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On l’attendait un peu au tournant, l’ami Pierrick Pédron, lui dont le bel Omry avait éclaté au printemps 2009 : Omry, une proposition ambitieuse qui dépassait le contexte du jazz ou du rock, dans un mélange d’influences orientales et de regards vers l’univers de Pink Floyd et ses inspirations psychédéliques. Chaleureusement accueilli à l’époque, ce disque révélait non seulement une évolution majeure dans la carrière du saxophoniste, mais aussi le fruit déjà mûr du travail d’un groupe soudé dont l’identité sonore s’affirmait d’emblée. Cheerleaders, deuxième œuvre d’un sextet pas comme les autres, vient balayer d’un revers de l’anche les questions qu’on aurait pu se poser quant à ce qui s’apparente chez le saxophoniste à une véritable quête.
Comme une conséquence naturelle des faits relatés dans ma précédente note, je vois le niveau de ma pile de disques en souffrance s’élever (j’en compte une douzaine dont je dois rédiger la chronique pour Citizen Jazz). Soucieux de la responsabilité qui est la mienne, je m’efforce d’établir des règles destinées à améliorer ma productivité. Planning raisonnable (ce qui signifie que je ne dois pas ignorer la nécessité du repos), prises de notes à la volée sur tous les supports à portée de main : carnets, téléphone, simples bouts de papiers, recoins de ma tête qui n’en demande pas tant… tous les moyens sont bons pour ne pas me laisser déborder. Je dois aussi (ré)apprendre à écrire plus court, plus juste, contrecarrer une tendance naturelle à l’épanchement - même si je ne m’interdis pas la possibilité d’un laisser aller vers de bienfaisantes parenthèses digressives. C’est aussi l’occasion d’un retour aux sources de ce blog qui se voulait light et quotidien lorsque j’ai mis en ligne sa nouvelle mouture au mois d’août 2008. Comme un sportif pratiquerait un jogging de remise en forme, je me fixe un objectif d’écriture, sinon quotidienne, du moins pluri-hebdomadaire et un thème constant : la musique. Et je repousse la publication de mon premier bouquin, pour ne pas m’éparpiller (mais le contenu des trois premiers est là, bien rangé, prêt pour une révision) : ce sera pour un peu plus tard. En attendant, je vous en propose la couverture possible. L’art de faire les choses à l’envers ?
J’ai reçu la semaine dernière une petite livraison de CD à chroniquer pour Citizen Jazz… Trois nouvelles galettes : un Live in Cologne 1983 de Weather Report (dont la première écoute m’a un peu ennuyé, parce que la musique me paraît avoir mal vieilli, mais sur laquelle je reviendrai car la paire Zawinul / Shorter le mérite bien) ; le surprenant et inclassable Des Clairières dans le Ciel de Lionel Belmondo dont l’Hymne au Soleil s’est frotté au Chœur National de Lettonie ; enfin le très réjouissant et inventif Des Trucs Pareils de Ping Machine, un grand ensemble dirigé par le guitariste compositeur Fred Maurin. C’est un privilège que d’avoir à écrire afin de rendre compte au plus de nos émotions du travail de ces artistes. Une responsabilité aussi, car mes chroniques sont lues, voire attendues, et je dois par conséquent prendre le temps d’écouter, une fois, deux fois… et même beaucoup plus, ne serait-ce que par respect des musiciens. Mais je garde ma ligne de conduite : privilégier l’émotion.
La pochette peut dérouter : un personnage inquiétant aux orbites évidées nous dévisage ; son faciès repoussant s’apparente à celui d’un squelette surmonté d’instables constructions menaçant de s’effondrer. Il n’est en rien une invitation à une partie de plaisir ; on aurait plutôt envie de prendre la fuite. On aurait tort : car ce disque aux accents indéfinissables - il y a ici comme du rock, mais habité de mille autres expériences et obsessions enivrantes - a le charme puissant des fruits naturels qui s’épanouissent au carrefour de parcours personnels pour produire un univers singulier, immédiatement identifiable.
