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Rechercher : tocanne

  • Discovery, immersion... commerce

    pink floyd,i-overdrive trioQu’on ne se méprenne pas sur le sens de cette note : adolescent, j’étais fasciné par la musique de Pink Floyd. Je me rappelle même avoir fait le siège du bureau de l’économe de mon lycée jusqu’à ce qu’il accepte l’idée d’affréter un bus pour emmener une cinquantaine de lycéens, dont ma sœur et moi, de Verdun à Nancy, histoire d'applaudir le groupe en pleine tournée promotionnelle de The Dark Side Of The Moon, au mois de décembre 1972. Je n’avais pas encore 15 ans, j’avais dans ma besace à musique de longues heures passées dans ma chambre à écouter « Echoes » et ses sirènes inquiétantes avec un camarade de classe. C’était le disque Meddle, emprunté à ma sœur - encore elle - qui avait eu la bonne idée de l'acheter… Aujourd’hui, le groupe occupe toujours une place non négligeable dans mon modeste Panthéon (qui est un peu décousu, je l’admets), ma préférence allant toutefois pour ses premières années : celle des deux premiers albums imprégnés de la folie de Syd Barrett mais aussi les suivantes et leur psychédélisme planant (jusqu'à Obscured By Clouds). The Dark Side Of The Moon aura marqué une rupture, celle d’un succès planétaire combiné à une disparition progressive des envolées cosmiques un peu folles pour céder la place à un univers plus contrôlé. Trop à mon goût, comme si le groupe perdait doucement son âme... Bien sûr, il y aura The Wall, en 1979, lui-même entré dans la légende mais… non, désolé, c’est un autre Pink Floyd dans lequel je ne me suis jamais vraiment retrouvé. Au point de m'ennuyer fermement avec la parution, quatre ans plus tard, de The Final Cut.

    Mais quand je vois comment les majors envahissent actuellement le terrain médiatique pour tenter de nous refourguer une nouvelle intégrale (la Discovery Edition, soit toute la discographie de Pink Floyd remasterisée) tout en publiant dans le même temps une version Immersion Box Set de The Dark Side Of The Moon, précédant elle-même le lifting annoncé de The Wall, force est de constater, une fois de plus, que les actionnaires de ces grands groupes financiers ne misent plus un seul kopeck sur des talents en devenir – c’est-à-dire ceux-là même qui en auraient le plus besoin – et préfèrent assurer leurs arrières en multipliant les profits sur des produits rentabilisés depuis des décennies. Autant de boîtes à l'emballage savamment étudié mais qui sentent un peu trop le réchauffé. Marketing, quand tu nous tiens...

    Et je me dis qu’en 2011, le joueur de pipeau aurait beau s’échiner à s’avaler une saucière de secrets aux portes de l’aube, il se fracasserait le nez sur un mur, celui de l’argent… un mur obscurci par les nuages mercantiles de notre société embarquée dans une cynique dérive. En 2011, le Pink Floyd de Syd Barrett ne verrait pas le jour, personne ne lui donnerait sa chance, il serait un groupe mort-né…

    Alors plutôt que de dépenser des sommes folles dans d’inutiles rééditions bien trop coûteuses sous couvert de je ne sais quelle remasterisation ou de publication annexe de quelques fonds de tiroir d’un intérêt incertain sur des CD qualifiés de bonus, je me dis qu’il nous appartient d’être les acteurs de ce jeu en procédant aux bons choix. Tenez par exemple : cette histoire de Pink Floyd m’a fait penser à un Hommage à Syd Barrett rendu par l’i.overdrive trio (soit Philippe Gordiani à la guitare, Bruno Tocanne à la batterie et Rémi Gaudillat à la trompette) en 2008. Ou comment s’affranchir du modèle sans le faire oublier pour autant, dans une belle manifestation de respect et de talent. Let there be more light, disait Pink Floyd en 1968 : je suis bien d'accord, alors mettons plutôt en lumière des artistes qui restent trop dans l'ombre à mon goût...

    Et si on écoutait l’i.overdrive trio dans sa reprise du légendaire « Astronomy Domine » ?

    podcast

  • Dedicated to Hugh (but you weren't reading)

    Avant toute chose, on me pardonnera ce titre en anglais mais… je ne serais pas étonné que quelques uns parmi vous aient compris le clin d'œil ! Et que les autres ne m'en veuillent pas, tant il est vrai que ma nature profonde me gifle sans cesse de l'idée que nul ne saurait être omniscient, moi le premier.
 Néanmoins, je précise qu'il ne sera pas ici question de la moindre machine molle !

    hugh coltman, zero killedDans notre grande série "Je ne suis pas forcément là où m'on attend et ça n'est pas pour me déplaire", voici quelques lignes consacrées à un disque publié au mois d'octobre par Hugh Coltman. Ce chanteur anglais atypique (contrairement à quelques pigeons hexagonaux, il semble avoir choisi de faire le chemin inverse pour s'établir en France, et tout me porte à croire qu'il n'est guère sensible aux sirènes dictatoriales en vogue chez quelques pipole en état avancé de déliquescence mentale) dont il a déjà été question par ici, notamment à l'occasion de la sortie en 2008 de son précédent disque, Stories From The Safe House, mais aussi après un concert à quelques encâblures de Nancy, au mois de mars 2009, nous propose Zero Killed, un petit bijou hyper mélodique qui mériterait certainement une plus forte exposition.

    Bien que ma légendaire souplesse - équivalente à celle d'un vieux bout de bois séché se morfondant au fond d'un panier où la seule perspective d'avenir réside dans un grand saut vers une cheminée habitée de braises rougeoyantes - m'interdise d'envisager un jour de parvenir un jour à exécuter un grand écart, je ne voudrais pas vous priver du partage d'un plaisir simple, tout en élans pop rock les plus accueillants, d'un disque probablement aux antipodes des derniers que j'ai célébrés récemment par ici. On peut aimer les suggestions poétiques de Bruno Tocanne, se délecter des trouvailles acousmatico-shorteriennes du PMT QuarKtet, sans pour autant jeter une oreille condescendante sur une production artistique dont la filiation post-Beatles est indubitable. Il y a des moments, comme ça, où une succession de pop songs délicatement troussés, suffisent à votre petit bonheur d'un jour. Un sens partagé de la mélodie, tant dans sa fibre Mc Cartney (« Carnival », « Mice And Men ») que Lennon (« All You Said »), des textes intelligents et doux amers, une production très soignée qui s'autorise le recours à des arrangements de cordes soyeux mais jamais dégoulinants : voilà, c'est ça et rien d'autre, l'univers de Mister Coltman et c'est déjà beaucoup. Et puis tout de même, il y a chez lui ce sens assez incroyable du thème qui vous accroche par le bas du pantalon (ou de la jupe, ou de ce que vous voulez d'ailleurs…), au point qu'on en vient à s'étonner de cet alignement assez stupéfiant de hits en puissance. Tiens, pour citer les plus entêtants : « Isolation », « She Signs Her Name », « Mice And Men », « Sticks And Stones », « The End Of The World »… Ces petites pépites sont réjouissantes et je me permets d'insister sur le fait que la musique de Hugh Coltman me semble à même de rassembler un public assez large sans jamais tomber dans le piège d'une variété insipide et bavarde. Les chansons de notre ami anglais sont d'une belle concision, alliage réussi d'élégance et de tonicité.

    Cerise sur le gâteau, Hugh Coltman s'est payé le luxe d'un sacré complice pour la réalisation du clip de « The End Of The World » : voilà monsieur Pierre Richard himself, l'un de ses acteurs préférés, mis en scène dans le rôle d'un drôle d'écrivain double à deux doigts. Et quel plaisir de retrouver notre distrait grand blond, avec ou sans sa chaussure noire !

    On reparlera très vite de Hugh Coltman puisque le chanteur sera bientôt à l'affiche de Sing Twice!, le nouveau disque du pianiste Éric Legnini, le temps de trois chansons dont il a signé les textes, notamment celui de « Snow Fall », le plus beau moment de l'album, à n'en pas douter. Coltman se produit depuis quelque temps sur scène avec le trio de Legnini (qu'il a rencontré sur le plateau de feue One Shot Not, belle émission d'Arte animée par Manu Katché), d'autres concerts sont annoncés. Affaire à suivre, donc…

    En attendant, pas la moindre hésitation : ouvrons les fenêtres, laissons entrer la musique de Hugh Coltman, elle fait du bien. Ses airs, bien loin d'être viciés, sont un petit enchantement. Mine de rien, Zero Killed fait partie des disques qui tournent en boucle chez moi depuis trois mois, sans que jamais le moindre sentiment de lassitude ne m'ait gagné un seul instant. Allez, j'y retourne encore une fois !

  • Noir c’est Outrenoir, il y a de l’espoir...

    henri roger, bruno tocanne, eric-maria couturier, emmanuelle somer, parce que, Jamais deux sans trois. Fin avril, il était question ici d’un trio en immersion qui nous avait invité à partager sa Parole Plongée de toute beauté. Un peu plus loin, il y a exactement un an jour pour jour, j’évoquais déjà l’univers extra-ordinaire (je mets volontairement un tiret au mot pour bien faire comprendre que cette musique sort de l’ordinaire tant par le fond que par sa forme) dessiné par la musique improvisée  du pianiste Henri Roger à l’occasion de la parution de deux albums vinyle (complétés par un CD), le solitaire Exsurgences et la « Sérieuse Improvised Cartoon Music » de When Bib Bip Sleeps, disque ébouriffé enregistré avec de précieux camarades, dont deux, le batteur Bruno Tocanne et le violoncelliste Eric-Maria Couturier sont à nouveau impliqués dans Parce Que ! publié chez IMR, un disque inspiré par la peinture de Pierre Soulages. Avec eux, Emmanuelle Somer, hautboïste dont la réputation en matière d’improvisation n’est plus à faire et qui joue ici également de la clarinette, du cor anglais et du saxophone.

    Il n’y a pas de hasard... J’ai découvert la peinture de Pierre Soulages au cours de l’été 2012, quand une exposition lui avait été consacrée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon qui présentait une sélection d’œuvres inédites. Un choc pour moi, une plongée – c’est à mon sens le mot qui unit le mieux les deux univers artistiques dont il est question ici – dans un infini presque mystique d’où la lumière surgit d’un noir dominant (Soulages définit lui-même son noir comme un « noir lumière »), parfois parcouru de reliefs calligraphiques que le regard discerne petit à petit, tous sortis de l’imaginaire clair-obscur de celui qui dit ne pas vivre quand il ne peint pas. Les tableaux sans titre – aux dimensions souvent majestueuses – de Pierre Soulages se reçoivent presque d’un seul coup d’œil, avant qu’on ne cherche à les sonder, à questionner leurs profondeurs, leur matière et les ouvertures qu’ils offrent au regard vers un au-delà impénétrable, sans qu’on éprouve le besoin premier de les comprendre. On n’explique pas la peinture de Soulages, on la ressent, on s’immerge en elle et les considérations techniques, pour passionnantes qu’elles soient, ne doivent pas être un préalable à leur perception. C’est une peinture éminemment vibratoire, presque de l’instinct, porteuse d’une émotion intense et qui ne saurait être assimilée à une forme quelconque d’abstraction.

    Souvenir aussi, lors de ma visite, de cet homme disant à sa femme : « Tu me donnes un pinceau et un pot de peinture et j’en fais autant ! » Eh ben vas-y mon gars, fais-en autant, montre-nous donc tes œuvres bas du front, on verra bien ce que tu sais faire. Ou plutôt, tais-toi, observe en silence si tu en es capable, prends du recul... et puis non, va plutôt faire tourner les serviettes !

    Dans ces conditions, comment s’étonner qu’un musicien comme Henri Roger puisse passer à côté de cet univers aussi profond, celui de l’Outrenoir – au-delà du noir – auquel le peintre s’est consacré presque exclusivement depuis les années 70 ? Lui, musicien de l’éveil qui aime tant le registre grave de son piano, n’aurait-il pas quelque apparentement créatif avec un Soulages concentré sur le noir au point qu’il n’est pas pour lui question d’en imaginer la ligne d’horizon ? Et la naissance de cet au-delà du noir qui a quelque chose à voir avec le hasard n’est-elle pas, de son côté, une cousine de l’improvisation ? Toutes ces passions partagées devaient forcément converger. Alors Henri Roger a relevé un nouveau défi en invitant dans un premier temps les trois explorateurs cités un peu plus haut à s’approprier l’univers de Soulages par la découverte de quelques uns de ses tableaux sur internet, puis en les conviant à une séance en studio à Antibes au mois de novembre 2013. Chacun était là pour apporter, sinon ses propres couleurs, du moins ses nuances, ses motifs, ses traits d’union et ses formes sonores spontanées.

    Le résultat est fascinant, mystérieux aussi par sa dimension elliptique (encore une fois, il ne s’agit pas pour les musiciens de tout expliquer et c’est tant mieux pour nous). Attention cependant : j’en déconseille la diffusion inopinée à toute personne qu’on aurait omis de prévenir de ce qui l’attend, un peu comme mon visiteur narquois qui comparait volontiers son talent à celui de Pierre Soulages. Cette musique n’est ni chant ni même mélodie, elle peut effaroucher – mais ce serait bien dommage – parce qu’elle est une masse ombrageuse qui avance vers vous, nocturne, animée de mouvements à la fois lents et inexorables. Henri Roger, une fois de plus, se concentre sur la partie gauche de son clavier, il sculpte la matière première, celle du grave, qu’on peut comparer à des à-plats de noir : c’est elle qui crée la tension tout au long des cinq mouvements du disque dont les titres méritent d’être cités en raison de leur caractère pictural.  « Traces Ouate », « Coulures Apparences », « Signe Banquise », « Ratures Brumes » et « Griffure au fond » (une fois acheté ce disque, vous pourrez obtenir tous les détails en scannant le flash code au dos de la pochette minimaliste ; il vous conduira au bon endroit). Les trois comparses du pianiste, eux, superposent leurs tracés et imposent un relief nerveux, des mouvements dans le mouvement. Bruno Tocanne, dont on ne vantera jamais assez les qualités impressionnistes, trouve ici un nouveau terrain d’expression et suggère ses motifs en apposant de petites touches qui s’entrecroisent amoureusement avec les dissonances du violoncelle d’Eric-Maria Couturier qui, elles, sont autant de stries et d’ouvertures vers la lumière, tandis que les ébullitions nées des anches d’Emmanuelle Somer rendent la matière sonore presque palpable et en révèlent la nature organique. Mais parfois, ces trois-là prennent l’initiative des premières nuances, comme sur « Signe Banquise » : cette fois, le piano se garde d’intervenir immédiatement, il laisse aux autres instruments le soin d’inventer leurs propres nuances avant d’entrer avec eux dans une danse toute en sinuosités rampantes.

    On ne peut pas résumer cette expérience passionnante au moyen d’une poignée de phrases : à l’instar de la peinture de Soulages - que celui-ci se plaît à définir comme « l'état d'absence de mots » - il faut se confronter à elle, s’en approcher, la humer, être gagné par le désir de la toucher et l’accepter comme elle se présente, dans son mystère et la fascination qu’elle exerce par tout ce qu’elle ne dit pas d’emblée et laisse entrevoir au-delà de la musique. C’est là son côté Outremusique, probablement... D’un point de vue pratique, on peut suggérer son écoute au casque ou à fort volume, la tête entre les enceintes. Immersion garantie !

    J’ai la chance de connaître personnellement Henri Roger, j’ai déjà eu l’occasion de le rencontrer et nous échangeons souvent nos impressions. Malgré la distance, nous sommes devenus comme des camarades des temps modernes, tous réseaux et messageries déployés, et j’ai voulu lui poser une question très simple : pourquoi Soulages ? Bien entendu, j’ai interdit la réponse qu’il risquait de me renvoyer parce que le monsieur n’est pas seulement talentueux, il est aussi taquin : « Parce Que ! »

    Voici donc une explication par Henri Roger himself...

