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  • This is Ground Countrol to Major Zeuhl

    magmaÀ l’initiative de leur bienveillant admirateur Christophe Chassol, les musiciens de Magma étaient les invités d’Arte Concert, le temps d’une interprétation condensée de l’œuvre emblématique du groupe, « Mëkanïk Destruktïw Kommandöh ». C'était le 22 juin dernier. Un rendez-vous très attendu dans la mesure où la bande à Christian Vander avait connu un important remaniement à l’automne 2019 et ne s’était produite dans son nouveau line up qu’à l’occasion de quelques concerts, juste avant que la pandémie de Covid-19 ne mettre tout ce petit monde à l’arrêt. C’est vrai qu’on était curieux de savoir où en était le batteur, lui qui depuis ce changement ne cachait pas son plaisir en constatant que l’enfant kobaïen pouvait aussi swinguer.

    Je passe ici très rapidement sur les commentaires qu’on a déjà pu lire sur les réseaux sociaux, partagés entre propos admiratifs et critiques émanant de la part de ceux qui, fidèles à leurs habitudes de commentateurs, savent mieux que le groupe lui-même ce qu’il aurait convenu de jouer, et de quelle manière. La nostalgie n’est pas toujours bonne conseillère et même si la prestation de Magma n’était pas exempte de quelques imperfections – n’oublions pas cette très longue pause contrainte, il me semble indispensable de rappeler deux ou trois choses. Libre à vous de n’être point d’accord d’ailleurs.

    Magma a composé l’essentiel de son œuvre dans la première moitié des années 70, soit deux trilogies publiées dans un ordre sui generis et une composition qu’on peut considérer comme un grand final, « Zëss », dont l’ultime version a requis le concours d’un orchestre symphonique. On pourrait en ajouter quelques-unes, de moindre ampleur, mais il n’est pas anormal de penser que tout est là et que dans les années à venir, le groupe s’appuiera avant tout sur son grand répertoire lorsqu’il se produira en public. On peut rêver de cette « nouvelle musique » souvent évoquée par Christian Vander, mais les essentiels présentent un caractère inépuisable et sont la matière première dans laquelle chacun des musiciens plongera pour faire vivre au plus intense chacune des notes. À cet égard, le choix de « MDK » dans l’émission d’Arte semble assez logique dans la mesure où on peut considérer cette composition comme l’hymne de Magma. Il fallait bien choisir, de toutes façons.

    Venons-en à l’interprétation maintenant, critiquée par certains. Trop ceci, pas assez cela, y avait qu’à, il aurait fallu… Christian Vander a 73 ans, et même s’il paraît en bonne forme, faisons preuve de réalisme, jamais plus il ne déploiera un jeu apocalyptique comme il le fit aux grandes heures de Magma. Conscient de ses forces et de ses limites (physiques comme vocales), il fait le choix d’une interprétation beaucoup plus souple et surtout beaucoup plus aérienne, en phase avec sa condition, mais en conservant le même engagement. Jamais on ne pourra le suspecter de tricherie, car Christian Vander vit EN musique. Côté technique, pas d’inquiétude, on sait qu’il est et reste l’un des batteurs les plus impressionnants encore en activité, et ça ne date pas d’hier. Tout au plus cette évolution liée à l’âge confère-t-elle à son jeu une dimension moins surhumaine, mais toujours aussi exigeante et précise.

    Dans ces conditions, il est inutile de regretter le jeu tellurique de Philippe Bussonnet (qui aura été de l’aventure durant près de 25 ans et demeurera un des musiciens essentiels de la planète Kobaïa) à la basse pour mieux déplorer celui de Jimmy Top (fils de Jannick, bien sûr, autre compagnon de route majeur dans l’histoire du groupe). La souplesse de ce dernier, le caractère félin de son attaque des cordes sont sans doute les garants d’une association telle que Vander la désire lui-même. Redisons-le une fois, encore : Magma peut swinguer ! Et s’il s’agit de s’abreuver encore et encore à la surpuissance du Magma d’autrefois pour entrer en vibration, eh bien foin des lamentations nostalgiques et donneuses de leçons, tournons-nous vers la discographie live qui est abondante et documente parfaitement le caractère exceptionnel de ce long chemin : Magma Live (1975), les soirées Retrospëktïw à l'Olympia (1980), la trilogie Theusz Hamtaak pour la première fois réunie au Trianon (2000), les concerts Mythes et Légendes au Triton retraçant toute l’histoire (2005), la trilogie Ëmëhntëhtt-Ré jouée dans son intégralité au Triton (2014). De quoi se plaint-on ?

    Pour finir, j’aimerais rappeler que Magma laisse peu de place à l’improvisation. Le seul temps accordé à un chorus dans la version donnée pour Arte est celui d’une courte intervention de Christian Vander lui-même vocalisant sur le thème de « Spiritual », de son si cher John Coltrane, dont il mime d’ailleurs le saxophone soprano en chantant. Pour le reste, tout est affaire de précision et de mise en place rigoureuse qui permettront d’embarquer musiciens et public dans une sorte de transe joyeuse. On apprécie alors d’autant plus la nouvelle architecture des chœurs – toujours une performance ! – qui contribuent eux-aussi à instaurer ce climat aérien dont il était question un peu plus haut. Avec ses six voix (auxquelles on peut ajouter celle de Thierry Eliez qui prend une part significative au chant), Magma nous rappelle ce que Vander a toujours dit, à savoir que sa musique était au départ conçue pour être chantée autour d’un piano.

    À la fin de ce bref concert, on voit les musiciens s’embrasser, se serrer les uns contre les autres. Un vrai moment d’émotion, qu’on n’aurait peut-être pas imaginé il y a 40 ou 50 ans, à l’époque où un concert de Magma s’apparentait souvent à une cérémonie un peu menaçante. La roue a tourné, il n’y a pas lieu de le regretter. À chaque époque son climat. Celui du Magma 2021 semble plus apaisé : il ne contredit en rien les précédents, il offre tout simplement une autre direction.

    Il est tellement simple de s’en réjouir !

    Titres : Mëkanïk Destruktïw Kommandöh.

    Musiciens : Christian Vander (batterie, chant), Jimmy Top (basse), Rudy Blas (guitare), Simon Goubert (Fender Rhodes), Thierry Eliez (claviers, chant), Stella Vander (chant), Hervé Aknin (chant), Isabelle Feuillebois (chant), Laura Guaratto (chant), Sandrine Destefanis (chant), Sylvie Fisichella (chant).

  • Daniel Humair, Vincent Lê Quang, Stéphane Kerecki : « Modern Art »

    daniel humair, vincent le quang, stephane kerecki, modern art, jazz, peintureJ’ai abandonné depuis longtemps l’idée de palmarès, considérant l’exercice assez vain. Sélectionner une poignée de disques parmi les dizaines reçues dans l’année, non merci, c’est souvent trop injuste pour beaucoup et un poil narcissique. Néanmoins, l’évidence peut parfois vous persuader qu’un disque en particulier, celui que vous tenez entre les mains et dont vous venez de faire la découverte, occupera une place de choix dans votre petit Panthéon. C’est le cas, sans le moindre doute, pour Modern Art, une réussite flagrante signée par un trio de « polyartistes », sur le label Incises. Daniel Humair, le plus pictural des Helvètes batteurs, celui dont la gestuelle est un spectacle à elle-seule et qui constitue un sérieux indice de sa passion pour le pinceau ; Vincent Lê Quang, saxophoniste multiple – jazz, musique contemporaine ou classique – adoubé par Riccardo Del Fra, Aldo Romano ou Henri Texier ; Stéphane Kerecki, un « architecte du son » dont la contrebasse hyper-mélodique chante et surfe sur la Nouvelle Vague, pour reprendre le titre d’un de ses plus beaux disques, Victoire du meilleur album jazz 2015 (oui, je sais, je ne devrais pas faire référence à un palmarès, mais j’assume mes contradictions), en attendant sa French Touch. Trois grands messieurs – nul besoin de rappeler leurs qualités respectives, même s'il est bon de noter que Modern Art les met plus que jamais en évidence – unis dans l’élaboration d’une forme musicale pétrie d’exigence, de liberté et d’invention. Peut-être est-ce là, après tout, une façon de définir le jazz.

    J’ai emprunté à Daniel Humair le terme de « polyartistes » à dessein (qui pourrait s’écrire dessin pour l’occasion) parce que ce dernier est à l’origine d’un projet visant, non pas à rendre hommage, mais à laisser l’inspiration être guidée par le travail de quelques peintres du XXe siècle. Certains sont des amis ou ont pu eux-mêmes être des praticiens du jazz, quand ils ne sont pas les deux à la fois. D’autres encore ont influencé son propre parcours. Les musiciens du trio sont venus avec leurs compositions ou bien ont écrit leur musique en référence à l’artiste choisi. Il y a du très beau monde dans cette galerie, comme Pierre Alechinsky, Cy Twombly, Yves Klein ou Jackson Pollock. D’autres sont peut-être moins connus des profanes (dont je fais partie), mais tous ont suscité ce travail « de correspondances, de parallèles, de rencontres, d’affinités, de curiosités », qui veut faire la démonstration que peinture et jazz « participent à la création d’une famille artistique » où se rejoignent gestes, improvisation et définition de couleurs. Même si historiquement, comme le rappelle Olivier Cena dans les liner notes de Modern Art, le plus souvent « ce sont les peintres qui se réfèrent au jazz et rarement les musiciens qui se réfèrent à la peinture ».