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Le Dead Store m’informe de l’expédition depuis San Francisco d’un double CD du Grateful Dead qui résonne en moi de façon très particulière. Ce disque goûteux, appelé Europe ’72 Vol. 2, fait remonter bien des souvenirs que j’ai déjà relatés… A l’époque, il y aura bientôt quarante ans, le groupe avait publié un triple trente-trois tours lumineux qui est resté ancré en moi, très probablement pour toujours, comme l’est cette musique en général. Une musique que je finis par considérer comme ma colonne vertébrale, autour de laquelle je m’efforce depuis de consolider un appareil musculaire toujours trop chétif. Au-delà des innombrables exhumations d’enregistrements live qui se succèdent depuis la fin de l’histoire du groupe (consécutive à la mort de son leader Jerry Garcia le 9 août 1995) et qui peuvent recouper cette nouveauté, ce volume, dont le répertoire complète celui du premier, arbore les mêmes couleurs que son prédecesseur, celles de l’Ice Cream Kid de Kelley & Mouse, enfonçant encore un peu plus profond le coin de la nostalgie. 156 minutes qui déroulent une musique imprégnée de rhythm’n’blues, de folk, de rock et nimbée de longues improvisations culminant ici en une séquence de plus d’une heure avec l’enchaînement de « Dark Star » et « The Other One », témoignages encore très vivaces de la période psychédélique du Dead. Voilà un disque à recommander aux Deadheads qui n’auront pas les moyens de s’offrir pour la modique somme de 450 $ le monumental coffret de 66 CD rassemblant l’intégralité des 22 concerts donnés par le groupe à l’occasion de sa grande tournée européenne de 1972… Un coffret qui va fort heureusement connaître un très attendu éclatement, sous la pression amicale des fans réclamant à corps et à cris une parution individualisée. Je me dis que les concerts parisiens de l’Olympia traverseront prochainement l’Atlantique…
Rencontre impromptue hier avec le pianiste Franck Avitabile, venu découvrir l’exposition que le Centre Pompidou consacre au peintre norvégien Edvard Munch (une exposition qui mérite le détour, soit dit en passant). Une première petite conversation avant que chacun – lui d’abord en raison d’un timing musical assez serré dans l’après-midi – ne grimpe jusqu’au sommet du grand escalator avant une attente annoncée de plus de quarante minutes... finalement réduites à un petit quart d’heure. Ayant réussi à se faufiler habilement dans la file des visiteurs, notre artiste du jour a eu l’excellente idée de nous faire signe pour nous inviter à le rejoindre. Mes jambes ont approuvé !
Perrine Mansuy présentait hier son Vertigo Songs, magnifique album dont j’ai récemment rendu compte pour Citizen Jazz, au Sunside, rue des Lombards à Paris. Un moment important pour elle et ceux qui l’entouraient. L’équipe était au complet puisqu’autour de la pianiste évoluaient Rémy Decrouy à la guitare, Jean-Luc Difraya aux percussions et la très charismatique Marion Rampal au chant. Cette musique, finement ciselée et hautement dosée en onirisme, aurait peut-être mérité un meilleur écrin que celui d’hier soir. Confort spartiate, scène plus qu’exigüe, acoustique incertaine, accueil peu chaleureux... Les clubs parisiens sont un passage obligé pour les artistes, qui doivent bien s’accommoder des conditions qu’ils leur offrent. Fort heureusement, le talent de Perrine Mansuy aura imposé le silence aux spectateurs les plus proches du bar. Une belle performance et un appel à ceux qui pourraient la programmer, parce qu’ils ne le regretteront pas. En attendant, achetez le disque !
Mon pote Gérard Nguyen vient de m’apporter un exemplaire de Neil Young, Rock’n’Roll Rebel?, le bouquin écrit par le journaliste JeanDo Bernard dont il a assuré la mise en page pour le compte des éditions Camion Blanc. Un double plaisir car passer une heure en compagnie de l’ami Gérard, c’est l’assurance d’une conversation passionnante qui va fourmiller des mille et une anecdotes qu’il raconte avec passion ; mais aussi parce que le bouquin, loin d’être une simple biographie, présente un angle d’attaque très intéressant : l’auteur analyse les prises de position du Canadien solitaire, tant au plan social que politique ou écologique, quitte à en souligner les contradictions. Voilà de belles heures de lecture en perspective !