    « J’ai vu des tableaux de Pierre Soulages à Beaubourg, à la FIAC, et dans quelques galeries, au fil du temps et au cours de voyages. Je ne cherchais pas spécialement à voir sa peinture, ni à en savoir plus sur lui et sa démarche, mais à chaque occasion je suis resté un certain temps devant ses tableaux avec à la fois du plaisir, de la fascination et de l’interrogation. Qu’est-ce qu’on voit, croit voir et ne voit pas, de près et de loin dans un tableau noir de Pierre Soulages ?  C’est là qu’un lien commence à se faire avec ma musique et certains peintres contemporains. Le titre de mon premier album, paru sur le label « Pôle »,  est Images. La musique de ce disque est basée sur des superpositions de nappes de sons jouées sur orgue et synthés du début des 70’s. Qu’est-ce qu’on entend en premier ? Qu’est-ce qui se distingue en arrière-plan si on écoute fort ou pas ? C’est là le parallèle que je fais au niveau des perceptions entre le visuel et le son. Pierre Soulages raconte qu’à un moment de sa vie il s’est trouvé dans une impasse devant un tableau. Il a laissé ce tableau en chantier une nuit et l’a retrouvé le lendemain dans état tout à fait autre, la peinture avait coulé et pris d’elle même l’espace, en noir. L’Outrenoir était né. On voit bien le rôle du hasard, qu’on aime dans l’improvisation, mais aussi un choix de se limiter, de se contraindre à une seule couleur. C’est pour moi, dans mon parcours, ce que je cherche à développer : les graves du piano, un exemple extrêmement fort de combinaison entre liberté et contrainte.  Le noir est aussi très présent dans ma vie : le piano à queue, la salle de spectacle, la tenue de scène avec Catherine Ribeiro notamment, la vue magique de la rade de Villefranche-sur-Mer la nuit. Relier la musique de Parce Que ! à l’Outrenoir de Pierre Soulages m’est apparu très clairement évident. C’est beaucoup plus l’aspect énergie dans les tableaux que le côté sombre mentalement, du noir, que j’aime et j’espère que ça s’entend dans le disque. »

    Oui, Henri, ça s’entend ! Je te le confirme. J’irais même jusqu’à dire que ça se voit, si j’en crois la vidéo réalisée par la camarade Anne Pesce autour d’une des compositions du disque : « Ratures Brumes ». Et je te donnerai d’autres impressions après ma visite estivale au musée Pierre Soulages de Rodez, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes.

    En attendant, je ne résiste pas au plaisir de partager un documentaire consacré au peintre. Une demi-heure pour mieux connaître ce grand monsieur. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui y est affirmé parfois de façon un peu expéditive, notamment parce que je pense qu’il faut voir cette peinture en vrai pour la ressentir vraiment ; mais c’est une entrée en matière très intéressante et dont les qualités pédagogiques sont indéniables.

    On peut aussi lire le livre d’entretiens avec Françoise Jaunin, sobrement intitulé Pierre Soulages, Outrenoir, publié par La Bibliothèque des Arts. 

    Pierre Soulages, Henri Roger : merci à vous deux de nous offrir ce luxe incomparable qui consiste à nous réjouir de broyer du noir !

  • eMotian

    jean-marc padovani, paul motian, Une source sûre m’a fait comprendre que le regretté Paul Motian n’était pas un grand fan des jeux de mots sur son nom. J’espère qu’il me pardonnera, là où il repose, le titre de cette note qui m’est inspirée par un disque en hommage à sa musique, rendu avec une délicatesse toute... motianesque par le saxophoniste Jean-Marc Padovani, qui vient de publier chez Naïve un Motian in Motion au nom tout aussi coupable de clin d’œil. Un disque motivé, aussi, par le fait que la disparition du batteur s’est produite selon lui « dans une relative indifférence », alors que de nombreux musiciens le considéraient (et le considèrent toujours) comme un musicien incontournable et une source dont ils revendiquent l’héritage et l’inspiration.

    Paul Motian : batteur exemplaire, à l’avant-garde du jazz, compagnon de route de Bill Evans comme de Keith Jarrett, mais aussi de Paul Bley ou de Charles Lloyd. Musicien figurant au générique du monumental Escalator Over The Hill de Carla Bley (dont nous reparlerons prochainement puisque cette œuvre vient de faire l’objet d’une relecture très stimulante sous le titre d’Over The Hills), membre du Liberation Music Orchestra, il sera aussi l’une des grandes signatures du catalogue ECM, pour lequel il jouera notamment en trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, tout en poursuivant de nombreuses collaborations en tant que sideman. Ce n’est pas Henri Texier qui me contredira, lui qui l’avait appelé pour un Respect dont le line-up de rêve (Steve Swallow, Bob Brookmeyer, Lee Konitz) avait constitué une parenthèse enchantée durant l’année 1997. Homme de bien des expériences, il avait créé l’Electric Bebop Band (qui incluait deux guitares et deux saxophones). L’univers de Paul Motian était aussi celui des voyages et son inclination pour les musiques traditionnelles en était comme la traduction. Il était, redisons-le, un mélodiste de la batterie dont le toucher très délicat (et notamment le jeu de balais) était la marque de la fabrique. Une manière non conventionnelle d’appréhender l’instrument qu’on a tendance à identifier un peu trop vite comme le gardien du tempo. Mais chez Paul Motian, la batterie était la source d’un chant qu’il saura célébrer dans toutes les formations au sein desquelles il s’était impliqué. Il mourra en novembre 2011 à l’âge de 80 ans, des suites d’une maladie osseuse. Paul Motian était batteur, mais aussi compositeur et ce sont ces deux dimensions qu’a voulu mettre en lumière Jean-Marc Padovani.

    Mais avant d’évoquer Motian in Motion, j’ai souhaité en savoir un peu plus sur les raisons de cette admiration très partagée et bien vite, j’ai pensé à deux musiciens qui n’ont jamais caché celle qu’ils vouent l’un comme l’autre à Paul Motian. Bruno Tocanne, tout d’abord, batteur dont on sait que la suggestion est chez lui comme incluse dans son approche de la musique et qui, il y a quelque temps, lui avait dédié un magnifique In A Suggestive Way. Samuel Blaser ensuite : le jeune tromboniste suisse est un des derniers à avoir joué aux côtés de Motian, puisqu’il avait fait appel à lui pour son quartet Consort In Motion, notamment lors de l’enregistrement d’un disque homonyme consacré aux musiques de la Renaissance et tout particulièrement celle de Monteverdi, publié peu de temps avant la mort du batteur. Ma question à ces deux musiciens était simple : qu’est-ce qui vous touche tant chez Paul Motian ? Voici leurs réponses (qu’ils soient l’un comme l’autre remerciés de m’avoir consacré un peu de temps)...

    Celle de Bruno Tocanne pour commencer : « Paul Motian est pour moi une sorte de maître de l'art de la suggestion, au même titre qu'un peintre ou un calligraphe, de par sa capacité à suggérer (la mélodie, le rythme, le tempo, les émotions...) plutôt que d'affirmer de façon péremptoire. Son côté coloriste, sa liberté de ton, son sens du jeu collectif, ne mettant jamais en avant une technicité démonstrative, ne pouvaient que fasciner le jeune musicien que j'étais au moment où j'ai entendu ses enregistrements chez ECM, avant de découvrir tous ses disques précédents, notamment ceux en trio avec Bill Evans. Ça a été un déclic pour moi qui avait une vision plus poétique que mathématique, plus sensuelle que "viriliste", de la musique. Son travail m'a ouvert le champ des possibles vers l'exploration de voies plus proches du silence, de l'espace, du son et de l'émotion que de la performance. » 

    Puis celle de Samuel Blaser : « C'était vraiment fantastique d'avoir eu l'opportunité de jouer avec Paul Motian. Quel magicien et quel poète ! Sa sonorité perlée se mélangeait tellement bien avec le son moelleux du trombone. Il soulignait mes propos avec élégance, toujours en finesse. Je pouvais m'exprimer sans retenue. Nous planifions d'ailleurs de multiplier nos collaborations. Malheureusement, il s'en est allé plus vite que prévu. Je me souviendrai aussi toujours du dernier coup de fil ; nous discutions des possibilités de jouer ensemble au Jazz Standard à New York. Ca restera un rêve mais je peux continuer de garder le souvenir de cette magnifique session d'enregistrement pour le premier album de Consort in Motion, suivi d'un concert au Cornelia Street Café en 2011. »

    Suggestion, liberté, élégance, espace, émotion, magie, poésie... On peut résumer en quelques mots ces propos qui apportent un éclairage précieux sur l’univers si particulier de Paul Motian. Ce dernier fait donc une fois encore l’objet d’une évocation, à l’instigation de celui qui, lui aussi, avait eu l’occasion de travailler avec le batteur.

    En 1997, Padovani avait en effet invité Paul Motian à rejoindre le trio qu’il formait à l’époque avec Jean-François Jenny Clarke (contrebasse) et Jean-Marie Machado (piano). Une association qui allait aboutir à une tournée ainsi qu’à un disque, Takiya ! Tokaya !, paru sur le label Hopi. L’occasion, aussi, de retrouvailles entre le batteur et le contrebassiste qui avaient enregistré quelques années auparavant sur ECM un disque intitulé Le Voyage.

    Jean-Marc Padovani, un autre fin connaisseur de l’univers de Paul Motian, donc. Et qui décide de célébrer sa musique à travers l’interprétation de neuf de ses compositions. Il s’entoure pour mener l’affaire à bien  d’une poignée de musiciens très impliqués, chacun à leur manière, dans un processus créatif éprouvé qui place en son centre l’idée conjuguée de la mélodie, du voyage, de la liberté et de la recherche d’espaces nouveaux. Didier Malherbe, dont le doudouk illumine Hadouk Trio (ou Quartet) depuis de longues années et qui vient ici faire écho aux origines arméniennes de Paul Motian. Claude Tchamitchian, contrebassiste dont la relative discrétion ne fera jamais passer au second plan la brillance d’un jeu où le chant danse avec la pulsation, un très grand monsieur assurément, un autre voyageur. Ramon Lopez, lui aussi farouche partisan de l’approche mélodiste de la batterie, aussi à l’aise dans la célébration des traditions que dans une approche plus contemporaine. Paul Brousseau, enfin, actuel membre de l’ONJ, dont les claviers en ébullition semblent toujours en quête d’une idée nouvelle.

    Motian in Motian est un disque tout en nuances subtiles et c’est là probablement l’une des plus belles façons de rendre hommage au batteur coloriste, au musicien de la suggestion qu’était Paul Motian. Tout au long du disque, dont la dominante est souvent de nature contemplative (« Arabesque », « Birdsong ») et confine à la réflexivité Coltranienne (« The Sunflower », « Endgame »), l’association des instruments a des allures d’arc-en-ciel. Comme si le quintet était en état d’éblouissement, les yeux levés avec tendresse vers un ciel d’où, peut-être, le batteur les contemple. Ici, le doudouk et le saxophone ténor s’enlacent tendrement (« Arabesque »), là le même saxophone danse joyeusement à l’unisson du Fender Rhodes (« Look To The Black Wall ») ; il faut savourer le caractère presque naturaliste de « Birdsong » avec sa batterie chuchotée et son piano qui pépie ; sommet du disque, « It Is » ouvre sur des paysages aux nuances caribéennes avant de se parer de teintes plus orientales introduites par un magnifique solo de contrebasse rythmé par le souffle de Claude Tchamitchian. Tout au long des neuf histoires revisitées, Jean-Marc Padovani manifeste une présence bienveillante, probablement guidé en cela par l’esprit qui animait Paul Motian lui-même. Jamais il n’écrase ses compagnons de sa présence de leader, bien au contraire. On devine son émotion, palpable dans des échanges tout en concision et densité avec les quatre autres, comme dans chacune de ses interventions, où la plénitude le dispute au besoin d’exprimer les choses dans une vérité de l’instant, sans effet de manches (ou d’anches). Motion in Motian est pétri de saines vibrations, qui doivent être celles d’une âme humaine pour un temps délivrée des contingences du quotidien. Une célébration, humble et amoureuse.

    Vous souhaitez pour un temps vous affranchir d’une réalité trop brutale ? Partir pour un voyage vers un peu de lumière ? Être en musique, tout simplement ? Alors ce mouvement perpétuel inspiré par Paul Motian, ce Motian in Motion, est là pour vous. Il vous attend, tranquillement, à vous de faire un pas vers lui...

    Jean-Marc Padovani Quintet
    Motian in Motion
    Jean-Marc Padovani (saxophones ténor et soprano), Didier Malherbe (doudouk), Paul Brousseau (piano, claviers), Claude Tchamitchian (contrebasse), Ramon Lopez (batterie, tablas).
    Naïve

  • Grand format

    Bruno Tocanne & Over The Hills © Jacky Joannès

    Cette année, je vous épargnerai mon palmarès des disques de l’année. Qu’il soit 10, 25 ou 100, mon top rechigne désormais à s’exhiber, jugeant l’exercice un peu vain et surtout injuste. Je n’ai pas la prétention d’avoir « tout » écouté cette année, ni même d’avoir le droit de classer des albums aux couleurs souvent très différentes (et incomparables, à tous les sens du terme). Je me suis adonné à une telle pratique au cours des années passées, mais j’ai préféré tourner la page. Durant les douze mois qui viennent de s’écouler, j’ai découvert (avec plus ou moins d’assiduité) environ 180 nouveaux disques (ou coffrets). C’est beaucoup quand on songe qu’on ne peut se contenter d’une seule écoute, et qu’il est important de se laisser gagner et imprégner par la musique, donc d’écouter et écouter encore. Après tout, l’année ne comportait que 365 jours (et je mettrai à profit le petit supplément qui nous sera accordé en 2016, croyez-moi)… Mais c’est peu au regard du nombre impressionnant de productions qui ont pu voir le jour. Je ne suis qu’une oreille partielle et partiale. Une goutte d’eau dans l’océan.

    Néanmoins, j’aimerais dédier l’année 2015 à ce qu’on appelle les « grands formats », ces ensembles souvent estampillés jazz dont le nombre de musiciens est suffisamment important pour qu’on les qualifie de « grands ». Disons, selon mon arithmétique personnelle, au moins huit. Parce qu’avec eux, vous me passerez l’expression, nos oreilles en ont vu de belles… Je vais m’appuyer sur cinq exemples esthétiquement différents. Je dis bien exemples... car la liste est plus longue, qui aurait pu aussi bien inclure le MegaOctet d’Andy Emler et son Obsession 3 sous contrainte créative autour du chiffre trois, ou l’hommage rendu au compositeur François de Roubaix par le Sacre du Tympan de Fred Pallem. De même, l'inoxydable Magma pourrait trouver une place naturelle dans cette revue des ambitions : la bande à Christian Vander brandit fièrement un Köhnzert Zünd, soit une somptueuse rétrospective live en douze CD et un étonnant coffret couvrant la période 1975-2011. Presque un testament Zeuhl !

    Grand Format 1

    onj olivier benoit, ensemble bernica, amazing keystone big band,over the hills, pierrick pedron, jazz, grand format J’ai beau avoir abandonné l’idée d’un palmarès, il n’en reste pas moins que la deuxième étape du voyage proposé par l’Orchestre National de Jazz sous la direction d’Olivier Benoit pourrait bien constituer le sommet musical de mon année 2015. Déjà, l’an passé, la visite de notre capitale intitulée Europa Paris nous avait alertés sur la créativité d’une formation qui, d’ores et déjà, est peut-être la plus belle de tous les ONJ qui se sont succédé depuis 1986. Une première réponse cinglante à tous les Cassandre qui s’échinaient autour de la nomination d’un nouveau directeur pas conforme à leurs attentes. Pensez-donc, ce type-là manifeste une petite tendance à un désagréable bruitisme... pas sérieux tout cela ! J’avais pris aussitôt la défense de ce brillant aréopage de onze musiciens dans un texte appelé Étonnez-moi Benoit ! La suite est encore plus somptueuse : avec Europa Berlin, l’ONJ rafle la mise une fois de plus : concentrant son travail sur un CD simple (et non double comme le précédent), l’orchestre fait une démonstration de force créative comme nos oreilles en croisent rarement. On ne sait s’il faut admirer avant tout la puissance d’un collectif en état de grâce ou s’émerveiller de chacune des interventions solistes des musiciens dont j’aimerais rappeler ici les noms : aux côtés d’Olivier Benoit (direction, composition, direction artistique), Bruno Chevillon (contrebasse, basse électrique), Jean Dousteyssier (clarinettes), Alexandra Grimal (saxophone ténor), Hugues Mayot (saxophone alto), Fidel Fourneyron (trombone), Fabrice Martinez (trompette), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse, effets), Eric Echampard (batterie). Anecdote amusante : j’avais écrit quelques heures seulement après avoir reçu Europa Berlin une note intitulée Ich Bin Berliner, en promettant de revenir plus tard et plus longuement sur le disque. Promesse non tenue, non par paresse mais parce qu’en me relisant, je me suis rendu compte que j’avais dit l’essentiel de ce que je souhaitais transmettre. Et puis, tant d’autres se sont par la suite chargés de couvrir d'éloges ce disque puissant que ma deuxième contribution n’a jamais eu besoin de voir le jour !

