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Musiques buissonnières - Page 19

  • De luxe !

    E2L Complet.jpgLa pluie d’automne n’aura pas réussi à gâcher la fête. Ou plutôt l’anniversaire. Electro Deluxe a voulu souffler ses dix bougies en investissant à grand renfort de vibrations la scène de l’Alhambra mardi dernier. Bien lui en a pris parce qu’au vu des mines réjouies des spectateurs à la sortie d’un concert enflammé devant un parterre archi-comble, le pari de Thomas Faure et de ses complices aura été largement gagné. Le genre de soirée qu’on garde en soi pour longtemps, comme un moteur à combustion personnelle pour les temps à venir, une cure préventive avant l’hiver, dans le souffle puissant de l’énergie qui s’y est déployée.

    Electro Deluxe : comment qualifier la musique que joue ce groupe ? Voilà un exercice bien compliqué tant le cocktail servi par les musiciens, au-delà de son fort dosage en vitamines, est composé de fruits mûrs et goûteux. Ceux de la Motown et de la soul music (citons en passant des inspirateurs comme James Brown, Otis Redding ou encore Stevie Wonder), du jazz quand il s’électrifie (Herbie Hancock n’est jamais loin), une énorme grappe d’un funk bien juteux et, plus près de nous, hip hop et rap qui viennent s’inviter à la parade. On évoque parfois l’idée d’électro-jazz, ce qui finalement ne veut pas dire grand-chose, mis à part le fait que le recours à l’électronique et aux samples en est aussi une composante. Electro Deluxe est d’abord une machine à groove, un système généreux qui vous oblige à quitter votre siège parce qu’il est assez irrésistible. Le groupe a publié trois albums : Stardown (2005), Hopeful (2007) et Play (2010) sur lesquels un certain nombre de visiteurs prestigieux, cerise sur un gâteau déjà bien appétissant, sont venus pointer le bout de leur nez talentueux.

    Thomas Faure (saxophone, arrangements, direction), Gaël Cadoux (claviers), Jeremy Coke (basse), Arnaud Renaville (batterie), Vincent Payen (trompette) et James Copley (chant, lancer de veste et jeté de pied de micro) ainsi que quelques amis de passage : HKB Finn, 20Syl (membre de Hocus Pocus), Nyr ou Opé Smith… tous étaient là pour transpirer leur musique pendant deux heures, la faire ruisseler jusqu’au bout de leur enthousiasme.

    Trop simple ? Oui, trop simple… Parce qu’au bout d’une dizaine de minutes, histoire d’ajouter encore un peu de démesure, il a bien fallu que le rideau noir qui occultait jusque là une bonne partie de la scène se lève soudain sur une armée de furieux soufflants* (cinq saxophones, quatre trombones et quatre trompettes, excusez du peu) cravatés et vêtus de blanc, et venus en cela renouveler une expérience torride déjà tentée avec succès au mois de juin dans un New Morning tout aussi plein que l’Alhambra, lors de la première tentative d’Electro Deluxe en grand ensemble.

    Et là, le déferlement a commencé, balayant tout sur son passage, pour une tempête black and bitter de deux heures que les spectateurs (mais aussi acteurs à leur manière) présents ne sont pas près d’oublier. Plus charismatique que jamais, James Copley mettra le feu à la salle en véritable showman formé au chant dans les églises baptistes de son enfance, guetté du coin d’un œil rieur par Thomas qui avait déjà Faure à faire avec la direction de son Big Band survolté. Autant dire que les autres petits camarades n’ont pas eu le loisir d’admirer le spectacle mais qu’ils avaient au contraire la lourde responsabilité de propulser et faire vrombir le vaisseau !!! Arnaud Renaville et Jeremy Coke, une rythmique d’acier et Gaël Cadoux, virevoltant sur des claviers tantôt caressés tantôt martelés avaient en effet un mot d’ordre, un impératif absolu auquel ils se sont bien volontiers soumis : let’s go to work !

    Cet Electro Deluxe XXL est assez fascinant, il faut bien l’avouer. Sa musique très fédératrice, à la fois rigoureuse et populaire, d’une grande sincérité et entourée d’un soin maniaque par ses géniteurs, possède bien des atouts qui devraient lui valoir une renommée encore plus large.

    Avis aux festivaliers : plutôt que de vous laisser endormir par des produits marketing insipides au prétexte qu’ils remplissent les salles, jouez donc la carte de cet ébouriffant électro-jazz-funk et bien plus encore. Tout le monde y trouvera son compte. La musique en premier lieu.

    Encore une petite cerise : une vidéo du concert à l’Alhambra… "Let's Go To Work".

    * Dont on citera bien volontiers les noms tant ils contribuent à la coloration assez exceptionnelle du projet : Cyril Dumeaux, Christophe Allemand, Pierre Desassis, David Fettmann et Olivier Bernard (saxophones) ; Mathieu Haage, Anthony Caillet et Benjamin Belloir (trompette) ; Jean Crozat, Nicolas Grymonprez, Bertrand Luzignant et Jérôme Berthelot (trombone).

  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 12

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    Un final en bouquet de mots pour Nancy Jazz Pulsations, une conclusion où les phrases chahutées par la lecture trépidante de Jacques Bonnafé viennent caresser, irriter, bousculer et chatouiller les sinuosités d’autres paroles, musicales celles-là, nées de l’imagination de Louis Sclavis (clarinette basse, saxophone soprano et piano à pouces). Une heure sans le moindre répit où la tentation surréaliste d’une orange qu’on éponge vient se fracasser le zeste sur la sombre réalité d’un jour d’octobre 1961 du côté du Pont de Neuilly et du temps de Papon, avant que les mots qui s’entrechoquent ne décident d’enfourcher leur bicyclette rouillée pour arpenter les routes du Tour de France aux côtés de vieux héros de Miroir Sprint comme Pierre Brambilla (le visage sculpté à coups de marteau), Raymond Poulidor et sa poupoularité ou Lucien Aimar, roi de la descente. Jean-Pierre Verheggen, Antonin Artaud, Francis Ponge, Jacques Prévert, Ludovic Janvier et bien d’autres agitateurs du verbe comme Antoine Blandin sont convoqués dans ce carrousel un peu étourdissant où les deux artistes se parlent, se poursuivent dans une course effrénée vers la vérité du non sens. Musique des mots, mots mis en musique, exploit sportif aussi par le déferlement des textes, le duo Sclavis-Bonnafé est un havre poétique qui stimule et réveille. Déconcertant ? Non, des concertextes !