    Il faut souligner pour commencer la qualité formelle de l’objet auquel le trio a donné naissance : un cartonnage sobre, d’une grande élégance, s’ouvrant en trois volets. Sur l’un d’entre eux est fixé le disque et sur l’autre est encollé un livret de 35 pages où, suivant deux textes introductifs (dont l’un est un recueil de propos de Daniel Humair par Franck Médioni), on peut découvrir la reproduction d’une œuvre de chacun des peintres mis en évidence par Modern Art. Avant même d’avoir écouté une seule note du trio, on sait que l’affaire est très bien engagée. Et tout de suite, la musique vient confirmer cette première impression visuelle. Ce jazz-là vibre, chante, frissonne, virevolte, frémit. Le trio s’élève et se faufile dans tous les interstices d’une conversation amoureuse. Le plaisir est là, palpable. La musique est charnelle, libre et vivante. On se gardera bien de chercher son lien direct avec la peinture ; voyons-y plutôt une communauté d’esprit, un besoin partagé d’élaborer des formes en mouvement, d'attiser la curiosité. De ne jamais considérer que le travail puisse un jour être terminé. Et surtout, s’efforcer de ne pas dire ce qui l’a déjà été. Avancer, chercher, trouver, surprendre. Être. La prise de son, quant à elle, est signée Philippe Teissier du Cros : on ne sera pas étonné de sa précision et de sa netteté. Comme d’habitude chez lui, c’est rien moins qu’un travail d’orfèvre et un précieux révélateur.

    On referme Modern Art comme on le ferait d’un livre d'art (ce qu’il est par ailleurs, vous l’aurez compris), avec le besoin irrépressible de tourner à nouveau ses pages au plus vite. Et d’en savoir plus si nécessaire sur les peintres mis à l’honneur, dans une succession d’allers retours entre peinture et musique. Regarder et écouter  : Alan Davie, Jackson Pollock, Yves Klein, Larry Rivers, Pierre Alechinsky, Cy Twombly, Bram Van Velde, Jean-Pierre Pincemin, Paul Rebeyrolle, Jim Dine, Vladimir Velčković, Bernard Rancillac, Sarn Szafran. Et pour les honorer, trois musiciens en état de grâce.

    Ce trio est assurément une formation d’exception. Je n'ai pas de conseil à vous donner mais vous seriez avisés de confier à son beau projet toute l'attention de vos yeux et vos oreilles.

  • Manassas ou une certaine idée de la perfection

    stephen stills,manassas,rockEn 1972, Stephen Stills n'avait plus rien à prouver. Après l'aventure du Buffalo Springfield de 1966 à 1968 – avec entre autres complices un certain Neil Young – et celle, plus durable, entreprise aux côtés Graham Nash et David Crosby (puis... Neil Young), notre homme était déjà au sommet de son art. Pourtant, c'est peut-être cette année-là qu'il commit, entouré d'un combo de luxe, un album qui reste, par-delà les années, un sommet dans l'histoire du rock américain.

    Comment définir ce disque – à l'origine un double 33 tours aujourd'hui réédité sous la forme d'un CD – autrement qu'en multipliant les superlatifs ?

    Virtuose. Indémodable. Habité. Chaleureux. Flamboyant.

    Pas besoin d'en ajouter... nous sommes immergés au cœur de 72 minutes inspirées dont jamais la tension ne retombe. Avec Manassas, Stephen Stills nous convie à un voyage décomposé en quatre étapes (à l'origine, une par face du double album) : The Raven, The Wilderness, Consider et Rock & Roll Is Here To Stay. Un périple au cours duquel le guitariste a su inventer un cocktail alliant blues, rock, folk et country rock, sans que jamais l'impression d'harmonie de l'ensemble ne soit rompue.

    Les titres s'enchaînent en toute fluidité, souvent sans pause, enluminés par une chorale de guitares et de voix qui semble survoler une rythmique habitée de foisonnement. Les musiciens du projet Manassas, outre Stephen Stills lui-même, ont pour nom Chris Hillman (ex-Byrds), Al Perkins, Dallas Taylor, Paul Harris, Fuzzy Samuels, et Joe Lala. Viennent s'ajouter çà et là quelques invités, dont un certain Bill Wyman à la basse : tous sont au service d'une musique qui n'a pas pris une ride, tout simplement parce qu'elle refusait d'emblée la moindre concession aux modes de son époque. Certains musiciens disent qu'ils ne composent pas la musique qu'ils jouent, mais qu'ils n'en sont que les récepteurs et les vecteurs. Si tel fut le cas pour Stephen Stills en cette année 1972, alors il aura eu ce talent rare d'être un medium. On ne le remerciera jamais assez pour un tel cadeau !

    Dédié à Jimi Hendrix, Al Wilson et Duane Allman, Manassas continue de livrer ses secrets près de 35 ans après sa sortie et ne cesse d'enchanter. J'ai beau chercher... pas moyen de lui trouver un défaut :  il ne faudra pas voir dans cette admiration une quelconque nostalgie du paradis perdu des années adolescentes. Déjà, au moment de sa sortie, ce disque me semblait magique ; je serais bien incapable de compter le nombre de fois où, plus tard, au volant de ma voiture, j'ai pu l'écouter au petit matin, savourant avec gourmandise les bienfaits de cette médecine sonore. Il y avait une concordance entre mon esprit disponible et la sérénité d'une musique à la fois humble et riche.

    A bien réfléchir, on se rend compte aussi que cette expérience fut sans lendemain. En 1973, le groupe repartait en studio pour ajouter un épisode à son histoire. Allez savoir pourquoi, ce nouveau disque appelé Down the road fut ressenti comme une déception. L'équipe était pourtant là, au complet, mais quelque chose semblait s'être cassé entre temps : non que le disque pût être qualifié de « mauvais », mais plutôt parce qu'encore pris dans la tenaille de son prédécesseur, chacun d'entre nous était comme surpris par une réalisation qui n'était pas à la hauteur de ses espérances. Quel que soit le talent de l'artiste, celui-ci ne peut prétendre tutoyer les sommets en permanence. Nous avions tellement reçu qu'il eut été ingrat de nourrir du ressentiment à l'égard de Stephen Stills. Manassas était à nos côtés, sa présence rassurante suffisait et c'était un effort minime que de le déposer sur la platine au gré de nos envies. Ce qu'à titre personnel il m'arrive de faire bien souvent, quarante-cinq ans plus tard...

    Allez, juste pour le plaisir, un petit extrait de «Anyway»... choisi au hasard car j'aurais pu vous proposer n'importe laquelle des vingt-et-une compositions de ce disque !

    Pour en savoir plus : www.stephenstills.com

    NB : cette note est une révision du texte publié le 15 avril 2006.

  • Un soupir dans la nuit

    J’ai fait la connaissance de Renaldo Greco il y a un petit bout de temps maintenant. Au début des années 2000, je crois. Ce jeune flûtiste gravitait autour des mêmes orbites musicales, plutôt jazz, que mon fils. Mais ce dernier était de son côté un adepte des anches… Ces histoires se tramaient du côté du Conservatoire de Nancy.

    Je me souviens d’un personnage discret, plutôt réservé. Pour un peu, j’aurais pensé qu’il était quelqu’un de fragile. Je crois que je vais devoir réviser mon opinion. Parce qu’il faut bien dire que la sortie de son premier EP intitulé A Whisper In The Night aura été pour moi la source d’une certaine curiosité. Voilà donc que ce musicien de la retenue prend le risque de s’exposer au grand jour, au point qu'on est tenté de saluer son audace. C’est vrai qu’il faut un certain courage pour se présenter tel qu’on est et partager avec le plus grand nombre ses vibrations. Et peut-être, aussi accepter de dévoiler un peu de son jardin secret. Surtout que notre homme a choisi de s’affranchir des catégories pour apparaître en chanteur instrumentiste, là où on ne l’attendait pas forcément. La flûte est toujours là, mais elle n’est pas venue seule, guitares et claviers sont à la fête tout au long de 17 minutes aux allures de pop songs. J’emploie ce terme passe partout à dessein, parce qu'il me semble correspondre assez bien au format des quatre titres proposés dont l’esthétique anglo-saxonne est revendiquée. Le jazz et ses libertés incertaines est passé par-dessus bord, au profit d’une production soignée dont la géographie musicale rassemblerait des paysages aussi diversifiés que ceux de Radiohead (auquel on pense à plusieurs reprises, notamment sur « I Feel Awake », nous rappelant par la même occasion que Renaldo Greco avait eu l’occasion de rendre hommage au groupe dans le cadre d’un projet avec les élèves du Conservatoire de Montbéliard en 2014), de Roger Waters ou, plus près de nous et de façon indirecte, de Christophe pour l’instauration de climats oniriques. On subodore aussi chez lui une admiration pour David Bowie.

    Au-delà de sa posture volontiers dandy, il y a chez Renaldo Greco une réelle maîtrise du propos et un engagement sincère dans chacune de ses chansons. Voilà un musicien dont les compositions parlent d’emblée par leurs titres et le sens qu’on devine : l’homme est en prise avec les réalités du monde (« Black Birthday »), capable de s’émerveiller (« City Of Joy »), de s’éveiller (« I Feel Awake ») ou d’espérer (« I Could Imagine »). J’espère qu’il ne m’en voudra pas de dire ainsi les choses, mais je vois dans son travail, porté par un élan artistique et de la générosité, le façonnage d’un artisan amoureux du son. A Whipser In The Night a fait l’objet de beaucoup d’attentions de la part d’un musicien sensible et des amis qui l’entourent : Mathieu Ambroziak (guitare), Olivier Duranton (claviers), Benjamin Cahen (basse) et Simon Poncet (batterie).

    Ce soupir dans la nuit est assez singulier, plutôt inattendu pour ce qui me concerne. Mais attachant et prometteur, telle cette « City Of Joy » qu’on a vite en tête et dont la petite musique s’avère persistante. Une brève conversation hier soir avec Renaldo Greco m’a en outre fait comprendre que notre homme avait d’autres projets en gestation. On le suivra volontiers dans ses prochaines histoires.

