire – libère toujours la même dose bienfaisante de joie qui semble ne manifester à ce jour aucun signe de faiblesse.

    Le disque du contrebassiste Stéphane Kérecki et du pianiste John Taylor s’appelle Patience. Ce titre court traduit parfaitement la sérénité qui émane d’un duo nocturne et intime. Deux musiciens sont face à nous – la prise de son au plus près des instruments exacerbe une proximité recherchée – et dialoguent en toute élégance. L’histoire veut que ces deux artistes, qui se sont découverts à l’occasion de cet enregistrement, n’aient éprouvé aucune difficulté à nouer une conversation d’une grande fluidité, dont chaque note exprime à la fois un profond respect de l’autre et une écoute attentive. Cette musique nous entoure, elle est hors du temps, détachée des modes et de toute volonté ostentatoire de séduction.

    Disons-le simplement : Patience est un beau disque, à écouter autant de fois que nécessaire. A sa manière, il est aussi un vrai manifeste, un discret étendard brandi contre les vulgarités ambiantes. Et que les choses soient bien claires entre nous : Kerecki & Taylor est bien le nom d'un duo habité et séduisant, pas d'une ligne de vêtements. Je ne voudrais pas que nos élites soient une fois de plus les victimes d'une stupide confusion... Ce qui ne doit pas leur interdire de prêter une oreille à ce disque qui pourrait leur apporter le complément cérébral qui leur fait souvent défaut...

    * Onomatopée laborieuse visant à retranscrire le bruit émis par un quinquagénaire index arthritique déchirant fiévreusement l’enveloppe dissimulant la précieuse galette elle-même nichée dans un sobre digipack scellé sous cellophane.

  • Avishai Cohen - Seven Seas

    seven_seas.jpgEt si Avishai Cohen, contrebassiste charismatique dont la renommée n’a cessé de croître depuis le début de ce siècle via une douzaine d’albums, témoignages de ses expériences multiples, venait avec Seven Seas de réaliser ce qu’en d’autres milieux on appelle un coup parfait ?

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  • Plaistow - The Crow

    plaistow, the crow, unit records, citizen jazz jazzAutant le dire d’emblée : il est plutôt difficile de cerner en quelques lignes le captivant projet artistique que constitue le trio helvète Plaistow qui a publié à l’automne 2010, après plusieurs galops d’essai sous la forme d’EP’s, un premier album sombre et magnétique intitulé The Crow. Un disque pas comme les autres car détaché de toute contrainte, un propos à l’éclectisme inclassable tant les influences sont variées et assimilées dans une écriture alternant free jazz, une pulsation terrienne et des thèmes souvent minimalistes.

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  • Festen Live

    festen, damien fleau, jean kapsa, oliver degabriele, maxime fleauSont bien les jeunes de maintenant…

    J’ai tout récemment salué la publication du premier disque d’un quartet appelé Festen. Si vous souhaitez lire le petit « compliment » que j’ai tourné au sujet de cette formation séduisante – dont la maturité après tout juste trois ans d’existence est plutôt impressionnante – dans une chronique pour Citizen Jazz, c’est simple : allez voir par ICI !

    En ce premier jour du printemps, les quatre compères – Damien Fleau (saxophones), Jean Kapsa (piano), Oliver Degabriele (contrebasse) et Maxime Fleau (batterie) – nous réservent une petite surprise que j’avais envie de saluer ici.

    Parce qu’il s’agit d’une bonne surprise en ce qui me concerne, moi qui avais planifié une petite virée à Lyon au mois de février pour aller les écouter sur la scène du Périscope. Mais les agendas personnels ont parfois leurs circonvolutions et l’imprévu, même lorsqu’il est agréable, peut contrarier vos projets. Pas de Lyon, pas de Périscope, pas de Festen. Pas bien.

    Or, voici que Festen propose, pour la modique somme de 2,99 € une petite séance de rattrapage que je ne saurais que trop vous recommander ! Cliquez donc et vous accéderez en quelques fractions de seconde à une page à partir de laquelle vous pourrez télécharger en format numérique (mp3 320, Flac et quelques autres) une partie de ce concert enregistré le 12 février 2011.

    Cinq titres (dont trois inédits avec notamment « All Apologies » de Nirvana), 45 minutes de musique et une prise de son qui n’a rien à envier à certaines réalisations plus médiatiques… et toujours cet esprit collectif mis au service d’un propos qui sait faire son miel aussi bien de l’esprit de liberté du jazz que de la tension binaire du rock, conférant ainsi au groupe une vraie personnalité, une attachante singularité.