    Théâtre de la Manufacture – Samedi 15 octobre 2011

    En écoute : « Annonce», extrait de Lost On The Way de Louis Sclavis.

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    Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.

  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 11

    Nancy Jazz Pulsations 2011 # 12

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    Stefano Bollani se reconnaît volontiers comme un musicien chanceux, qui jouit du privilège de vivre de sa passion et se fait un devoir de transmettre sa bonne humeur. Alors merci à lui, mais aussi à ses deux complices danois (Jesper Bodilsen : contrebasse et Morten Lund : batterie), d’avoir réjoui un Théâtre de la Manufacture plein à craquer. Car le pianiste transalpin et ses acolytes ont servi au public une musique évoluant constamment sur le fil ténu de leurs conversations élégantes et espiègles. Que le trio puise dans des compositions originales ou qu’il aille chercher l’inspiration vers Antonio Carlos Jobim, Caetano Veloso ou… Michael Jackson pour une irrésistible version chantée de « Billie Jean », tout est prétexte à de savoureuses déambulations narratives offrant le spectacle d’un parfait équilibre entre les musiciens. La paire danoise, à l’allure faussement austère, n’est pas la dernière à glisser ses facéties dans le jeu du pianiste volontiers taquin, allant jusqu’à mimer du bout des baguettes et d’un claquement de cordes une corrida où l’on ne sait qui joue le rôle du taureau et qui joue celui du matador. Bollani pratique le piano sous tous ses angles : assis, debout, accroupi, à genoux mais toujours dans le plaisir de l’invention. Mais la légèreté des apparences ne dissimule jamais la justesse d’une union entre trois voix qui s’écoutent avec une remarquable attention. Voilà un triangle parfaitement équilatéral : de quoi nous réconcilier avec la géométrie. 

    Stéphane Belmondo a tout l’air d’un homme heureux ! Son récent The Same As It Never Was Before est le disque de son épanouissement, dont le trompettiste a pu faire aboutir l’idée en associant ses forces à celles de deux papys flingueurs titulaires de cartes de visite qui sont de véritables who’s who de l’histoire jazz américain : le pianiste Kirk Lightsey et le batteur Billy Hart. Sans oublier l’appui précieux du contrebassiste Sylvain Romano, compagnon de route de Belmondo que ce dernier considère comme son autre frère en musique et qui, du haut de sa trentaine, tutoie les deux maîtres du bout des cordes avec une rigoureuse rondeur. Un quartet de choc que l’on retrouve à Nancy dans la pleine lumière de sa réussite et qui, à l’évidence, prend un énorme plaisir à jouer le répertoire de ce disque roboratif. Ouvrant le concert avec « What’s New », dont la version par Ella Fitzgerald remonte à la fin des années 30, Stéphane Belmondo va très vite creuser le sillon de The Same As It Never Was Before : « So We Are », « You And I », « Habiba », « Light Upon Rita », autant de pièces qui deviennent le terrain de jeu d’une sacrée bataille d’amitié entre les musiciens du quartet, parmi lesquels nos deux américains – visiblement réjouis d’être au cœur de l’action – vont se tailler une part de lion ! Le plaisir pris à écouter le disque est ici démultiplié par leur force de frappe qui s’expose à un public plus qu’enthousiaste. Ainsi entouré, Stéphane Belmondo peut libérer son jeu – volubile et virevoltant - sans la moindre entrave et toucher du doigt ses rêves de toujours. Être le principe actif d’une création musicale vivante et constamment sur le fil de cet implacable rasoir qu’est la prise de risque en scène. Ses artificiers septuagénaires, tous sourires dehors, lui ont fourni une occasion très précieuse de vivre des instants rares et intenses. Comme toujours, ceux-ci ont semblé bien trop courts. On en redemande !

    Théâtre de la Manufacture – Samedi 15 octobre 2011

    En écoute : « So We Are», extrait de The Same As It Never Was Before de Stéphane Belmondo.

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    Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.

  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 10

    mulatu_astatke.jpg

    Chapiteau de la Pépinière Acte II

    Le public est un peu clairsemé pour l’entrée en scène des suédois de Tonbruket. Les deux premiers albums sur le label Act (Dan Berglund’s Tonbruket et Dig It To The End) de ce groupe formé par Dan Berglund, contrebassiste du défunt E.S.T. (défunt étant le mot juste puisque l’histoire du groupe a pris fin en 2008 après la disparition brutale de son leader Esbjörn Svensson), sont de vraies réussites. Par leur savant dosage d’influences catalysant jazz, échappées bruitistes et rock expérimental, les quatre musiciens ont su élaborer des compositions courtes et nerveuses, comme autant de scénarios urgents de petits films nés d’une imagination stimulée par leur atelier sonore. Ce premier concert français des quatre musiciens laissera toutefois un petit goût d’inachevé : la succession des pièces dont le déroulé glissait naturellement sur disque est ici plus raide, les transitions sont parfois un peu brutales et manquent encore de la spontanéité fruit de l’expérience de groupe. Le prix à payer pour une formation qui n’est qu’au début de son histoire. Car on est bien face à un quartet riche de mille idées qui s’expriment avec une force assez stupéfiante (une monumentale version de « Dig It To The End ») et dont la qualité première est de posséder un son d’ensemble très identifiable, dans lequel la pedal steel guitar de Johan Lindström joue les premiers rôles. Et c’est au moment où Tonbruket parvenait enfin à imposer sa force personnalité, après une heure bien trop courte, qu’il a dû céder la place, sans possibilité de rappel alors que le public le demandait, à la suite du programme de la soirée. Un manque de fair play à leur égard qu’on ne peut que souligner ici. Il faut leur donner une seconde chance car les agitateurs de Tonbruket le méritent bien.