  • Clotilde & Alexandre

    C’est l’histoire d’un duo découvert, non par hasard, mais plutôt par surprise, à la faveur d’un envoi émanant d’un attaché de presse avisé. Il y a un an en effet, j’ai fait la connaissance de Madeleine & Salomon, derrière lesquels se cachent à peine Clotilde la chanteuse flûtiste et Alexandre le pianiste. Tous deux venaient de donner naissance à A Woman’s Journey, disque charismatique à travers lequel ils voulaient célébrer des femmes engagées, soit autant d’êtres humains en lutte contre la violence et les discriminations qui font notre monde dit moderne. Ce fut un choc pour moi. Tout de suite. Je savais que je venais d’entrer en connexion avec des musiciens de chevet, ceux qu’on va garder près de soi pour longtemps parce qu’ils parlent au plus près de vos émotions et savent vous élever avec eux. Très vite, j’ai écrit Un grand voyage, une chronique sur ce même blog, comme poussé par une nécessité et le besoin impérieux de leur dire sans détour : « Je vous aime », vraiment, du fond du cœur. Leur disque ne m’a pas quitté depuis, il est de ceux qui sont aussi devenus des permanents de mon smartphone, ceux que je peux dégainer à tout moment lors de mes errances piétonnes.

    Cerise sur le gâteau, Alexandre Saada s’est illustré quelques mois plus tard avec un étonnant We Free, un disque happening né d’une idée ambitieuse : rassembler dans un studio d’enregistrement une trentaine de musiciens pour inventer une musique spontanée, sans instruction particulière autre que celle consistant à laisser s’exprimer leurs imaginations et conjuguer leurs énergies. Encore un coup de maître, salué cette fois par une chronique dans Citizen Jazz.

    On comprendra donc qu’en apprenant que mon ami Patrice Winzenrieth, directeur du Marly Jazz Festival, avait programmé le duo pour son édition 2017, un long et délicieux frisson m’a parcouru, moi qui suis à chaque fois au bord des larmes à l’écoute de « Swallow Song », cette lumineuse reprise de la chanson signée Richard et Mimi Farina. Le rendez-vous était fixé au samedi 19 mai, dans ce Nouvel Espace Culturel plus connu sous l’acronyme de NEC. Et pour ce qui me concerne, le plaisir de rencontrer ces deux artistes et d’incarner enfin cette rencontre si troublante.

    Nous sommes à quelques kilomètres de Metz. Patrice fait bien les choses. Son accueil des musiciens est un modèle du genre. De surcroît, il endosse chaque soir le costume du maître de cérémonie, pratique l’art de la tombola avec une maestria que beaucoup lui envient, même en l’absence d’une urne. C’est un amoureux des musiques et des musiciens, on le sent, on le sait, il n’a pas besoin de le dire. Ce n’est pas si courant, quand on y songe. Autant dire que Clotilde Rullaud et Alexandre Saada ont pu bénéficier de sa gentillesse et de ses attentions. Ils sont entrés sur scène, certes émus face au public qui les attendait avec bienveillance, mais prêts à écrire une magnifique page de musique vivante, dans les meilleures conditions. Surtout que la salle est belle et le son d'excellente qualité.

    À droite de la scène, un écran sur lequel défileront des images en noir et blanc ; on pourra y voir des extraits de films ou une manifestation, soit un écho visuel et parallèle durant tout le concert. Clotilde Rullaud, avec beaucoup de délicatesse, annonce qu’elle parlera peu pendant les quarante-cinq minutes à venir, pour ne pas rompre le fil de l'émotion qui ne va pas manquer de s’installer et gagner les spectateurs, dont un certain nombre auront vite les yeux rougis. Alexandre Saada est installé à gauche et officie au piano ou au Fender Rhodes. Il ne faudra pas plus de quelques secondes au duo pour réussir son tour de magie. Parce que son chant est profond, il est une émanation directe de l’âme, magnifiée par la voix de celle dont le registre s’avère particulièrement étendu. Ses intonations les plus graves prennent aux tripes. Parfois, Clotilde Rullaud recourt à des effets, mais sans jamais désincarner son expression. La technique au service de la vibration. Le pianiste, maître de ses notes tout autant que de ses silences, sait utiliser son instrument comme source de percussion (par exemple en collant un morceau de ruban adhésif sur les cordes) et installe une tension qui jamais ne se relâche.

    On retient son souffle, du début à la fin, dans une sorte d’hébétude émerveillée. De temps à autre, le regard se porte sur l’écran, avant de revenir vers les deux architectes de la belle construction qui s'élève devant nous, un acte créatif tout autant théâtral que musical. Le répertoire de A Woman’s Journey est passé en revue, avec beaucoup d’intensité. La scène lui convient parfaitement et des moments très forts sont offerts, telle cette version sépulcrale de « Strange Fruit » ou les envoûtants « Swallow Song » (merci Clotilde pour ton clin d’œil juste avant de le chanter), « Mercedez Benz » ou « Les fleurs ». Au risque de me répéter, je tiens à faire part de l’émotion qui aura gagné bien des spectateurs. Quelques instants après les dernières notes de « A Little Person » joué en rappel, Patrice reconnaîtra avoir eu, comme moi et quelques autres, les larmes au bord des yeux. Nous venions d’assister à quelque chose qui était bien plus qu’un concert : une sorte de cérémonie mémorielle brûlant d’un grand feu intérieur, dont la dimension politique et sociale n’aura échappé à personne. Les femmes dont il est question dans A Woman’s Journey étaient là, et bien là, avec leurs combats dont la plupart restent à mener aujourd’hui encore. Malheureusement.

    Madeleine_Salomon_2.jpg

    Au moment où il m’a été possible de parler un peu avec Clotilde Rullaud et Alexandre Saada, m’est venue l’idée d’un « minimalisme contagieux » comme définition de leur musique. Peu de notes, une présence scénique d’une grande sobriété, une plongée en soi dans un état de fièvre. Madeleine & Salomon sont passés par là, leur temps a défilé très vite, même s’ils sont parvenus à le suspendre, ce qui est la marque des grands. Il faut qu’ils reviennent, ici ou ailleurs, mais vite. Merci à eux qui nous ont fait comprendre et vivre ce qui ressemble fort à un état de grâce.

  • Cinéma m'était conté

    J'ai publié ce texte il y a dix ans, au mois de mars 2007. En le relisant, je me suis dit qu'il n'avait pas trop vieilli. Enfin, si, quand même un peu. Il faudrait changer quelques titres, quelques noms. Il est certain aussi qu'on pourrait ajouter assez facilement d'autres cas d'espèces. A vous de jouer !

    Je me demande si je ne vais pas faire mienne la théorie du complot. Non, non, ne riez pas, c’est vrai. Je n’évoque pas ici les luttes invisibles entre d’obscures forces contre d’autres non moins ténébreuses à des fins de domination du monde ; non ça, je le laisse à tous ceux qui ont bien plus d’imagination que moi et qui y croient vraiment. Je parle du vrai complot : celui qui ME vise, personnellement, et dont j’ai depuis longtemps pu établir la preuve. Laissez-moi vous expliquer...

    Je suis ce que l’on appelle, non pas un cinéphile, mais un gourmand de cinéma. Attention toutefois, pas celui qu’on nous propose de visionner à travers la fenêtre d’un poste de télévision, même à écran plat HD et bidule machin chouette (bizarre comme on a tendance, de nos jours, à nous vendre de petits bijoux technologiques fort coûteux d’ailleurs… De somptueux contenants alors que le contenu est souvent affligeant). Point du tout ! Pour moi, le cinéma ne se comprend qu’en salle et en version originale. Je fuis autant que je peux les complexes (marrante cette dénomination car lorsque je m’approche des supermarchés du cinéma, je suis plutôt frappé par l’extrême simplisme de leur fonctionnement : tu paies, tu bouffes, tu te vautres, tu ne réfléchis pas, accroche-toi aux sièges de ton quarante-neuvième Taxi). J’ai une sainte horreur de tout ce qui s’apparente aux blocks busters américains, ces films pour adolescents attardés qui nous expliquent le monde en deux catégories : les bons et les méchants, et qui se complaisent dans la surexposition d’une violence qu’ils prétendent dénoncer ; je leur préfère de très loin tous les films qui racontent des histoires d’êtres humains, avec des vies qui s’entrecroisent, des observations fines de notre société, des œuvres marquées par un minimum de subtilité et de justesse. Bref, je suis en quête de ces petites vibrations qui me laissent espérer qu’il reste encore ici-bas suffisamment de forces créatrices pour que ce monde continue de travailler un peu, rien qu’un peu, à l’épanouissement de l’espèce humaine (oui, je sais, c’est idiot). Et croyez-moi, malgré le tapage médiatique qui entoure certaines productions (bruit de fond marchand auquel notre beau pays n’échappe pas… voyez donc en ce moment la promotion faite pour cette chose appelée Hell Phone), on trouve vraiment de quoi se nourrir, pour peu qu’on ait la chance d’habiter une ville suffisamment grande. Pour combien de temps ? Ceci est une autre histoire…