    Voilà une initiative intelligente – et pas le moins du monde empreinte de ce narcissisme par lequel vous seriez enclins à vendre un peu facilement du live bas de gamme – dont je tenais à souligner la réactivité (le téléchargement est disponible à peine plus d’un mois après le concert) et parce qu’elle témoigne du vrai souci de partager une musique vivante. Le prix modique est par ailleurs la marque d’une réelle prise en compte, de la part des membres du groupe, de la réalité de l’économie de tous ceux qui souhaitent soutenir Festen.

    Merci donc à eux pour ce qu’ils nous donnent à écouter. De toutes façons, je suis persuadé qu’on n’a pas fini d’entendre parler de ces quatre musiciens, ils le méritent.

  • Libre(s)ensemble

    libre(s)ensemble, bruno toccane, imuzzicStop ! Je vous arrête tout de suite… Je crois même vous avoir annoncé la couleur dans ma précédente note et revendiqué le droit de revenir à nouveau sur le talent d’un musicien dont la créativité et l’énergie communicative m’épatent. Car après avoir salué comme il se devait toutes les qualités du 4 New Dreams enregistré en quartet par le batteur Bruno Tocanne, il me paraît peu raisonnable d’ignorer le flamboyant Libre(s)ensemble dont la création lui doit beaucoup, même si cette formation, composée de huit musiciens (plus une musicienne présente sur deux titres de l’album) dont une bonne partie a déjà travaillé aux côtés du batteur, se veut « égalitaire, non soumise à l'autocratie d'un chef unique - chacun vient avec ses idées, son sens du jeu, son écoute d'autrui et ses partitions ». C’est pas moi qui le dis, c’est eux et ils savent ce qu’ils font, les bougres.

    Personne, donc, ne pourra ni ne devra me reprocher d’avoir été pris d’une très forte envie de bisser… Voilà bien qui peut arriver à n’importe lequel d’entre nous, n’est-ce pas ?

    Au rayon de la biographie, je vous épargnerai l’énumération des pointures avec lesquelles notre homme a frotté balais, baguettes et peaux. On trouve une multitude d’informations à ce sujet, aussi bien sur le site Internet du monsieur que sur telle ou telle page à vocation encyclopédique qu’une recherche sur un moteur idoine saura vous dénicher en moins de temps qu’il n’en faut au tout petit Nicolas pour remanier son équipe de bras cassés après nous avoir expliqué qu’ils étaient des professionnels (c’est dire combien la technologie des réseaux nous donne rapidement accès à des informations) et qui feint d’ignorer qu’une possible vague qualifiée hâtivement de bleu Marine, quoique franchement brunâtre, pourrait trouver l’une de ses sources dans l’océan de la médiocrité au pouvoir. Observons la naissance de cette nouvelle et sinistre teinte : le brun Marine, fin de la parenthèse…

    Néanmoins, j’ai vu passer sous la fenêtre de mon écran treize pouces un nombre impressionnant de musiciens, comme par exemple ceux de : Laurent Cugny, Hugh Hopper, Michel Benita, Sophia Domancich, Paul Rogers, John Greaves, Steve Potts, Francesco Bearzatti, Didier Lockwood, Zool Fleischer, Jean-Luc Ponthieux ou Daniel Huck… et bien d’autres encore. Si vous souhaitez en savoir plus, vous savez comment faire (voir plus haut). Quant à toi mon cher Bruno, si tu penses que je dois en ajouter, n’hésite pas à me le dire, il me reste de la place.

    De même, je ne peux passer sous silence la création, voici plus de dix ans maintenant, du réseau Imuzzic dont il est le directeur artistique. Ni celle du trio Résistances et ses trois disques au compteur ou de l’I-Overdrive Trio qui célèbre la musique de Syd Barrett (membre fondateur de Pink Floyd). Encore moins ignorer ses nouveaux rêves, qu’ils soient au nombre de cinq (5 New Dreams) ou de quatre (4 New Dreams)…

    Vous savez donc, puisque vous lisez mon blog avec un acharnement méritoire et un entêtement qui forcent l’admiration – dont on trouvera seulement un pâle équivalent dans la constance mise par la rigide et rigolote Michèle Alliot-Marie à nous expliquer voici peu les vertus éminemment touristiques de son séjour optimisé par des moyens de transports rapides et économiques dans un pays peu soucieux des libertés publiques et de la répartition de richesses confisquées par une poignée de voyous régnants, un pays ami de longue date donc – tout le bien que j’ai pu écrire sur ce disque. Au risque d’apparaître prétentieux, je vais même ici m’auto-citer : « Bruno Tocanne aime l'idée de résistance et c'est aussi ce qu'on apprécie chez lui : on sent qu'armé de ses baguettes, il dynamite à la fois sa musique mais aussi notre vigilance ». Ouais, c’est pas mal comme phrase… Je suis certain de pouvoir faire mieux mais à mon âge, finalement, ce n’est pas si mal. Mais revenons à notre mouton percussif, plutôt que de digresser bêtement…