    Grand Format 2

    onj olivier benoit, ensemble bernica, amazing keystone big band,over the hills, pierrick pedron, jazz, grand format Il faut être un peu fou pour avoir l’idée de revisiter un monument tel qu’Escalator Over The Hills, cet opéra programme signé Carla Bley et Paul Haines, qualifié par ses géniteurs de chronotransduction (sic). Cette œuvre, elle-même grand format (trois années d’enregistrement, un triple vinyle au bout du compte, une kyrielle de musiciens venus de tous horizons, des influences intercontinentales, …), reste une énigme aujourd’hui encore. Bien malin qui saura la définir et en dessiner les contours exacts. Il n’empêche que deux doux inconscients, j’ai nommé le batteur Bruno Tocanne et le contrebassiste Bernard Santracruz, ont décidé un beau jour de relever le défi d’une relecture en formation élargie. Ils sont neuf, ont rôdé le répertoire d’Over The Hills (tel est le nom de leur adaptation) à l’occasion de différentes résidences et de concert dont celui du Nevers Djazz Festival au mois d’octobre 2014 en présence de Carla Bley et Steve Swallow. Un parrainage en forme de bénédiction et, au bout du compte, un disque dont la réussite repose sur l’homogénéité d’une formation qui sait pouvoir compter sur la qualité des arrangements (entre rock et jazz) signés pour l’essentiel du trompettiste Rémi Gaudillat et du guitariste Alain Blesing. Et puis, comment ne pas souligner la présence extravagante d’un chanteur designer sonore nommé Antoine Läng. Le Suisse fait merveille et endosse tous les rôles possibles avec la démesure voulue par l’œuvre originelle. Tout près de lui, comme un contrepoint pacifique, la présence harmonique de Perrine Mansuy veille au grain. Over The Hills, un disque attendu depuis de longs mois, un résultat à la hauteur de nos espérances. C’est un peu le fil rouge de la chronique que je lui ai consacrée au moment de sa sortie sur le label IMR.

    Grand Format 3

    onj olivier benoit, ensemble bernica, amazing keystone big band,over the hills, pierrick pedron, jazz, grand format Comme je l’écrivais dans une chronique publiée sur Citizen Jazz : « Bis Repetita » ! The Amazing Keystone Big Band a parfaitement réussi l’épreuve consistant à ne pas décevoir après son réjouissant Pierre et le Loup et le Jazz en 2013. Selon un principe voisin, la troupe à Bastien Ballaz, David Enhco, Frédéric Nardin et Jon Boutellier a administré une nouvelle et belle leçon de pédagogie jazz sur un mode ludique en recréant le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns. Emmenés par Edouard Baer, maître de cérémonie campant un loup affamé et récitant un texte créé pour l’occasion, les dix-huit musiciens parviennent une fois encore à raconter l’histoire du jazz et de ses instruments fétiches avec cette alliance si précieuse de talent et de fraîcheur. Leur relecture luxuriante est à mettre entre toutes les oreilles gourmandes. Et je n’évoque pas cette grande formation pour le seul plaisir de rappeler que l’un de ses membres, préposé au saxophone alto et à la clarinette, est mon propre fils. Une présence qui ne fait qu’ajouter à mon plaisir de mélomane, il faut bien l’admettre, mais ce Big Band-là est un grand, un point c’est tout !

    Grand Format 4

    onj olivier benoit, ensemble bernica, amazing keystone big band,over the hills, pierrick pedron, jazz, grand format Loin d’être inactifs malgré un silence discographique de quatre ans, les Lorrains de l’Ensemble Bernica sont revenus avec un tonitruant Vagabondage. Leur compagnon de route François Jeanneau – le mentor historique qui les avaient inspirés à deux reprises (Very Sensitive en 2009, puis Bric-à-brac / Périple en Soundpainting en 2011) – voguant vers d’autres aventures musicales qu’on souhaite longues à ce fringant octogénaire, les huit musiciens volontiers baroudeurs et surréalistes revêtent les couleurs d’un jazz en ébullition qui ne rechigne pas à lorgner du côté du funk ou du rock. Et si Pierre Boespflug et François Guell fournissent l’essentiel du répertoire, on ne peut que se réjouir de la belle énergie déversée par les petits nouveaux que sont Michael Cuvillon (saxophones) et Eric Hurpeau (guitare). Du sang neuf pour une formation qui fait la part belle au souffle et à la richesse des textures sonores. Vagabondange pète le feu, et un passage du côté de la future défunte Lorraine est vivement recommandé.

    Grand Format 5

    onj olivier benoit, ensemble bernica, amazing keystone big band,over the hills, pierrick pedron, jazz, grand format Il n’est pas jusqu’à un Pierrick Pédron qui n’ait succombé à la tentation de l’ensemble de taille XL. Après deux épisodes en formule réduite à un trio (Kubic’s Monk et Kubic’s Cure), voici le saxophoniste devenu chef d’orchestre d’une dizaine de musiciens autour d’un projet à la coloration électro-funk qui devrait certainement faire frissonner dès le début de l’année 2016. Son nouveau disque (And The), que j’ai eu la chance d’écouter il y a une dizaine de mois dans son mix provisoire, verra le jour en janvier chez Jazz Village. Cette musique est euphorique, elle fourmille en outre de mille détails sonores ciselés avec la complicité des deux sorciers que sont Vincent Artaud et Manu Gallet. Sans nul doute, And The fera grincer quelques dentiers que rebute cette vision du jazz, mais il va distiller, ça ne fait aucun doute, une énergie dont l’épicentre est à chercher quelque part du côté d’une belle déclaration d’amour. A la charnière de deux années, il se présente comme une indispensable transition à consommer sans modération. Puisse son bon sang (qui ne ment pas) irriguer notre quotidien...

    Un blog est volatile. On peut le lire avec plus ou moins de régularité, mais une chose est sûre : il est bien rare qu’on vienne fouiller dans ses archives, car c’est l’actualité qui prime, ce qu’on appelle le fil d’informations, l’immédiat. Un petit tour et puis s’en vont. Tout le reste est enfoui et risque bien de ne jamais refaire surface. Aussi ai-je choisi de rassembler les notes publiées en 2015 sous la forme d’un livre. N’y voyez-là aucune tentation narcissique, ni même un complexe refoulé de l’écrivain ! Je me sens tout au plus écriveur et je sais que vous me percevez comme tel. Mai j’ai toujours en mémoire ces petits carnets que mon grand-père écrivait lors des séjours de vacances : ses textes très factuels (il évoquait la météo et les activités de chaque journée, à la façon d’un agenda) dessinaient en creux son portrait, on connaissait mieux son attachement à ses proches, on percevait chez lui une approche de la vie empreinte d’une grande douceur qu’il savait habiller d’une pointe d’humour. J’y ai appris des choses que j’ignorais de lui, et peut-être malgré lui. En publiant Musiques buissonnières – Chroniques 2015, je ne fais rien d’autre que jeter quelques humbles cailloux sur mon chemin et j’imagine qu’un jour, peut-être, mes petites-filles les trouveront et pourront ainsi mieux connaître leur grand-père. Comme dans un éternel recommencement. Je m’amuse à les imaginer parcourir ces pages et se moquer de mes élans pour d’obscures galettes dont plus personne ne parle depuis des lustres et qu’elles n’écouteront jamais. Et puis, cette reformulation imprimée est une façon pour moi de rendre une fois encore hommage à tous les musiciens qui font que la vie n’est pas exclusivement une somme de brutalités mercantiles et guerrières. Ils détiennent ce pouvoir de nous aider à rester debout et c’est notre devoir de les encourager à continuer ! Ces pages leur sont dédiées.

  • Un trio en immersion

    henri_roger_parole_plongee.jpgVous ne trouverez pas ce disque par hasard... Inutile de vous bercer d’illusions, nous ne sommes pas arrivés au jour où l’album d’un trio tel que celui composé par Benjamin Duboc (contrebasse), Didier Lasserre (batterie) et Henri Roger (piano) sera affiché en bonne position dans les vitrines des disquaires. D’abord parce qu’il n’y a quasiment plus de disquaires et ensuite parce que je doute fort que ces derniers possèdent dans leurs stocks le moindre exemplaire de Parole Plongée, une suite amniotique improvisée en quatre mouvements, enregistrée par les trois musiciens à l’automne dernier sur le label Facing You / IMR.

    Un mot sur Henri Roger, parce qu’il me semble bien vous avoir déjà parlé de ce musicien électron libre – qui se qualifie lui-même de dessinateur mélodique - il y a quelque temps. Dans une note datée du 10 juin 2013 intitulée When Henri Roger doesn’t sleep, j’évoquais à ma façon circonlocutive quelques unes de ses dernières productions : Exsurgences, When Bib Bip Sleeps ou son beau duo avec Bruno Tocanne, Remedios La Belle. Henri Roger, ce n’est pas seulement un pianiste inventif et libertaire, c’est aussi un musicien à la culture étourdissante, avec qui vous pouvez aisément parler – au détour d’une proposition d’écoute sur laquelle il rebondira avec bonheur - de rock, de rock progressif, de musique contemporaine, de toutes les facettes du jazz et de bien d’autres couleurs d’un art qu’il connaît sur le bout des doigts ; ce qui semble logique, finalement, pour un musicien. Qui parmi vous se souvient que ce passionné de John Coltrane, Keith Jarrett, John McLaughlin ou Frank Zappa a travaillé avec des artistes comme Mama Béa et Catherine Ribeiro ? Henri Roger, c’est aussi quelqu’un qui sait qu’au matin de la publication d’un de ses disques, il peut - sans prendre le moindre risque et sans même me consulter - m’en faire parvenir un exemplaire que je lui paierai par retour du courrier. C’est comme ça, j’ai une certaine conception de la fidélité, en amitié comme en musique...

    Revenons maintenant à Parole Plongée. L’histoire de cet enregistrement mérite d’être racontée en quelques lignes, tant elle paraît révéler les circuits que les musiciens doivent emprunter aujourd’hui pour faire vivre leur art et ouvrir ensemble de nouvelles portes sur leur avenir. Un beau jour, Benjamin Duboc a entendu les improvisations d’Henri Roger sur internet et a souhaité le rencontrer. Le pianiste est donc est allé écouter le contrebassiste qui jouait avec Didier Lasserre. Une discussion plus tard, tous trois ont décidé d’enregistrer ensemble et se sont retrouvés au mois de juillet 2013 pour une série d’improvisations au Border Studio de Bagnolet. Un disque naissait...

    Parole Plongée porte finalement bien son nom : car si paradoxalement on n’y entend aucun mot, on devine les idées partagées par le trio que ce beau disque nous offre sous la forme d’une lente immersion. A la fois celle des musiciens, qu’on sent très proches physiquement les uns des autres, leurs regards se croisant en permanence, cherchant le point de rencontre à partir duquel leurs imaginaires poétiques vont s’additionner et engager une conversation improvisée qui pourrait n’avoir jamais de fin. Parce qu’une telle histoire n’est jamais finie, elle se renouvelle d’elle-même, elle n’est rien d’autre que l’histoire de la vie. Il n’est pas question ici de bavardage, mais de bien de Parole, avec une majuscule, et dans toute la noblesse du mot. Car la parole est avant tout un acte. Les instruments font l’objet d’une captation méticuleuse (coup de chapeau à Maïkol Seminatore et Marwan Danoun), au plus près - j’insiste sur cette qualité parce qu’à l’heure des formats compressés et des choses sonores qu’on impose aux autres avec un sourire crétin dans les transports en commun, tous smartphones dehors, et que d’aucuns, souvent les mêmes d’ailleurs, n’hésitent  pas à ranger dans la catégorie des musiques, un tel soin relève, du point de vue (ou plutôt du point d’ouïe) de ces oreilles à jamais engourdies soit de la vanité, soit comme le respect de l’orthographe d’une exigence bourgeoise, soit encore du gaspillage de temps... - parce qu’il s’agit aussi de nous permettre d’accéder, à nous les modestes récepteurs, aux profondeurs d’un voyage de l’intime, nimbé de son mystère et de sa nécessaire part d’infini. Ecoutez le grain délicat du frottement des balais de Didier Lasserre, par exemple sur « Sables » ou « Altermutations : ils sont comme des chuchotements (des confidences ?) au creux de notre oreille, ils paraissent danser avec malice autour de la contrebasse de Benjamin Duboc, droite comme un i, fière de sa prestance, mais jamais menaçante, bien au contraire. Elle veille, chantant ça ou là de son archet pour devenir trait d’union... Le piano d’Henri Roger quant à lui, bien qu’habité de la curiosité et de la vivacité qu’on lui connaît, est somme toute économe de ses notes, pas loin de l’épure : il les délivre avec retenue, comme s’il fallait les souffler avec parcimonie pour ne pas être privé d’un oxygène qui pourrait vite se raréfier. Parole Plongée déroule trois mouvements longs et majestueux, zébrés une seule fois par les urgences d’un quatrième étrangement appelé « Thé ou café » où tout se semble se précipiter : si le titre n’était pas aussi figuratif (mais allez savoir s’il signifie vraiment ce qu’il énonce), on imaginerait volontiers que des plongeurs, au cours de leur longue descente, ont affolé un banc de poissons multicolores et suivent au plus près leurs parcours agités. Mais il ne s’agit là que d’une courte escapade d’à peine plus de trois minutes et la dernière longue étape (les seize minutes de « Ré-Horizontalisé ») nous ramène en douceur à la surface des émotions. Le disque est assez bref (un peu moins de quarante minutes), ce qui pas un seul instant ne suscite la moindre frustration : à peine prend-il fin qu’on se rend compte qu’une main bienveillante a de nouveau mis en route la platine, pour une nouvelle plongée presque en apnée.

    Certains diront que Parole Plongée est un disque exigeant : ils ont bien raison ! Jamais le trio ne se laisse aller ni à l’indolence ni à l’exhibition démonstrative ; avec discrétion, il prend le temps de chercher, il invente et finit toujours par trouver les espaces secrets à travers lesquels les instruments peuvent s’insinuer et dessiner, petit à petit, leur mélodie si personnelle. Tout le charme de ce disque intelligent est là, dans sa volonté de nous emporter avec lui dans les profondeurs d’un imaginaire où il est décidément très bon de se perdre.

  • Le bel Alphabet de Sylvain Rifflet

    sylvain rifflet, alphabet, beaux-arts, saxophone, clarinette, citizen jazzLe changement c’est maintenant. Oui, certes... mais j'aimerais consacrer cette note à un disque – et ce faisant à un artiste de premier plan – récemment publié, dont le flux musical a circulé instantanément dans mes veines, bien mieux que n’a pu le faire mon propre sang malgré le soutien depuis bientôt trente-trois ans d'une colonie de comprimés aux vertus anticoagulantes (11.949 à ce jour, desquels il faut toutefois retrancher quelques rarissimes oubliés matinaux. Pensez à fêter mes 12.000 cachets, ce sera le vendredi 18 mai. Fin de la parenthèse).

    Le problème, c’est qu’en vous parlant de Sylvain Rifflet, je pourrais vous donner l’impression de bégayer un peu dans mon écriture. Un changement, oui, mais dans la continuité de son indéniable talent...

    Car oui, je l’avoue, j'ai déjà évoqué ici-même le saxophoniste clarinettiste compositeur arrangeur (etc.) à l'occasion de la publication de ses enchanteurs Beaux-Arts. C'était au mois de février. Bis repetita... Je ne reviendrai pas ici sur cet album, autant lire ou relire si vous le souhaitez la note que je lui avais consacrée ou, mieux, la chronique que mon camarade Franpi avait écrite pour Citizen Jazz.

    Mais tout de même : alors que les richesses de ce disque continuent de répandre leurs bienfaits, voici dès à présent, bien plus qu'une simple piqûre de rappel (je persiste dans la métaphore hématologique, pardonnez-moi), une nouvelle proposition tout aussi créative et passionnante. À la fois nom de groupe et nom d'album, Alphabet est un coup de maître. Un de ces disques qui, par leur inventivité, leur originalité mais aussi l'immédiateté de leur propos – je tiens à préciser ici que cette musique est très accessible, qu’elle ne suppose aucune initiation préalable. Amis craintifs du tympan, soyez rassurés et venez tranquillement découvrir ce petit monde baroque, vous devriez en apprécier les sinuosités – s'envolent miraculeusement et viennent s'installer en vainqueurs tranquilles de votre propre biotope, tout en haut – au sommet, vraiment – de la pile des disques que, par précaution et tendresse, vous gardez toujours à portée de platine. En d'autres termes, je suis habité par la conviction qu'Alphabet fera partie de ma sélection de l'année – il y sera forcément en très bonne place – et, mieux encore, qu'il est d'ores et déjà un point de repère, pour ne pas dire un classique. Déjà ? Qu’on me pardonne une certaine grandiloquence assumée : quand j’aime, je répugne à compter...

    Continuité et changement, donc. Nous sommes bien en présence d’une musique tout aussi originale et fusionnelle que celle qui hantait le sillon de Beaux-Arts. Il y a chez Sylvain Rifflet la capacité de dévoiler à nos oreilles un univers très contemporain – en témoignent les influences directes de Philip Glass, ou bien encore Steve Reich et sa science des décalages rythmiques et plus généralement de l’école dite des minimalistes – au milieu duquel les choix mélodiques sont, s’il le faut, tournés vers les compositeurs du début du XXe (« A l’heure » et son empreinte mélodique que n’aurait pas renié un Claude Debussy), mais vite confrontés à des scansions nettement plus crimsoniennes (note à l’attention des non spécialistes : j’évoque ici l’influence d’un groupe comme King Crimson, et bien entendu de son leader Robert Fripp), comme sur « Electric Fire Gun » ou la première partie de « C ≠ D » et à un savant travail de modelage de la matière sonore.  On aurait tort toutefois de s’arrêter à ces références – majeures et nourricières – parce que le résultat est avant tout profondément original. Il y a quelque chose dans la musique de Sylvain Rifflet qui incite à la fois à une rêverie un peu lunaire, voire mélancolique, tout en maintenant intacte notre capacité à l'éveil par ses assauts rythmiques répétés et ses incursions délicatement bruitistes. La construction d’une composition telle que « C ≠ D, part 2 » est exemplaire à cet égard : elle nous caresse puis tout doucement, elle s’élève, elle emporte. Ou celle de « A = B », qui, petit à petit, déconstruit la mélodie pour nous conduire vers une instabilité épanouie. Il ne vous aura pas échappé, aux titres des compositions, que cette musique établit par ailleurs des liens entre les notes et les lettres de l’alphabet... 

