Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

eMotian

jean-marc padovani, paul motian, Une source sûre m’a fait comprendre que le regretté Paul Motian n’était pas un grand fan des jeux de mots sur son nom. J’espère qu’il me pardonnera, là où il repose, le titre de cette note qui m’est inspirée par un disque en hommage à sa musique, rendu avec une délicatesse toute... motianesque par le saxophoniste Jean-Marc Padovani, qui vient de publier chez Naïve un Motian in Motion au nom tout aussi coupable de clin d’œil. Un disque motivé, aussi, par le fait que la disparition du batteur s’est produite selon lui « dans une relative indifférence », alors que de nombreux musiciens le considéraient (et le considèrent toujours) comme un musicien incontournable et une source dont ils revendiquent l’héritage et l’inspiration.

Paul Motian : batteur exemplaire, à l’avant-garde du jazz, compagnon de route de Bill Evans comme de Keith Jarrett, mais aussi de Paul Bley ou de Charles Lloyd. Musicien figurant au générique du monumental Escalator Over The Hill de Carla Bley (dont nous reparlerons prochainement puisque cette œuvre vient de faire l’objet d’une relecture très stimulante sous le titre d’Over The Hills), membre du Liberation Music Orchestra, il sera aussi l’une des grandes signatures du catalogue ECM, pour lequel il jouera notamment en trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, tout en poursuivant de nombreuses collaborations en tant que sideman. Ce n’est pas Henri Texier qui me contredira, lui qui l’avait appelé pour un Respect dont le line-up de rêve (Steve Swallow, Bob Brookmeyer, Lee Konitz) avait constitué une parenthèse enchantée durant l’année 1997. Homme de bien des expériences, il avait créé l’Electric Bebop Band (qui incluait deux guitares et deux saxophones). L’univers de Paul Motian était aussi celui des voyages et son inclination pour les musiques traditionnelles en était comme la traduction. Il était, redisons-le, un mélodiste de la batterie dont le toucher très délicat (et notamment le jeu de balais) était la marque de la fabrique. Une manière non conventionnelle d’appréhender l’instrument qu’on a tendance à identifier un peu trop vite comme le gardien du tempo. Mais chez Paul Motian, la batterie était la source d’un chant qu’il saura célébrer dans toutes les formations au sein desquelles il s’était impliqué. Il mourra en novembre 2011 à l’âge de 80 ans, des suites d’une maladie osseuse. Paul Motian était batteur, mais aussi compositeur et ce sont ces deux dimensions qu’a voulu mettre en lumière Jean-Marc Padovani.

Mais avant d’évoquer Motian in Motion, j’ai souhaité en savoir un peu plus sur les raisons de cette admiration très partagée et bien vite, j’ai pensé à deux musiciens qui n’ont jamais caché celle qu’ils vouent l’un comme l’autre à Paul Motian. Bruno Tocanne, tout d’abord, batteur dont on sait que la suggestion est chez lui comme incluse dans son approche de la musique et qui, il y a quelque temps, lui avait dédié un magnifique In A Suggestive Way. Samuel Blaser ensuite : le jeune tromboniste suisse est un des derniers à avoir joué aux côtés de Motian, puisqu’il avait fait appel à lui pour son quartet Consort In Motion, notamment lors de l’enregistrement d’un disque homonyme consacré aux musiques de la Renaissance et tout particulièrement celle de Monteverdi, publié peu de temps avant la mort du batteur. Ma question à ces deux musiciens était simple : qu’est-ce qui vous touche tant chez Paul Motian ? Voici leurs réponses (qu’ils soient l’un comme l’autre remerciés de m’avoir consacré un peu de temps)...

Celle de Bruno Tocanne pour commencer : « Paul Motian est pour moi une sorte de maître de l'art de la suggestion, au même titre qu'un peintre ou un calligraphe, de par sa capacité à suggérer (la mélodie, le rythme, le tempo, les émotions...) plutôt que d'affirmer de façon péremptoire. Son côté coloriste, sa liberté de ton, son sens du jeu collectif, ne mettant jamais en avant une technicité démonstrative, ne pouvaient que fasciner le jeune musicien que j'étais au moment où j'ai entendu ses enregistrements chez ECM, avant de découvrir tous ses disques précédents, notamment ceux en trio avec Bill Evans. Ça a été un déclic pour moi qui avait une vision plus poétique que mathématique, plus sensuelle que "viriliste", de la musique. Son travail m'a ouvert le champ des possibles vers l'exploration de voies plus proches du silence, de l'espace, du son et de l'émotion que de la performance. » 

