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Envol

sebastien llado, avec deux ailes, les disques de lilyVoilà quelque temps que je garde sous le coude un chouette disque dont je ne cesse de me dire : « Il faut que j’en parle, il faut que j’en parle, il faut que j’en parle… ». Notez bien que le niveau de la pile des galettes qui mériteraient une telle attention est chaque jour plus élevé. Allez comprendre… Le disque ne se vend plus, ou presque, seuls quelques dinosaures qui dégoulinent de nostalgie bedonnante ou un maigre bataillon de chanteurs insipides savamment marketés tels des flacons de gel douche, au point qu’on en finit par exhiber leurs revenus parfois fiscalement exilés en un pathétique palmarès, seul critère retenu pour vanter leurs mérites, parviennent à tirer leur épingle financière du jeu. Allez comprendre, disais-je, comment dans un tel contexte des artistes – des vrais, avec de beaux morceaux de musique dedans – continuent à se battre pour défendre une cause si méchamment battue en brèche par la vulgate régnante et formolisée ! Il leur faut déployer une sacrée énergie qui force l’admiration. Dont acte.

Hier encore, Henri Texier me remerciait chaleureusement de l’une de mes dernières chroniques pour Citizen Jazz. Un comble ! C’est à moi de dire merci, non ? Quelques minutes plus tard, le batteur Bruno Tocanne – je ne possède aucune action de l’entreprise Tocanne, qu’on se le dise ! J’évoquais récemment ses 4 New Dreams parce que tel était mon bon plaisir et sachez dès à présent que je peux récidiver si ça me chante. Non mais… – m’exprimait sa sincère gratitude, parce qu’en privé, je lui faisais part de mon enthousiasme à l’écoute de Libre(s)ensemble, disque échevelé et passionnant de bout en bout. Tiens, il faudra que je parle aussi de ce disque, il mérite vraiment le détour. Ce kaléidoscope à dix voix qui s’expriment d’égale à égale, où viennent frotter leurs molécules créatives les atomes d’Ornette Coleman, de l’Afrique ou bien encore de King Crimson est un réjouissant condensé de tout ce que peut avoir de meilleur une musique savante mais désentravée des raideurs d’un académisme pesant et, surtout, totalement libre des directions qu’elle veut prendre. La séduction est totale et immédiate. Ah si vous saviez comment tous ces artistes doivent lutter chaque jour pour faire vivre (et vivre de) leur art ! La bagarre est rude, injuste et l’on s’arrache les cheveux à réaliser à quel point la mise sur pied même d’un concert constitue une aventure périlleuse…

Mais revenons à mes moutons qui cette fois – la nature ayant ses mystères – ont deux ailes ! Késako ? Oh, juste un gentil jeu de mots proposé par le tromboniste Sébastien Llado (avec deux L, vous avez compris) sur un nouveau label (marrant, y a deux L dans label…) dans lequel est très impliqué un monsieur proche de Citizen Jazz, Jérôme Gransac (note à l’attention de mes détracteurs : je ne parle pas de ce disque par esprit de clan, mais parce que c’est un très bon disque…). Cette nouvelle écurie a pour nom Les Disques de Lily (je rêve ou ce prénom compte deux L…) et nous offre le témoignage live au Sunside à Paris de la belle santé d’un quartet enregistré le 20 novembre 2009. Au-delà des qualités des musicien(ne)s qui composent cette formation : Sébastien Llado : trombone, conques & conches ; Leïla Olivesi (piano, claviers) ; Bruno Schorp (contrebasse), Julie Saury (batterie), Avec deux ailes n’est rien moins qu’un disque qui transpire la joie de jouer ! Ma collègue Sophie Chambon de Citizen Jazz a récemment dit tout le bien qu’elle pensait de cet enregistrement. Elle a eu raison ! Dans la foulée, notre chère Pie Blésoise, entre autres émérite membre du Z Band y est allée de son compliment, dans une mouture renouvelée de son JazzOcentre que je salue ici même. En cherchant bien, on trouvera sur la toile et dans la presse de nombreux témoignages de l’accueil chaleureux qu’a reçu le disque, ce dont on se félicitera !

Je ne vais pas vous la jouer biographe (les notes de Jérôme Gransac sur la pochette du digipack font ça très bien), mais j’aimerais tout de même rappeler que le tromboniste n’est pas le dernier venu. Quelques hauts faits peuvent vous aider à dessiner rapidement le portrait de ce jeune homme de 36 ans : membre de l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Claude Barthélémy ; collaborations avec Médéric Collignon, Manu Codjia, Magic Malik… ; il fait aussi entendre son instrument aux côtés de Lenny Kravitz ou bien encore Yael Naim ; il préside aux destinées d’un quartet, d’un trio (Tryo[ut]) et même d’un projet solo appelé Machination, dans lequel il conjugue coquillages et machines à haute technologie. Bref, c’est un sacré client qui n’avait jusque là pas ressenti la nécessité du disque (le contexte rappelé en tête de cette note n’étant pas étranger à ses réticences)… Et pourtant, prosternons-nous, remercions Jérôme Gransac & C° d’avoir sur le convaincre de ne pas persister dans ce refus !

Sébastien Llado a relevé le défi, celui d’un enregistrement live en une seule prise. Le disque rend parfaitement justice à la fougue qui habite les musiciens, à leur volubilité et leur extrême cohésion. Dans le cocktail qu’il nous invite à déguster, chacun trouvera de quoi savourer les petits bonheurs d’un jazz bondissant et bien dans sa peau. Cerise sur ce gâteau (à bien y réfléchir, c’est plutôt d’un plateau de fruits de mer qu’il faudrait parler), le quartet s’attaque dès les premières mesures à un monument plutôt inattendu en livrant sa version – tout en rondeurs pétillantes, amoureux du trombone, ne boudez pas votre plaisir – du « Billie Jean » d’un certain Michael Jackson. Au chapitre des curiosités réjouissantes, Brigitte Bardot sera mise à l’honneur un peu plus loin avec une version naturaliste (conques & conches) et désopilante de « Coquillages et Crustacés » qui laisse ensuite la place à une relecture de « La Madrague » ici renommée « La Magrade ». Sébastien Llado pratique l’œcuménisme musical et s’accorde le droit de puiser là où bon lui semble son inspiration. Qui est ici parfaitement stimulée par ses trois compagnons : Avec deux ailes est un disque heureux, virtuose, débordant de joie de vivre et d’humour aussi, ce qui en passant ne fait jamais de mal. On se dit qu’avec Sébastien Llado et ses complices, on est préservé du risque de se retrouver au régime sans ailes.

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