    Au lieu d’adosser un trio saxophone guitare batterie à un quatuor à cordes comme il l’avait réalisé sur Beaux-Arts, le professeur Rifflet, tout à ses alambics sonores,  a concocté une nouvelle formule aussi réjouissante avec l’aide de ses amis, dans la continuité d’une résidence établie dans le cadre du festival Jazz au fil de l’Oise. Ils sont ici en quartet, et c’est une bonne compagnie, celle de musiciens de jazz, à l’aise dans l’improvisation comme dans l’univers du rock : aux côtés du saxophoniste, Joce Mienniel à la flûte (Mienniel est actuellement membre de l’ONJ sous la direction de Daniel Ivinec), Philippe Gordiani à la guitare (pour en savoir plus sur ce dernier, je vous recommande une fois encore d’écouter ses contributions aux projets de l’excellent Bruno Tocanne, tels Libre(s)Ensemble , dans lequel il dévoilait déjà la face frippienne de son jeu, ou l’iOverdrive Trio) et Benjamin Flament aux percussions. Pas de basse donc, mais une batterie remplacée par un set de métaux traités (casseroles, bols, équerres...) : « Pour obtenir un son plus industriel, plus garage mais aussi plus précieux et ainsi de se balader quelque part du côté de Tom Waits et Cliff Martinez». La fusion des sonorités éclate au grand jour, elle est immédiatement attachante par sa singularité.

    Nous vivons dans un monde étrange : alors qu’on imaginerait volontiers artiste du talent de Sylvain Rifflet recevant le soutien enthousiaste d’un label, il semble bien que tel ne soit pas le cas. Il lui faut trouver d’autres voies, se distribuer lui-même (en espérant qu'il ne consommera pas trop d'énergie dans ce travail)... Jusqu’à proposer le téléchargement gratuit de son Alphabet ! Qu’on aura, si possible, la délicatesse de compléter ensuite par l’achat en ligne du CD pour la somme plus que raisonnable de 10 €... parce qu’il le vaut bien... 

    Nous ne sommes pas encore à la moitié de l’année 2012 et Sylvain Rifflet nous a déjà proposé deux disques coups de maître : je lui souhaite très sincèrement de trouver toutes les issues possibles pour la diffusion de sa musique, sur disque bien sûr mais aussi et surtout sur scène, parce qu’il s’agit d’abord de musique vivante et vibratoire.

    Et puis, on a presque envie de lui poser la question : jamais deux sans trois ?

    Alphabet :

    Benjamin Flament : métaux traités et électronique ; Joce Mienniel : flûtes et électronique ; Philippe Gordiani : guitares et électronique ; Sylvain Rifflet : compositions, saxophone, clarinette, métallophone et électronique.

  • Les Beaux-Arts de Sylvain Rifflet

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    J’en suis certain : le disque que j’aimerais évoquer aujourd’hui fera partie de mon « top ten » de l’année 2012. Et quand bien même les dix mois à venir m’abreuveraient en innombrables chefs d’œuvres impérissables, les Beaux-Arts de Sylvain Rifflet resteront placés très haut dans ma petite pile préférentielle. Je suis d’autant plus prêt à prendre les paris qu’étant le seul à voter, nul ne pourra exercer la moindre influence sur mon classement. Voici près d’un an, au début de mois de mars 2011, j’étais déjà gagné par une certitude similaire, quand j’ai écouté pour la première fois le Libre(s)Ensemble de la bande à Bruno Tocanne. Une certitude maintenue en l’état au fil des semaines, au point qu’aujourd’hui, ce disque tourne toujours régulièrement chez moi, avec un égal bonheur.

    J’aimerais être à la tête d’un capital de connaissances musicales suffisamment vaste pour trouver les mots parfaits, ceux qui vous expliqueraient mon enthousiasme avec la plus grande acuité. Ah tiens, j’en connais un – je sais qu’il me lit – qui va encore me taquiner en me disant que je m’enthousiasme souvent ! M’en fous, je préfère mes joyeux petits salto arrière à une tiédeur dans les entrechats qui, finalement, ne génèrerait qu’une inutile dose d’indifférence et menacerait nos objets de plaisir d’une durée de vie très courte. Mais en matière d’expertise musicale, je ne suis assis que sur un modeste monticule de perceptions, celles que j’engrange depuis plus de quarante ans et qui m’autorisent, parfois, non sans réticence, à émettre un avis. Je ne sais pas si je réussirai à vous donner envie d’en savoir plus aujourd’hui, mais je me permets d’attirer votre attention sur une production originale, exemplaire et pour tout dire, passionnante en ce sens qu’elle vous bouscule dans votre petit confort auditif en vous donnant à écouter ce que je tiens pour du neuf ! Ce que j’essaie de partager avec vous, c’est cette sensation très particulière qui vous gagne juste au moment où un artiste vous fait monter à bord avec lui sans vous confier forcément la destination du voyage : ah ce petit frémissement de l’inconnu ! Et bizarrement, la confiance totale. On sait tout de suite que quelque chose va se passer, que la traversée sera riche en émotions nouvelles et que parvenu au bout du chemin, on n’aura qu’une seule envie : y revenir !

    Mais reprenons l’histoire à son début : il y a quelques jours, mon camarade Franpi a alerté ses poursuivants ailés par le biais d’un court message aviaire. Il évoquait dans la limite des fatidiques cent quarante caractères la publication d’un disque sur le remarquable label Sans Bruit, dont on ne dira jamais assez le travail de qualité mis à la disposition de nos tympans énamourés. Franpi, vous savez qui c’est ? C’est ce normand barbu boulimique de galettes qui trouve toujours les tournures de phrases sinueuses et inventives après lesquelles je continue de courir lorsque je dois écrire la chronique d’un disque. Ce fécond collègue de Citizen Jazz, jamais à court d’une bonne idée, avait peu de chances de se tromper en nous signalant ces Beaux-Arts dont je me repais en ce moment.

    Alors je me suis rendu , en quelques clics bien sentis, j’ai rapatrié sur mon ordinateur pour une somme très modique (en bénéficiant d’un format sonore de belle qualité) les fichiers constituant un album prometteur dont la pochette au décor un peu foutoir pourrait tout aussi bien être inspirée par l’univers bancal et déroutant des ready made de Marcel Duchamp. Quelques minutes plus tard, méthodiquement rangé dans la bibliothèque numérique, je pouvais tranquillement écouter le disque de Sylvain Rifflet. En quelques secondes, le bougre avait gagné ! J’étais conquis.

    Rifflet – je vais être honnête avec vous – je le connaissais de nom, j’avais déjà lu quelques articles relatant son parcours, je savais qu’il était un clarinettiste saxophoniste compositeur arrangeur plutôt inventif mais… non, je n’avais jusque là pas écouté la moindre petite minute de sa musique. Je m’auto-flagellerai si vous le jugez indispensable. Mais d’une certaine façon, j’ai découvert l’album dans un état de fraîcheur absolue, confinant à la virginité musicale, prêt à me laisser guider par sept artistes en état de grâce.

    Imaginez un trio plutôt explorateur et gros fournisseur de ruptures et de syncopes en tous genres, composé de Sylvain Rifflet (saxophone, clarinette, métallophone), Gilles Coronado (guitare) et Christophe Lavergne (batterie, percussions) venant se mesurer à un quatuor à cordes (Frédéric Norel, Clément Janinet, Benachir Boukhatem et Olivier Koundouno) lui-même prêt à en découdre avec un vrai appétit créatif, volontiers hypnotique et dissonant. Voilà, les Beaux-Arts sont en action et ne vous lâchent plus une seule seconde. Une semaine après ma découverte, je peine encore à rassembler mes sensations en quelques phrases parce que je suis bien loin d’avoir fait le tour de la propriété. Nom d’un chien, la demeure est vaste, à chaque visite, on découvre une nouvelle pièce, un petit recoin qu’on n’avait pas vu précédemment ! Il y a quelque chose dans cette musique qui évoque un cabinet de curiosités sonore et nous renvoie parfois aux élucubrations dadaïstes et chahutées d’Henry Cow (le travail de Gilles Coronado me fait penser ici ou là à celui de Fred Frith), parfois aussi aux élans brûlés de King Crimson (décidément, ce groupe revient souvent dans mes chroniques…) ; on cherche d’où peut bien provenir cette musique contemporaine et libre et puis… au diable les influences ou les connotations, c’est l’idée d’une forme qui se modèle sous nos oreilles qui finit par prédominer. Sylvain Rifflet l’arrangeur cherche, invente, stimule et entraîne ses camarades avec lui dans une sarabande faussement bancale et, en vérité, furieusement gourmande. Il y a chez lui une évidente volonté de mordre dans sa musique comme on mord dans la vie. Notre époque, si redoutable et anxiogène, a besoin d’agitateurs comme lui pour nous laisser espérer que tous nos lendemains ne vont pas déchanter. 

    Beaux-Arts est un disque à découvrir d’urgence, à absorber autant de fois que nécessaire, comme une bonne cure de vitamines. Jusqu’à ce que, après de salutaires écoutes, vous redressiez les épaules et considériez le monde qui vous entoure pas uniquement comme un immense piège à humains angoissés mais aussi comme une source d’énergie pour les temps à venir.

    Ouais... bon... pas géniale ma conclusion... un peu pompeuse ! Tout ça pour dire que le disque est magnifique, qu'il fait un bien fou et qu'on en redemande. Ou comment dire en deux ou trois lignes ce qu'on vient de raconter dans un texte beaucoup trop long. Comme d'habitude...

  • Protojazz

    stantchev-martin-gottschalk.jpgOn ne va pas se mentir... Voilà bientôt onze ans que je consacre une part non négligeable de mon temps à gribouiller sur mon blog de trop longues phrases très souvent consacrées à la musique ou à ses protagonistes. Jusqu’à une période récente (pour être précis le 2 janvier dernier, soit le jour où j’ai reçu le disque dont il est question aujourd’hui), je n’avais jamais entendu parler d’un certain Louis Moreau Gottschalk, pianiste compositeur ayant traversé le XIXème siècle à la vitesse de l’éclair. Je préfère jouer la carte de l’honnêteté en affichant mon ignorance plutôt que celle du cuistre auprès de mes lecteurs, qui ne m’en voudront pas d’exposer ainsi une lacune coupable. Je ne suis pas omniscient, juste un récepteur imparfait... Deux musiciens on ne peut plus contemporains, Mario Stantchev et Lionel Martin, ont décidé de se réapproprier, près de cent cinquante ans après sa mort, le répertoire de celui qui me fut (trop) longtemps inconnu. Publié sur le label Cristal Records, leur disque porte le titre évocateur de Jazz Before Jazz : une façon de nous faire comprendre que, sans être précisément un « grand-père du jazz », Gottschalk est à considérer selon eux comme « le chaînon manquant reliant la musique savante occidentale et ce qui deviendra le jazz quelques décennies après sa mort ».

    Il est vrai que le personnage né à La Nouvelle-Orléans n’est pas banal : fils d’un Anglais et d’une Créole d’origine française, il coulera dans les veines de ce pianiste virtuose appartenant à l’école romantique et qui avait suscité l’admiration d’un certain Frédéric Chopin, le sang de musiques dont les rythmes, les mélodies et les harmonies trouvent leurs origines du côté des Caraïbes, de la Louisiane ou du Brésil... soit un univers bien éloigné de celui dans lequel il s’était fait un nom, mais qui reflétait ce qu’il pouvait entendre chaque jour ou presque depuis son enfance. Les titres de ses œuvres traduisent assez bien cette « infusion » des influences, ce qu’aujourd’hui on nommerait un métissage et pourquoi pas... une world music ! « Bamboula », « Souvenir de la Havane », « Romance cubaine », « Le bananier », « La savane », « Le banjo »... Pour l’anecdote, on se souviendra aussi que ce séducteur impénitent avait dû fuir les États-Unis en 1865, quelques années avant sa mort... Une histoire de femme, une affaire scandaleuse, et pour lui une fin de vie itinérante passant notamment par la Guyane et le Brésil. Et c’est à Rio de Janeiro qu’il mourra en 1869, après avoir joué une de ses compositions intitulée « Muerte ». Ça ne s’invente pas... Il n’avait que quarante ans. À peine un siècle plus tard, un grand seigneur du jazz mourra, lui aussi, au même âge...

    D’un côté donc, Mario Stantchev, pianiste bulgare installé à Lyon depuis plus de 30 ans (il lui est même arrivé de fréquenter la Lorraine, et notamment le département jazz du Conservatoire de Metz où mon propre fils avait reçu son enseignement il y a une douzaine d’années) et dont les expériences multiples l’ont souvent amené à éprouver la formule du duo, pour deux pianos ou pour piano et guitare ; de l’autre, Lionel Martin, saxophoniste aux influences diverses qui l’ont fait traverser le jazz aussi bien que la scène punk et qu’on a pu repérer entre autres dans le brûlant trio Résistances, avec Bruno Tocanne (batterie) et Benoît Keller (contrebasse), une formation dont je recommande chaudement les trois disques aux amoureux des musiques vibratoires. Martin est également de l’aventure Ukandanz auto-estampillée Ethiopian crunch music (sic). Ce qui unit ces deux musiciens, on l’aura compris, c’est la curiosité et le besoin de brassage. On peut les considérer comme des explorateurs...

    Tous deux ont voulu, non pas élaborer une œuvre aux ambitions historiques ou pédagogiques, mais plutôt tisser avec leur propre bagage culturel le lien unissant la musique de Gottschalk à leur sphère artistique où le jazz occupe la place centrale, celui-ci étant à entendre au sens large, dans toutes ses évolutions du XXe siècle. À l’exception du « Pour Louis Moreau » introductif, écrit et interprété par Mario Stantchev, qui réussit la prouesse, en moins de trois minutes, d’opérer avec beaucoup de fluidité le glissement entre musique romantique et jazz jusqu’à sa ramification free – Chopin tend la main à Cecil Taylor – toutes les compositions sont de Louis Moreau Gottschalk. À l’écoute de Jazz Before Jazz, on se dit que la combinaison instrumentale alliant piano acoustique et saxophone (ténor ou soprano) convient parfaitement à cette plongée intemporelle au cœur de la musique de Gottschalk. Car ce disque, enregistré en 2014, aurait tout aussi bien pu l’être il y a trente ans ou voir le jour dans quelques décennies. Le classicisme de sa forme s’avère un magnifique terrain de jeu mélodique et rythmique où se côtoient des couleurs diverses, unifiées par la complicité entre les deux musiciens : un blues (« Marché de Gibaros »), une valse qui fait écho à Coltrane et sa version de « My Favorite Things » (« Manchega ») et des compositions aux accents caribéens. « Le banjo », quant à lui, cite « Milestones » de Miles Davis ; « La savane », somptueuse ballade délicatement chaloupée, illumine le cœur d’un album dont le pouvoir de séduction réside dans la fièvre douce et sensuelle qui l’irrigue. « Le bananier », lui, nous emmène loin, dans un monde où le rêve est encore permis. Et que dire de ce « Souvenir de la Havane », qui fait entendre son tango d’où transpire une nostalgie vespérale. Jazz Before Jazz exprime par sa grande limpidité ce qui est beau et sa sérénité finit par devenir contagieuse. On s’y sent bien.

    Mario Stantchev et Lionel Martin semblent (se) jouer (de) cette musique comme d’autres dégusteraient un cru classé. On ressent à travers leur interprétation à la fois ample et dense – vous ne trouverez dans le disque aucune morceau de bravoure, et quand l’un ou l’autre prend la parole, il n’est jamais question de bavardage – qu’ils l’ont laissé lentement décanter, ils en goûtent les saveurs et hument ses parfums, ils l’explorent amoureusement. Ils savent s’emparer d’une composition pour la remodeler avec leur vocabulaire et sa grammaire de thèmes exposés et de moments d’improvisation.

    Cerise sur le gâteau, Jazz Before Jazz fait partie de ces disques humbles qui se présentent comme une porte d’entrée vers le jazz. Nul besoin d’être un exégète pour le comprendre et l’apprécier : il suffit de le laisser venir à vous, tranquillement, et d’écouter ses vies mêlées. Elles racontent l’histoire d’un compositeur méconnu qui vient se régénérer en frottant ses molécules romantiques et colorées à celles de deux musiciens partis sur sa piste, tels des explorateurs d’un passé qui ne l’est pas vraiment...

