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Libre(s)ensemble

libre(s)ensemble, bruno toccane, imuzzicStop ! Je vous arrête tout de suite… Je crois même vous avoir annoncé la couleur dans ma précédente note et revendiqué le droit de revenir à nouveau sur le talent d’un musicien dont la créativité et l’énergie communicative m’épatent. Car après avoir salué comme il se devait toutes les qualités du 4 New Dreams enregistré en quartet par le batteur Bruno Tocanne, il me paraît peu raisonnable d’ignorer le flamboyant Libre(s)ensemble dont la création lui doit beaucoup, même si cette formation, composée de huit musiciens (plus une musicienne présente sur deux titres de l’album) dont une bonne partie a déjà travaillé aux côtés du batteur, se veut « égalitaire, non soumise à l'autocratie d'un chef unique - chacun vient avec ses idées, son sens du jeu, son écoute d'autrui et ses partitions ». C’est pas moi qui le dis, c’est eux et ils savent ce qu’ils font, les bougres.

Personne, donc, ne pourra ni ne devra me reprocher d’avoir été pris d’une très forte envie de bisser… Voilà bien qui peut arriver à n’importe lequel d’entre nous, n’est-ce pas ?

Au rayon de la biographie, je vous épargnerai l’énumération des pointures avec lesquelles notre homme a frotté balais, baguettes et peaux. On trouve une multitude d’informations à ce sujet, aussi bien sur le site Internet du monsieur que sur telle ou telle page à vocation encyclopédique qu’une recherche sur un moteur idoine saura vous dénicher en moins de temps qu’il n’en faut au tout petit Nicolas pour remanier son équipe de bras cassés après nous avoir expliqué qu’ils étaient des professionnels (c’est dire combien la technologie des réseaux nous donne rapidement accès à des informations) et qui feint d’ignorer qu’une possible vague qualifiée hâtivement de bleu Marine, quoique franchement brunâtre, pourrait trouver l’une de ses sources dans l’océan de la médiocrité au pouvoir. Observons la naissance de cette nouvelle et sinistre teinte : le brun Marine, fin de la parenthèse…

Néanmoins, j’ai vu passer sous la fenêtre de mon écran treize pouces un nombre impressionnant de musiciens, comme par exemple ceux de : Laurent Cugny, Hugh Hopper, Michel Benita, Sophia Domancich, Paul Rogers, John Greaves, Steve Potts, Francesco Bearzatti, Didier Lockwood, Zool Fleischer, Jean-Luc Ponthieux ou Daniel Huck… et bien d’autres encore. Si vous souhaitez en savoir plus, vous savez comment faire (voir plus haut). Quant à toi mon cher Bruno, si tu penses que je dois en ajouter, n’hésite pas à me le dire, il me reste de la place.

De même, je ne peux passer sous silence la création, voici plus de dix ans maintenant, du réseau Imuzzic dont il est le directeur artistique. Ni celle du trio Résistances et ses trois disques au compteur ou de l’I-Overdrive Trio qui célèbre la musique de Syd Barrett (membre fondateur de Pink Floyd). Encore moins ignorer ses nouveaux rêves, qu’ils soient au nombre de cinq (5 New Dreams) ou de quatre (4 New Dreams)…

Vous savez donc, puisque vous lisez mon blog avec un acharnement méritoire et un entêtement qui forcent l’admiration – dont on trouvera seulement un pâle équivalent dans la constance mise par la rigide et rigolote Michèle Alliot-Marie à nous expliquer voici peu les vertus éminemment touristiques de son séjour optimisé par des moyens de transports rapides et économiques dans un pays peu soucieux des libertés publiques et de la répartition de richesses confisquées par une poignée de voyous régnants, un pays ami de longue date donc – tout le bien que j’ai pu écrire sur ce disque. Au risque d’apparaître prétentieux, je vais même ici m’auto-citer : « Bruno Tocanne aime l'idée de résistance et c'est aussi ce qu'on apprécie chez lui : on sent qu'armé de ses baguettes, il dynamite à la fois sa musique mais aussi notre vigilance ». Ouais, c’est pas mal comme phrase… Je suis certain de pouvoir faire mieux mais à mon âge, finalement, ce n’est pas si mal. Mais revenons à notre mouton percussif, plutôt que de digresser bêtement…

La parution, à la fin de l’année 2010, d’un nouveau disque sous l’emblème du Libre(s)ensemble me réjouit à un point tel que seule la sensation de me trouver confronté à l’essentiel de la création musicale, concentrée en cinquante et une minutes, peut expliquer. Du côté de chez Tocanne et compagnie, on ne badine pas avec les notes, on ne souffle pas du bout des lèvres, on ne gratte pas les cordes distraitement, on ne frappe pas par hasard. On vit sa musique, on la fait vibrer, on danse sur un volcan. Comme disait autrefois un vieil oncle kobaïen : « La musique est vitale ou elle est insignifiante ». Il avait certainement raison le Tonton, même si, parfois, sa raison a pu lui faire dire des choses moins essentielles… Je m’égare, une fois de plus.

Libre(s)ensemble, à la fois nom d’un groupe et titre d’un disque, s’apparente à un manifeste brûlant dont le positionnement artistique s’avère bien difficile à opérer tant il regorge d’influences parfaitement assimilées et mixées en un breuvage à la saveur sui generis. Quelle importance, après tout ? Il y a dans cette musique l’évidence cuivrée des hymnes du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, les fulgurances chaloupées d’un Ornette Coleman au temps de son double quartet Free Jazz, les déchirements d’un John Zorn mais aussi son naturel mélodique, les tentations bruitistes d’un Henry Cow, celui de Unrest par exemple, ou les scansions rageuses et électriques d’un King Crimson époque Red (son influence est à peine masquée dans le martèlement hypnotique de « La Foley » et carrément explicite au cours des trois minutes finales de « Free KC to Gawa », deux compositions signées du guitariste Philippe Gordiani dont on connaît les amours frippées, quand il ne célèbre pas Syd Barrett au sein de l’I-Overdrive Trio).