Si la vie – ou plutôt la mort – en avait décidé autrement, John Coltrane fêterait aujourd’hui son quatre-vingt-cinquième anniversaire. Quels chemins le saxophoniste aurait-il fait emprunter à son parcours artistique ? Vers quelles contrées nous aurait-il emmenés ? Nul ne le saura jamais, même si l’on devine, parce qu’il l’avait dit, qu’il ressentait le besoin d’un foisonnement rythmique et que sa curiosité insatiable lui donnait des envies d’Orient. Le mystère reste entier : il nous appartient de puiser, encore et toujours, dans sa discographie foisonnante et de nous contenter du magnifique cadeau qu’il nous aura légué. En attendant la parution en import Japonais d’un double CD exhumant un concert à la Temple University de Philadelphie, le 11 novembre 1966, déjà partiellement édité.
Si la réédition en 2010 de ce disque datant de 1971 ne constitue pas un événement majeur dans l’agenda musical du moment – sauf peut-être au sein de la confrérie des Deadheads toujours à l’affût des preuves de la créativité de Jerry Garcia, leur guitariste adoré – il mérite néanmoins qu’on s’attarde sur les circonstances de son enregistrement, en 1970, en raison de la place particulière qu’il occupe dans le grand chapitre de la musique californienne à partir de la seconde moitié des années 60. Un peu d’histoire nous aidera en effet à mieux comprendre pourquoiHooteroll ? +2 constitue un précieux témoignage qui ne s’adresse pas qu’aux fans les plus ardents.
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En marge de la publication d’un très beau Vertigo Songs en quartet dont Citizen Jazz se fait l’écho dans ses chroniques, la pianiste-compositrice Perrine Mansuy s’est prêtée au jeu des questions-réponses. L’occasion de mieux connaître une musicienne qui n’hésite pas à laisser le rêve conduire une part de sa vie.
Il est des disques qui semblent tombés du ciel, inattendus et charmeurs, qui vous plongent dans le bien-être dès la première seconde au point qu’ils paraissent toujours trop courts. Vertigo Songs, tout empreint d’une élégance gracile et de ce brin de folie sans lequel la musique ne serait pas une aventure renouvelée, est de ceux-là. Le quartet de la pianiste Perrine Mansuy frappe juste et fort avec ce bel album aérien dont la musique épurée vous attrape par la manche pour ne pas vous lâcher de sitôt.
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Assez curieusement, la période estivale aura été pour moi placée sous le signe de ces formations élargies qu’on appelle Big Bands. Ceux-ci, à leur manière, m’ont en quelque sorte (pour)suivis sans que je ne m’en explique la raison.
En rédigeant mes dernières chroniques pour Citizen Jazz (ces dernières restant à paraître), j’ai d’abord connu l’immense bonheur de m’immerger dans la musique luxuriante de Christophe Del Sasso, dont le dernier Prétextes n’est rien moins qu’un enchantement de chaque instant : à la richesse des couleurs et des arrangements, aux textures soyeuses qui ne sont pas sans rappeler parfois l’Hymne au Soleil de Lionel Belmondo, viennent se superposer les élans tout aussi lumineux d’artistes accomplis dont les qualités d’improvisateurs se coulent naturellement dans le moule d’une écriture extrêmement précise. Citons parmi ces derniers les saxophonistes David El Malek et Sophie Alour, aux styles très opposés, le premier comme dans une longue quête intérieure et transcendantale, la seconde au jeu plus rugueux et presque géométrique ; Julien Alour à la trompette ; Jerry Edwards au trombone ; sans oublier le bouillonnant Pierre De Bethmann (claviers) et l’excellent Franck Agulhon (batterie), décidément toujours dans les bons coups !
Dans un style radicalement différent, plus directement festif, aux accents méditerranéens voire latino-américains, le Nice Jazz Orchestra emmené par Pierre Bertrand et ses complices niçois Christian Pachaudi et Alain Asplanato déboule sans complexe et affiche un groove revigorant, dynamité à chaque moment par ses solistes qui, comme le dit si bien le titre du disque, nous font un vrai Festival. On ne pourra que regretter plus encore la disparition brutale et bien trop précoce du trompettiste François Chassagnite dont l’expressivité éclate sur «My Funny Valentine» qui ouvre le disque. NJO donne la pêche, voilà qui ne fait aucun doute et nous rappelle que le même Pierre Bertrand, flanqué du trompettiste Nicolas Folmer, avait déjà bien fait parler la poudre avec son Paris Jazz Big Band. Quelle sera la prochaine ville mise en lumière ? A suivre...