  • Vagues de rentrée

    Brazier_Septieme_Vague.jpgOn pourra dire tout ce qu’on veut, mais si le mois de septembre ne marque pas la fin de l’été, il est pour beaucoup d’entre nous – ceux qui encore la chance d’avoir du travail – un symbole de rentrée. C’est aussi le mois de l’automne (les spécialistes vous expliqueront même que le début du mois de septembre correspond à celui de l’automne météorologique) et de ses couleurs incomparables dans la lumière de jours plus courts. Fin d’un cycle, début d’un autre, mouvement perpétuel de la vie, temps qui passe... Voilà pour la carte postale... La lutte est inégale mais il me plaît de penser que la musique constitue l’une des armes qu’on peut toujours brandir au moment opportun, comme celui des heures mélancoliques face à la détresse du monde et à ses horreurs répétées.

    Prenez par exemple SepTièME VaGue , le nouveau disque du contrebassiste Christian Brazier : plongez sans modération dans ses eaux translucides, laissez-vous porter par son vent de liberté et constatez-en les bienfaits immédiats. Voilà un cadeau idéal pour une rentrée réussie.

    Christian Brazier, donc. Bientôt près de 30 ans que ce musicien originaire du sud de la France fait sonner sa contrebasse dans l’univers du jazz et des musiques improvisées. Membre du Akosh S Unit pendant cinq ans au début des années 2000, il s’est fait connaître en Europe, en Russie ou au Japon. Nous en étions restés à un hommage rendu au navigateur écrivain Bernard Moitessier avec son sixième disque intitulé Circumnavigation, publié en 2010. Avec une formation légèrement remaniée (l’Australien Dylan Kent remplaçant Jean-Luc Di Fraya à la batterie), et dont ce nouveau disque est le prolongement, Brazier poursuit un chemin parsemé de mélodies qui – c’est lui qui le confie – habitent des chansons plutôt que des thèmes, mot usuellement employé quand il est question de jazz. Et c’est bien ce qui frappe à l’écoute des dix compositions originales qui forment cette si séduisante SepTièME VaGue : la musique de Christian Brazier chante, elle respire et nous appelle, rayonnante, servie avec une grande justesse par une interprétation à la fois lyrique, puissante et souple.

    Car au-delà de la paire rythmique formée par Brazier et Dylan Kent, qui séduit par la musicalité et la souplesse de son jeu, au-delà donc de ce muscle cardiaque jamais à court de souffle, il faut bien admettre que les couleurs hissées par Perrine Mansuy (piano) et Christophe Leloil (trompette) sont de toute beauté. Christian Brazier le confie lui-même : il a imaginé ce répertoire et composé cette musique en ayant en tête les différentes personnalités qui allaient la servir. Alors, de la à dire que ces derniers sont comme des poissons dans l’eau au cœur de cette septième vague (septième comme le nombre de disques enregistrés par Brazier, certes, mais aussi parce que les scientifiques expliquent que la septième est la plus forte dans le cycle des vagues), il n’y a qu’un coup de nageoire que je m’empresserai de donner avec un plaisir non dissimulé. Fidèle à ce qu’on sait déjà d’elle, Perrine Mansuy allie rigueur, concision (elle ne joue jamais trois notes ou accords si deux suffisent) et un sens aigu de la narration, imposant quand il le faut des respirations qui ne font que souligner les qualités d’un doigté d’une grande densité et qui, à tout instant, semble raconter une histoire (écoutez le lyrisme de son introduction très jarrettienne sur « D’août », c’est le frisson assuré). Son actualité mettra prochainement en évidence un talent qu’il me plaît de souligner, aussi bien à avec la parution de son prochain album (Rainbow Shell, annoncé chez Laborie au mois d’octobre) que par sa participation au projet Over The Hills dont les initiateurs ont pour nom Bruno Tocanne et Bernard Santacruz et qui, lui, verra le jour au mois de décembre chez iMuzzic. Christophe Leloil, quant à lui, est rayonnant et volubile. Nul besoin d’être un expert pour comprendre l'étendue de ses qualités : un son ample et rond, une fluidité et une énergie qui entrent en résonnance avec ce milieu aquatique, mais aussi une fougue communicative, comme lorsqu’il entame le percutant « Sur les sentiers de la gloire ». Il y a chez le trompettiste l'expression d'une saine gourmandise quand il libère des notes en cascades comme s'il s'agissait de mieux nourrir le flux et le reflux de toutes ces vagues.

    Christian Brazier a constitué une équipe (un équipage, devrait-on dire) qui agit comme le révélateur de ses compositions. On peut tout aussi bien se laisser tranquillement dériver sur « Le Lac Majeur » que surfer sur une « Septième vague » aux rebondissements multiples. Mais aucun risque de noyade car le capitaine veille au grain et de belle manière.

    Vous l’avez compris – et là je m’adresse aussi à celles et ceux qui continuent de penser à tort, véhiculant par distraction un cliché éculé, que le jazz est avant tout affaire de verbiage et de chorus bavards – SepTièME VaGue est un album d’une grande justesse, témoignage d’un parcours sans faute et pensé pour les musiciens qui se sont impliqués dans sa réalisation, sans oublier le rôle prépondérant de Gérard de Haro au Studio « La Buissonne », dont le travail sur le son est essentiel. Évidence des mélodies, solidarité d’un quartet solaire, mobilisation des énergies sont au service d’un propos dont la densité le dispute au lyrisme. Le disque sortira à la fin du mois de septembre sur le label ACM Jazz : ne manquez pas cette occasion de vous offrir un bain de jazz comme on l’aime tant.

    Christian Brazier Quartet
    SepTièME VaGue
    Christophe LELOIL (trompette), Perrine MANSUY (piano), Christian BRAZIER (contrebasse, compositions), Dylan KENT (batterie).
    ACM Jazz Label – ACM 63

    Perez_Zapata_Phasme.jpgJ’en profite pour vous signaler qu’on retrouve le même Christian Brazier en bonne place sur Phasme, un disque enregistré par le trio du pianiste René Perez Zapata, également publié sur le label ACM Jazz. Encore faudrait-il parler DES trios puisque cet album est en réalité composé de deux parties distinctes, enregistrées live, mais à dix ans d'écart. La première, avec Rudy Piccinelli (batterie) et Guillaume Lys (contrebasse) remonte à 2003 ; la seconde date de 2013 et, outre Perez Zapata et Brazier, bénéficie du concours de Fabien Leroy (batterie). René Perez Zapata – tous cheveux et longue barbe dehors et dont les premières influences sont à chercher du côté du rock progressif et du jazz rock – fait avec une grande conviction la démonstration d’un jazz à la fois marqué par la variété de ses couleurs et la justesse de son discours, jamais bavard (j’ai l’air de me répéter en disant cela, mais c’est exprès) et néanmoins passionné. Encore un exemple de force tranquille. Il s’en dégage un sentiment paradoxal de puissance et de légèreté, où la quête de la mélodie est constamment présente et l'énergie déployée salutaire. Peut-être est-ce là le sens à donner au titre du disque : tout comme les phasmes, insectes capables d’imiter la texture des feuilles pour mieux se rendre invisibles, le chant de ces deux trios se révèle au fur et à mesure des écoutes, quand on prend soin de s’en approcher doucement. Phasme est le témoignage d’une musique vivante, où la surprise guette à chaque instant. Une belle découverte.

    René Perez Zapata Trio
    Phasme
    René PEREZ ZAPATA (piano, syntéhtiseur), Rudy PICCINELLI (batterie), Guillaume LYS (contrebasse), Fabien LEROY (batterie), Christian BRAZIER (contrebasse). 
    ACM Jazz Label – ACM 62

  • Avec le cœur

    henri roger, jean-baptiste boussougou, Dire qu’Henri Roger est prolifique relève de l’euphémisme. Sa discographie s’enrichit à une vitesse étonnante et les références du label Facing You / IMR se multiplient comme d’autres, en des temps plus reculés, multipliaient les petits pains. Comptez une dizaine d’albums en un peu plus de trois ans et vous prendrez la mesure de la créativité d’un multi instrumentiste (pianiste et guitariste au premier chef) qui paraît ressentir la nécessité de fixer ses belles rencontres musicales. Si vous êtes un lecteur, même occasionnel, de mes Musiques Buissonnières, vous n’ignorez pas que j’accorde la plus grande attention à son travail. Je vous ferai grâce d’une biographie qu’il vous sera toujours possible de découvrir en faisant un petit tour sur son site internet et résumerai le personnage en le qualifiant d’activiste des musiques improvisées.

    Depuis quelque temps, Henri Roger s’adonne à l’exercice du duo selon un rythme qui connaît une accélération notable au cours de la période récente : avec Bruno Tocanne (Remedios la Belle), Noël Akchoté (Siderrances, Speed), Augustin Brousseloux (Shlouwarpch !), Jean-Marc Foussat (Géographie des Transitoires). Rien que des personnalités singulières pour une série d’explorations où l’inattendu le dispute à l’écoute attentive du comparse. Des voyages musicaux pas forcément de tout repos, mais à chaque fois un rendez-vous honoré avec tous les amoureux de la découverte.

    Avec Mourim, on retrouve une fois encore Henri Roger en duo, comme partenaire du contrebassiste (mais pas seulement) Jean-Baptiste Boussougou. Leur déclaration d’intention est d’une grande simplicité : une invitation faite par ce dernier au pianiste « à le rejoindre et à improviser à partir de quelques thèmes et sonorités créés avec un oud, un ngomi, un ney, une senza, une boîte à tonnerre, une contrebasse (dont toutes les ressources, mélodiques et percussives, sont sollicitées) et une voix ». L’énoncé des instruments laisse rêveur et augurer d’une multiplication des couleurs et des parfums lointains, en provenance de la mémoire de deux hommes épris de liberté.

    Improviser, vraiment ? On peut en effet se poser la question tant cette rencontre musicale (et bien plus que cela, car on ressent à l’écoute de Mourim l’intensité d’une profonde vibration, celle d’une aventure appelée amitié) paraît fusionnelle, comme si Jean-Baptiste Boussougou et Henri Roger avait reçu cette musique en levant les yeux vers le ciel, découvrant ainsi une partition céleste et lumineuse qu’il ne leur restait plus qu’à déchiffrer ensemble. J’allais dire « main dans la main », mais il faudrait plutôt écrire « dans un émouvant cœur à cœur ». Que les amis du pianiste cités un peu plus haut me pardonnent cette remarque, mais avec ce disque d’une limpidité confondante, dont il émane un sentiment de paix, on se dit que cette nouvelle association tutoie les anges et la beauté, comme rarement Henri Roger a pu y parvenir au cours des années passées. Il s’est vraiment passé quelque chose les 15 et 16 juillet 2015, lors de la naissance de cet enregistrement au Studio 26 d’Antibes.

    Il est dit qu’en Punu, le langage oral du Gabon dont Jean-Baptiste Boussougou est originaire, le mot « mourime » signifie « avec cœur ». Il ne fait aucun doute que son battement est entré en résonnance directe avec celui d’Henri Roger, lui-même natif d’Egypte. On en vient aussi à penser qu’en ces jours ensanglantés, Mourim a des allures de chant d’espoir, dans chacune de ses notes mais aussi pendant les silences que les deux musiciens savent ménager, au plus profond de leur dialogue, et qui sont le témoignage le plus abouti du respect de l’un envers l’autre. Un espoir qui est aussi, comme beaucoup d’autres aujourd'hui, à comprendre comme un acte de résistance.

    Il faut, pour conclure, souligner la qualité du travail fourni par les trois orfèvres qui se sont penchés sur la restitution sonore de cette si belle rencontre. C'est l'occasion de les citer : Fred Bétin (prise de son), Maïkôl Seminatore (mixage) et Marwan Danoun (mastering)... et de les féliciter !

    Je viens d’essayer de vous parler d’un disque magnifique. C’est peut-être une erreur de ma part car il n’est jamais aisé d’évoquer l’indicible. Or Mourim fait à l’évidence entendre, avec ses manières feutrées et elliptiques, par sa grande traversée de tous les états de l’âme humaine, une musique de l’indicible. Il porte l’Afrique en lui, certes, mais au-delà de ses sources, il tisse une toile généreuse à même d’unir les femmes et les hommes de bonne volonté. Pour cette seule raison, il faut l’écouter, encore et encore.

  • iFriends

    henri roger, augustin brousseloux, shlouwarpch, facing you imr, musiques improvisees

    Suite (et certainement pas fin) du feuilleton consacré à Henri Roger, musicien multicartes et à sa manière tête pensante d’une école informelle de l’improvisation guidée par un besoin de rencontres et de plaisirs partagés, qui a trouvé refuge depuis quelque temps sur le label Facing You / IMR . Cette fois, le pianiste guitariste mais aussi machiniste livre le fruit d’une nouvelle expérience menée avec celui qui pourrait être son... petit-fils ! 

    Âgé de 15 ans, Augustin Brousseloux semble n’avoir peur de rien. Avec une belle assurance, ce guitariste à peine sorti de l’enfance s’est déjà livré à l’exercice de l’improvisation à de nombreuses reprises, en solo, comme en témoignent ses Miniatures For Electric Guitar en deux volumes , en duo, comme l'illustrent Tone On Tone et Dark Ding Dong, ses enregistrements en compagnie de Noël Akchoté (lui-même comparse d’Henri Roger pour un splendide Siderrances dont il a récemment été question ici) ; signalons également, peut-être parce qu’il est l’un des plus passionnants, Something Is Coming, signé Tomur, une formation comprenant, outre Brousseloux et Akchoté, Michael Parque (un camarade Citoyen) à la basse et Baptise Boiron au saxophone. Mais il se trouve aussi que ce Rémois né en 1999 est aussi, comme on peut s’en douter en raison de son âge, féru des technologies contemporaines et, à l'instar de beaucoup d’autres, adepte des réseaux sociaux. Et c’est par l’un d’entre eux, probablement le plus connu et souvent pour de mauvaises raisons, mais dont certains s’échinent parfois à tirer le meilleur, qu’il a pris contact avec Henri Roger pour lui proposer un défi 2.0 (peut-être en est-on même parvenu à la version 3.0, depuis le temps...) : enregistrer un disque à partir d’une série d’improvisations à la guitare qui deviendraient une sorte de matière première à modeler. On comprend très vite que le sieur Roger, jamais à court d’imagination, s’est fait un immense plaisir d’accepter d’entrer dans cette danse sonore. Qui a pris vie, et de belle manière, comme le prouve ce disque au titre imprononçable.

    Au départ, j’ai pensé qu’Henri Roger et Augustin Brousseloux avaient été pris d’un coup de fatigue et qu’ils avaient dû s’effondrer sur un canapé devant un poste de télévision pour regarder l’émission « Des Chiffres et des Lettres ». Pensez-donc ! Leur disque a pour nom Shlouwarpch !, (le point d’exclamation en faisant partie). On dirait un tirage du « Mot le plus long »... Outre mon incapacité à trouver un mot de plus de sept lettres (« Aurochs »), il m’a fallu me rendre à l’évidence. Le formol sur écran n’étant pas le genre de leur maison musicale, l’explication devait se trouver ailleurs. En réalité, et là je me permets de citer les musiciens eux-mêmes : « Shlouwarpch ! est une onomatopée qui donne une bonne idée du parcours sonore surprise que nous proposons ». J’ignore si, une fois posée cette déclaration en guise de définition, il est possible d’imaginer le contenu qui va surgir, mais une chose est sûre : elle fournit une indication précieuse sur le caractère sui generis de l’entreprise menée par nos deux baroudeurs. Tout récemment, un ami me faisait remarquer qu’il n’était pas certain que ce disque fût beau, au sens premier du terme. En réalité, je lui donne volontiers raison parce que ses 57 minutes n’ont certainement pas pour ambition de caresser dans le sens du poil. Au contraire, Shlouwarpch ! est un disque qui gratouille, qui titille, qui vous pousse avec jubilation dans vos retranchements. Si vous cherchez le dernier tube à entonner à la fin d’un repas bien arrosé, passez votre chemin, vous n’êtes pas entré par la bonne porte. Si en revanche, vous êtes de celles ou ceux qui n’aiment rien tant que d’entrouvrir la dite porte en vous demandant quelle surprise vous sera réservée, et que vous n’êtes pas inquiets en avançant s’il le faut dans la pénombre, les bras tendus en avant, alors oui, vous devriez prêter, que dis-je, confier vos deux oreilles à ce duo étonnant.

