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Les élucubrations d’Antoine

herve-wayne-shorter.jpgJe ne voudrais pas laisser filer ce dernier jour de l’année sans avoir adressé un petit clin d’œil à un pianiste dont la récente production discographique (mais pas seulement, on le comprendra assez vite) aura été la source d’un vrai ravissement. Et j'aimerais par avance présenter mes excuses à Antoine Hervé qui pourrait m’en vouloir d’avoir travesti son travail de grande qualité sous une expression un peu narquoise qui a donné son titre à cette note. Qu’on se le dise, c’est l’imagination du musicien qui se trouve ici habillée en élucubrations, à prendre peut-être dans leur sens secondaire d'un « ouvrage composé à force de veilles et de travail ».

Je ne m’appesantirai pas ici sur la biographie du monsieur qui, plus qu’un pianiste, est un éminent compositeur arrangeur, féru d’improvisation : elle est très éloquente et nous montre à la fois l’étendue de ses collaborations, incluant la direction de l’Orchestre National de Jazz à la fin des années 80, aux côtés des plus grands noms du jazz tels Quincy Jones, Chet Baker, Carla Bley, Gil Evans... et beaucoup d’autres, et de ses sources d’inspiration qui vont bien au-delà du jazz et passent par le rock, la musique classique, les musiques du monde... On pourrait définir Antoine Hervé comme un amoureux gourmand de toutes les musiques. Son approche de l’art en est presque gastronomique (je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il est aussi un fin gourmet).

La gourmandise, donc, est l’ingrédient principal des Leçons de Jazz auxquelles Antoine Hervé s’adonne depuis quelques années (elles sont à considérer un peu comme les sœurs jumelles des leçons de son camarade Jean-François Zygel, dans le domaine de la musique classique), pour le grand bonheur d’un public aux anges. Jamais pontifiant, toujours passionné, Hervé décortique, raconte des histoires, se met à la portée (le mot est bien choisi) des mélomanes non pratiquants et prend un plaisir non dissimulé à nous enseigner ce jazz qui le fait vibrer depuis l’adolescence. Cerise sur le gâteau, l’humour affleure dans chacune de ses leçons (ainsi lorsqu’il imite sa femme qui marche pour expliquer ce qu’est une walking bass ou lorsqu’il s’arrache les cheveux devant l’architecture mystérieuse d’un saxophone soprano) et, mine de rien, on ressort de ces heures aux vertus très pédagogiques avec l’idée qu’on a vraiment appris quelque chose, habité du besoin, très pressant, de se précipiter sur les disques des musiciens qu’Antoine Hervé vient de célébrer. Effet garanti ! On rêverait d’un enseignement de la musique à l’école qui soit aussi contagieux : avec un tel professeur, bien des choses seraient transformées dans les esprits de nos enfants...

Chance pour nous, plusieurs de ces belles leçons ont fait l’objet d’une publication sous la forme de DVD. Les quatre premiers volumes mettent à l’honneur Antonio Carlos Jobim, Oscar Peterson, Wayne Shorter et Keith Jarrett. Leur réalisation est d’une grande sobriété qui privilégie la complicité avec celui qui s’installe au poste de conférencier : Antoine Hervé raconte, explique, joue (accompagné par exemple des frères Moutin ou du saxophoniste Jean-Charles Richard) ; le clavier du piano apparaît en haut de l’écran dès qu’il entre en action, pour agrémenter le propos d’une animation du meilleur effet. Si l’on est musicien, on pourra décortiquer les doigtés ; si on ne l’est pas, on pourra se laisser aller à admirer la grâce d’une gymnastique enchantée. C’est selon.

J’ignore à l’heure actuelle si d’autres leçons verront le jour sous cette forme mais en attendant un cinquième volume, je ne saurais que trop conseiller la fréquentation de ces heures enrichissantes et, pour dire les choses plus simplement, très jubilatoires. Elles s’adressent au public le plus large, connaisseur ou pas, elles sont un moment de partage qui ne se refuse pas.

coupdemaitre.jpgDans sa leçon consacrée à Wayne Shorter, Antoine Hervé nous explique que le saxophoniste est un créateur d’univers, un artiste qui veut inventer sa propre musique. Eh bien, je me demande si ce désir d’innovation n’est pas le sang qui coule dans les veines du PMT QuarKtet qui vient de publier un disque absolument ébouriffant. Il figure d’ailleurs dans la (longue) liste de mes disques de l’année 2012 et je dois confesser que si j’avais eu le courage de compresser mon Top 22 en un Top 5, l’album ferait partie de cette quinte ultime. Sans la moindre hésitation, je lui décerne un « Coup de Maître », amplement mérité tant son écoute répétée depuis deux mois est une source inépuisable de plaisirs multipliés qui jamais ne se départissent de leur mystère originel. Aux côtés d’Antoine Hervé, on retrouve l’exaltant Jean-Charles Richard au saxophone (qui a lui-même reçu un « Maître d’Honneur »), Philippe Garcia à la batterie (tiens, voilà qui me ramène pas mal d’années en arrière et au Collectif Mu, trop vite disparu) et Véronique Wilmart à... l’acousmatique. Acousmatique, kesako ? Tiens, il faudrait que le professeur Hervé nous explique tout cela, il ferait ça beaucoup mieux que moi. Disons, pour faire très court, qu’il s’agit ici de recourir à des matières sonores qui vont être comme sculptées et transformées, dans une démarche qui est celle de la musique dite concrète.

pmt_quarktet.jpgVéronique Wilmart co-signe avec Antoine Hervé toutes les compositions de ce disque magnifique et je suis certain que le pianiste ne m’en voudra pas de souligner à quel point sa comparse nourrit le disque de toute sa science de l’invention et de la perturbation atmosphérique (en ce sens que ses trouvailles sonores viennent tranquillement bousculer l’agencement d’un jazz déjà riche de toutes ses couleurs). Elle est la pourvoyeuse des climats, ceux sur lesquels les autres musiciens peuvent parvenir encore mieux à un épanouissement complet (Jean-Charles Richard est une fois de plus exemplaire, il n’est pas hasardeux de penser que bien souvent, Wayne Shorter le guette du coin de l’anche avec beaucoup de bienveillance). Impossible de « caser » cette musique dans une catégorie bien précise : il y a du jazz, forcément, mais ici on confinera à la musique sérielle, là à une séquence plus électro, avec une dose de minimalisme improvisé. Parfois on se croirait dans un film urbain et un peu frénétique (« Les triplettes de Barbès ») et pour tout dire, ces variations énigmatiques dessinent un monde très singulier, avec ce petit air de jamais entendu qui attire instantanément. 

PMT QuarKtet est un disque riche, troublant, magnétique, une de ces pépites que, loin de vouloir garder pour soi en Harpagon des galettes, on voudrait faire connaître au plus vite. Assez indéfinissable certes (d’où peut-être, ici, ma difficulté à le transcrire correctement en mots), mais passionnant du début à la fin. A découvrir d’urgence, merci monsieur Antoine !

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