    Astatke Mulatu, me dites-vous ? Et vous aurez raison car le quasi septuagénaire vibraphoniste percussionniste éthiopien, venu avec sa formation haute en couleurs, aura marqué cette soirée de toute son empreinte. Huit musiciens au total dans une orchestration originale associant piano, trompette, saxophone, violoncelle, contrebasse, batterie et percussions. Quelque part entre le monde bariolé de Sun Ra, les envolées mystiques de Pharoah Sanders et les luxuriances orchestrales d’un big band latinisé par Dizzy Gillespie, Mulatu aura créé l’enchantement, volant probablement la vedette à celui qui était en haut de l’affiche d’un soir. Très cinématographique, sa musique laisse imaginer de vastes paysages soulevés par une rythmique implacable et foisonnante. Une musique vibrante, zébrée de rebondissements à en perdre le souffle. Avec une mention particulière, aussi, à Danny Keane dont le violoncelle survolté a su prendre sa place avec une énergie libératrice dans un ensemble où chaque musicien est poussé au meilleur de lui-même. Jouant pour l’essentiel le répertoire de Mulatu Steps Ahead, le vibraphoniste a offert là au public l’un des plus festifs moments de Nancy Jazz Pulsations 2011.

    Peut-on quitter un concert de Billy Cobham en s’avouant déçu ? Oui si notre mémoire résonne encore des fulgurances spirituelles du Mahavishnu Orchestra dont le guitariste John McLaughlin était l’inspirateur et Cobham l’un des serviteurs les plus fervents. Une page majeure de l’histoire du jazz rock, dont une autre fut tournée par une seconde formation clé, Weather Report. Non si l’on a suivi le parcours du batteur depuis cette époque enfiévrée ! Car cette ère là est révolue, il ne reste, quarante ans plus tard, qu’un ersatz mahavishnien dont le disque Palindrome est un reflet fidèle. Billy Cobham propose un jazz fusion dont la coloration sur scène à grands renforts de claviers – mauvais substituts d’une section de cuivres – est aujourd’hui très datée et formatée, frôlant le kitsch des années 80. A l’actif de Cobham, on soulignera une technique monumentale, mise en avant par une disposition centrale et surélevée, une virtuosité démonstrative que personne ne pourra lui contester. Mais toute cette mise en scène ne suffit pas à masquer une certaine vacuité de la démarche artistique, à l’exception de la reprise surpuissante de « Stratus » que le batteur avait composé dans le sillage de Mahavishnu sur son premier album Spectrum. Même son long solo final finit par susciter un peu d’ennui. Un de mes voisins comparait Billy Cobham à une voiture de course. Il n’avait pas tout à fait tort, car, oui, cette musique va vite et très fort, mais elle ne semble pas en mesure d’aller très loin. On pourra toujours écouter, parce qu’il s’agit là d’une belle réussite, le Meeting Of The Spirits que Cobham a enregistré en 2007 avec le HR Big Band dirigé par Colin Towns. Mahavishnu, quand tu nous tiens…

    Chapiteau de la Pépinière – Jeudi 13 octobre 2011

     En écoute : « The Way To Nice », extrait de Mulatu Steps Ahead par Mulatu Atstake. 

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 9

    Chapiteau de la Pépinière Acte I

    Folder.jpgDes places assises en plus grand nombre, un vrai soin apporté à la lumière, un son plutôt meilleur qu’à l’habitude malgré quelques approximations (comme au début du concert de Chucho Valdès), voilà une série d’améliorations qui est à souligner. Le Chapiteau de la Pépinière, lieu emblématique du Festival, évolue tranquillement, au rythme de la déambulation des spectateurs en quête d’un verre de bière ou d’un paquet de cacahuètes grillées vendues à prix d’or ; toujours imprégné de cette ambiance historique bien particulière, on adore le détester ou on déteste l’adorer, c’est selon l’humeur du moment !

    Charles Lloyd a beau être nimbé de sa propre légende et des pages importantes qu’il a fait tourner à l’histoire du jazz, on imagine volontiers que le saxophoniste a ressenti un immense bonheur de voir sa musique dynamitée par un trio haut de gamme : Jason Moran au piano, Reuben Rogers à la contrebasse et Eric Harland à la batterie. Tous les trois ont assuré une bonne partie du spectacle, permettant à Charles Lloyd de servir en toute sérénité sa musique selon le mode introspectif qu’on lui connaît depuis longtemps, au saxophone ténor, à la flûte ou au tarogato. Cet artiste-là est libre, tout comme son jazz qui sait s’affranchir de la mélodie pour glisser vers des échappées plus aventureuses, mais toujours habitées. Le quartet communique peu avec le public, déroulant son histoire presque sans interruption dans une ambiance qui, reconnaissons-le, ne rend peut-être pas justice à son intensité méditative. Lloyd est un géant du jazz qui, de sa démarche hésitante, est venu nous inciter à regarder vers le haut.

    Oublions la prestation de Raphael Gualazzi même si la standing ovation par une partie du public a de quoi interroger. Voilà un ersatz plutôt insipide de Paolo Conte dans un mauvais jour et de Jamie Cullum au quotidien, revu et corrigé par un directeur artistique ayant fait ses classes dans la Nouvelle Star : ses gesticulations associées au martèlement frénétique des touches de son piano mettent surtout en évidence la vacuité d’un propos convenu et une désagréable confusion entre énergie et séance de fitness. Quant à son massacre de « Caravan », il restera par ailleurs dans les annales du festival comme l'un des moments les plus terrifiants de cette édition... La conclusion s’impose : je ne suis pas le cœur de cible de ce type de produit marketing. Il faut savoir reconnaître ses propres limites. Tant mieux pour ceux qui aiment, après tout.

    Fort heureusement, le cubain Chucho Valdés a redressé la barre d’une soirée qui menaçait de s’étioler en variété estampillée Bisounours au pays du jazz ! Avec ce pianiste bardé de prix et de distinctions, c’est un torrent d’énergie qui s’est déversé, notamment sous les coups de boutoir des trois percussionnistes de ses Afro-Cuban Messengers ; un flot de musique généreuse bien servi également par une paire trompette / saxophone jamais en mal d’inspiration. Valdés est aussi, à sa façon, un percussionniste, quoiqu’on ne saurait le cantonner à ce rôle de dynamiteur de touches qui a fait sa renommée : des incursions très mélodiques, aux confins du jazz et des univers de compositeurs comme Debussy ou Stravinski, ont aussi émaillé son propos, élargissant le spectre musical d’une formation enthousiaste, augmentée de la chanteuse Mayra Caridad Valdés, le temps d’un « Besame Mucho » ondulant et espiègle. L’un des beaux moments du concert aura certainement été « Zawinul’s Mambo », en hommage au créateur du groupe Weather Report, où l’on peut entendre une évocation de « Birdland » ; le groupe enchaînera avec « Stella By Starlight », rendu méconnaissable sous les assauts des fûts. On ressort de cette prestation aux rouages bien huilés tout ragaillardi à l’idée de s’être glissé dans les pas de Chucho, malgré la bruine qui nous rappelle que l’automne vient d’arriver.