Le Bernica Octet (allez, soyons approximatifs, c’est presque un big band) récidive : son Very Sensitive publié en 2009 était déjà bien réjouissant. François Jeanneau et son combo lorrain emmené par le trompettiste René Dagognet y avançaient des arguments séduisants, là aussi sous la forme d’arrangements très soignés. Deux ans plus tard, les voilà qui reviennent avec une double galette très copieuse : si la seconde appelée Bric à brac peut être perçue comme la suite logique de Very Sensitive, il n’en va pas de même pour l’étonnant Périple en Soundpainting. Je ne reviendrai pas ici en détail sur cette technique gestuelle inventée dans les années 80 par Walter Thomson, mais il faut souligner que les inquiétudes qu’on pouvait formuler à l’idée de l’enregistrement d’une musique dont une large part est visuelle (les musiciens obéissant aux gestes du chef d’orchestre, selon un alphabet qui en comporte plusieurs centaines, on se dit que le soundpainting prend tout son sens sur scène) sont balayées avec cette heure de musique captées dans sa continuité. Il se passe énormément de choses tout au long de ce joyeux périple, et si l’on a coutume de dire que le diable se cache dans les détails, alors il s’agit bien d’une œuvre endiablée. A écouter attentivement, car voilà un projet captivant qui peut paraître parfois d’un abord complexe mais qui, en réalité, exprime à sa manière la réalité d’une musique vivante. François Jeanneau, toujours sur la brèche !
J’étais aussi très perplexe en écoutant la réédition d’un album sorti quelques années plus tôt, qui est à lui seul comme un défi : le HR Big Band, dirigé par Colin Towns invite le légendaire batteur Billy Cobham pour une relecture d’une bonne partie du répertoire du flamboyant Mahavishnu Orchestra créé au début des années 70 par le guitariste John McLaughlin après son adoubement dans les formations de Miles Davis puis de Tony Williams. Cobham, membre de la première mouture du groupe, avait révélé à cette époque un talent hors normes, qui ne s’est jamais démenti même si, pour être juste, il faut bien dire qu’il n’a depuis jamais trouvé un écrin aussi propice à l’expression de son drumming. Force est de connaître que la version big band du Mahavishnu a fière allure ! Oui, ça marche. Bien sûr, à l’écoute des grands thèmes du groupe (le HR Big Band a su faire un choix équilibré entre les quatre plus beaux de ses albums), on ne peut s’empêcher d’entendre les versions originales si captivantes, les élans foudroyants et mystiques, les dialogues comme autant de courses effrénées vers la la lumière entre McLaughlin et Jan Hammer, Jerry Goodman ou Jean-Luc Ponty. Mais la sauce prend et ce Meeting Of The Spirits mérite bien qu’on s’y attarde. Surtout qu’il laisse à Billy Cobham une place prépondérante, pour notre plus grande joie.
Pas de disque, mais un concert récemment donné par l’Amazing Keystone Big Band au dernier festival de Vienne, le 5 juillet. Dans le cadre prestigieux du théâtre antique, ces jeunes musiciens (la plupart ayant des attaches lyonnaises, et notamment celle du club appelé La Clef de Voûte, les anglicistes comprendront...) ont offert une prestation très enjouée, à la fois dans le respect d’une certaine tradition du jazz (ils avaient pour l’occasion quelques invités prestigieux comme l’organiste Rhoda Scott ou le vibraphoniste Michel Hausser) et dans un mode d’expression qui privilégie l’énergie. Je n’étais pas de la fête, mais mon rejeton - lui-même saxophoniste alto du Keystone - m’a permis de visionner un DVD de cette soirée. Là aussi, beaucoup de joie dans le jeu, la même dose de plaisir dans l’écoute, avec en ce qui me concerne une petite pointe d’émotion de le voir au milieu de cette fête.
Peut-on parler de big band au sujet de Cheerleaders, le nouveau disque de Pierrick Pédron, qui sortira au mois de septembre ? Non... mais si, quand même un peu. Si la formation, celle de son précédent Omry, s’articule autour de six musiciens qui forment un sacré combo dont la musique doit autant au rock qu’au jazz, l’histoire de ces majorettes a nécessité l’adjonction d’une bonne quinzaine de musiciens pour l’enregistrement d’une suite de fanfares qui viennent ponctuer le récit que le saxophoniste nous propose. Entre rêve et réalité, entre fanfares évanescentes et lourdes charges à haute teneur en électricité, la musique de Pierrick Pédron s’affirme comme unique. Et surtout, le groupe a su se créer en peu de temps une vraie identité sonore. Attention, c’est du lourd, pour moi un disque essentiel. Un événement...