Puis celle de Samuel Blaser : « C'était vraiment fantastique d'avoir eu l'opportunité de jouer avec Paul Motian. Quel magicien et quel poète ! Sa sonorité perlée se mélangeait tellement bien avec le son moelleux du trombone. Il soulignait mes propos avec élégance, toujours en finesse. Je pouvais m'exprimer sans retenue. Nous planifions d'ailleurs de multiplier nos collaborations. Malheureusement, il s'en est allé plus vite que prévu. Je me souviendrai aussi toujours du dernier coup de fil ; nous discutions des possibilités de jouer ensemble au Jazz Standard à New York. Ca restera un rêve mais je peux continuer de garder le souvenir de cette magnifique session d'enregistrement pour le premier album de Consort in Motion, suivi d'un concert au Cornelia Street Café en 2011. »

Suggestion, liberté, élégance, espace, émotion, magie, poésie... On peut résumer en quelques mots ces propos qui apportent un éclairage précieux sur l’univers si particulier de Paul Motian. Ce dernier fait donc une fois encore l’objet d’une évocation, à l’instigation de celui qui, lui aussi, avait eu l’occasion de travailler avec le batteur.

En 1997, Padovani avait en effet invité Paul Motian à rejoindre le trio qu’il formait à l’époque avec Jean-François Jenny Clarke (contrebasse) et Jean-Marie Machado (piano). Une association qui allait aboutir à une tournée ainsi qu’à un disque, Takiya ! Tokaya !, paru sur le label Hopi. L’occasion, aussi, de retrouvailles entre le batteur et le contrebassiste qui avaient enregistré quelques années auparavant sur ECM un disque intitulé Le Voyage.

Jean-Marc Padovani, un autre fin connaisseur de l’univers de Paul Motian, donc. Et qui décide de célébrer sa musique à travers l’interprétation de neuf de ses compositions. Il s’entoure pour mener l’affaire à bien  d’une poignée de musiciens très impliqués, chacun à leur manière, dans un processus créatif éprouvé qui place en son centre l’idée conjuguée de la mélodie, du voyage, de la liberté et de la recherche d’espaces nouveaux. Didier Malherbe, dont le doudouk illumine Hadouk Trio (ou Quartet) depuis de longues années et qui vient ici faire écho aux origines arméniennes de Paul Motian. Claude Tchamitchian, contrebassiste dont la relative discrétion ne fera jamais passer au second plan la brillance d’un jeu où le chant danse avec la pulsation, un très grand monsieur assurément, un autre voyageur. Ramon Lopez, lui aussi farouche partisan de l’approche mélodiste de la batterie, aussi à l’aise dans la célébration des traditions que dans une approche plus contemporaine. Paul Brousseau, enfin, actuel membre de l’ONJ, dont les claviers en ébullition semblent toujours en quête d’une idée nouvelle.

Motian in Motian est un disque tout en nuances subtiles et c’est là probablement l’une des plus belles façons de rendre hommage au batteur coloriste, au musicien de la suggestion qu’était Paul Motian. Tout au long du disque, dont la dominante est souvent de nature contemplative (« Arabesque », « Birdsong ») et confine à la réflexivité Coltranienne (« The Sunflower », « Endgame »), l’association des instruments a des allures d’arc-en-ciel. Comme si le quintet était en état d’éblouissement, les yeux levés avec tendresse vers un ciel d’où, peut-être, le batteur les contemple. Ici, le doudouk et le saxophone ténor s’enlacent tendrement (« Arabesque »), là le même saxophone danse joyeusement à l’unisson du Fender Rhodes (« Look To The Black Wall ») ; il faut savourer le caractère presque naturaliste de « Birdsong » avec sa batterie chuchotée et son piano qui pépie ; sommet du disque, « It Is » ouvre sur des paysages aux nuances caribéennes avant de se parer de teintes plus orientales introduites par un magnifique solo de contrebasse rythmé par le souffle de Claude Tchamitchian. Tout au long des neuf histoires revisitées, Jean-Marc Padovani manifeste une présence bienveillante, probablement guidé en cela par l’esprit qui animait Paul Motian lui-même. Jamais il n’écrase ses compagnons de sa présence de leader, bien au contraire. On devine son émotion, palpable dans des échanges tout en concision et densité avec les quatre autres, comme dans chacune de ses interventions, où la plénitude le dispute au besoin d’exprimer les choses dans une vérité de l’instant, sans effet de manches (ou d’anches). Motion in Motian est pétri de saines vibrations, qui doivent être celles d’une âme humaine pour un temps délivrée des contingences du quotidien. Une célébration, humble et amoureuse.

Vous souhaitez pour un temps vous affranchir d’une réalité trop brutale ? Partir pour un voyage vers un peu de lumière ? Être en musique, tout simplement ? Alors ce mouvement perpétuel inspiré par Paul Motian, ce Motian in Motion, est là pour vous. Il vous attend, tranquillement, à vous de faire un pas vers lui...

Jean-Marc Padovani Quintet
Motian in Motion
Jean-Marc Padovani (saxophones ténor et soprano), Didier Malherbe (doudouk), Paul Brousseau (piano, claviers), Claude Tchamitchian (contrebasse), Ramon Lopez (batterie, tablas).
Naïve

Les commentaires sont fermés.