    Chapiteau de la Pépinière – Mercredi 12 Octobre 2011

    En écoute : « Zawinul’s Mambo », extrait de Chucho’s Steps  par Chucho Valdés & The Afro-Cuban Messengers. 

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 8

    nancy jazz pulsations, citizen jazz jazz, manuel rocheman, simon goubertUn autre moment de grâce ! Le pianiste Manuel Rocheman n’a pas manqué son rendez-vous avec NJP en offrant un répertoire directement issu de The Touch Of Your Lips, Tribute To Bill Evans, disque émouvant et sensible surlignant les qualités solaires de son jeu et son amour de la mélodie. Si le trio (avec Mathias Allamane à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie) diffère légèrement de celui-ci du disque, les qualités de la musique jouée sont à l’évidence intactes : mieux même, la présence de Goubert, très charismatique dans sa gestuelle évoquant son mentor Christian Vander, constitue une force de premier plan et un puissant pôle d’attraction pour ses comparses. Par l’interprétation de ses compositions ou de celles qu’il avait sublimées, Bill Evans est bien sûr l’inspiration de ce concert (« B Minor Waltz », « We Will Meet Again », « The Touch Of Your Lips ») qui met aussi en avant des thèmes originaux (« La Valse des Chipirons », « For Sandra » ou « Rhythm Changes »). Le rappel rendra hommage à un autre immense artiste, lui-même amoureux de la musique de Bill Evans, un certain Michel Petrucciani : « Lookin’ Up ». Ce thème splendide sera la conclusion irradiée du concert, où le trio, dans un équilibre en suspension, frôle la perfection. Sa belle unité a soufflé un doux vent de grâce dans un théâtre flambant neuf à l’acoustique irréprochable ; ses trois individualités, fortes et bien distinctes, ont une fois encore renouvelé un art pourtant éprouvé et malgré tout bien difficile.

    Théâtre de la Manufacture – Mardi 11 Octobre 2011

    En écoute : « Send In The Clowns », extrait de The Touch Of Your Lips, Tribute to Bill Evans.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 7

    nancy jazz pulsations, china moses, citizen jazzTemporairement échappée du Grand Journal de Canal+, la grande messe quotidienne et néanmoins commercialement consensuelle de la chaîne parfois cryptée, China Moses est venue présenter sa passion pour les women in blues, et plus particulièrement pour Dinah Washington à laquelle elle a consacré en 2009 un disque : This One’s For Dinah. Epaulée par un trio très professionnel (Raphaël Lemonnier : piano et arrangements, Fabien Marcoz : contrebasse et Jean-Pierre Derouard : batterie) maîtrisant à la perfection tous les codes d’un exercice d’une facture très classique, la chanteuse a aisément endossé le costume de la meneuse de revue, parsemant son répertoire d’anecdotes à caractère humoristique. Dinah Washington est au centre de l’affaire parmi d’autres chanteuses, que ces dernières l’aient influencée ou qu’elles s’en réclament : Bessie Smith, Esther Phillips ou Mamie Smith par exemple. On feuillette ainsi avec China Moses un album dont les photos un peu jaunies nous persuadent, à tort certainement, que le temps s’est arrêté. Ce spectacle un brin suranné, d’un esprit presque music hall, ne réserve guère de surprises : tout est bien en place, mais les musiciens semblent un peu cachés derrière les stéréotypes qu’ils mettent en scène avec une application qui n’émeut guère. Le public a aimé, reconnaissant probablement ce qu’il avait envie d’entendre. Comme on déguste une friandise dont les saveurs s’évanouissent très vite.

    Théâtre de la Manufacture – Mardi 11 Octobre 2011

    En écoute : « Fine Fine », extrait de This One’s For Dinah.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 6

    youn sun nah, nancy jazz pulsations, citizen jazzElle avait hypnotisé la petite salle de La Fabrique lors de la précédente édition de NJP. Son duo avec le guitariste Ulf Wakenius avait comblé le public, au premier rang desquels de jeunes enfants écarquillaient des yeux ébahis. La voici qui revient, mais en quartet et à l’Opéra ! Une sacrée montée en puissance… En douze mois, Youn Sun Nah est presque devenue une icône. Vincent Peirani à l’accordéon et Simon Tailleu à la contrebasse sont entrés cette année dans la danse lumineuse de la délicieuse coréenne qui paraît toujours aussi étonnée du phénomène d’adhésion qu’elle suscite. Le répertoire, tiré de ses deux derniers disques Voyage et Same Girl (à l’exception de « Avec le temps » chanté lors de l’un des trois rappels) est exactement le même qu’en 2010 : qu’importe, le charme opère instantanément. Seule à la kalimba ou à la boîte à musique, en trio, en duo ou en quartet, la chanteuse met à nu toutes ses émotions, ses joies, ses peines. Parfois, elle murmure, elle crie, avant d’évoquer, les yeux fermés, son pays natal dans un blues coréen. Elle emprunte des thèmes à Randy Newman, Léo Ferré ou Tom Waits ; ses musiciens rivalisent de lyrisme et de dialogues inventifs, parfois cocasses comme sur le splendide « Frevo » d’Egberto Gismondi. Ulk Wakenius, un grand monsieur, multiplie les trouvailles, massacrant au besoin une cannette de boisson gazeuse qui n’en demandait pas tant ; Vincent Peirani s’impose comme un parfait partenaire et sait aussi doubler avec un vrai charisme Youn Sun Nah au chant. Il faudra trois rappels – et un espiègle « Pancake » - pour assouvir la faim d’une salle conquise par une artiste décidément pas comme les autres. 