    La parution, à la fin de l’année 2010, d’un nouveau disque sous l’emblème du Libre(s)ensemble me réjouit à un point tel que seule la sensation de me trouver confronté à l’essentiel de la création musicale, concentrée en cinquante et une minutes, peut expliquer. Du côté de chez Tocanne et compagnie, on ne badine pas avec les notes, on ne souffle pas du bout des lèvres, on ne gratte pas les cordes distraitement, on ne frappe pas par hasard. On vit sa musique, on la fait vibrer, on danse sur un volcan. Comme disait autrefois un vieil oncle kobaïen : « La musique est vitale ou elle est insignifiante ». Il avait certainement raison le Tonton, même si, parfois, sa raison a pu lui faire dire des choses moins essentielles… Je m’égare, une fois de plus.

    Libre(s)ensemble, à la fois nom d’un groupe et titre d’un disque, s’apparente à un manifeste brûlant dont le positionnement artistique s’avère bien difficile à opérer tant il regorge d’influences parfaitement assimilées et mixées en un breuvage à la saveur sui generis. Quelle importance, après tout ? Il y a dans cette musique l’évidence cuivrée des hymnes du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, les fulgurances chaloupées d’un Ornette Coleman au temps de son double quartet Free Jazz, les déchirements d’un John Zorn mais aussi son naturel mélodique, les tentations bruitistes d’un Henry Cow, celui de Unrest par exemple, ou les scansions rageuses et électriques d’un King Crimson époque Red (son influence est à peine masquée dans le martèlement hypnotique de « La Foley » et carrément explicite au cours des trois minutes finales de « Free KC to Gawa », deux compositions signées du guitariste Philippe Gordiani dont on connaît les amours frippées, quand il ne célèbre pas Syd Barrett au sein de l’I-Overdrive Trio).

    Peut-être aurez-vous l’impression que j’exagère, que je grossis le trait et accorde à ce disque une importance démesurée. Peut-être en effet… Mais ce ne serait vraiment pas faire justice au sentiment de profonde jubilation qui m’a gagné à son écoute et que je mesure très naturellement au besoin éprouvé de faire tourner en boucle un enregistrement tel que celui-ci. Au point de reprocher temporairement à la plupart des autres leur manque de saveur, leur absence de chair autour de l’os. Un grief à connotation culinaire qui me fait dire que Libre(s)ensemble est un disque goûteux, gorgé de sucs et de sève, c’est une galette de printemps qui s’annonce, une heure de pétulant fracas à s’en mettre plein les oreilles jusqu’à plus ouïe ! Un truc pour vous rendre un peu marteau des tympans…

    J’ai employé le mot hymne. Oui, des hymnes, car comment qualifier autrement le thème magnifique qu’est celui de « Crépuscule avec Nelly » ? Comment ne pas frissonner de plaisir à l’écoute du « Chant des marais » de Rudolf Goguel, ce chant de tous les déportés, sa mélodie vibrante jouée au saxophone sopranino, en la bonne compagnie de deux guitares qui assurent pacifiquement le rythme. Pareil pour « La révolte des Canuts », le quatrième mouvement de la bouillonnante « Suite for Libre Ensemble », qui n’est pas sans évoquer « Amazing Grace ». La suite en elle-même est une œuvre fascinante où tous les instruments sont à la fête et viennent marcher dans les pas d’Ornette Coleman ou John Zorn tant le groupe jubile de liberté explosive. On pourrait continuer longtemps ainsi, car chacune des compositions réserve sa part de surprise, multiplie les expérimentations dans une vraie euphorie créative… L’essentiel est là, dans la densité du propos ; dans l’absence de caresse dans le sens du poil qui, de fait, se dresse souvent sur la peau ; dans le fait que pas un musicien ne semble vouloir tirer la corde à lui ; dans la volonté d’avancer en toute ébullition ; dans la cohésion et la liberté de ce big band ébouriffé qui sont remarquables, au point qu’on aurait envie de le rebaptiser Équilibre(s)ensemble.