    Tiens, je pense également à une manie très franchouillarde de traduire les titres des films… quand les producteurs veulent bien les franciser d’ailleurs, ce que personnellement je ne leur demande pas puisque seule la version originale m’intéresse ! Le plus marrant, c’est un film qui conserve son titre original malgré un doublage la plupart du temps calamiteux. Et le pire, très certainement, c’est le film français qui se pare des atours du film américain pour faire croire que… Tiens, prenez Hell Phone, une fois de plus… moi j’aurais bien aimé un truc idiot du genre Le téléphone infernal… Mais bon, je suis vieux, je ne suis pas le cœur de cible comme disent les pros du marketing. Ridicule… Revenons donc à notre histoire de traduction. En général, c’est pitoyable et je suis plié de rire à l’idée de tout le jus de crâne consommé uniquement pour aboutir à un résultat dont on imagine qu’il va faire accourir le public dans les salles. Vous voulez un exemple, sommet du stupide ? Un film australo-américain vient de sortir en France. Son titre original est Music and Lyrics, ce qui, je ne vous l’apprends pas, signifie Paroles et Musique (ou l'inverse pour être précis mais ici on ne dit pas Musique et Paroles), un titre déjà pris en France par un film d’Élie Chouraqui je crois.  Donc, pas possible, déjà pris, il faut trouver autre chose. Ce film met en scène Hugh Grant dans le rôle d’un musicien, ancienne gloire des années 80 qui se voit offrir une chance de revenir sur le devant de la scène parce qu’une diva l’invite à chanter avec elle sur son prochain album.  D’où le titre français Le come back… On pourra s’interroger sur le bien fondé d’un tel choix, mais après tout, cette expression est depuis longtemps passée dans notre langage courant. Pourquoi pas ? Certes, j’aurais préféré Le retour mais ceci ne me regarde pas… Le problème, il est ailleurs, il est juste au-dessous. Le truc qui est nul, c’est le sous-titre : A la recherche de la nouvelle gloire. Oh la la la la ! Tu parles d’une connotation à la con… Ah ben oui, ça donne vachement envie d’aller le voir le film maintenant… Ou plutôt, je crains fort que grâce à ce bonus d’un haut intérêt culturel ne se rendent en masse pour voir ce film des hordes de pies jacasseuses pré-pubères et d’insupportables goinfreurs de tonneaux de pop corn et de bidons de soda à haute teneur en sucre…

    Ce qui m’amène à mon sujet du jour car, en attendant la venue du désert culturel qui nous guette inexorablement, je continue à fréquenter les salles obscures avec régularité et toujours le même bonheur. Pourtant… pourtant, il faut souvent être armé d’une patience d’ange pour supporter les travers de nos congénères… Voici en quelques lignes une douzaine de portraits de drôles de cinéphages régulièrement côtoyés depuis plusieurs années… Je tiens à préciser ici même que cette liste est non exhaustive et qu’il vous est offert la possibilité de la compléter grâce à vos propres expériences

    Scène 1
    Celui ou celle qui pue ou dont le parfum vous fait littéralement exploser les narines
    . Et croyez-moi, c’est plus fréquent que vous ne le pensez, surtout en fin de semaine. Je ne sais pas pourquoi les cinéphiles odorants ont une tendance insupportable à venir s’installer à proximité du petit recoin bien tranquille dans lequel je me suis installé quelques instants plus tôt. C’est comme la fumée de cigarette. Vous êtes quelque part, dehors, et toc ! Y a un mec qui fume et qui expectore comme un fou furieux. Ben... vous pouvez être sûr que la fumée, c’est direct pour mes naseaux. Ils sont là, trois cents autour de vous et comme par hasard, le nuage les contourne en douceur, totalement indifférent à leur présence parce que c’est vous qu’il a repéré et dont il va faire sa victime. Alors le gars qui pue, c’est pareil : juste à côté de vous ! Et d’une séance à l’autre, vous aurez le choix entre une bonne vieille fragrance de sueur bien acide ou un pull que son propriétaire a méthodiquement roulé dans un gros cendrier plein juste avant de vous rejoindre. Remarquez, c’est comme le parfum… Je pense être très souvent victime de maniaques du vaporisateur qui, sachant qu’ils vont me trouver dans la salle de cinéma, s’aspergent sauvagement avant de venir se poser au plus près de moi. D'où l'idée que mon charme naturel a des limites...

    Scène 2
    La tête qui dépasse
    … Comme je l’ai écrit un peu plus haut, je ne fréquente guère les usines à popcorn – même s’il m’arrive parfois de m’y rendre – ce qui, en d’autres termes, signifie que j’ai plutôt tendance à me vautrer dans des salles obscures appartenant à une autre époque que la nôtre, dite moderne, d’où vous ne devrez pas conclure qu’elles sont sales et poussiéreuses, loin de là, mais que leur agencement est propice à bien des gênes (à ce sujet, durant toute l’histoire de la construction des cinémas, il semblerait que personne n’ait un jour imaginé une disposition des sièges en quinconce…). Et la première d’entre elles, c’est la grosse tête ! Oh qu’elle m’énerve celle-là ! Vous avez repéré un film qui n’intéressera pas grand monde, vous décidez d’aller le voir un dimanche soir, vers 19 heures, au plus creux de la fréquentation hebdomadaire et lorsque vous arrivez au cinéma, vous constatez avec bonheur que moins d’une douzaine de pékins ont eu la même idée que vous. Génial ! Vous choisissez votre place, pas trop loin, pas trop près, plutôt au milieu de la rangée et vous savourez d’avance le plaisir de regarder votre film bien tranquille. Et toc ! Le géant vert a décidé d’arriver à la dernière minute et de se caler confortablement dans le seul siège qu’il n’aurait même pas dû voir : celui qui, pile poil, est devant le vôtre… Saloperie, plus moyen de se décaler car les places à côté sont encombrées des manteaux des autres occupants. Ah, zut ! Et que je dois me tordre le cou, me pencher sur le côté pendant que l’autre là, devant, parfaitement inconscient du mal qu’il répand, se fiche éperdument de son entourage qu’il domine de toutes façons de la tête et des épaules. Ah c’est chiant ces types-là ! Et je ne parle pas de celle qui va se pointer avec une coiffure hirsute, trente centimètres de haut voire plus, les poils bien dressés sur le sommet du crâne, comme s’il était nécessaire de se déguiser ainsi pour venir s’installer dans le noir alors que personne ne vous voit, sauf le couillon qui est juste derrière.

    Scène 3
    Les filles qui viennent à plusieurs et qui jacassent
    : ah, oui, celles-là, je les adore ! Y a rien à faire, il faut absolument qu’elle viennent au minimum par grappes de trois, elles n’en finissent pas de s’installer, et que je vais m’asseoir là, ah ben non, plutôt toi, moi je me décale d’un siège, prends ma place. Euh, ça vous ennuie de vous décaler parce qu’on est douze et comme ça, on pourra rester ensemble ? Et quand tout ce petit monde est, enfin, assis, voilà que ça se relève pour ôter son manteau, son écharpe, son pull ou je ne sais quoi d’autre, comme si l’opération avait été rigoureusement impossible à envisager au moment de leur arrivée. Mais le pire est à venir ! Vous pensez en avoir fini avec cet aréopage bavard quand vous devez vous rendre à l’évidence : les demoiselles devant vous, vous pouvez en être certain, elles ne se sont pas vues depuis au moins cinq ans ! Incroyable le nombre de trucs qu’elles ont à se raconter. Notez bien que dans ces cas-là, moi j’écoute pas ! J’entends, bien malgré moi et je suis obligé de tout savoir sur la famille, l’ex-mari, le copain, le repas de midi mal digéré, les collègues de bureau qui, forcément, leur font des misères. Elles n’ont rien à dire mais qu’est-ce qu’elles le racontent longtemps…


    Scène 4
    Le crétin qui se rhabille pendant une heure pendant que vous faites des contorsions pour essayer d’entrevoir le générique
    . Oui c’est vrai, moi, j’aime bien regarder le générique jusqu’au bout, oui oui, jusqu’au moment où l’on découvre avec impatience les lieux du tournage, tous les sponsors à remercier, le titre de toutes les chansons avec le nom des interprètes et l’année de sortie du disque. Le sommet de cette quête, c’est la marque de la pellicule ! C’est tout de même essentiel, non ? Alors pourquoi faut-il qu’il y ait toujours un abruti qui choisisse ce moment privilégié pour se lever, procéder à quelques étirements musculaires interminables et prendre tout son temps pour se rhabiller sans imaginer une seule seconde qu’il n’est pas dans son salon ? Et quand il a fini, voyant que ses voisins ou voisines de rangée n’ont pas encore bougé, le mec, il attend. Debout. Tranquille. Et moi, je suis derrière, plié en deux, allongé ou presque sur ma voisine ou mon voisin qui tente un mouvement symétrique pour lire elle aussi toutes les vitales mentions. Et pan, on se cogne la tête à cause de ce type qui s’en moque éperdument. Tout ça parce qu’il n’a pas compris qu’un film, un vrai, c’est un tout. Le mec-là, il doit être du genre, lorsqu’il est invité à dîner, à se pointer après les entrées et à repartir avant le dessert, sous prétexte qu’il n’aime que la viande.

    Scène 5
    Le voisin (ou la voisine) qui s’étale et occupe tout l’accoudoir
    . Je n’ai rien contre les personnes à forte corpulence (on ne doit plus dire qu’ils sont gros), non, vraiment rien. Maîtriser son physique suppose suffisamment de chance pour qu’on ait le devoir de ressentir le maximum de compassion à l’égard de ceux qui sont victimes d’obésité. Mais tout de même, une fois de temps en temps, changez de voisin ! Pourquoi moi ? Pourquoi faut-il que vous me choisissiez, moi, comme partenaire et que, comme si j’étais invisible – je suis mince, certes, mais ne me dites pas que vous ne m’avez pas vu – vous vous octroyiez le droit d’accaparer tout l’accoudoir alors que la moitié me revient naturellement. Tu parles, c’est commode après, faut se pousser de l’autre côté et solliciter votre voisin pour une opération rapprochement contrainte. Qu’il acceptera bien volontiers d’ailleurs, d’autant qu’il est lui-même souvent la victime d’un encombrant voisin qui va le pousser à entreprendre la même manœuvre dans l'autre sens. Pas grave en fait, on se tient bien chaud et on profite mieux du film, sauf si notre tortionnaire – Ô malchance – a sombré dans les bras de Morphée et commence à ronfler… Mais c’est une autre histoire !