    Opéra de Nancy – Lundi 10 Octobre 2011

    En écoute : « Pancake », extrait de Same Girl.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 5

    tigran hamasyan, a fable, nancy jazz pulsations, nancy jazz pulsationsIl n’est jamais évident de s’avouer qu’au-delà de la jeunesse et du talent de Tigran Hamasyan (le pianiste arménien a 24 ans), de sa virtuosité habitée, de son engagement physique et du corps à corps qu’il entreprend avec son instrument ; des paysages aux fragrances orientales qu’il dessine frénétiquement, sans oublier l’héritage de compositeurs comme Bartok ou Rachmaninov, tous accords plaqués des deux mains dans un flot continu de notes, en s’accompagnant parfois d’un chant qui mue de temps à autre en beat box ; d’un accueil chaleureux du public de l’Opéra de Nancy le rappelant une fois, la prestation de celui qui venait pour la seconde fois à Nancy Jazz Pulsations auréolé d’une reconnaissance internationale ne nous aura pas toujours autorisés à communier pleinement avec lui. Comme si l’interprétation de sa musique, puisée dans le répertoire de son récent et captivant A Fable, était encore prisonnière d’une épaisse carapace qui nous interdit souvent l’accès à son intimité. A n’en pas douter, Tigran Hamasyan est un grand monsieur, il a beaucoup de choses à nous dire et tout l’avenir devant lui : à lui maintenant de fendre un peu l’armure pour nous inviter à mieux entrouvrir sur scène les portes de son univers et faire du public l’acteur de sa musique plutôt qu’un spectateur admiratif.

    Opéra de Nancy – Lundi 10 Octobre 2011

    En écoute : « Carnaval », extrait de A Fable.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 4

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    Faut-il recourir aux mots pour traduire le sentiment d’apesanteur et d’éternité qui aura submergé chacun des spectateurs venus écouter le duo formé par Ballaké Sissoko et Vincent Segal ? Voilà un pari un peu risqué tant les quatre-vingt dix minutes offertes par ces deux musiciens auront été habitées d’une plénitude confinant à la magie. Le disque Chamber Music, publié l’année dernière, était déjà un enchantement. Le concert de Nancy, dans le cadre théâtral de la Salle Poirel, a imposé le silence à tous tant l’union entre les deux musiciens s’apparente à un phénomène proche de la sorcellerie. La kora de Ballaké Sissoko constitue à elle-seule un spectacle passionnant : l’instrument, qu’il faut longuement accorder entre chaque morceau, est magnifique, il irradie de toute la lumière mémorielle de ceux qui en ont été les virtuoses à travers son histoire. Le violoncelle de Vincent Segal – qui endosse également le costume du maître de cérémonie – vient lover ses notes (à l’archet comme en pizzicato) au cœur des arabesques qui naissent des vingt-et-une cordes que Ballaké Sissoko manipule avec une admirable dextérité, mêlant douceur et vitesse d’exécution. Tous deux sont en communion, la musique des deux devient une et indivisible. Et même si les thèmes abordés sont parfois contemporains (ainsi « Ma-Ma FC » qui nous raconte l’histoire des fils respectifs des deux musiciens, qui se connaissaient par leur pratique du football avant que leurs pères eux-mêmes ne se rencontrent) et d’inspiration européenne (une composition est d’origine bretonne), Sissoko et Segal imposent à leur propos une tonalité, sinon religieuse, du moins hautement chargée en spiritualité. Voilà un moment qu’on n’est pas près d’oublier, celui d’un état de grâce.

     

    Salle Poirel - Nancy - Vendredi 7 octobre 2011

    En écoute : "Ma-Ma FC", extrait de Chamber Music.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 3

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     Quarante-huit heures après sa prestation en cette même salle Poirel mais en tant que membre du quintet d’Henri Texier, Francesco Bearzatti est revenu cette fois entouré de ses musiciens italiens. Ce quatuor baptisé Tinissima avait publié en 2010 le disque X (Suite For Malcolm), affichant par là une sacrée santé créative et une dynamique iconoclaste née de l’association formée par le saxophoniste et le trompettiste Giovanni Falzone (qui ressemble étrangement au bassiste Janik Top, mais ceci est une autre histoire). Le concert nancéen est à l’image de l’enregistrement, mais en plus explosif, il s’apparente à un feu d’artifice sonore où la vie du militant des droits afro-américains nous est contée par le recours à différentes formes de musiques noires : funk, rap, hip hop et jazz bien sûr. Jusqu’à une ambiance disco sur le thème appelé « Cotton Club » ! Jouée dans sa continuité, sans pause, l’œuvre est flamboyante, gorgée d’une sève bouillonnante et les dialogues entre les deux solistes sont à chaque fois très hauts en couleurs. Derrière eux, une rythmique surpuissante les pousse au meilleur. Francesco Bearzatti se déhanche plus que jamais, Giovanni Falzone trompette et éructe ses vocalises, la basse électrique de Danilo Gallo gronde et Zeno De Rossi foisonne derrière ses fûts. Le rappel, qui est aussi la conclusion de l’album : « Kinshasa », dédié à Mohamed Ali, vient glisser une ultime note à résonnance africaine et finit d’emporter l’adhésion d’un public attrapé à la gorge et bienheureux d’avoir été l’otage consentant d’un voyage aussi étourdissant.

    Salle Poirel - Nancy - Vendredi 7 octobre 2011

    En écoute : "Betrayal", extrait de la Suite For Malcolm X.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 2

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    Dans la foulée du concert de Pascal Schumacher (voir note précédente), Henri Texier et ses musiciens n’ont pas manqué leur rendez-vous avec Nancy Jazz Pulsations. Son Nord Sud Quintet (Sébastien Texier : saxophone alto et clarinette, Francesco Bearzatti : saxophone ténor et clarinette, Manu Codjia : guitare, Christophe Marguet : batterie, Henri Texier : contrebasse) a très vite embarqué le public de la Salle Poirel vers des contrées peuplées de musiques vibratoires dédiées « aux musiciens noirs », d’Afrique ou d’ailleurs. Le groupe jouera la quasi intégralité de son dernier disque, Canto Negro et fera une démonstration d’une grande efficacité : le quintet, c’est la réunion d’individualités très fortes au service d’un collectif toujours en état de rébellion. Entre ballades mélancoliques (« Tango Fangoso », « De Nada ») et charges électriques puissantes (« Mucho Calor ») confinant au hard rock, la musique d'Henri Texier est un chant universel et émouvant. A 66 ans passés, le contrebassiste à l’éternel bonnet continue de creuser le sillon de sa révolte, il est un point de repère essentiel de notre scène jazz.

    Salle Poirel - Nancy - Mercredi 5 octobre 2011

    En écoute : "Tango Fangoso" - Henri Texier Nord Sud Quintet

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    Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.