Pour paraphraser mon camarade Franpi, je pourrais terminer cette note en vous disant : et un disque qui n’a rien à voir !!! Oui, parce que je ne peux résister au plaisir de vous suggérer de prêter très vite une oreille attentive au disque du quartet de la pianiste Perrine Mansuy. Ses Vertigo Songs sont rien moins qu’enchanteurs, voire ensorcelants. Voilà un disque aérien, peuplé de rêves, habité par la grâce mais aussi par une pointe de folie à laquelle le chant de Marion Rampal (qui signe les textes) n’est certainement pas étranger. Il serait par ailleurs très injuste de ne pas citer l’autre moitié de ce quatuor fort passionnant : le guitariste Rémi Decrouy - dont le jeu subtile alterne impressionnisme et flammèches électriques - et le percussionniste Jean-Luc Difraya, qui marie pulsion et légèreté. A commander d’urgence ! Vous pouvez en écouter ici un extrait avant de vous ruer sur le site d’Abeille Musique...
Il n’aura pas eu le temps de souffler ses 67 bougies. Né le 24 juillet 1944, le pianiste François Cahen vient de nous quitter, victime d’une crise cardiaque. Retour en quelques mots sur un grand monsieur dont les expériences musicales de ces quarante dernières années auront été autant de belles aventures.
Je compléterai cette note par une évocation plus personnelle qui nous fait remonter au milieu des années 90, si mes souvenirs sont exacts. Je me trouvais ce jour-là à Paris pour des raisons professionnelles et j’avais choisi, à l’heure du retour, de rallier à pied la Gare de l’Est. En passant à proximité du Duc des Lombards, j’aperçus une silhouette familière : François Cahen, avec ses faux airs du chanteur Carlos (le talent en plus, évidemment). Disposant d’un peu de temps avant de monter dans le train, j’étais allé à sa rencontre, histoire de lui dire combien sa musique m’avait accompagné. Nous avons parlé de Magma, bien sûr, mais aussi de Zao, fascinante expérience marquant sa complicité avec le saxophoniste Yochk’o Seffer. Homme particulièrement chaleureux, Faton m’avait aussitôt proposé de m’inviter au concert qu’il donnait ce soir là au Duc. On imagine mon émotion mêlée de la déception d’être obligé de la décliner, étant attendu à 300 kilomètres de là. En le quittant, j’ai perçu, de manière assez intense, que l’homme et sa musique ne faisaient qu’un : un cœur gros comme ça ! Ce cœur qui s’est trop vite arrêté de battre.
En hommage à François Cahen, écoutons l'une de ses compositions : "Isis", extraite d'Osiris, deuxième album de Zao. Presque dix minutes de bonheur...
Avec ce septième disque, Stefano Di Battista affirme plus que jamais sa volonté d’offrir une musique habitée par le chant et un lyrisme qui puise son inspiration dans toutes les formes de ce qu’on appelle jazz, ici revisité au travers d’une belle balade au fil du XXè siècle, mais aussi dans sa version la plus contemporaine. En choisissant de travailler avec le journaliste musical italien Gino Castaldo, avec qui il rend aujourd’hui un hommage vibrant à la femme – loin de toutes les vulgarités ambiantes – il démontre, s’il en était encore besoin, que l’expressivité de son jeu se pare d’une noblesse que les années mettent toujours mieux en valeur.
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Voilà quelques minutes - un petit quart d’heure en fait - qui font le plus grand bien, même si leur existence n’est due qu’au triste spectacle qu’offre au monde entier la politique éhontée de Berlusconi (et de tous ses clones de par le monde). Un assassinat en règle que nous serions bien mal avisés de railler, compte tenu de ce qui se passe du côté de chez nous et qui n’incite guère à l’optimisme.
Imaginez : nous sommes au Teatro dell’Opera de Rome. On y interprète le Nabucco de Verdi, sous la direction de Riccardo Muti. A la fin du célébrissime chœur «Va Pensiero», la salle demande un bis ! Et voilà que le chef accepte, non sans avoir dénoncé le coupes sombres opérées dans le budget de la Culture en Italie, ce grand pays dont toute l’histoire s’est construite autour de la culture, et demandé au public d’entonner ce chant patriotique avec les choristes présents sur scène.
« Si nous tuons la culture sur laquelle est fondée l’histoire de l’Italie, alors notre patrie sera vraiment belle et perdue ». Riccardo Muti dit l’essentiel en une seule phrase.