    Scène 6
    L’abruti qui téléphone
    . Quand j’arrive dans une salle de cinéma, tel le chien de Pavlov, je suis animé de manière automatique d’un mouvement consistant à plonger la main dans ma poche droite pour en extirper et éteindre mon téléphone. Normal. Mais pas normal pour tout le monde, si j’en crois les quelques énergumènes qu’il nous est arrivé de débusquer de temps à autre. D’un seul coup, vous entendez le type devant vous qui parle. Ce qui prouve que dans sa grande mansuétude, il vous aura tout de même épargné sa sonnerie. Et là, il se met à parler comme s’il était seul au monde en vous regardant d’un air stupide et ravi lorsque vous lui suggérez de couper court à cette conversation qui n’intéresse personne et qui, de toutes façons, est totalement dénuée d’intérêt. Encore que… elle vous aura au moins appris une chose essentielle, c’est ce que type, là, avec son machin collé à l’oreille, il est au cinéma. Donc, vous aussi, ça peut toujours être utile de le savoir. Oui, parce qu’il n’arrête pas de répéter à son correspondant : « Je suis au cinéma, je suis au cinéma ». Et l’on suppose qu’à l’autre bout du fil se trouve quelqu’un qui lui aura posé cette question vitale : « T’es où ? ». Je passerai ici sous silence les dépendants du SMS qui, toutes les trois minutes, se mettent à répondre aux messages qu’ils reçoivent et nous font profiter d’un contre éclairage qui vous donnerait envie de vous lever, d’attraper leur téléphone et de le fracasser en mille morceaux en le piétinant jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement. Mais on me dit que ce ne serait pas cinématiquement correct.

    Scène 7
    Celui ou celle qui fouille pendant de longues minutes dans un sac en plastique qui fait du bruit
    . Oh que c’est pénible ça ! Oh que c’est pénible ! Je n’arrive pas à comprendre pourquoi autant de gens viennent au cinéma armés de redoutables emballages et autres sacs en plastique ou, pire, en papier, dans lesquels ils fouinent pendant d’interminables minutes dès lors que la salle est plongée dans l’obscurité. Vous me rétorquerez que tant qu’il fait jour, ils éprouvent moins de difficultés à trouver ce qu’ils cherchent. OK, mais répondez donc à cette question : que cherchent-ils ? Pourquoi éprouvent-ils ce besoin pressant de prendre en main ce je ne sais quoi qui, c’est mécanique, se trouve justement au fond du sac et reste introuvable ? Signalons à ce sujet que votre plaisir sera par ailleurs décuplé quand votre voisin aura enfin trouvé l’objet de sa quête - qui se trouve souvent être un bonbon bien emballé dans un papier à haut volume sonore - et l’aura enfourné avant de le sucer bruyamment, la bouche ouverte. Croyez-moi, il faut être chanceux pour avoir le privilège d’un tel spectacle. Je fais partie des heureux élus, vous l’aurez compris.

    Scène 8
    Ceux qui causent jusqu’à ce que le générique de début soit fini et qui recommencent dès le début du générique de fin
    . J’ai expliqué un peu plus haut quel était mon bonheur de me repaître des moindres détails des génériques, de début comme de fin. C’est mon droit et je crois ne nuire à personne en savourant le moindre des détails technico-pratiques qui font qu’un film est une petite entreprise pour laquelle travaillent un grand nombre de corps de métiers. Mais on dirait parfois que je suis le seul… Ah qu'ils sont énervants les bavards ultimes, et patati et patata et c'est reparti pour l'exposition gratuite de scènes familiales dont on n'a rien à faire. Oh ben on a vraiment bien mangé à midi et puis la Claudine elle est passée à la maison. Mais nom d'un chien, c'est vraiment obligatoire de parler aussi fort, vous avez vu que votre voisin de fauteuil, il a placé une oreille juste à côté de vous. C'est vraiment impossible de lui susurrer vos histoires ? Non, apparemment, il semble acquis que tout le monde va en profiter. On a beau, une fois de temps en temps, fusiller le logorrhéique d'un regard noir, rien n'y fait, le moulin à paroles est enclenché jusqu'à l'extrême limite. La limite, c'est quand la dernière lettre du générique s'est affichée et encore... si le film commence par une scène assez sonore, le bavard va en profiter pour terminer son récit... qu'il reprendra là où il l'avait arrêté au moment même où il apercevra le mot fin. Et avec un peu de chance, s'il est devant vous, peut-être vous fera-t-il profiter de l'exercice décrit à la scène 4...

    Scène 9
    Le retardataire qui fait déplacer toute une rangée parce qu’il a décidé de s’asseoir ici et pas ailleurs
    . Eh oui, c'est un spécimen assez courant celui-là... Allez savoir pourquoi, alors que les deux tiers des fauteuils sont inoccupés, notre ami va décider que SA place était celle-là et pas une autre. Manque de bol, le siège visé se trouve inéluctablement sur ma rangée et qui se trouve correspondre au choix de pas mal d'autres personnes. Donc, pendant que monsieur (et parfois monsieur et madame) nous met au garde à vous et passe ses troupes en revue, vous voilà, debout, plaqué contre l'assise relevée de votre siège, tenant d'une main le manteau que vous aviez méticuleusement plié sur vos genoux et de l'autre le reste de vos affaires. Évidemment, la corpulence du nouvel arrivant vous obligera parfois à vous contracter jusqu'aux limites du supportable, vous retenez votre souffle car vous n'êtes pas forcément en harmonie avec les choix olfactifs des nouveaux passagers et... ouf ! Vous vous effondrez à nouveau, scrutant les sièges voisins et comptant ceux qui restent vides pour estimer la probabilité de renouveler l'opération avant le début de la séance.

    Scène 10
    Les porcs entrent en action
    . Attention, ils disposent d'armes très redoutables : des bidons pleins de popcorn et des citernes de soda à la couleur marron très très foncée et aux bulles rotifères. Je précise toutefois que ces goinfres bruyants ne peuvent exercer leur talent que dans un seul des cinémas que je fréquente, les deux autres ayant toujours refusé de céder à la pression des marchands de kilos. C'est tout de même bizarre cette habitude d'engloutir toutes ces cochonneries dans le noir et d'afficher un air béat marquant l'évidente fierté d'appartenir au monde moderne. On va au cinéma pour voir un film, nom d'un chien, pas pour bâfrer comme un animal... Mais revenons à nos gloutons ! Attention, âmes sensibles s'abstenir. Car le supplice pourra être de longue durée, voire s'éterniser jusqu'à la fin du film. Dommage qu'on n'ait pas encore inventé les boules Quiès sélectives, celles qui vous isoleraient des bruits parasites et laisseraient passer la bande son du film. Vous, vous êtes assis, tranquillement, vous attendez votre instant chéri, celui du film. Et voilà qu'une main indélicate commence à fourrager tout au fond du bidon de maïs éclaté. Oui oui, au fond car je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais le goinfre ne va jamais manger le popcorn qui se trouve en haut de sa gamelle, mais bien celui qui est au-dessous. Il plonge comme un fou furieux, tourne, retourne et mélange longuement avant d'ouvrir en grand son bec affamé et de mastiquer bruyamment, bouche ouverte bien sûr. Ah on sait qu'il mange le cochon et il ne vous laisse guère de répit. Ou plutôt, vous croyez souvent qu'il en a enfin fini avec son goûter mais non. Il se ménage des pauses, il savoure, il salive en prenant son temps ; vous espérez dix fois que son repas est terminé, qu'il va s'assoupir et somnoler tranquillement et pan ! au moment où vous aviez acquis la certitude de sa sieste, enfin tranquille, il réitère, le salopard. Un récidiviste du pourléchage de babines... Et ça fouille, et ça fouine, et ça touille et scrooountch scrouuuuntchscrouuuuntch scrouuuuntch. Bien sûr, toute cette pitance finit par dessécher son palais et vous allez maintenant profiter amplement de l'aspiration du soda. La paille étant bien calée entre les trois cents glaçons (qui lui auront été vendus au prix fort), c'est le gargouillis maximum, jusqu'à dernière goutte, vous avez à vos côtés les Chutes du Niagara inversées ! Chanceux que vous êtes, pour le prix d'un ticket de cinéma, vous aurez en plus voyagé en de lointaines et sauvages contrées, celles de nos plus charmants concitoyens.

    Scène 11
    Le petit pépé qui se fait raconter le film par sa femme, parce qu’il n’entend plus très bien
    . C'est bien, très bien même, sur la fin de sa vie, de conserver suffisamment d'énergie pour s'extraire de son chez soi, et renoncer aux automatismes télévisuels pour décider d'aller voir un bon film. Seulement voilà... j'ai remarqué que mes voisins âgés ont une fâcheuse tendance à être un peu durs de la feuille. Le hic, c'est quand ils viennent en couple... "Qu'est-ce qu'il a dit ?" Et mamy, forcément, doit répéter la dernière phrase à son papy qui, parfois, a besoin qu'elle lui répète une fois encore. Remarquez, c'est bien pour moi hein ? Je suis toujours certain de ne rien perdre d'essentiel mais j'éprouve souvent une drôle de vertige avec cette double bande son. Heureusement, les exploitants des salles de cinéma ont bien compris l'enjeu et savent vous massacrer les oreilles en vous assénant, souvent, un niveau sonore à la limite du supportable. Un grand merci à eux.