  • Nancy Jazz Pulsations 2011 # 1

    BangMyCan.jpg

    J’avoue humblement mon ignorance : je ne connaissais Pascal Schumacher que de nom. C’est donc totalement vierge de toute information préalable que j’ai découvert la prestation de ce vibraphoniste luxembourgeois et de son quartet à la Salle Poirel, mercredi 5 octobre en première partie du concert d’Henri Texier. Une découverte, donc, et une bonne surprise. Le public est conquis dès les premières minutes par des compositions (originales pour la plupart) qui forment un répertoire acidulé, entre jazz et pop, et qui sont en grande partie extraites de Bang My Can, sixième et nouveau disque du quartet (dont les trois autres membres sont Franz von Chossyau piano, Christophe Devisscher à la contrebasse et Jens Düppe à la batterie). La musique s’articule autour de thèmes où la mélodie, très prégnante, s’accommode naturellement de développements sinueux et de changements de rythme, comme autant de rebondissements pourvoyeurs d’une vraie joie de jouer. Une sérénité qui s’épanouit sur scène par une dramaturgie qui n’est pas sans évoquer parfois les montées en tension du trio E.S.T., dans un climat toutefois plus détendu. Pascal Schumacher expliquera d’ailleurs qu’il connaissait fort bien Nancy Jazz Pulsations en tant que voisin (Luxembourg est à moins de 100 kilomètres de Nancy), une proximité qui lui avait donné l’occasion d’applaudir, entre autres, le suédois et néanmoins regretté Esbjörn Svensson. L’interaction entre le vibraphone et le piano contribue pour beaucoup au charme de cette musique : une complémentarité de couleurs et de timbres entre le jeu vibrionnant de Pascal Schumacher et l’approche plus intériorisée de Franz von Chossy. En guise de conclusion, Pascal Schumacher et ses musiciens revisiteront « Sing », une chanson du groupe écossais Travis, l'une de leurs références assumées. Leur succès mérité aura constitué une première page jazz réussie l'édition 2011 du festival.

    Salle Poirel - Nancy - Mercredi 5 octobre 2011

    En écoute : "Bang My Can" - Pascal Schumacher Quartet

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    Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.

  • Shmira

    Vander_Coltrane_Coltrane.jpgJohn Coltrane, l’homme suprême, tel est le titre du disque que Christian Vander vient d’enregistrer et qui sera très prochainement disponible sur le label Seventh Records. On sait que le batteur voue un culte infini au saxophoniste au point que la mort de ce dernier peut être considérée comme le catalyseur de l’aventure Magma ; il suffit de lire les nombreuses interviews dans lesquelles il s’est exprimé à ce sujet pour s’en convaincre. On écoutera par conséquent avec beaucoup d’attention cet hommage, dont on ne peut douter de l’intensité fiévreuse, tant la corde coltranienne vibre fort chez Vander.

    Sur la pochette de ce disque, on peut lire l’explication suivante : « Ce disque a été enregistré jour après jour, du 17 Juillet, date de son départ, au 21 Juillet, jour de ses funérailles. Chaque jour, une offrande, un don musical, poétique, pour lui, réalisé en temps réel. Le 21 à minuit, le disque était terminé».

    Quarante-quatre ans après la disparition de John Coltrane, cette célébration de type mortuaire n’est en rien une lubie vanderienne. Bien au contraire, elle nous renvoie à un certain nombre de traditions : dans la religion Juive par exemple, la shmira en est l’exacte réplique. Elle consiste à accompagner les défunts par la lecture de psaumes ou de textes sacrés depuis le jour de leur mort jusqu’à leurs funérailles. Cette pratique a deux raisons d’être : la première est en quelque sorte hygiénique, car la présence des vivants est une protection du corps contre les animaux et les insectes ; la seconde est spirituelle car elle est une façon de tenir compagnie à l’âme du défunt (neshama) qui flotte au-dessus du corps jusqu’au jour de l’enterrement.

    L’esprit de Coltrane continue de planer sur la musique de Christian Vander : qu’adviendra-t-il désormais, maintenant que le disciple a accompagné son maître jusqu’au bout selon un rite sacré ?

  • WTC 9/11

    steve reich,world trade center,11 septembreSteve Reich n'est pas un compositeur comme les autres. On peut, sans prendre le risque de se tromper, le considérer comme un créateur en ce cens qu'il aura réussi à inventer son propre univers musical : pour faire court, disons qu'il est un minimaliste répétitif, qui sait aussi imaginer des arrangements autour de sons ou de voix préalablement enregistrés (comme le firent au début des années quatre-vingt, dans une esthétique différente, Brian Eno et David Byrne avec leur remarquable My Life In The Bush Of Ghosts). Different Trains (l'un de ses plus beaux disques, magnifié par la présence du Kronos Quartet) ou City Life, sont deux exemples très captivants de la singularité d'un artiste qu'il faut, si possible, voir évoluer sur scène tant le spectacle offert par son ensemble est éblouissant. Depuis le milieu des années soixante et des oeuvres aussi ouvertement novatrices (mais certainement déroutantes pour des oreilles timides) que Come Out ou Four Organs, Steve Reich fait résonner sa petite musique, aujourd'hui moins choquante bien que d'une exigence avérée, et dont les flots se déversent souvent au moyens de percussions (vibraphones et marimbas sont souvent de la fête) ou de cordes. Aussi la parution d'un nouveau disque est-elle toujours, à sa manière, un événement : voilà que le compositeur commémore la tragédie New-Yorkaise du 11 septembre 2001 avec WTC 9/11. Passons très vite sur la surmédiatisation de cette date tragique par une Amérique oublieuse d'un autre 11 septembre tout aussi meurtrier, en 1973 celui-là, pour écouter cette nouvelle composition interprétée une fois encore par le Kronos Quartet (complétée ici par Mallet Quartet et Dance Patterns), qui ne provoque pas de surprise particulière pour les habitués de cette musique dans la mesure où elle s'inscrit dans le droit fil des précédentes. Mais il reste un univers, immédiatement identifiable et toujours hypnotique, qui continue de captiver. Un peu moins peut-être qu'auparavant, mais un peu moins chez Steve Reich, c'est toujours beaucoup. Le disque est complété par un DVD qui met en scène le trio So Percussion dans sa version de Mallet Quartet : on ne saurait s'en plaindre.