On en vient à espérer que d’autres voix vont continuer à s’élever, en France notamment, pour dénoncer le carnage entrepris par les ayatollahs de la sphère économique, ces intégristes de l’ultra-libéralisme qui n’en finissent plus de mettre à genoux, parmi toutes leurs victimes expiatoires, la création et l’imagination.
Sublimé par la beauté et la puissance de cet opéra, ce temps fort est un acte de résistance exemplaire qui vous donne la chair de poule.
Un disque sorti au printemps dernier qui brandit fièrement les couleurs d’une joie manifeste, celle des retrouvailles volubiles de vieux complices au meilleur de leur forme... Prysm est de retour : alléluia !
Un bref rappel historique, sans doute pas inutile. Prysm est un trio (Pierre De Bethmann,Christophe Wallemme et Benjamin Henocq) de leaders-compositeurs, équilatéral, donc, et bien équilibré, qui connut le succès au milieu des années 90 au point de signer - privilège ! - chez Blue Note et de vivre quelques expériences internationales en compagnie de solistes de haut niveau (Lee Konitz, Philip Catherine ou Paolo Fresu), voire aux côtés de James Taylor à l’occasion d’une tournée américaine avec un orchestre symphonique. Ce trio aura été, il faut le souligner aussi, un animateur essentiel de la scène musicale pendant sept ans, jusqu’à sa dissolution après quatre albums unanimement salués : Prysm (1997), Second Rhythm (1998), Time (1999) et On Tour(2001).
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Connaissez-vous ce phénomène un peu étrange – terriblement humain, sans nul doute – qui vous conduit vers telle ou telle musique selon l’heure du jour, la saison ou le temps qu’il fait ? Il est des artistes qu’on sollicitera plutôt un jour de soleil tandis que la grisaille siéra mieux à d’autres ; au petit matin, nos invités ne seront pas forcément les mêmes qu’au soleil couchant ; des musiques pour l’hiver, d’autres pour le printemps, dans une succession de mouvements harmonieux et inexpliqués. Et puis, dominant ces variations saisonnières ou journalières, se dessinent d’autres rythmes : de grands cycles, des univers qu’on veut parcourir dans toute leur immensité, en explorant dans une continuum méthodique – chronologique parfois – toutes les œuvres d’un musicien dont on se dit qu'il n’aura jamais fini de se livrer à nous. Comme par longues vagues pacifiques et créatives, pour nous nourrir, pour nous imprégner du sens qu’ils ont voulu donner à leur propre vie. Et que dire de cet univers « au-delà », celui des Maîtres, des référents, ceux-là même qui viennent un beau jour à notre rencontre pour devenir nos compagnons de toute une vie ? Finalement assez rares, ils sont autant de repères majeurs (qu’en aucun cas, je ne prendrai pour des guides car la tutelle spirituelle est toujours effrayante en ce qu’elle nous interdit de penser par nous-mêmes) pour nous qui ne devons jamais oublier de tourner notre regard vers le haut et tenter d’élever notre quotidien à un niveau qui surpasse la vulgarité ambiante, collée à nos basques.
Au cœur du petit noyau des très grands vers lesquels je reviens sans cesse, il y a John Coltrane. Tout récemment, je n'ai pas hésité une seule fraction de seconde quand il s'est agi d'évoquer l'Afrique nourricière, à l'occasion du rendez-vous estival du Z Band, le collectif de blogueurs jazzophiles dont je fais partie. Coltrane bien sûr… Chaque jour ou presque, j'ai une pensée pour cet extra-terrestre dont, voici près de trente ans, j’ai acheté un album ensorcelant, une galette de vinyle au son incomparable qui continue de ma hanter, encore et encore ? Coltrane, évidemment, et son hypnotique interprétation de "My Favorite Things"… Le saxophoniste fulgurant, à la puissance sans égale, dont j’ai empilé un nombre, sinon incalculable, du moins vertigineux, de disques inépuisables ? Coltrane, forcément…
Avec lui, j’ai appris la liberté de créer, le souffle mystique de l’inspiration, l’engagement total dans un art, l’expression d’une force surhumaine. Comme l’incarnation, non d’une vérité (quelle horreur !), mais de la plus totale fidélité à un idéal, exempt de toute vulgarité, gorgé d'une sève généreuse et habitée, dans un parfum d’éternité. Une musique qui touche à l'essentiel.