    Scène 12
    La petite mémé qui reconnaît un acteur (ou une actrice) mais qui ne retrouve plus son nom
    . D'ailleurs, il est fort possible qu'elle soit la femme du petit pépé de la scène 11... Elle regarde beaucoup la télé, elle doit lire tous les grands magazines avec tous les programmes et les mots fléchés, il n'est même pas impossible qu'elle se cultive en apprenant par cœur quelques revues spécialisées dans la vie des pipeuls... Elle connaît tous les acteurs, toutes les actrices. Seulement, le gros hic, c'est que sa mémoire visuelle n'est pas toujours raccord avec sa mémoire des noms et quand un tel ou un tel apparaît à l'écran... Raah, zut de zut : "Mais qui c'est çui là ?" "Ah, je sais comment il s'appelle mais ça me revient pas". Vous, évidemment, vous le savez son nom, mais comme vous êtes bien élevé, vous ne vous immiscez pas dans les conversations des autres et vous la laissez chercher. Attention, ça va venir... ah ben non, elle trouve pas, voilà un quart d'heure qu'elle cherche et entretemps, elle a perdu le fil et demande à papy de lui résumer les dernières minutes. Pour vous, ce n'est guère plus facile car vous devez maintenir votre niveau de concentration intact sans pouvoir résister au plaisir de ce "Questions pour un champion" improvisé, vous vous imaginez soudain transformé en un Julien Lepers des salles obscures, brandissant vos petites fiches jaunes cartonnées et donnant la bonne réponse à votre voisine qui, bien sûr, vous certifierait qu'elle l'avait bien donnée. "Ah je le savais..."

    Bien sûr, cette rapide galerie est incomplète, je suis persuadé que, très vite, un nouveau personnage va venir l'enrichir. Il est vrai aussi que je ne passe pas tout mon temps à scruter les travers de mes contemporains et que je ne m'attache qu'à la seule description de mes voisins de fauteuil les plus proches. Mais avouez-le donc, vous en avez déjà croisé quelques uns qu'il vous sera possible de ranger dans l'une ou l'autre de ces douze petites boîtes.

    Bon, c'est pas le tout de raconter des bêtises... Mais on va voir quoi, ce soir ?

  • Pepita Greus

    Stéphane Escoms se produisait hier à la MJC Desforges de Nancy, un lieu qui vibre de la personnalité chaleureuse de Benoît Brunner, véritable amoureux de la musique, des musiciens et de l’accueil du public. Le pianiste venait présenter en trio son nouveau disque (le troisième), Pepita Greus. A ses côtés, le bassiste Rafael Paseiro et le batteur Alex Tran Van Huat. Un tiercé gagnant, dont l’équilibre naturel réside dans la place accordée à chacun des musiciens : liberté et imagination mélodique sont au pouvoir et magnifient des thèmes qu’on qualifiera de mémoriels en ce qu’ils trouvent leur source dans les souvenirs familiaux de Stéphane Escoms du côté de Valence et célèbrent « la fièvre des fallas et leurs festivités nourries de traditions populaires ». Un peu plus d’une heure pour passer en revue les sept compositions de l’album et jouer en rappel « Marrakech », issu du précédent disque, Meeting Point. Un moment où affleurent tendresse et nostalgie, « bercé par des rythmes cubains et des hymnes aux accents religieux, voire politiques ». C’est là une musique populaire au sens le plus noble du terme, dans laquelle le pianiste a glissé deux compositions originales, dont l’une dédiée à son grand-père.

    Je n’irai guère plus loin dans la présentation de cette belle musique, sachant que Stéphane m’a fait l’honneur de me confier l’écriture du texte qui figure sur le disque. Vous pouvez le lire à la fin de cette note. J’aimerais simplement ajouter que Pepita Greus est un bel objet, malicieux et singulier. En premier lieu parce que son format le rend incompatible avec la plupart des rayonnages de disques, ce qui vous obligera à le conserver en un lieu où il sera mis en évidence, un peu à l’écart de ses congénères. Surtout, vous apprécierez la manière dont il s’ouvre, comme un origami découvrant un journal et ses articles. C’est là une initiative qu’il faut saluer à tout prix : à une époque où l’achat de disques devient marginal, Stéphane Escoms et ses amis ont compris qu’il fallait susciter le désir. C’est le cas avec Pepita Greus, qu’on a envie de tenir dans ses mains avant de laisser sa musique chanter.

    Sachez enfin que ce répertoire connaîtra prochainement une version symphonique, enregistrée à Saint-Dié sous la direction de David Hurpeau. Un autre disque sera publié, avec un texte différent, variante du premier. Il est bon de savoir qu’en passant par la Lorraine, de telles initiatives voient le jour : encore bravo à Stéphane Escoms.

    Stéphane Escoms : « Pepita Greus »

    stephane escoms,pepita greus,mjc desfroges,nancy,jazzLa réminiscence comme source de création... Proust l’a sublimée, par l’évocation d’une madeleine ou de pavés disjoints. Il en va de même en musique comme dans toute forme d’art et c’est la sollicitation de la mémoire qui a provoqué chez Stéphane Escoms le besoin d’un retour aux sources. Ainsi a vu le jour Pepita Greus.

    Déjouant le piège de la nostalgie, le pianiste explore avec ce troisième album ses années d’enfance, celles des origines espagnoles par son père et des vacances d’été, dans le souvenir des pasodobles et des orchestres d’harmonie, tout près de Valence. Il y célèbre aussi la mémoire de son grand-père joueur de caisse claire, le seul musicien de sa famille, aïeul initiateur auquel il dédie l’une des deux compositions originales du disque.

    Un récent séjour dans le berceau familial favorisera l’éclosion d’un projet qu’il faut découvrir comme une déclaration d’amour. Pepita Greus, disque qu’on ose qualifier d’heureux, est bercé par des rythmes cubains et des hymnes aux accents religieux, voire politiques. Il transmet avec délicatesse la fièvre des fallas et leurs festivités nourries de traditions populaires. Stéphane Escoms, musicien multiple dont la créativité s’épanouit aussi en expressions musicales plus électriques, tourne avec tendresse les pages d’une histoire débordant d’humanité.

    Pour personnelle que soit la démarche d’un pianiste qui entrouvre les portes de son enfance, elle n’en est pas moins généreuse. Sa géométrie musicale est celle du triangle équilatéral, qui dessine un espace où chacun des musiciens se voit accorder la place nécessaire à l’éclosion de son langage mélodique. Point d’orgue de cet ensemble en équilibre, « El Fallero », l’hymne des fallas chanté en valencien par la Cubaine Niuver. Le temps s’arrête, le lyrisme est porté à son comble : hier, aujourd'hui et demain sont unis dans un même frémissement. Quelque part entre Espagne et Cuba, Pepita Greus est autant une invitation au voyage que le témoignage d’une vie sans cesse recommencée.

    Denis Desassis – 2 Novembre 2016

    Et pour finir, deux bonus Pepita Greus

    La semaine dernière, Stéphane Escoms était l’invité de Gérard Jacquemin et moi-même dans l’émission Jazz Time sur Radio Déclic. Vous pouvez l’écouter ici...
    podcast

    Un rapide teaser de l’enregistrement…

  • Sous l’emprise de King Crimson

    king_crimson_radical_action.jpgIl est parfois des coïncidences étranges et tristes… Alors que je m’apprêtais à prendre mon stylo (qui ressemble furieusement à un clavier la plupart du temps) pour évoquer non sans enthousiasme la dernière production discographique de King Crimson, j’ai appris la mort de Greg Lake à l’âge de soixante-neuf ans. Lui qui fut le chanteur du groupe du temps de sa première époque et en particulier celle de l’album mythique In The Court Of The Crimson King en 1969 ; lui qui s’en échappa pour devenir la lettre L du trio ELP (comprenez Emerson Lake & Palmer, une formation dont seul le P est en vie désormais), adepte du rock symphonique, à la limite parfois de la grandiloquence, mais qui restera l’un de mes grands compagnons de musique durant la première moitié des années 70 (et grâce auquel j’ai pu m’ouvrir les premières portes de la musique classique) ; lui qui était une voix sublime, sans nul doute l’une des plus belles de toute l’histoire du rock. Le voici donc parti, en route vers un ailleurs où il va retrouver tant de mes vieilles idoles… Je lui dédie ce petit texte avec d’autant plus d’émotion que Greg Lake reste très présent dans la musique de l’actuel King Crimson, ne serait-ce qu’en raison de l’interprétation des thèmes majeurs qu’il avait chantés à l’époque mais aussi de l’influence qu’exerce aujourd’hui encore son chant sur le travail de son successeur.

    Je reviens donc à mon point de départ, lié à une réelle frustration. Celle d’avoir manqué un récent concert du groupe à Paris. Une stupidité d’autant plus incompréhensible que dans mon petit roman La Part des Anches (que vous pouvez vous procurer auprès de moi si vous le souhaitez en m’adressant un e-mail à lapartdesanches@orange.fr), les deux personnages principaux se retrouvent à l’Olympia le 21 septembre 2015 pour un concert de… je ne vous dis pas qui, vous avez déjà compris. Comment ai-je pu me louper à ce point ? Suis-je bien certain que l’histoire repassera les plats ? Et ce ne sont pas les commentaires enthousiastes de quelques musiciens présents ce soir-là comme Richard Pinhas ou Yves Rousseau qui adouciront ma peine. Encore que je doive ici remercier ce dernier qui, constatant mon désappointement, a eu la gentillesse de me faire parvenir aussitôt un court enregistrement dans lequel ce contrebassiste raffiné interprète en solo la mélodie de « In The Court Of The Crimson King ». Il est des élégances qu’on se doit de souligner. Merci donc, monsieur Rousseau !