    Quand j’écoute, ré-écoute et écoute encore ce disque, je me dis que tout n’est pas perdu (attention les copains, je ne suis pas naïf et je sais la difficulté d’être musicien) en cette époque où la politique culturelle consiste d’abord à médailler de vieilles badernes à frange. La marmite continue de bouillir, les ingrédients sont probablement plus nombreux qu’ils ne l’ont jamais été et la greffe depuis quelques années d’une belle branche rock sur l’arbre du jazz prend bien, ça commence à bourgeonner joyeusement. Même si d’aucuns n’hésitent pas à évoquer l’idée d’une musique dégénérée (oui oui, y en a qui pensent ça) dès lors qu’un soupçon de binaire commence à fleurir.

    Ah tiens ! Je crois même qu’on devrait recommander l’écoute de Libre(s)ensemble à ce chroniqueur (dont j’ai oublié le nom et celui du site sur lequel il libère sa prose confite) qui écrivait tout récemment : « Le jazz, cette musique si agréable à jouer mais parfois ennuyeuse à écouter, qui finit ces temps-ci par ressasser ses archétypes, comme un vieillard réchauffant ses vieux os au pâle soleil d’hiver ». Dans le genre nul, on a rarement écrit mieux. Hé, mon gars ! Faut sortir un peu de ton salon ! Dis donc, elle sent fort le vieux cliché paresseux, ton analyse à trois sous, tu ne crois pas ? Allez, viens te faire un peu secouer la poussière dans la boutique à Bruno Tocanne, tu verras, ça fait du bien et ensuite, on sent le frais, on est tout printanier, on a faim !

    Bon… ben… voilà, je crois que j’ai été un peu long mais je voulais juste vous dire : précipitez-vous sur Libre(s)ensemble, c’est un chouette disque, avec plein de morceaux de vraie musique dedans. Miam ! Vous voyez que je peux faire court quand je veux.

    Sans oublier…

    Les funambules du Libre(s)ensemble :

    Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Philippe Gordiani (guitare), Benoît Keller (contrebasse), Arnaud Laprêt (percussions), Elodie Pasquier (clarinettes), Fred Meyer (guitare), Fred Roudet (trompette, bugle), Damien Sabatier (saxophones sopranino, alto et baryton), Bruno Tocanne (batterie).

    La chronique de Franpi pour Citizen Jazz

    C’est ICI ! Et le disque est ELU !

    Une petite vidéo ?

    PS : sans rire, Libre(s)ensemble, c’est vraiment un disque coup de cœur, je vais finir par l’user (le disque, pas le cœur, qui l’est déjà depuis belle lurette…).

  • Envol

    sebastien llado, avec deux ailes, les disques de lilyVoilà quelque temps que je garde sous le coude un chouette disque dont je ne cesse de me dire : « Il faut que j’en parle, il faut que j’en parle, il faut que j’en parle… ». Notez bien que le niveau de la pile des galettes qui mériteraient une telle attention est chaque jour plus élevé. Allez comprendre… Le disque ne se vend plus, ou presque, seuls quelques dinosaures qui dégoulinent de nostalgie bedonnante ou un maigre bataillon de chanteurs insipides savamment marketés tels des flacons de gel douche, au point qu’on en finit par exhiber leurs revenus parfois fiscalement exilés en un pathétique palmarès, seul critère retenu pour vanter leurs mérites, parviennent à tirer leur épingle financière du jeu. Allez comprendre, disais-je, comment dans un tel contexte des artistes – des vrais, avec de beaux morceaux de musique dedans – continuent à se battre pour défendre une cause si méchamment battue en brèche par la vulgate régnante et formolisée ! Il leur faut déployer une sacrée énergie qui force l’admiration. Dont acte.

    Hier encore, Henri Texier me remerciait chaleureusement de l’une de mes dernières chroniques pour Citizen Jazz. Un comble ! C’est à moi de dire merci, non ? Quelques minutes plus tard, le batteur Bruno Tocanne – je ne possède aucune action de l’entreprise Tocanne, qu’on se le dise ! J’évoquais récemment ses 4 New Dreams parce que tel était mon bon plaisir et sachez dès à présent que je peux récidiver si ça me chante. Non mais… – m’exprimait sa sincère gratitude, parce qu’en privé, je lui faisais part de mon enthousiasme à l’écoute de Libre(s)ensemble, disque échevelé et passionnant de bout en bout. Tiens, il faudra que je parle aussi de ce disque, il mérite vraiment le détour. Ce kaléidoscope à dix voix qui s’expriment d’égale à égale, où viennent frotter leurs molécules créatives les atomes d’Ornette Coleman, de l’Afrique ou bien encore de King Crimson est un réjouissant condensé de tout ce que peut avoir de meilleur une musique savante mais désentravée des raideurs d’un académisme pesant et, surtout, totalement libre des directions qu’elle veut prendre. La séduction est totale et immédiate. Ah si vous saviez comment tous ces artistes doivent lutter chaque jour pour faire vivre (et vivre de) leur art ! La bagarre est rude, injuste et l’on s’arrache les cheveux à réaliser à quel point la mise sur pied même d’un concert constitue une aventure périlleuse…