    Les propositions initiales d’Augustin Brousseloux peuvent appartenir au registre de la musique minimaliste ; s’il le faut, elles engendreront des climats presque glacés, à la façon d’une ambient music d’où le rythme est absent et les mélodies à peine suggérées ; ailleurs, elles seront de nature bruitiste et rageusement métalliques, pour ne pas dire violentes ;  et pourquoi pas vacillantes, sous l’effet d’une ivresse contrôlée, exprimée par une guitare désaccordée (une detuned guitar que ne renierait pas Fred Frith). Un certain nombre de nappes sonores, qui ne sont pas sans évoquer les chemins harassants empruntés depuis de longues années par un explorateur sans concession tel que Richard Pinhas (qui a récemment joué avec Noël Akchoté), diffusent ici ou là une noirceur à coloration post-industrielle qui témoigne de l’ancrage de cette musique dans la réalité brutale de notre quotidien. D’autres échanges évoqueront une guérilla urbaine, habitée de snipers électriques. Vous l'aurez compris : Shlouwarpch ! n’est pas un disque d’ambiance clinique, au sens où il ne diffuse pas de façon condescendante une succession de climats vaporeux, mais parvient au contraire à  imposer avec autorité la force abrasive de sa musique, pour peu bien sûr qu’on ne l’écoute pas d’une oreille distraite. Et c’est là que toute la science (mais aussi l’humour distancié) d’Henri Roger entre en scène. Dans sa mallette de sorcier ingénieux, une boîte à outils bien fournie grâce à laquelle il va endosser avec le plus grand bonheur – on entend à chaque instant le plaisir qui est le sien – le rôle de perturbateur météorologique. Faites-lui confiance pour provoquer une bonne averse même si le ciel vous paraît limpide. Guettez avec la plus grande attention tous les fourmillements, les menus détails sonores des instruments qu’il va mettre au service d’une collaboration qui sera tout sauf innocente. Guitare, piano, percussions, mais aussi et c’est moins banal : des applications pour iPhone (iMaschine) ou iPad (Nave), une sirène de bateau, une voix extirpée d’une publicité et autres effets pas toujours identifiés... Tout est prétexte à enluminures mystérieuses et volontiers taquines, qui sortent par une fenêtre pour rentrer aussitôt par une autre, et sont autant de démangeaisons bariolées dont on ne tarde pas à découvrir le pouvoir addictif. Il se passe toujours quelque chose en compagnie de ce duo né tout autant du hasard des échanges virtuels que de la nécessité d’aller voir ailleurs si nous y sommes.

    Voilà qui ne fait aucun doute : nous y sommes bien. Shlouwarpch ! est plus qu’un disque de musiques improvisées par l’un, détournées par les briganderies machiniques de l’autre. Il est un acte de contrebande musicale, gourmand à souhait, qui a donné naissance à un jeu sonore, parfois inconfortable, mais toujours débordant de vie et d’inattendu.

    Un ludisque, en quelque sorte, qui vaut bien un néologisme en guise de salut amical !

    Post-scriptum : les derniers textes consacrés à Henri Roger sont par ici...

  • « Siderrons-nous » les uns les autres !

    Siderrances.jpgSi je m’étais croisé il y a une vingt-cinquaine d’années, je ne me serais jamais cru si, dans une conversation avec moi-même, je m’étais expliqué tout le bonheur ressenti à l’écoute de musiques improvisées. Costumé dans mes certitudes étroites de trentenaire pas loin de devenir quadra, mon double jeunot m’aurait ri au nez, j’en suis certain. Bien sûr, je savais le pouvoir de quelques sorciers de l’exercice : à cette époque, j’avais englouti bon nombre d’heures épicoltraniennes, et tout particulièrement celles de l’été 1966 au Japon et j’avais abordé, parmi d’autres, les rivages du free jazz d’Ornette Coleman ; je n’ignorais pas non plus qu’au temps de mon adolescence, au début des années 70, certains de mes groupes fétiches – tel The Grateful Dead – m’avaient démontré qu’on peut sortir du cadre restreint d’une « chanson » de trois ou quatre minutes pour pratiquer les chemins de traverse sans douleur (pour moi en tous cas). 

    Mais il y avait toujours, tapie dans l’ombre de mes craintes irrationnelles, la peur d’être un peu perdu, de rester à l’écart des imaginaires débridés de musiciens dont jamais je ne pensais pouvoir comprendre les rudiments d’une langue jugée a priori complexe. 

    On change. Ou plutôt on évolue, par un effet de sédimentation des connaissances qui enrichit et ouvre des perspectives qu’on pensait réservées à d’autres ou qu’on ignorait, tout simplement. Surtout quand certains musiciens jouent avec bonheur le rôle de passeurs, comme d’autres pédagogues sauront vous apprendre une langue étrangère. 

    Henri Roger est de ceux-là ! Pianiste, guitariste, musicien libertaire et imaginatif, notre homme ne cesse de multiplier les rencontres et de susciter une curiosité passionnée. J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer à de nombreuses reprises ici-même ou pour le compte de Citizen Jazz, parce que le monsieur n’est pas avare de beaux enregistrements, en solo, en duo ou en plus grand nombre, sa géométrie personnelle étant de nature variable. Allez comprendre pourquoi ses pérégrinations musicales m’ont toujours parlé de près, quand même bien leurs destinations ne sont pas explicitement indiquées aux candidats au périple que nous acceptons d’être. Henri Roger est un voyageur de l’intime, une sorte de vagabond errant, un type volontiers nietzschéen (son paradigme personnel se situant quelque part entre hasard et gai savoir) à qui on peut faire confiance, dès lors qu’il s’agit de nous inciter à découvrir de nouveaux paysages. Un type fiable, un mec bien qui ne déçoit pas, parce qu’il ne triche pas. Et sympa, de surcroit, ce qui ne gâte rien. J’en profite ici pour remercier une fois encore mon camarade Bruno Tocanne qui eut, un jour, la bonne idée de se confronter à lui, de façon très amicale, dans un Remedios La Belle très stimulant. Une belle porte d’entrée dans le monde bariolé d’Henri Roger. 

    Cette fois, c’est une association avec un autre agitateur de particules, le guitariste Noël Akchoté, qui fait merveille dans un double album dont le titre, Siderrances, constitue la meilleure des synthèses possibles : comme s’il était  l’enfant naturel d’une déambulation conjointe et d’un étonnement réciproque. Déambulation et étonnement partagés dans l’instant par celle ou celui qui voudra bien, non pas y prêter, mais y offrir ses deux oreilles.

    Akchoté n’est pas le dernier venu, loin s’en faut : passé d’abord par la filière du jazz classique (je mets volontairement des italiques car ma relation aux étiquettes est assez distendue), il n’a pas tardé à s’orienter vers des formes plus expérimentales, sans jamais se fixer de limites stylistiques. A titre personnel, je l’ai découvert au milieu des années 90, quand il évoluait aux côtés d’Henri Texier dans une magnifique formation appelée Sonjal Septet. Et tout récemment, je l’ai retrouvé en duo avec un autre de mes musiciens compagnons de jeunesse, Richard Pinhas. Pour le reste, un petit coup d’œil à sa discographie suffit à percevoir toute l’étendue de ses horizons artistiques… Un sacré bonhomme, on l’aura compris et un partenaire de choix pour le pianiste ! Pour décrire sa rencontre avec le guitariste, Roger emploie un terme qui dit beaucoup de choses : celui de slow dating. Il veut en réalité nous faire comprendre qu’entre Akchoté et lui, il y a bien plus qu’une confrontation musicale, aussi belle soit-elle. Il est question d’un processus de découverte à maturation lente : à travers l’écoute d’un disque du guitariste, puis d’échanges écrits (par l’intermédiaire d’un réseau social qu’il n’est pas nécessaire de citer, mais dont on voit qu’il est possible d’en faire un usage intelligent) sur leurs impressions respectives autour du monde de la musique. Ou comment prendre le temps d’une compréhension mutuelle avant d’aborder la phase ultime, celle de la réalisation d’un enregistrement qui s’est déroulé le 3 juin 2014. Un duo piano acoustique – guitare électrique, accompli dans un état de plaisir manifeste, dont les vibrations se transmettent tout au long de sept séquences qui cumulent en une bonne centaine de minutes.

    J’écoute ce disque depuis pas mal de temps maintenant. Et je n’en vois pas la fin. J’avoue volontiers ma difficulté à le décrire, parce qu’il appartient à la catégorie des disques qu’on vit plus qu’on ne les écoute. Une invasion de soi. A chaque fois, il me faut y revenir et me laisser porter par ses éléments, dont la fluidité est tout aussi aérienne que liquide. Comme une longue vague en mouvements immobiles (oui, j’assume l’oxymore), porteurs d’une sérénité qui contraste avec les urgences un peu foldingues de When Bip Bip Sleeps sous la férule de sa Sérieuse Improvised Cartoon Music ou les outrenoirceurs lumineuses de Parce Que, en hommage à Pierre Soulages. Rien d’étonnant toutefois de la part d’Henri Roger qui nous avait entraînés voici peu dans une belle Parole Plongée en trio avec Benjamin Duboc et Didier Lasserre, avant de nous convier, en solitaire cette fois, à prendre un bain de soleil subaquatique dans un captivant Subathing Underwater publié durant l’été (en version numérique seulement). Il semble bien que, depuis quelque temps, Henri Roger soit pris du besoin d’explorer les contrées mystérieuses de son piano aqueux... Et je vous étonnerai peut-être en disant qu’à la première écoute de l’album, j’ai pensé à mon cher Grateful Dead (évoqué un peu plus haut) : non pas le groupe aux intonations folk d’American Beauty, mais celui des premiers temps, psychédéliques et volontiers acides, lorsque le groupe se lançait dans de longues improvisations en s’échappant du thème de « Dark Star ». Je n’irai pas plus loin dans la comparaison, parce qu’elle n’a probablement de sens que pour moi, mais j’y vois la même nécessité d’abandon, de lâcher prise (pour des causes légèrement différentes puisque du côté de San Francisco à cette époque, l’étirement à l’infini de l’espace temps passait par le recours à diverses substances qui n’ont, je pense, pas cours chez Henri Roger !). Siderrances est un disque auquel on doit en effet s’abandonner… Loin des urgences de notre monde, il offre son temps long (le deuxième disque ne comporte que deux titres, respectivement de 20 et 32 minutes) et laisse aux deux protagonistes le loisir d’engager une conversation de l’intime qui, jamais, ne nous laisse de côté. Là est sa grande force : il nous parle au creux de l’oreille dans sa langue propre, mais très empathique. La guitare de Noël Akchoté distille d’un bout à l’autre une douceur sinueuse, à peine troublée par quelques effets appliqués aux cordes. Elle émet des ondes qui viennent se mêler aux notes du piano, les enrouler, les enrober de leur pouvoir magnétique. Henri Roger, toujours adepte du registre grave de son instrument, s’échappe plus qu’à l’accoutumée vers les aigus et lui répond, visiblement habité d’une confiance en l’autre. C’est un dialogue qui se dessine naturellement, sans le moindre effort apparent (mais on a vu que pour parvenir à cette fusion, les deux musiciens n’avaient pas compté leur temps pour apprendre à se connaître). Une musique qui coule de source et s’invente, seconde après seconde. Et qui semble n’avoir ni début, ni fin. Un flux continu, un peu irréel. 

    On peut écouter Siderrances à l’infini. Se réjouir aussi du soin apporté à la dénomination de certains titres, comme « Décoller à tes rires » ; goûter le flou savamment entretenu par le graphisme d’Anne Pesce ; se dire aussi qu’on a de la chance qu’un label tel qu’IMR nous donne à écouter de si beaux disques…

    Bref, tomber dans le panneau du duo Roger / Akchoté avec bonheur. Si je n’avais qu’un conseil à vous donner, il serait d’une grande simplicité : laissez-vous siderrer sans retenue, montez le son (une écoute au casque est parfaite) et ne pensez plus. Vous avez la clé, entrez !

  • Musique, j'écris ton Nome !

    Il faut être un peu fou, en 2014, pour se lancer dans l'aventure d'un label musical. On sait le disque moribond, victime d'une concurrence déloyale offerte par la dérégulation made in internet et ses possibilités de téléchargement aux frontières de la légalité ; victime aussi de la marchandisation à outrance et au prix fort d'objets prétendument musicaux, alors que ceux-ci n'étaient que de simples produits de consommation courante, et qui ont fini par déconsidérer l'objet disque lui-même ; victime de son instrumentalisation par des majors ayant pressé le citron de notre porte-monnaie jusqu'à sa dernière goutte, destinée à assouvir l'appétit de rapaces rentiers peu enclins à parier sur l'avenir et donc à patienter avant une récolte sonnante et trébuchante promise par le talent d'un artiste en devenir ; victime d'une certaine crétinisation ambiante cultivée à grand renfort de médias mercantiles et d'un engrais toxique, un composé pernicieux à base d'immédiateté et d'une chimère appelée gratuité. Pour la majorité de nos contemporains, le disque appartient au passé, et sa ringardisation est en marche depuis longtemps.

    Et pourtant… Que de disques ! Et magnifiques de surcroit. On est parfois gagné par le sentiment que jamais nous n'avons eu la possibilité d'écouter autant de musique. Est-ce bien une impression, d'ailleurs ? Ou la réalité ? Le disque est devenu - on peut le déplorer à bien des égards - une obligation pour la grande majorité des musiciens qui ont besoin d’une telle carte de visite à proposer aux programmateurs de festivals (et autres scènes) sur lesquelles leur musique pourra s'épanouir. Cette abondance obligée pourrait aller de pair avec des réalisations à la va-vite, parce qu'enregistrer et diffuser cette musique coûte cher, parce que les embûches administratives sont d'une insondable complexité et que, nécessité musicale oblige, on ne peut pas lui accorder une place excessive. Mais la plupart du temps, il n'en est rien et les réalisations sont d'une grande richesse : influence de temps très difficiles et d'une époque troublée par des menaces multiples sur notre planète qui seraient comme autant de stimulants ? Serions-nous plus créatifs quand l'incertitude domine et quand l'angoisse étreint nos contemporains ? Ultimes poings dressés face à la médiocratie ambiante ? Peut-être…

    Créer un label, avoir pour lui des ambitions artistiques et esthétiques en fédérant des forces amies pour qu'il voie le jour et ne pas lui assigner en premier lieu une fonction utilitaire. Voilà bien une idée étrange que six musiciens proches les uns des autres ont décidé de faire aboutir. David Enhco, Florent Nisse, Roberto Negro, Gautier Garrigue, Adrien et Maxime Sanchez sont au cœur de Nome pour défendre la cause d'un jazz capable de s'abreuver à la source de son passé tout en scrutant l'horizon pour tenter d'entrevoir l'avenir. Une volonté affirmée de coexistence pacifique entre tradition et modernité, assorti d’un pari sur la survie d’un objet dont la disparition semble programmée.