Peut-être aurez-vous l’impression que j’exagère, que je grossis le trait et accorde à ce disque une importance démesurée. Peut-être en effet… Mais ce ne serait vraiment pas faire justice au sentiment de profonde jubilation qui m’a gagné à son écoute et que je mesure très naturellement au besoin éprouvé de faire tourner en boucle un enregistrement tel que celui-ci. Au point de reprocher temporairement à la plupart des autres leur manque de saveur, leur absence de chair autour de l’os. Un grief à connotation culinaire qui me fait dire que Libre(s)ensemble est un disque goûteux, gorgé de sucs et de sève, c’est une galette de printemps qui s’annonce, une heure de pétulant fracas à s’en mettre plein les oreilles jusqu’à plus ouïe ! Un truc pour vous rendre un peu marteau des tympans…

J’ai employé le mot hymne. Oui, des hymnes, car comment qualifier autrement le thème magnifique qu’est celui de « Crépuscule avec Nelly » ? Comment ne pas frissonner de plaisir à l’écoute du « Chant des marais » de Rudolf Goguel, ce chant de tous les déportés, sa mélodie vibrante jouée au saxophone sopranino, en la bonne compagnie de deux guitares qui assurent pacifiquement le rythme. Pareil pour « La révolte des Canuts », le quatrième mouvement de la bouillonnante « Suite for Libre Ensemble », qui n’est pas sans évoquer « Amazing Grace ». La suite en elle-même est une œuvre fascinante où tous les instruments sont à la fête et viennent marcher dans les pas d’Ornette Coleman ou John Zorn tant le groupe jubile de liberté explosive. On pourrait continuer longtemps ainsi, car chacune des compositions réserve sa part de surprise, multiplie les expérimentations dans une vraie euphorie créative… L’essentiel est là, dans la densité du propos ; dans l’absence de caresse dans le sens du poil qui, de fait, se dresse souvent sur la peau ; dans le fait que pas un musicien ne semble vouloir tirer la corde à lui ; dans la volonté d’avancer en toute ébullition ; dans la cohésion et la liberté de ce big band ébouriffé qui sont remarquables, au point qu’on aurait envie de le rebaptiser Équilibre(s)ensemble.

Quand j’écoute, ré-écoute et écoute encore ce disque, je me dis que tout n’est pas perdu (attention les copains, je ne suis pas naïf et je sais la difficulté d’être musicien) en cette époque où la politique culturelle consiste d’abord à médailler de vieilles badernes à frange. La marmite continue de bouillir, les ingrédients sont probablement plus nombreux qu’ils ne l’ont jamais été et la greffe depuis quelques années d’une belle branche rock sur l’arbre du jazz prend bien, ça commence à bourgeonner joyeusement. Même si d’aucuns n’hésitent pas à évoquer l’idée d’une musique dégénérée (oui oui, y en a qui pensent ça) dès lors qu’un soupçon de binaire commence à fleurir.

Ah tiens ! Je crois même qu’on devrait recommander l’écoute de Libre(s)ensemble à ce chroniqueur (dont j’ai oublié le nom et celui du site sur lequel il libère sa prose confite) qui écrivait tout récemment : « Le jazz, cette musique si agréable à jouer mais parfois ennuyeuse à écouter, qui finit ces temps-ci par ressasser ses archétypes, comme un vieillard réchauffant ses vieux os au pâle soleil d’hiver ». Dans le genre nul, on a rarement écrit mieux. Hé, mon gars ! Faut sortir un peu de ton salon ! Dis donc, elle sent fort le vieux cliché paresseux, ton analyse à trois sous, tu ne crois pas ? Allez, viens te faire un peu secouer la poussière dans la boutique à Bruno Tocanne, tu verras, ça fait du bien et ensuite, on sent le frais, on est tout printanier, on a faim !

Bon… ben… voilà, je crois que j’ai été un peu long mais je voulais juste vous dire : précipitez-vous sur Libre(s)ensemble, c’est un chouette disque, avec plein de morceaux de vraie musique dedans. Miam ! Vous voyez que je peux faire court quand je veux.

Sans oublier…

Les funambules du Libre(s)ensemble :

Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Philippe Gordiani (guitare), Benoît Keller (contrebasse), Arnaud Laprêt (percussions), Elodie Pasquier (clarinettes), Fred Meyer (guitare), Fred Roudet (trompette, bugle), Damien Sabatier (saxophones sopranino, alto et baryton), Bruno Tocanne (batterie).

La chronique de Franpi pour Citizen Jazz

C’est ICI ! Et le disque est ELU !

Une petite vidéo ?

PS : sans rire, Libre(s)ensemble, c’est vraiment un disque coup de cœur, je vais finir par l’user (le disque, pas le cœur, qui l’est déjà depuis belle lurette…).

Commentaires

  • joli ! et pan dans la gueule à Christian, qui ne doit plus l'avoir autant que son nom semble l'indiquer.

  • Merci de faire vivre la musique ! Bonne journée à toi !

  • J'ajouterai que je n'ai plus trop le temps de la faire vivre sur mon blog, mais je passe par ici pour avoir des nouvelles.

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