    PS : la pochette visible en tête de cette note n'est pas celle du disque. Elle aurait dû l'être mais... elle fut censurée parce que jugée trop choquante pour les Américains qui, pourtant, ont eu maintes occasions de se repaître du visionnage télévisé de la destruction des Twin Towers ou de bien d'autres spectacles tout aussi violents, un peu partout dans le monde.

    On peut écouter le disque ici...

    Steve Reich évoque WTC 9/11 (désolé pour les non anglophones...)

  • Rebelle... ze riteurne !

    neil young,jeando bernard,camion blancJe reviendrai plus en détail, par le biais d’une chronique pour Citizen Jazz, sur le livre que JeanDo Bernard a consacré à Neil Young. Sans attendre cependant, j’aimerais souligner ici ses qualités. La première d’entre elles étant sa spontanéité associée au style incisif et sans détours inutiles qui vous font dévorer ce Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ? comme dans un seul souffle (on pourra juste regretter une petite série de coquilles tout au long des pages).

    L’auteur connaît bien son affaire et, comme il le démontre dans un chapitre introductif, a vécu pleinement ces années 60 dont la période 1968-1975 fut d’une incroyable fécondité. Moyennant une poignée de souvenirs d’enfance mobilisés en quelques pages bien senties, il nous dresse le portrait de ces temps aujourd’hui lointains – la France du général De Gaulle, des yé-yés, de la Guerre du Viet-Nam, de toute un génération en quête d’un autre monde, cette recherche n’excluant pas le recours à tout un arsenal de produits pour le moins stupéfiants – au beau milieu desquels va éclore le Loner, mister Neil Young himself.

    Si JeanDo Bernard connaît son Neil Young sur le bout des doigts (depuis The Squires jusqu'au récent Le Noise en collaboration avec le producteur Daniel Lanois, en passant par Buffalo Springfield et Crosby, Stills Nash & Young), il n’en a pas pour autant écrit un livre de fan hardcore ! Il n’y a dans sa démarche aucune tentation hagiographique : bien au contraire, il s’efforce de décortiquer à travers une partie des disques du Canadien (qui sont nombreux et dont la recension exhaustive aurait abouti à un catalogue fastidieux) les ressorts de ses engagements tant sur le plan politique que philosophique ou écologique, n’hésitant pas à pointer du doigt ses contradictions (une radicalité anti Bush qu’on ne peut que mettre en parallèle avec une plus grande tiédeur envers Ronald Reagan, par exemple). Le journaliste écrivain nous propose un exercice d’admiration cultivée mais raisonnée et c’est là une des grandes forces du livre. Sans jamais oublier de nous rappeler la singularité du musicien, tant le chanteur que le guitariste. Nourri de folk, de blues et de rock.

    Mais l’essentiel me paraît résider ailleurs (ce n’est ici qu’un point de vue personnel) : en effet, la lecture du livre est la démonstration de ce qui fait tout le pouvoir de séduction de Neil Young : quelles que soient certaines de ses errances, quel que soit le niveau de sa production discographique (généralement très élevé, mais l’artiste a connu des coups de mou, notamment durant les sinistres années quatre-vingt), l’histoire du Loner est celle d’un éternel recommencement. Pour lui, comme pour nous. Neil Young n’est jamais là où on l’attend : le succès d’un Harvest aboutit à la sombre tournée Times Fades Away ; un climat country ou folk pourra être balayé d'un revers de gilet à franges par un disque hautement électrique ou une tentative technoïde, avant le retour aux sources, en solitaire ou flanqué de son fidèle Crazy Horse. Depuis plus de quarante ans, beaucoup d’entre nous sont prêts à embarquer avec lui, quitte à descendre temporairement du train si l’atmosphère ne nous convient pas, mais certains que le prochain voyage méritera le détour. Neil Young fait partie de ces artistes qui sont de vrais compagnons de vie, des êtres humains avec leurs forces et leurs failles, mais toujours fidèles à nos rendez-vous avec eux. Et d’une générosité indiscutable doublée d’une force de conviction inoxydable.

    Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ? nous l’explique avec la même sincérité : ce livre, édité par Camion Blanc, devrait séduire non seulement les fans de la première ou de la deuxième heure, mais aussi tous ceux qui voudraient faire la connaissance d’un personnage unique.

    podcast

    Bonus !

    Tout récemment a vu le jour un Live In Chicago, un double album enregistré en 1992. Neil Young, plus solitaire que jamais, s’accompagne à la guitare, au piano, voire à l’harmonium. Il est possible que ce disque soit redondant avec d’autres déjà disponibles. Mais à lui seul, il est le témoignage de la démarche artistique de Neil Young, intense, mélange de fragilité et de force, presque intemporelle. En voici un court extrait, avec le poignant « The Needle And The Damage Done ».

  • Magique

    stanza, kalimba, musée du quai branly, youn sun nah, my favorite things, john coltraneVoilà une petite carte postale, souvenir d’une récente visite du Musée des Arts Premiers, un lieu né de par la volonté du plus anosognosique de tous les anciens présidents de la République qui, déjà à l’époque, avait la mémoire courte sur son passé récent mais vouait un culte à celle des très anciens. Pas grand monde du côté du Quai Branly, aucune attente aux caisses, juste les bonnes conditions pour une tranquille déambulation, souvent dans une demi-pénombre semble-t-il voulue par les concepteurs de ce site.

    Forcément, je me suis attardé sur les instruments de musique et j’ai été immédiatement séduit par ce joueur de sanza (originaire du Centrafrique), parfois appelé piano à pouces. On trouve de par le monde différentes déclinaisons de ce précieux objet : tout récemment, sa version Ougandaise, appelée kalimba, a été remise au (bon) goût du jour par Youn Sun Nah, qui illumine la célèbre chanson « My Favorite Things », tirée de la comédie musicale The Sound Of Music (en France, La mélodie du bonheur) que John Coltrane avait de son côté transfigurée un beau jour d’octobre 1960.

    La voix de la chanteuse Coréenne, son interprétation émouvante, seule avec sa kalimba, sont un pur enchantement. Les images, quant à elles, vous expliqueront d’elles-mêmes le surnom de l’instrument.