    À l'écoute des deux premières productions de Nome (le label étant distribué par l’Autre Distribution), on se dit que cette jeune garde en action a eu raison de prendre date. Deux albums, deux réussites unies par la fluidité de leur expression, leur élégance formelle et la célébration d'une fibre mélodique qui, jamais, n'exclut la retenue, pour ne pas dire la suspension du temps invoquée comme une forme de respiration entre les notes.

    nome, david enhco, layers, florent nisse, aux magesJ'avais eu l'occasion de souligner en 2013 les qualités de La Horde, le premier disque du quartet de David Enhco. La clarté de ses intentions, l'interprétation solidaire de ses musiciens et son art de la suggestion montraient le trompettiste, non comme un leader mais plutôt comme un unificateur capable de laisser filtrer sa sensibilité - une fragilité assumée - tout en réussissant à assembler naturellement des individualités fortes et distinctes. David Enhco reconduit la même équipe pour Layers, qui fait plus que confirmer les qualités de son prédécesseur : il en est le prolongement harmonieux, comme une suite baignée d'une lumière encore plus irisée, qui projette sur nous des images de nature cinématographique (on serait prêt à prendre les paris : un jour viendra où David Enhco composera la musique d'un film ; deux brèves compositions comme « Childhood Memories » ou « Interlude » en apportent la preuve, chacune en moins d’une minute). Les personnalités plutôt méditatives de Roberto Negro (piano) et Florent Nisse (contrebasse) - tous deux contribuent au travail de composition avec leur camarade trompettiste pour former un répertoire original, à l'exception de « Nancy With The Laughing Face », seule reprise de l'album - impriment elles-aussi leur empreinte mélodique, parfois teintée d'une pointe de nostalgie (comme le thème de « Chanson Un », une composition signée par le pianiste), voire d'introspection (« Oiseau de Parhélie » du contrebassiste) à cette musique aux allures de jazz impressionniste, qui doit peut-être autant à Claude Debussy et Nino Rota qu'à Miles Davis. Un pont tendu entre deux siècles et une petite dose de romantisme... Gautier Garrigue, jamais cogneur, plutôt peintre de l’esquisse, confirme de son côté ses qualités de batteur au jeu motianesque qui convient si bien au climat tempéré de Layers. Et puis, on serait injuste de ne pas redire ici à quel point le phrasé de David Enhco, d'une grande limpidité et d'une fluidité naturelle, est à l’évidence le meilleur vecteur de l’acheminement vers nous de ses propres émotions tout comme celles de chacun des musiciens du quartet. Il suffit d'écouter « In Waves » dont le rythme nerveux est surligné par une brève introduction en solo aux couleurs classiques ; le groupe est alors à son meilleur, d’une justesse émouvante. Malgré le jeune âge de son géniteur, Layers est un disque de la maturité, une nouvelle étape dans le parcours d'un musicien qui n'a pas fini de nous charmer.

    nome, david enhco, layers, florent nisse, aux magesPour Florent Nisse, c'est le baptême du feu, celui du premier disque dont le titre en forme de jeu de mots - Aux mages - est une invitation à célébrer ces figures tutélaires que furent et sont encore trois maîtres à jouer et que révèrent, on l'aura deviné, tous les musiciens de son quintet : le guitariste Bill Frisell, le contrebassiste Charlie Haden et le batteur Paul Motian. Leur art de la musique impressionniste semble avoir pleinement inspiré Florent Nisse qui livre un album d'une grande finesse, parcouru d'un chant frisson prenant du début à la fin. Il y a dans cette musique un indicible parfum de sérénité et de liberté, au sens où jamais l'urgence ne semble lui dicter sa conduite ; elle naît au contraire de la volonté de maîtriser le temps et de ne pas laisser ce dernier la perdre dans une précipitation trop clinique et un excès de démonstration. Aux mages est un disque maîtrisé, sûr de son fait et pour tout dire pas loin d'un coup parfait ! Le contrebassiste signe sept des dix compositions (les trois autres sont du pianiste Maxime Sanchez) et fait appel à deux musiciens haut de gamme ayant pour point commun, outre leur grand talent, d'avoir joué avec Paul Motian, dont le suggestive way (j'adresse ici un clin d'œil à un autre batteur, Bruno Tocanne, lui-même disciple du regretté Motian et dont le disque éponyme mérite l'attention de tout amoureux des musiques libres) inspire ce disque vespéral et hautement mélodique : l'américain Chris Cheek (saxophone ténor) et le danois Jakob Bro (guitare) ne sont pas ici de simples invités d'un jour ou des musiciens cautions, ils fondent au contraire avec humilité leur personnalité dans l'intimité d'un groupe au sein duquel on n'oubliera pas de citer, une fois encore, l'hyperactif Gautier Garrigue, dont la finesse de jeu trouve ici un terrain tout aussi propice que sur Layers. Humilité, finesse, retenue, suggestion mélodique… Autant de louanges qui pourraient bien constituer en creux une sorte de portrait chinois de Florent Nisse, catalyseur contemplatif et méditatif de toutes ces belles inspirations, instrumentiste dont les interventions sont d’une grande justesse (ainsi, sur le splendide « Image F ») et qui fait le choix d’accorder le plus d’espace possible à ses camarades, soulignant encore mieux le fait qu’Aux mages a quelque chose d’une respiration collective. Ce trentenaire ingénieur a eu raison de faire le choix de la musique et de s'y consacrer pleinement. Son parcours depuis quelques années est celui d'un artiste discret et fiable, dont le travail - c'est l'évidence même - est en train de porter ses fruits. Il s'agit maintenant pour nous de les déguster avec toute la gourmandise qu'ils méritent.

    Allez savoir ce que deviendra Nome… On lui souhaite le meilleur avenir possible ; ses deux premiers enfants naturels sont plus que prometteurs, ils avancent vers nous pour offrir des moments de grâce et de liberté dont chacun comprendra très vite les bienfaits.


    David Enhco - Layers
    David Enhco (trompette), Roberto Negro (piano), Florent Nisse (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie).
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    Florent Nisse - Aux Mages
    Chris Cheek (saxophone ténor), Jakob Bro (guitare), Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie).
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  • Dans les coulisses d’une pluie printanière

    blaser_spring_rain.jpgSamuel Blaser est, à sa manière, un phénomène. Il n’a pas encore 34 ans et pourtant, quiconque observera à la loupe sa discographie sera impressionné aussi bien par son ampleur que par l’accumulation de pépites qu’elle recèle. Le tromboniste suisse n’a pas son pareil pour s’entourer des meilleurs et pousser avec eux sur l’échiquier de sa création les pions d’un jeu où s’entrecroisent des influences dont certaines pourraient sembler inconciliables aux oreilles à œillères. Et lorsqu’il est lui-même appelé par d’autres pairs, soyez certains que ces derniers seront des musiciens cultivant un même amour pour des musiques libertaires et curieuses des associations multiples. Alors, quand le jeune homme publie un nouveau disque, on est forcément aux aguets, parce que ses voyages musicaux – qu’ils prennent la forme de relectures savantes et très personnelles du répertoire des siècles passés ou d’explorations contemporaines aux bouillonnements électriques, débordant vers le free jazz – sont des expériences dont on ressort avec le sentiment d’un pas en avant, d’un progrès accompli. Spring Rain, qui voit le jour sur le label Whirlwind Recordings, ne déroge pas à cette règle.

    C’est en 2010 que j’ai découvert le talent singulier de Samuel Blaser, alors au générique des 4 New Dreams du batteur Bruno Tocanne, un album évoqué ici-même au début de l’année 2011. Un bonheur ne venant jamais seul, je suis allé de découverte en découverte, avec le même ravissement. A commencer par celle d’un quartet où s’illustrait le guitariste Marc Ducret, mais aussi le batteur Gerald Cleaver (qu’on retrouve présent sur cette nouvelle pluie de printemps) : d’abord avec l’album Boundless, puis avec As The Sea. Jamais à court d’imagination, le tromboniste avait enregistré quelque temps auparavant un étonnant Consort In Motion, l’occasion pour lui d’être l’un des derniers à travailler avec l’immense batteur Paul Motian (qui devait nous quitter peu de temps après) et de célébrer en la transfigurant la musique de Monteverdi. Une plongée dans un passé lointain qui en appellera une autre puisque quelque temps plus tard, Blaser se lancera un défi voisin avec la complicité de Benoît Delbecq pour une immersion dans les répertoires médiévaux de Guillaume de Machaut et Guillaume Dufay (A Mirror To Machaut). De plus, il est impossible de passer sous silence trois autres disques pleins à craquer de vibrations singulières : JASS, boîte à idées née d’une collaboration avec Alban Darche, Sébastien Boisseau et John Hollenbeck ; Fourth Landscape et ses paysages diaphanes composés aux côtés de Benoît Delbecq et Gerry Hemingway ; enfin, le poétique Tomate et Parapluie, un petit théâtre de guingois, ainsi qualifié par mon camarade Franpi dans une récente chronique pour Citizen Jazz du dernier disque du trio Marcel et Solange, dont Samuel Blaser est l’invité. La liste est bien plus longue, mais cette sélection devrait être de nature à faire comprendre que la matière musicale de l’Helvète est riche et passe par des chemins assez peu fréquentés, bien loin des musiques sans âme qu’on livre en pâture à longueur de plans marketing. Ici on cherche, on essaie, on crée ; demain n’est pas aujourd’hui qui n’est pas la copie des jours passés. Samuel Blaser ouvre à chaque fois les portes d’un laboratoire de l’inattendu qui n’a pas fini de surprendre. Et personne ne sera étonné d’apprendre qu’il fourmille de projets parmi lesquels une nouvelle collaboration avec Alban Darche (Pacific) ainsi qu’un projet en solo baptisé 18 monologues élastiques. On en salive d’avance, mais il faudra attendre encore un peu...

    Ne soyons pas trop impatients : Spring Rain est assez nourrissant pour satisfaire les appétits les plus impétueux. C’est un disque de la maturité pour le tromboniste. Il faut dire que la fine équipe constituée par Samuel Blaser a de beaux arguments à faire valoir. Elle se compose de musiciens qui ont déjà croisé sa route à plusieurs reprises et constituent pour lui une véritable assurance son : Russ Lossing (4 New Dreams, Consort In Motion) au piano ; Drew Gress (A Mirror To Machaut) à la contrebasse ; Gerald Cleaver (Boundless, As The Sea) à la batterie. Voici par conséquent quatre énergies associées dans un hommage au clarinettiste Jimmy Giuffre, disparu en 2008 à l’âge de 87 ans, et dont l’une des formations phares reste un trio sans batterie avec Paul Bley (piano) et Steve Swallow (contrebasse), jouant une « musique contemporaine improvisée » ayant profondément marqué Samuel Blaser. Swallow est d’ailleurs présent sur le disque puisqu’il signe une partie de ses liners notes dans lesquelles il souligne l’audace et l’ambition de Spring Rain. Un compliment qu’on appréciera à sa juste valeur de la part de ce grand monsieur, par ailleurs compagnon (à la ville et à la scène) de Carla Bley, dont deux compositions figurant au répertoire du clarinettiste sont présentes sur l’album (« Temporarily » et « Jesus Maria »). Celles de Jimmy Giuffre lui-même, et c’est la moindre des choses, font l'objet de trois reprises (« Cry Want », « Scootin’ About » et « Trudgin’ ») sous forme de relectures attentives.

    Giuffre, Swallow, Bley, Blaser… et les autres : avis aux météorologues, un vent de liberté souffle sur cette pluie de printemps ! 

    On peut multiplier à l’infini les raisons d’aimer le disque… En premier lieu, en mettant en avant le travail de sculpture entrepris par Samuel Blaser sur le son de son instrument, dont il multiplie les couleurs, passant des rondeurs liquides (« Spring Rain » où le trombone semble défier les lois de l’équilibre en n’hésitant pas à plonger dans les graves) aux multiphonies qui finissent par le caractériser (les contrastes harmoniques de « Trippin’ » ou bien encore les introductions de « Missing Mark Suetterling » ou de « Jesus Maria »). Sa palette, déjà étoffée, vient combiner ses nuances à celles de Russ Lossing, lui-même très en verve et qui déploie un éventail sonore d’une grande diversité, au piano, au Fender Rhodes ou au Minimoog. Ecoutez leurs échanges sur « Missing Mark Suetterling », c’est un régal de groove faussement tranquille ! Si le quartet met ici en évidence sa solidarité et sa fougue et peut fonder son pouvoir de persuasion sur une rythmique à la fois précise et inventive, Spring Rain se présente aussi comme un terrain propice à des épanchements en solo (comme sur le bien nommé « Homage », sur « Trippin’ » ou encore dans l’introduction de « Jesus Maria ») ou à des conversations prenant la forme d’impromptus (trombone et piano sur « Umbra » ou « Scootin’ About », trombone et batterie dans la seconde partie de « Jesus Maria »).

    Impossible de définir cette musique tant Samuel Blaser, soucieux à la fois de partager son amour du trombone et son besoin d’improvisation, saute par-dessus les barrières stylistiques : jazz, blues, free jazz, néo-classicisme, musique contemporaine ? Aucune importance. On évoque assez naturellement l’idée de « jazz libre » chez lui, une grammaire en évolution permanente qui se nourrit d’un besoin natif de mélodie et d’improvisation. La musique de Blaser chante, elle peut passer d’un état contemplatif, presque religieux (« Cry Want » en duo trombone / piano) à une explosion de joie, collective (les fulgurances de « Temporarily », les sinuosités façon free jazz-rock de « The First Snow », les grands écarts monkiens de « Counterparts »), ou s’étirer en un blues langoureux (« Trudgin’ », « Trippin’ ») avec beaucoup de naturel et d’onctuosité. 

    Pluie de printemps ? Oui, puisque c’est écrit dans le titre de ce disque produit par Robert Sadin (producteur de Sting, Herbie Hancock ou Wayne Shorter), mais il y a fort à parier qu’en regardant par la fenêtre, vous ne tarderez pas à voir un arc-en-ciel, parce qu'un franc soleil darde ses rayons sur le monde selon Samuel Blaser.

     

    Samuel Blaser Quartet
    Spring Rain
    Samuel Blaser (trombone), Russ Lossing (piano), Drew Gress (contrebasse), Gerald Cleaver (batterie).
    Whirlwind Recordings – Avril 2015

  • Don't look back !

    Première note de l’année. C’est le moment des résolutions, en particulier celles que je ne tiendrai pas. J’essaierai de maintenir le cap d’un texte hebdomadaire, ce qui ne sera pas sans difficulté, parce que je connais bien mes défauts. Mais je dois à mes lecteurs – que je remercie de leur assiduité et de leur consultation de près de 500.000 pages durant toute l’année, soit une progression de + 55% en un an - une assiduité qui sera ma ligne de conduite. Si possible...

    En revanche, je commence très mal l’année en refusant d’obéir à l’injonction du titre de ma note (ne me demandez pas pourquoi, je n'en ai pas la moindre idée). Contrairement à l’ordre qui m’est intimé et sans la moindre nostalgie, cette fois encore, je vais looker back, mais alors tout à fait back ! Plus exactement, je voudrais m’amuser à jeter cinq coups d’œil dans mon rétroviseur personnel, selon un questionnement très simple qui s'apparente à un exercice de style : il y a 10 ans, j’écoutais quoi ? Et il y a 20 ans ? Et 30 ? Et 40 ? Et même il y a 50 ans. J’ai donc fouillé dans mes archives et scruté les disques que je m’étais procuré (ou ceux qu’on m’avait offerts) ; loin d'être représentatifs de ma discothèque, ils sont à considérer comme les balises de mon propre cheminement. Allons-y donc ! 

    1964

    dontlookback_1964.jpgOups ! Alors là, c’est très confus dans ma mémoire de gamin de 6 ans. Je me souviens qu’à cette époque, on écoutait à la maison quelques disques comme « La mamma » de Charles Aznavour ou « L’auvergnat » de Georges Brassens. Je me rappelle aussi quelques chansons des Compagnons de la Chanson, de Nana Mouskouri ou de Marcel Amont. Quant à mes disques, ils étaient bien rares : il y a ce 45 tours avec Vos 8 indicatifs préférés (sic), annoté de ma main (j’ai juste écrit Denis Desassis 1964). Ce qui est amusant, c’est qu’en 1964, la télévision n’avait pas fait son intrusion au domicile de mes parents (qui écoutaient la radio, ce dont je ne les remercierai jamais assez) et que ce disque saluait des génériques entendus dans la lucarne en noir et blanc. Un an plus tard, je découvrirais un monde enchanté, celui de Colargol, avec des musiques de Mireille et les voix de Madeleine Barbulée, Henri Virlojeux ou Ricet Barrier. Mais c'est une autre histoire... Eh ouais !

    « C’est moi c’est moi Colargol / L’ours qui chante en fa en sol / En do dièse en mi bémol / En ciré et en faux-col / Le roi des oiseaux / Vous le savez mes amis / M’a donné un beau / Sifflet pour faire cui cui cui cui / C’est Moi c’est moi Colargol / Mauvais élève à l’école / Mais premier au music hall / C’est moi c’est moi Colargol ! »

    1974

    dontlookback_1974.jpgAlors là, c’est une autre paire de manches ! Il s’en est passé des choses en dix ans. Je ne peux pas résumer cette aventure en quelques lignes parce que cette décennie reste l’une des plus affriolantes du point de vue de la musique. Avènement des Beatles, des Stones, le rock est devenu un langage universel, il s’est multiplié, diversifié, psychédélisé, parfois boursouflé. Il est parti dans tous les sens, a même réussi sa jonction avec le jazz grâce à Miles Davis. John Coltrane est parti depuis 7 ans, il n’a jamais été remplacé et le jazz se cherche un peu depuis sa mort. De mon côté, j’ai consacré beaucoup d’heures à écouter de la musique depuis quatre ans. J’ai écrit pas mal de choses à ce sujet mais je peux évoquer Creedence Clearwater Revival et le Grateful Dead, ce groupe californien qui m’a ouvert à d’autres musiques, comme le rock progressif de Yes, Genesis ou King Crimson. Après avoir succombé au souffle cuivré du rock du groupe Chicago (c’est par lui que j’ai commencé à aimer le saxophone), aux espaces infinis de Pink Floyd ou de la musique planante allemande (Tangerine Dream), je suis sensible au jazz-rock spiritualisé du Mahavishnu Orchestra et à celui de l’Ecole anglaise dite de Canterbury : Soft Machine ou Caravan, découvert en 1972 grâce à l’album Waterloo Lily. En ce début d’année, je complète ma discographie et j’achète le troisième album du groupe, qui reste l’un de mes préférés : In The Land Of Grey And Pink. Le groupe n’en finira plus, par la suite, de dissoudre sa musique dans une sorte de variété sans grande consistance. Mais il reste ses quatre premiers disques, tous très beaux. Cependant, la fin d'une époque s’annonce, c’était inéluctable...