    Alors oui, c'est vrai que je m'en veux énormément de n'avoir pas eu le culot d'effectuer dimanche dernier le déplacement à l'Olympia pour le concert de King Crimson. Afin de rattraper un tant soit peu cette erreur vis-à-vis d'un groupe que j'admire depuis plus de 45 ans (je ne remercierai jamais assez mon frère d’en avoir acheté le premier disque au moment de sa sortie) et dont la musique me semble intacte aujourd'hui encore, je me suis plongé dans le récent coffret Radical Action To Unseat The Hold Of Monkey Mind (un titre que vous pourrez traduire par « Action radicale pour se libérer de l’emprise de l’esprit singe »), publié au mois de septembre dernier et que j’ai décidé de commander sans attendre. Soit un bel objet reçu vingt-quatre heures plus tard, composé de trois CD, deux DVD, un Blue Ray, et d’un livret avec de nombreuses photographies. Ou encore cent soixante minutes de musique enregistrée live en 2015, offrant un somptueux passage en revue du répertoire, toutes époques confondues.

    Une claque !

    Pour ne rien vous cacher, j'étais un peu sceptique a priori sur la formule à trois batteurs qui est désormais celle de King Crimson. Je craignais d’être submergé par un flot de percussions, qui prendrait le pouvoir de manière autoritaire sur les autres instruments. Erreur fatale ! Un premier visionnage du concert m'a apporté la preuve, une fois encore, du génie de Robert Fripp, démiurge impassible de King Crimson. Non seulement ces batteries, propulsées par Bill Rieflin, Pat Mastelotto et Gavin Harrison, ne saturent en rien l’espace sonore, mais elles constituent au contraire une sorte de flux naturel, aux couleurs complémentaires, sur lequel vient s’épanouir un répertoire qu’on sait incomparable. Mieux, les trois batteurs sont souvent les agents très actifs de la transition entre les différentes compositions. Placés sur le devant de la scène, leurs instruments en action sont de surcroît un régal pour les yeux. Dont acte.

    C'est monumental, Robert Fripp est un extra-terrestre, lui qui a compris tout le parti qu’il pouvait tirer d’une telle formule et donner une force inouïe à sa musique. Qui non seulement n’a pas pris une ride mais se présente aujourd’hui plus que jamais comme une réponse cinglante à toutes les productions insipides qui, elles au contraire, ne manquent jamais de nous envahir. La musique de King Crimson a quelque chose à voir avec un manifeste. On l’a affiliée un temps au courant du rock progressif au prétexte qu'elle se parait d'atours symphoniques : c’est une erreur à mon sens. C’est bien du rock, oui, puissant et mélodique à la fois, mais un rock avant tout insoumis et d’une vraie radicalité électrique. Une musique exigeante, complexe et singulière, sans équivalent.

    Et puis, tout de même… la guitare de Fripp ! Un son légendaire (si vous ignorez King Crimson, vous avez au moins une fois dans votre vie écouté « Heroes » de David Bowie), tantôt rugueux, martial, entêtant et métallique, tantôt planant, électronique et spatial. Et toujours fascinant par son caractère unique. Le grand Robert est de ceux, très rares, dont la sonorité est immédiatement identifiable. Fripp a inventé un son (au point qu’il a développé des frippertronics), la musique de King Crimson est en elle-même un idiome. Un cas unique, d’une longévité exceptionnelle, rythmé en plusieurs époques d’esthétiques distinctes, qui se trouvent aujourd’hui unifiées pour longtemps.

    Chance pour nous tous, le groupe peut s’enorgueillir de la présence de Mel Collins aux saxophones et à la flûte, lui qui était déjà de la partie aux premières heures du groupe avant de s’éclipser pour revenir faire un petit tour en 1974 sur « Starless » en conclusion de l’album Red, autre référence majeure de l’histoire crimsonienne. Une richesse humaine et musicale augmentée de belle façon par un autre membre historique, Tony Levin (apparu dès le début des années 80 avec l’album Discipline) à la basse et au stick Chapman. Je vous laisse imaginer la puissance de la rythmique ainsi constituée, c’est monstrueux. Cerise sur ce gâteau royal et cramoisi, le guitariste chanteur Jakko Jakszyk, déjà présent aux côtés de Fripp et Collins en 2009 pour A Scarcity Of Miracles. Et qui avait aussi intégré le 21st Century Schizoid Band avec d’autres membres fondateurs de King Crimson (Mel Collins, Ian McDonald, Peter et Michael Giles). Un membre de la famille, en quelque sorte et certainement un chanteur qui s’avère le digne successeur des anciens (Greg Lake, John Wetton, Adrian Belew).

    On l’aura compris : ce King Crimson-là est une réunion au sommet, un temps fort de l’histoire du groupe (alors qu’on pouvait craindre une relecture par trop nostalgique du répertoire, ce qui était sans compter avec l’exigence maniaque de Robert Fripp) qui, s’il n’a pas encore vraiment développé un nouveau répertoire, fait ici une démonstration à couper le souffle. Avec Radical Action To Unseat The Hold Of Monkey Mind, nous tenons-là une somme indispensable qui conduit inéluctablement à se précipiter sur les enregistrements originaux pour mieux comprendre encore à quel point ceux qui ont vécu cette histoire depuis le début sont de petits veinards. Même quand ils ont loupé le récent concert à l’Olympia.

    Notre esprit a besoin de s’agripper constamment à une émotion ou une pensée, il passe sans cesse de l’une à l’autre, comme par peur du vide. Ainsi peut-on définir simplement l’esprit singe. King Crimson nous invite donc à investir l’espace se situant entre deux sensations : je ne sais pas si un objectif aussi ambitieux peut être atteint par la seule écoute de ces quasi trois heures de musique. Ça vaut peut-être le coup d’essayer, non ?

  • Un insoumis s’est envolé

    C’est une très mauvaise blague que vient de nous faire Dominique Répécaud, en cette époque brunâtre où la « Douce France » aujourd’hui bien desséchée va se déchirer pour longtemps à force de s’écarteler entre droite extrême et extrême droite, comme nous le promet dans un élan auto-satisfait une médiacratie ratiocineuse tétant au pis malsain d’instituts de sondages patentés. C’est pourtant tous ces artistes acteurs insoumis comme lui dont nous aurons un immense besoin dans les temps à venir. Mais voilà, le directeur du CCAM de Vandoeuvre-lès-Nancy, dont il avait fait une scène nationale, par ailleurs âme du festival Musique Action, vient de passer de l’autre côté. Son cœur l’a abandonné, peut-être à force d’avoir battu trop fort pour toutes ces musiques de traverses qui coulaient dans ses veines de guitariste depuis toujours. Il avait 61 ans, un âge pour vivre encore longtemps et partager sans relâche ses passions singulières et généreuses.

    A peine avais-je appris la mort de ce grand monsieur que je me suis lancé dans l’écriture d’un petit hommage pour le compte de mon cher magazine Citizen Jazz. Un exercice à la fois douloureux et humble face à l’histoire d’une personnalité hors normes, qui va laisser un vide immense chez tous les humains créateurs épris de liberté.

    repecaud_praag.jpgEn pensant à lui, à tout ce qu’il avait entrepris, à ce qu’il envisageait de poursuivre (il devait passer la main au CCAM et voulait se consacrer entièrement à la musique), j’ai écouté une fois encore Souzdarmah, le disque de ce quartet à nul autre pareil, PRAAG, où sa guitare abrasive, distordue, sa guitare cri fait résonner dans le feu la vibration qui parcourait tout son être. Dominique Répécaud y évolue aux côtés d’Anthony Laguerre (batterie et synthétiseurs), Hugues Reinert (basse) et notre cher camarade Antoine Arlot (saxophone et voix), auquel je pense très fort en ces moments douloureux.

    Et je me dis que cet album puissant, porté par un souffle incendiaire, qui a vu le jour en 2015, est peut-être la plus belle réponse qu’on puisse apporter en ces jours tristes, tant il est un concentré d’énergie brute que je n’ose plus qualifier de vitale aujourd’hui, mais dont la tempête mériterait d’être soufflée en direction de bien des oreilles fermées.

    Je lui dédie, à ma façon, un très court texte, une sorte de poème urbain surgi de mon imagination, ce matin-même, alors que j'écoutais Souzdarmah en parcourant à pied d'un pas rapide, comme chaque jour, les rues de Nancy encore endormies.

    Souzdarmah.
    Musique du déferlement (« Volnikass ») ;
    Musique des invocations hallucinées (« Nirikosti ») ;
    Musique de l’après, quand il ne reste plus rien, ou presque (« Nalcilcini ») ;
    Musique des silences et des espaces inquiets, porteurs d’une inextinguible soif de ne pas se taire, plus que de noirceur et de désespérance (« Shokiaroliki ») ;
    Musique des profondeurs sondées quand les réponses sont en chacun de nous (« Silnivitr »).

    Adieu l’ami et merci pour tout ce que tu as été et resteras.

  • La part des anches

    Jacky Joannès et moi-même étions récemment invités dans l'émission Jazz Time de notre ami Gérard Jacquemin sur Radio Déclic.

    Voici, dans son intégralité, cet entretien dans lequel nous expliquons la naissance et la conception de notre exposition commune La Part des Anches, ses 50 portraits et les extraits du roman que j'ai écrit à cette occasion. Celle-ci se tient à la médiatèque Gérard Thirion de Laxou, en association avec Nancy Jazz Pulsations.

    Voici par ailleurs un extrait vidéo de cet entretien.

    Enfin, cerise sur le gâteau, La part des anches, c'est aussi un livre réplication de l'exposition avec par ailleurs le texte intégral de mon roman. Ce que nous expliquons d'ailleurs dans l'entretien avec Gérard Jacquemin. Vous pouvez le commander ICI.

  • Citizen Jazz, le livre des 15 ans !

    Participez à l’édition d’un ouvrage unique et à tirage limité, disponible uniquement sur souscription : la revue des 15 ans de Citizen Jazz.