Respect absolu. Incitation à l’humilité.
Je ne veux pas en dire plus, parce que les mots peuvent s’avérer insuffisants pour exprimer. Si les miens peuvent simplement suggérer, alors ils auront déjà rempli une belle mission.
Je vous laisse en bonne compagnie, celle de John Coltrane et de ses musiciens (McCoy Tyner : piano, Elvin Jones : batterie, Jimmy Garrison : contrebasse, Eric Dolphy : flûte) enregistrés en 1961. Ils nous offrent une version (parmi beaucoup d’autres) de « My Favorite Things ».
Formé voici plus de quatre ans maintenant, le trio Sphère vient de publier avec Parhélie ce qui constitue en réalité son deuxième album, après Greenland Road, disque autoproduit paru en 2009. Sphère (on notera que cette dénomination n’apparaît pas sur le disque, publié sous la triple identité Kapsa-Reininger-Fleau) est la réunion attachante de trois jeunes musiciens dont la rencontre remonte à leurs années de formation au Centre des Musiques Didier Lockwood, et qui ont créé leur trio au bout de quelques mois. Le début d’un chemin qu’on souhaite le plus long possible.
L'impatience commence à grandir... Car on sait depuis belle lurette que le saxophoniste Pierrick Pédron va prochainement donner un successeur à son si bel Omry. L'enchantement sera-t-il aussi fort, cette fois ? Allez, je ne veux pas vendre la peau de l'ours mais je suis pleinement confiant. Il y a quelque temps déjà, Pierrick m'avait permis d'écouter quelques extraits de son nouveau disque : pas de doute, la belle aventure va continuer, tant ce que j'ai eu entre les oreilles me semble résolument indéfinissable et pourtant continuateur de l'expérience en cours.
Pierrick Pédron a reconduit pour l'essentiel la même équipe que pour Omry : Laurent Coq (piano, Fender Rhodes et arrangements), Vincent Artaud (basse), Chris De Pauw (guitare), Fabrice Moreau et Franck Agulhon (batterie), avec cette fois l'entrée en piste de Ludovic Bource (orgue), ainsi que d'autres participants, plutôt nombreux à la fête : chanteuses, cuivres, percussions. Il y aura dans cette musique quelque chose qui s'apparentera à une fanfare un peu extraterrestre...
Cheerleaders est annoncé pour la rentrée : d'ici là, vous pouvez vous faire une première idée de ce qui nous sera proposé en jetant un petit coup d'œil (et d'oreille, surtout), à une vidéo qui nous montre le groupe en studio.
Et puisque les vacances approchent - comprenez par là que les publications sur mon blog se raréfieront peut-être un peu entre la mi-juillet et la mi-août, je vous offre un modeste cadeau de circonstance : le texte que j'avais écrit pour illustrer la photographie de Pierrick Pédron (signée Jacky Joannès) dans le cadre de notre exposition automnale Portraits Croisés.
[ L’héritage du futur ] Il y a comme une évidence paresseuse à vouloir démontrer que son saxophone alto exhale des fragrances Parkeriennes et virtuoses. On sait maintenant que le monde composite de Pierrick Pédron – Omry – est hanté par bien d’autres esprits futuristes, qui savent invoquer tour à tour les scansions hypnotiques d’Oum Kalthoum et l’héritage électrique de Pink Floyd. Pierrick Pédron déjà figure parmi les grands...
Post-scriptum : j'ai évoqué, pas plus tard qu'hier soir, la parution prochaine de Cheerleaders en compagnie de Franck Agulhon tout juste rentré d'une belle tournée en Asie avec Eric Legnini : il fallait voir la lumière briller dans ses yeux, du seul fait de parler de l'aventure Pédron et de se réjouir par avance de la joie d'avoir à partager bientôt ces moments qu'il semble avoir vécus comme un nouveau bonheur artistique. Un Franck Agulhon, venu le temps d'un soir, retrouver ses vieux amis (au premier rang desquels Jean-Marie Viguier) pour jouer la musique de Pat Metheny. Cet homme-là est non seulement un batteur de premier plan, il est aussi un être humain adorable, totalement préservé des méfaits que sa notoriété pourraient lui valoir : je le connais depuis une bonne quinzaine d'années et je le retrouve à chaque fois tel qu'en lui-même, savant cocktail de talent et de chaleur humaine.