    1984

    dontlookback_1984.jpgDepuis la seconde moitié des années 70, le rock n’est plus très passionnant. Balayé par la vulgarité de la vague disco, boxé par les punks et leurs deux accords, il me faut faire avec les restes et laisser le capital acquis fructifier du mieux que possible. Ma grande découverte de cette décennie aura été la musique de Richard Pinhas, en solo ou avec son groupe Heldon. Fulgurances électriques et hypnotiques, dont les inspirateurs sont tout autant Jimi Hendrix que Robert Fripp, magnifiées par quelques albums incomparables comme Interface ou Stand By. Je n’oublie pas non plus des groupes tels qu’Univers Zéro ou Art Zoyd, né dans le sillage de Magma qui, désormais, n’est plus que l’ombre de lui-même (on commence à entendre parler d’un autre groupe, Offering) ; King Crimson new look est intéressant mais n’a pas la force de sa mouture 1972-1974. Genesis n’a d’intérêt que commercial, Weather Report a quitté la scène. Je sens qu’il me faut partir à la recherche d’autres sensations (peu de temps après, je me lancerai dans le vaste chantier Coltrane). En attendant, je complète certains manques de ma discothèque. En janvier 1984, j’achète quelques 33 tours de Stevie Wonder, dont le beau Talking Book. Stevie Wonder m’accompagne depuis plus de 7 ans : il m’a ensorcelé avec Songs In The Key Of Life en 1976. 

    1994

    dontlookback_1994.jpgA fond dans le jazz : durant cette décennie, j’ai découvert un nombre incalculable de musiciens magnifiques. Tout a commencé par John Coltrane et My Favorite Things. Méthodiquement, j’ai acheté, sinon tous ses disques, du moins tous ceux que je parvenais à me procurer (pas d’internet en 1994...), vouant un culte sans équivalent au saxophoniste, escaladant avec acharnement ce sommet musical engendré en une douzaine d’années (de 1955 à 1967). Parmi les artistes qui ont fait leur entrée dans mon univers musical, il y a beaucoup de français, dont Henri Texier, Michel Portal et Louis Sclavis. Ce dernier est probablement celui qui me fascine le plus, par sa créativité protéiforme. En ce mois de janvier, je plonge dans un coffret pas forcément de tout repos mais d’une incroyable richesse : Beauty Is A Rare Thing est l’intégrale des enregistrements du saxophoniste Ornette Coleman pour le compte du label Atlantic, à la fin des années 50 et au début des années 60. Et dire qu’il m’a fallu tout ce temps pour connaître ces trésors incomparables, dont le redoutable et génial Free Jazz. Je pourrais citer des dizaines d’autres noms pour caractériser les dix années écoulées, mais cette liste s’apparenterait à un bottin du jazz.

    2004

    dontlookback_2004.jpgJe continue ma lente exploration du jazz, essentiellement celui qui a été enregistré à compter de la seconde moitié des années 50 (ce qui ne m’empêche pas, au gré de rééditions à bon marché en CD – le disque commence à se vendre mal - de me procurer de vieux albums de rock, comme ceux des Doors par exemple). Je trouve toujours, ça et là, des enregistrements de Coltrane que je ne connaissais pas. Je les achète, presque par réflexe, et ne suis jamais déçu, y compris quand certains disques s’apparentent à de véritables escroqueries. Grâce à un ami, j’ai également fait la connaissance, il y a trois ou quatre ans, de deux musiciens majeurs : le compositeur américain Steve Reich et, dans un tout autre genre, le contrebassiste Renaud Garcia-Fons, qui sont à ce jour des artistes dont la musique fait partie de celles qui m’habitent constamment. Je me suis acheté tous leurs disques ou presque. Tiens, c’est amusant (et assez révélateur quand j’y pense) : en ce mois de janvier 2004, j’écoute la réédition en digipack de Ballads de John Coltrane, que j’avais pourtant acheté en 1992. Mais le label Impulse sort des pistes inédites (dont quelques bonus tracks un peu malhonnêtes parfois...), le disque est devenu double et sa pochette est bien documentée. C’est un cadeau d’anniversaire que m’a fait mon fils, devenu lui-même entre temps un magnifique saxophoniste. 

    2014

    dontlookback_2014.jpgQue d’eau, que d’eau a coulé sous les ponts ! Un blog né en mars 2005, une collaboration régulière au magazine Citizen Jazz depuis le printemps 2007, l’émergence des réseaux sociaux... une somme de découvertes et de rencontres, toutes plus passionnantes les unes que les autres. Parmi les artistes qui comptent beaucoup pour moi, il y a notamment le batteur Bruno Tocanne et toutes ses activités à travers le réseau iMuzzic. C’est probablement la décennie la plus riche pour moi depuis celle qui s’est éteinte au milieu des années 70. Le disque ne se vend presque plus et pourtant, il s’en produit des quantités phénoménales et les pépites sont innombrables. C’est le paradoxe vécu par les musiciens qui ne trouvent pas de label mais auxquels les programmateurs demandent un disque comme carte de visite. EPK et autres disques à télécharger n’y feront rien, l’objet disque subsiste malgré le téléchargement illégal... on assiste même à un étrange frémissement avec le retour du 33 tours chez certains artistes.

    En ce mois de janvier, je contemple la pile de disques qu’il me reste à évoquer ici-même ou dont je dois rendre compte pour Citizen Jazz. Il y a parmi ceux-ci un disque qui sort aujourd’hui même sur le label Yolk. Intitulé JASS (pour John Alban Sébastien Samuel), il est un disque de rencontre, un rendez-vous entre musiciens dont les richesses individuelles font plus que s’additionner, elles se multiplient. J’ai évoqué à plusieurs reprises les talents du saxophoniste Alban Darche et du tromboniste Samuel Blaser ; pas ceux du batteur américain John Hollenbeck ni ceux du contrebassiste Sébastien Boisseau. Mais ce JASS est à mon sens – j’ose le proclamer un 6 janvier – l’un des très grands disques de l’année. Savantes constructions dans une série de confrontations à la fois passionnées et d’une grande exigence tant rythmique que mélodique, d’une incroyable prolixité, le disque est né d’une première expérience à Berlin en juillet 2011 avant de se prolonger sous la forme d’une résidence à Nantes en janvier 2012. C’est là qu’a été enregistré l’album, publié... deux ans plus tard. Je ne l’ai pas encore assez écouté pour en parler avec les bons mots (à supposer que je sois capable de les trouver), mais celui-là, je sais qu’il va tourner encore pas mal de fois sur mes platines (voire diffuser ses bienfaits dans mes oreilles lorsque je marche...) parce qu'il est de ceux qu'on n'épuise pas en quelques écoutes, mais qui, au contraire, se bonifient au fur et à mesure de notre intimité avec eux.

    A suivre, chaque semaine, voire plus !

  • 22, v’là les « Maîtres » !

    Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous livre le palmarès de la première cérémonie de remise des trophées qu’on appelle par ici les Maîtres. Cette soirée très privée – j’en étais à la fois le Président et l’unique spectateur – est née de mon incapacité absolue à me résoudre à l’élaboration d’une liste de mes dix albums préférés de l’année 2012. Je l’ai tenue chez moi, dans la solitude de ma perplexité, face à de cruels choix auxquels personne ne m’avait contraint. Un exercice auquel s’est déjà livré mon camarade Franpi, dont je vous invite à découvrir la sélection beaucoup plus sévère sur son blog. J’ai cru comprendre, par ailleurs, que la camarade Belette n’avait pas résisté au charme des listes...

    Mon Top Ten, comme y disent, sera un Top 22… Je dois être trop enthousiaste, certainement, et donc vite prompt à vanter les mérites d’un grand nombre de disques, au risque, peut-être, de dissoudre dans un ensemble trop vaste les qualités immenses et intrinsèques de chacun d’entre eux. Mais c’est ainsi : je me dois de partager les bonheurs que me procurent la musique et les musiciens. J’ai bien peur d’apparaître comme un béat niais, toujours prêt à imaginer que ma joie peut aussi être celle des autres. M’en fous, j’assume... Comble de malchance, je ne dispose que d’une seule vie, ce qui ne me permet pas d’écouter tout ce qui mériterait de l’être (les grands absents de ma liste sont les premières victimes de cet agenda un peu trop chargé, et croyez-moi, ils sont nombreux). Et surtout que l’on ne se méprenne pas : j’ai énormément souffert pour parvenir à cette longue liste, j’ai sous le coude un bon paquet de disques qui auraient pu, ici ou là, en pousser d’autres vers la sortie. Que leurs auteurs ne m’en tiennent pas rigueur...

    Ou peut-être que les mois qui viennent de s’écouler auront vu s’épanouir à nos oreilles des heures et des heures de musique enchantée en très grande quantité, faisant de 2012 un cru d’exception. Allez savoir…

    Je ne trouve pas de réponse à ces interrogations. Je sais aussi qu’il va s’en trouver ici ou là pour me reprocher comme l’an passé d’avoir oublié le continent américain, dont je ne méconnais pas l’importance (même si, en réalité, beaucoup de disques m’auront échappé, forcément) mais qui, finalement, n’a pas besoin de mes modestes services pour se faire connaître. N’y voyez là aucune trace d’un patriotisme de mauvais aloi, comprenez simplement que bien souvent, tout près de nous, parfois à peine un peu plus loin, c’est déjà l’abondance ! Des labels, petits ou un peu plus grands, « sans bruit », en plastique ou en « carton », parfois associés en réseaux, déploient des trésors d’imagination pour faire vivre cette Musique qui le mérite bien ! Des artistes creusent jour après jour, non sans difficultés, leur sillon pour « réaliser » leurs rêves et les partager avec nous. Je n’ai donc entrevu – ou plutôt entrécouté – qu’une infime parcelle de ce vaste terrain sur lequel tous les jeux de l’imaginaire sont possibles.

    On sera donc indulgent avec une sélection qui, finalement, n’en est pas une : elle est à prendre comme une suite de suggestions parmi lesquelles il se trouvera forcément un disque que vous aimerez. Ouvrez vos yeux, vos oreilles et votre cœur, le reste viendra naturellement… bref, gardez en vous toute la fraîcheur qui sera toujours votre alliée. L’ordre est alphabétique, parce que je ne vois aucune raison de m’astreindre à un classement...

    Alea jacta est !

    PS : in extremis, trois jours plus tard, je me suis permis d'ajouter un vingt-troisième élément que j'avais commis la grave erreur d'oublier alors qu'il a enluminé le début de l'année. Il s'agit de Soul Shelter, de Bojan Z. La mémoire a ses mystères, parfois... Ce Top 22 est en fait un Top 23 !

    Yuvai Amihai Ensemble

    cover.jpgLa musique embrasée du guitariste Yuval Amihai est portée avec ce disque à un haut niveau de chaleur. Chant, mélodie, lyrisme et tradition… C’est beau, tout simplement. Damien Fleau y rayonne au saxophone soprano. Plus

    Olivier Bogé : Imaginary Traveler

    Cover.jpgLe jeune saxophoniste a quelque chose d’un philosophe. Son premier album est en réalité une proposition – toujours mélodique et solaire – de retour sur soi. Se connaître, goûter chaque instant pour célébrer la vie. Une chance pour nous, un disque lumineux. Plus 

    Emmanuel Borghi Trio : Keys, Strings And Brushes

    keys_strings_brushes.jpgParce qu’il semble enfin lui-même, le pianiste Emmanuel Borghi frappe très juste avec un disque intime et mélodique. Sorti sur la pointe des pieds, son album mérite vraiment qu’on s’y attarde. Plus 

    Philippe Canovas : Thanks

    canovas-thanks.jpgEn toute discrétion, le guitariste Philippe Canovas offre une musique raffinée et intime. C’est peu son histoire qu’il évoque, en une vingtaine d’épisodes courts et séduisants. Plus 


    Pierre Durand : Chapter 1 NOLA Improvisations

    cover.jpgDisque presque solitaire, fruit d’un voyage initiatique à la Nouvelle Orléans entrepris par Pierre Durand dont la guitare évoque Coltrane, John Scofield et l’Afrique. Séduction immédiate. Plus 

    Electro Deluxe Big Band : Live in Paris

    E2L Live in Paris.jpgUn feu d’artifice entre soul, funk et jazz et un autre « maître », de cérémonie celui-là, en la personne du chanteur James Copley qui a fort à faire face à un Big Band furieux de douze soufflants. Ce disque devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Plus 

    Renaud Garcia-Fons : Solo (The Marcevol Concert)

    RGF-SOLO.jpgLe contrebassiste est un virtuose, on le sait. Mais habiter sa musique avec autant d’intensité est la marque des très grands. Ce concert en solitaire, où l’instrument ne rechigne pas à s’abandonner à quelques effets sonores, en est le témoignage vibrant et intemporel. Plus 

    Antoine Hervé PMT QuarKtet

    pmt_quarktet.jpgOn pensait qu’Antoine Hervé était un musicien sérieux. Il est bien plus que cela et son quartet, dynamité par Jean-Charles Richard, Philippe Garcia et la facétieuse acousmatique de Véronique Wilmart, nous prouve qu’il est un passionnant créateur. Magique !

    Daniel Humair New Reunion : Sweet & Sour

    sweetandsour.jpgLe batteur Helvète n’a certainement plus rien à prouver et pourtant, il rebat les cartes en s’entourant d’une jeune garde dont la liberté d’expression invente un menu musical savoureux et épicé. Plus 

    Stéphane Kerecki : Sound Architects

    sound_architects.jpgL’élégance de cet album est certainement celle du contrebassiste Stéphane Kerecki lui-même. Son trio est ici... un quintet, puisque Tony Malaby et Bojan Z sont aussi de la fête. La musique est habitée, la pulsation celle du cœur. Plus 

    Christophe Marguet Résistance Poétique : Pulsion

    cover.jpgLa générosité est la marque de fabrique de ce quintet qui brille de mille feux. Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Mauro Gargano (contrebasse), Bruno Angelini (piano) et Jean-Charles Richard (saxophones) entourent le batteur pour un chant… irrésistible ! Plus 

    Joce Mienniel : Paris Short Stories Vol. 1

    ParisShortStories.jpgProche de Sylvain Rifflet avec lequel il pratique l’art secret de l’encodage, le flutiste Joce Mienniel n’est pas en reste avec un disque malicieux où trois trios rivalisent d’invention pour célébrer leurs amours musicales. On veut le volume 2 de ces très bonnes nouvelles ! Plus 

    ONJ : Piazzolla !

    ONJ-Piazzolla--cover.jpgDaniel Yvinec et sa bande d’artificiers s’attaquent à un nouveau monument, Astor Piazzolla. Un tour de force où l’on n’entend pas de bandonéon ni même de tango. Et pourtant, la sensualité, celle de magnifiques textures sonores, est là. Plus 

    Anne Paceo : Yôkaï

    front.jpgLa batteuse élargit son trio, faisant appel à la solidité de Stéphane Kerecki et à la jeunesse d’Antonin-Tri Hoang. Un disque qui fait affleurer une enfance africaine très chantante. Plus 


    Pierrick Pédron : Kubic’s Monk

    cover.jpgOn l’attendait plutôt avec un troisième volet de ses aventures électriques, mais voilà le saxophoniste qui déboule dans un hommage urgent et parfaitement maîtrisé à Thelonius Monk, enregistré en quelques heures. Le jazz comme il n’a jamais cessé d’être et le sera pour longtemps encore. Plus 

    Jean-Charles Richard : Traces

    cover.jpgLe saxophoniste éclate aux côtés de Christophe Marguet (Pulsion), d’Antoine Hervé (PMT QuarKtet), mais aussi en trio pour un disque dont le titre aurait tout aussi bien pu être Empreintes tant il éclabousse de sa fougue une musique en climats aussi variés qu’intenses. Plus 

    Sylvain Rifflet : Alphabet

    pochette_v2.jpgDeux disques coup sur coup au début de l’année : d’abord de passionnants Beaux-Arts, puis cet Alphabet aux sonorités singulières, hors de toutes influences. Une création à l’état pur.  Plus 

    Rusconi : Revolution

    rusconi-revolution.jpgUn trio Helvète adepte de Sonic Youth, plutôt inclassable et éclectique, qui joue la carte d’un minimalisme mélodique très attachant. Au cœur de l’album, une longue composition, “Alice In The Sky”, avec le grand Fred Frith dans le rôle de l’invité. Plus

    Jacques Schwarz-Bart : The Art Of Dreaming

    cover.jpgQuand le rêve d’un homme devient la réalité d’un artiste. Avec ce disque, le saxophoniste parvient à une forme d’épanouissement qui confine à l’enchantement. On est à la fois heureux pour lui et pour nous tous qui profitons de cette irradiation. Plus 

    Louis Sclavis Atlas Trio : Sources

    sources.jpgLe clarinettiste n’en finira donc jamais de nous surprendre. Chaque disque est pour lui une nouvelle quête, et pour nous une formidable invitation au voyage, cette fois en trio. Du grand art. Plus 

    Claude Tchamitchian : Ways Out

    cover.jpgLe contrebassiste s’électrifie pour un album fascinant en quartet, avec Régis Huby (violon), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Un univers se modèle devant nous, quelque part entre jazz et musiques progressives. Les cordes s’entrelacent, la batterie chante. Plus 

    Bruno Tocanne : In A Suggestive Way

    inasuggestiveway.jpgPlus coloriste que jamais, attentif à ses compagnons comme toujours, le batteur rend un hommage sensible à son « héros » Paul Motian. On est là au cœur du processus de création, c’est l’essence du jazz. Plus 

    Bojan Z : Soul Shelter