    Mais revenons à mes moutons qui cette fois – la nature ayant ses mystères – ont deux ailes ! Késako ? Oh, juste un gentil jeu de mots proposé par le tromboniste Sébastien Llado (avec deux L, vous avez compris) sur un nouveau label (marrant, y a deux L dans label…) dans lequel est très impliqué un monsieur proche de Citizen Jazz, Jérôme Gransac (note à l’attention de mes détracteurs : je ne parle pas de ce disque par esprit de clan, mais parce que c’est un très bon disque…). Cette nouvelle écurie a pour nom Les Disques de Lily (je rêve ou ce prénom compte deux L…) et nous offre le témoignage live au Sunside à Paris de la belle santé d’un quartet enregistré le 20 novembre 2009. Au-delà des qualités des musicien(ne)s qui composent cette formation : Sébastien Llado : trombone, conques & conches ; Leïla Olivesi (piano, claviers) ; Bruno Schorp (contrebasse), Julie Saury (batterie), Avec deux ailes n’est rien moins qu’un disque qui transpire la joie de jouer ! Ma collègue Sophie Chambon de Citizen Jazz a récemment dit tout le bien qu’elle pensait de cet enregistrement. Elle a eu raison ! Dans la foulée, notre chère Pie Blésoise, entre autres émérite membre du Z Band y est allée de son compliment, dans une mouture renouvelée de son JazzOcentre que je salue ici même. En cherchant bien, on trouvera sur la toile et dans la presse de nombreux témoignages de l’accueil chaleureux qu’a reçu le disque, ce dont on se félicitera !

    Je ne vais pas vous la jouer biographe (les notes de Jérôme Gransac sur la pochette du digipack font ça très bien), mais j’aimerais tout de même rappeler que le tromboniste n’est pas le dernier venu. Quelques hauts faits peuvent vous aider à dessiner rapidement le portrait de ce jeune homme de 36 ans : membre de l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Claude Barthélémy ; collaborations avec Médéric Collignon, Manu Codjia, Magic Malik… ; il fait aussi entendre son instrument aux côtés de Lenny Kravitz ou bien encore Yael Naim ; il préside aux destinées d’un quartet, d’un trio (Tryo[ut]) et même d’un projet solo appelé Machination, dans lequel il conjugue coquillages et machines à haute technologie. Bref, c’est un sacré client qui n’avait jusque là pas ressenti la nécessité du disque (le contexte rappelé en tête de cette note n’étant pas étranger à ses réticences)… Et pourtant, prosternons-nous, remercions Jérôme Gransac & C° d’avoir sur le convaincre de ne pas persister dans ce refus !

    Sébastien Llado a relevé le défi, celui d’un enregistrement live en une seule prise. Le disque rend parfaitement justice à la fougue qui habite les musiciens, à leur volubilité et leur extrême cohésion. Dans le cocktail qu’il nous invite à déguster, chacun trouvera de quoi savourer les petits bonheurs d’un jazz bondissant et bien dans sa peau. Cerise sur ce gâteau (à bien y réfléchir, c’est plutôt d’un plateau de fruits de mer qu’il faudrait parler), le quartet s’attaque dès les premières mesures à un monument plutôt inattendu en livrant sa version – tout en rondeurs pétillantes, amoureux du trombone, ne boudez pas votre plaisir – du « Billie Jean » d’un certain Michael Jackson. Au chapitre des curiosités réjouissantes, Brigitte Bardot sera mise à l’honneur un peu plus loin avec une version naturaliste (conques & conches) et désopilante de « Coquillages et Crustacés » qui laisse ensuite la place à une relecture de « La Madrague » ici renommée « La Magrade ». Sébastien Llado pratique l’œcuménisme musical et s’accorde le droit de puiser là où bon lui semble son inspiration. Qui est ici parfaitement stimulée par ses trois compagnons : Avec deux ailes est un disque heureux, virtuose, débordant de joie de vivre et d’humour aussi, ce qui en passant ne fait jamais de mal. On se dit qu’avec Sébastien Llado et ses complices, on est préservé du risque de se retrouver au régime sans ailes.

    Une petite vidéo ?