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Vagues de rentrée

Brazier_Septieme_Vague.jpgOn pourra dire tout ce qu’on veut, mais si le mois de septembre ne marque pas la fin de l’été, il est pour beaucoup d’entre nous – ceux qui encore la chance d’avoir du travail – un symbole de rentrée. C’est aussi le mois de l’automne (les spécialistes vous expliqueront même que le début du mois de septembre correspond à celui de l’automne météorologique) et de ses couleurs incomparables dans la lumière de jours plus courts. Fin d’un cycle, début d’un autre, mouvement perpétuel de la vie, temps qui passe... Voilà pour la carte postale... La lutte est inégale mais il me plaît de penser que la musique constitue l’une des armes qu’on peut toujours brandir au moment opportun, comme celui des heures mélancoliques face à la détresse du monde et à ses horreurs répétées.

Prenez par exemple SepTièME VaGue , le nouveau disque du contrebassiste Christian Brazier : plongez sans modération dans ses eaux translucides, laissez-vous porter par son vent de liberté et constatez-en les bienfaits immédiats. Voilà un cadeau idéal pour une rentrée réussie.

Christian Brazier, donc. Bientôt près de 30 ans que ce musicien originaire du sud de la France fait sonner sa contrebasse dans l’univers du jazz et des musiques improvisées. Membre du Akosh S Unit pendant cinq ans au début des années 2000, il s’est fait connaître en Europe, en Russie ou au Japon. Nous en étions restés à un hommage rendu au navigateur écrivain Bernard Moitessier avec son sixième disque intitulé Circumnavigation, publié en 2010. Avec une formation légèrement remaniée (l’Australien Dylan Kent remplaçant Jean-Luc Di Fraya à la batterie), et dont ce nouveau disque est le prolongement, Brazier poursuit un chemin parsemé de mélodies qui – c’est lui qui le confie – habitent des chansons plutôt que des thèmes, mot usuellement employé quand il est question de jazz. Et c’est bien ce qui frappe à l’écoute des dix compositions originales qui forment cette si séduisante SepTièME VaGue : la musique de Christian Brazier chante, elle respire et nous appelle, rayonnante, servie avec une grande justesse par une interprétation à la fois lyrique, puissante et souple.

Car au-delà de la paire rythmique formée par Brazier et Dylan Kent, qui séduit par la musicalité et la souplesse de son jeu, au-delà donc de ce muscle cardiaque jamais à court de souffle, il faut bien admettre que les couleurs hissées par Perrine Mansuy (piano) et Christophe Leloil (trompette) sont de toute beauté. Christian Brazier le confie lui-même : il a imaginé ce répertoire et composé cette musique en ayant en tête les différentes personnalités qui allaient la servir. Alors, de la à dire que ces derniers sont comme des poissons dans l’eau au cœur de cette septième vague (septième comme le nombre de disques enregistrés par Brazier, certes, mais aussi parce que les scientifiques expliquent que la septième est la plus forte dans le cycle des vagues), il n’y a qu’un coup de nageoire que je m’empresserai de donner avec un plaisir non dissimulé. Fidèle à ce qu’on sait déjà d’elle, Perrine Mansuy allie rigueur, concision (elle ne joue jamais trois notes ou accords si deux suffisent) et un sens aigu de la narration, imposant quand il le faut des respirations qui ne font que souligner les qualités d’un doigté d’une grande densité et qui, à tout instant, semble raconter une histoire (écoutez le lyrisme de son introduction très jarrettienne sur « D’août », c’est le frisson assuré). Son actualité mettra prochainement en évidence un talent qu’il me plaît de souligner, aussi bien à avec la parution de son prochain album (Rainbow Shell, annoncé chez Laborie au mois d’octobre) que par sa participation au projet Over The Hills dont les initiateurs ont pour nom Bruno Tocanne et Bernard Santacruz et qui, lui, verra le jour au mois de décembre chez iMuzzic. Christophe Leloil, quant à lui, est rayonnant et volubile. Nul besoin d’être un expert pour comprendre l'étendue de ses qualités : un son ample et rond, une fluidité et une énergie qui entrent en résonnance avec ce milieu aquatique, mais aussi une fougue communicative, comme lorsqu’il entame le percutant « Sur les sentiers de la gloire ». Il y a chez le trompettiste l'expression d'une saine gourmandise quand il libère des notes en cascades comme s'il s'agissait de mieux nourrir le flux et le reflux de toutes ces vagues.

Christian Brazier a constitué une équipe (un équipage, devrait-on dire) qui agit comme le révélateur de ses compositions. On peut tout aussi bien se laisser tranquillement dériver sur « Le Lac Majeur » que surfer sur une « Septième vague » aux rebondissements multiples. Mais aucun risque de noyade car le capitaine veille au grain et de belle manière.

Vous l’avez compris – et là je m’adresse aussi à celles et ceux qui continuent de penser à tort, véhiculant par distraction un cliché éculé, que le jazz est avant tout affaire de verbiage et de chorus bavards – SepTièME VaGue est un album d’une grande justesse, témoignage d’un parcours sans faute et pensé pour les musiciens qui se sont impliqués dans sa réalisation, sans oublier le rôle prépondérant de Gérard de Haro au Studio « La Buissonne », dont le travail sur le son est essentiel. Évidence des mélodies, solidarité d’un quartet solaire, mobilisation des énergies sont au service d’un propos dont la densité le dispute au lyrisme. Le disque sortira à la fin du mois de septembre sur le label ACM Jazz : ne manquez pas cette occasion de vous offrir un bain de jazz comme on l’aime tant.

Christian Brazier Quartet
SepTièME VaGue
Christophe LELOIL (trompette), Perrine MANSUY (piano), Christian BRAZIER (contrebasse, compositions), Dylan KENT (batterie).
ACM Jazz Label – ACM 63

Perez_Zapata_Phasme.jpgJ’en profite pour vous signaler qu’on retrouve le même Christian Brazier en bonne place sur Phasme, un disque enregistré par le trio du pianiste René Perez Zapata, également publié sur le label ACM Jazz. Encore faudrait-il parler DES trios puisque cet album est en réalité composé de deux parties distinctes, enregistrées live, mais à dix ans d'écart. La première, avec Rudy Piccinelli (batterie) et Guillaume Lys (contrebasse) remonte à 2003 ; la seconde date de 2013 et, outre Perez Zapata et Brazier, bénéficie du concours de Fabien Leroy (batterie). René Perez Zapata – tous cheveux et longue barbe dehors et dont les premières influences sont à chercher du côté du rock progressif et du jazz rock – fait avec une grande conviction la démonstration d’un jazz à la fois marqué par la variété de ses couleurs et la justesse de son discours, jamais bavard (j’ai l’air de me répéter en disant cela, mais c’est exprès) et néanmoins passionné. Encore un exemple de force tranquille. Il s’en dégage un sentiment paradoxal de puissance et de légèreté, où la quête de la mélodie est constamment présente et l'énergie déployée salutaire. Peut-être est-ce là le sens à donner au titre du disque : tout comme les phasmes, insectes capables d’imiter la texture des feuilles pour mieux se rendre invisibles, le chant de ces deux trios se révèle au fur et à mesure des écoutes, quand on prend soin de s’en approcher doucement. Phasme est le témoignage d’une musique vivante, où la surprise guette à chaque instant. Une belle découverte.

René Perez Zapata Trio
Phasme
René PEREZ ZAPATA (piano, syntéhtiseur), Rudy PICCINELLI (batterie), Guillaume LYS (contrebasse), Fabien LEROY (batterie), Christian BRAZIER (contrebasse). 
ACM Jazz Label – ACM 62

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