    Un peu de magie…

  • Discovery, immersion... commerce

    pink floyd,i-overdrive trioQu’on ne se méprenne pas sur le sens de cette note : adolescent, j’étais fasciné par la musique de Pink Floyd. Je me rappelle même avoir fait le siège du bureau de l’économe de mon lycée jusqu’à ce qu’il accepte l’idée d’affréter un bus pour emmener une cinquantaine de lycéens, dont ma sœur et moi, de Verdun à Nancy, histoire d'applaudir le groupe en pleine tournée promotionnelle de The Dark Side Of The Moon, au mois de décembre 1972. Je n’avais pas encore 15 ans, j’avais dans ma besace à musique de longues heures passées dans ma chambre à écouter « Echoes » et ses sirènes inquiétantes avec un camarade de classe. C’était le disque Meddle, emprunté à ma sœur - encore elle - qui avait eu la bonne idée de l'acheter… Aujourd’hui, le groupe occupe toujours une place non négligeable dans mon modeste Panthéon (qui est un peu décousu, je l’admets), ma préférence allant toutefois pour ses premières années : celle des deux premiers albums imprégnés de la folie de Syd Barrett mais aussi les suivantes et leur psychédélisme planant (jusqu'à Obscured By Clouds). The Dark Side Of The Moon aura marqué une rupture, celle d’un succès planétaire combiné à une disparition progressive des envolées cosmiques un peu folles pour céder la place à un univers plus contrôlé. Trop à mon goût, comme si le groupe perdait doucement son âme... Bien sûr, il y aura The Wall, en 1979, lui-même entré dans la légende mais… non, désolé, c’est un autre Pink Floyd dans lequel je ne me suis jamais vraiment retrouvé. Au point de m'ennuyer fermement avec la parution, quatre ans plus tard, de The Final Cut.

    Mais quand je vois comment les majors envahissent actuellement le terrain médiatique pour tenter de nous refourguer une nouvelle intégrale (la Discovery Edition, soit toute la discographie de Pink Floyd remasterisée) tout en publiant dans le même temps une version Immersion Box Set de The Dark Side Of The Moon, précédant elle-même le lifting annoncé de The Wall, force est de constater, une fois de plus, que les actionnaires de ces grands groupes financiers ne misent plus un seul kopeck sur des talents en devenir – c’est-à-dire ceux-là même qui en auraient le plus besoin – et préfèrent assurer leurs arrières en multipliant les profits sur des produits rentabilisés depuis des décennies. Autant de boîtes à l'emballage savamment étudié mais qui sentent un peu trop le réchauffé. Marketing, quand tu nous tiens...

    Et je me dis qu’en 2011, le joueur de pipeau aurait beau s’échiner à s’avaler une saucière de secrets aux portes de l’aube, il se fracasserait le nez sur un mur, celui de l’argent… un mur obscurci par les nuages mercantiles de notre société embarquée dans une cynique dérive. En 2011, le Pink Floyd de Syd Barrett ne verrait pas le jour, personne ne lui donnerait sa chance, il serait un groupe mort-né…

    Alors plutôt que de dépenser des sommes folles dans d’inutiles rééditions bien trop coûteuses sous couvert de je ne sais quelle remasterisation ou de publication annexe de quelques fonds de tiroir d’un intérêt incertain sur des CD qualifiés de bonus, je me dis qu’il nous appartient d’être les acteurs de ce jeu en procédant aux bons choix. Tenez par exemple : cette histoire de Pink Floyd m’a fait penser à un Hommage à Syd Barrett rendu par l’i.overdrive trio (soit Philippe Gordiani à la guitare, Bruno Tocanne à la batterie et Rémi Gaudillat à la trompette) en 2008. Ou comment s’affranchir du modèle sans le faire oublier pour autant, dans une belle manifestation de respect et de talent. Let there be more light, disait Pink Floyd en 1968 : je suis bien d'accord, alors mettons plutôt en lumière des artistes qui restent trop dans l'ombre à mon goût...

    Et si on écoutait l’i.overdrive trio dans sa reprise du légendaire « Astronomy Domine » ?

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  • Louis Sclavis, l'histoire d'une création

    louis sclavis,fabrice radenac,lost on the wayFabrice Radenac nous avait plongés en sa compagnie dans l’intimité d’une genèse, celle de l’enregistrement d’Alerte à l’eau (2007) sous la houlette du contrebassiste Henri Texier et de son Strada Sextet. L’attention qu’il portait au processus de création de cet enregistrement fiévreux nous avait séduits : son regard sensible, empreint d’une admiration non feinte et d’un vrai plaisir de capter des instants uniques, venait souligner et sublimer le propos des artistes et nous aidait à mieux comprendre leur démarche créative. 
    Au moment où un autre grand de la scène hexagonale, Louis Sclavis, donnait naissance à un disque unanimement salué comme une étape majeure de son parcours, Lost On The Way, le réalisateur a planté ses caméras auprès de lui dans le même objectif : partager une certaine forme de magie, parfois indicible.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Jardin musical

    Pour la huitième année consécutive en la bonne ville de Nancy, la Place Stanislas se transforme en jardin éphémère. C’est à chaque fois l’occasion d’une mue automnale temporaire et un petit régal pour nos yeux, qui ont pourtant de quoi se réjouir quotidiennement en ce lieu royal chargé d’histoire.

    Cette année, le thème choisi est celui de la musique, ce qui justifie la présence d’une note sur ce blog et constitue de ma part une incitation à venir découvrir cette création végétale. Les yeux, toujours, mais aussi les oreilles : durant tous les week-ends du mois d’octobre, des concerts seront proposés aux visiteurs.

    J’aimerais citer un extrait de l’argumentaire qu’on peut lire sur un panneau explicatif : « La musique est le vrai langage des vivants et les jardiniers parlent ce dialecte connu de tous. Nature et musique sont inséparables (…). Les jardiniers orchestrent mille voix végétales, entremêlent les couleurs et les textures pour que cette acoustique universelle soit agréable à nos sens, à tous nos sens ».

    Certes, je n’adhère pas totalement au propos – car l’obligation d’être « agréable à nos sens » me paraît une restriction bourgeoise et parce que la musique doit aussi savoir quand il le faut nous déranger dans notre confort – mais je salue l’effort de marier deux arts qu’on unit dans l’harmonie. Car, finalement, le jardinage en lui-même est bien une forme de culture !

    Et une photo, qui a tout à voir avec le sujet…

    jardin_musical.jpg