    Citizen JazzDepuis 2001, une équipe d’observateurs s’est constituée, puis soudée, étoffée, renouvelée.
    2001-2016, 15 ans à suivre en France, en Europe et dans le monde ceux qui jouent, créent, recréent, programment, partagent ces musiques vivantes.
    Chaque semaine, Citizen Jazz présente les nouveautés, de quoi lire, de quoi sortir.
    Le magazine illustre en images les concerts, met en valeur les musicien.nes et musiques et les défend.

    Plus qu’un simple média rendant compte de la vitalité du jazz, Citizen Jazz a, au fil des années, constitué un réseau, fédéré une communauté de passionnés, d’amateurs et de professionnels, tous militants. Une équipe de personnalités très différentes qui réalisent bénévolement, en plus de leurs journées de travail, un magazine hebdomadaire devenu une référence de la presse jazz francophone, avec plus de 25000 lecteurs par mois, un record en la matière.

    Pour marquer cet anniversaire, les photographes, rédacteurs, dessinateurs, vidéastes et collaborateurs réguliers de Citizen Jazz, en association avec Denis Esnault (directeur de la publication et cofondateur de la revue Irreverent) vont éditer un ouvrage unique et à tirage limité, disponible uniquement sur souscription : la revue 15 ans de Citizen Jazz.

    Il s’agit d’une revue au contenu entièrement inédit, qui revient sur les quinze années passées à rencontrer des musicien.nes, à assister à des concerts, à écouter des disques.

    De nombreuses personnalités du jazz ont participé, musicien.nes, journalistes, programmateurs, diffuseurs et plusieurs graphistes participent à l’ensemble en prenant des cartes blanches dans la revue.

    La souscription, c'est ICI : www.citizenjazz.com/Passage-en-Revue-15-ans-de-jazz.html

  • Danseurs célestes

    texier_henri_sky_dancers.jpgSi mes comptes sont exacts, Sky Dancers est le dix-huitième disque qu’Henri Texier publie en tant que leader chez Label Bleu. Une longue et belle série qui retrace un large pan de l’histoire du contrebassiste – dont l’origine remonte aux années 60 – depuis La Compañera en 1989. À tous ces enregistrements, il faut bien sûr ajouter les quatre productions du trio Romano-Sclavis-Texier, qui couvrent la période 1995-2011, ainsi que le troisième et ultime album d’un autre trio formé avec François Jeanneau et Daniel Humair, Update 3.3 en 1990. Voilà donc un musicien fidèle qui élabore, année après année, une œuvre d’une grande cohérence dont l’homogénéité et la constance forcent l’admiration. Cette fidélité a d’ailleurs été récompensée en 2008 par une compilation sous la forme d’un double CD intitulé Blue Wind Story qu’on peut recommander à celles et ceux qui souhaiteraient pousser la porte de son domaine. Et pour peu qu’on s’accorde le temps d’un retour en arrière et d’une écoute attentive de toutes ces pages de musique écrites avec une passion inaltérable, qui se nourrit autant d’une révolte devant la violence des hommes que d’une admiration sans bornes pour les beautés que notre monde peut offrir, alors la conclusion s’imposera vite : Henri Texier est un artiste essentiel, qui vient de fêter son soixante-et-onzième anniversaire et qu’il s’agit de célébrer de son vivant. On a trop souvent l’occasion de louer, à grand renfort de « RIP », le talent des grands au moment où ils nous quittent qu’il serait absurde de ne pas rendre hommage dès à présent à celui qui est bien vivant. Surtout que son nouveau disque, Sky Dancers, est très certainement l’un de ses plus beaux.

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  • Là-haut, tout là-haut, sur les collines...

    over the hills, escalator over the hill, bruno toccane, bernard santacruzN’y allons pas par quatre chemins : avec la publication d’Over The Hills, Bruno Tocanne, Bernard Santacruz et leurs sept camarades ont frappé un grand coup. Le plaisir est d’autant plus grand qu’on attendait ce disque depuis un petit bout de temps, au risque d’une pointe de déception à force d’espérer le meilleur, et ce même si l’impatience de quelques-uns parmi nous avait pu être adoucie par des prestations scéniques reflétant fidèlement l’objet musical qui voit le jour cette semaine sur le label iMuzzic. En ce qui me concerne, ce fut à deux reprises : une première fois au CIM de Bar-le-Duc le 6 mars dernier, puis au Parc Floral le 4 juillet, dans le cadre d’un Paris Jazz Festival assommé par la canicule. J’ai d’ailleurs rendu compte de la soirée barisienne dans une chronique pour Citizen Jazz, qu’on peut lire ICI.

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  • Nancy Jazz Pulsations 2015

    NJP, c'est fini ! Près de deux semaines très chargées en concerts, beaucoup de monde, des moments forts, d'autres moins... Telle est la vie d'un festival. J'ai pu non pas couvrir intégralement l'édition 2015 pour Citizen Jazz mais consacrer à cette manifestation automnale neuf soirées bien remplies dont j'ai essayé de rendre compte à ma façon. Pas question de tout voir (pour mémoire, il y a eu au total 181 concerts) ni d'être partout à la fois. Mes pérégrinations se sont limitées à trois salles : le Chapiteau de la Pépinière, la Salle Poirel et le Théâtre de la Manufacture.

    En suivant CE LIEN, vous pourrez lire ou relire mes élucubrations publiées au fil des jours...

  • Now I’m Gonin listen to Pink Floyd again...

    philippe gonin, pink floyd, the wall, le mot et le resteC’est malin, ça ! Je croule sous les disques à découvrir – toute une pile attend fiévreusement d’être accueillie par ma platine – et par la faute d’un Bourguignon que la simple vue d’une assiette de Munster flambée à l’alcool de cumin fait tourner de l'œil, me voici en train de replonger dans mes disques de Pink Floyd... Non mais vous le croyez ? Surtout que, pour ne rien vous cacher, le bougre a fait pire encore... Imaginez que jamais je n’avais acheté ni même réussi à écouter en entier un disque comme The Wall. Difficile de vous dire pourquoi, ça ne me parlait pas vraiment et puis, cette histoire un brin déprimante me donnait surtout envie de me replonger dans les albums qui avaient bercé mon adolescence, au premier rang desquels Meddle et sa deuxième face occupée par le seul « Echoes ». Pour moi, Pink Floyd, c’était une musique un peu planante, c’était aussi un concert au Parc des Expositions de Nancy au mois de décembre 1972, quand le groupe commençait la promotion de son disque à venir, un certain Dark Side Of The Moon, qui allait voir le jour quelques mois plus tard et après lequel plus rien ne serait comme avant. Un succès planétaire dont la cohésion de Pink Floyd n’allait pas se remettre.

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  • Images innées

    Chroniques de l'imaginaire.jpgLorsqu’à la fin de l’année dernière, Jean-René Mourot m’a contacté pour me demander si j’accepterais d’écrire le texte devant figurer sur un disque qu’il venait d’enregistrer (ce qu’on appelle parfois les liner notes), j’ai accepté sa proposition sans hésiter. Et pourtant, je connaissais à peine le pianiste (j’avais seulement lu dans Citizen Jazz sous la plume de mon collègue Olivier Acosta la chronique de son disque en solo), pas plus qu’il ne me connaissait lui-même. Mais il se trouve que mon nom (et donc mon éventuelle contribution) lui avait été soufflé par un certain Bruno Tocanne, batteur au sujet duquel j’ai déjà beaucoup écrit, ici-même ou pour Citizen Jazz ; voilà en effet un musicien que je tiens pour un des acteurs les plus attachants de la scène jazz contemporaine (précipitez-vous sur le Canto de Multitudes, magnifique disque publié sur Le Petit Label pour lequel il s’est associé au trompettiste Rémi Gaudillat et quelques autres camarades, en attendant au mois de décembre l’événement Over The Hills que j’ai déjà évoqué ici-même).

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  • Ark 4 in motion (pictures) : quand une compagnie fait son cinéma

    Vous savez quoi ? Dimanche, je me suis rendu à Blénod-lès-Pont-à-Mousson (oui oui, ça existe et à ce moment précis de la semaine, vers 17 heures, on ne peut pas dire que la cité était très agitée, elle était même, comment vous dire ? Plutôt morose), et plus précisément au Centre Culturel Pablo Picasso, histoire de découvrir un ciné concert proposé par Ark 4 mettant en musique un vieux film allemand (il date de 1920 et selon mes sources, aurait été perdu pendant très longtemps pour n’être retrouvé qu’en 1963 par la RDA au Japon, dans une version incomplète). Le film en question a pour titre Von Morgens Bis Mitternachts, soit De l’aube à minuit.

    Comme vous le comprenez, j’ai des dimanches soir culturels. Mais bon, que cette introduction peu affriolante sur le papier (je devrais dire sur l’écran) ne vous effraie pas, faites-moi confiance et en même temps connaissance (bonjour zeugma) avec des protagonistes d’un genre pas banal.

    ark4_blenod.jpg

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  • Frédéric Couderc "Sax Stories"

    frederic couderc,sax stories,saxophone,citizen jazz,jazzDire que Frédéric Couderc est un amoureux du saxophone relève de l’euphémisme. Il est plutôt un boulimique de l’instrument, un chercheur forcené de timbres et de sonorités, un collectionneur de raretés qui a poussé sa passion jusqu’à créer, avec le facteur d’instrument R.V. Martin, le Coudophone, un saxophone ténor en ut (C-Melody) droit. On a pu en particulier entendre cette singularité instrumentale sur Music From Early Times de Vincent Artaud. Et comme le faisait en son temps Roland Kirk, un de ses maîtres, il est tout à fait capable d’empoigner deux ou trois saxophones simultanément, comme si de rien n’était. Couderc a par ailleurs suivi un cursus classique au CNR de Bordeaux avant d’intégrer la classe jazz de François Jeanneau au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il a déjà publié trois albums (dont Kirkophonie en 2007 et Coudophonie en 2011) et multiplie les collaborations dans le monde du jazz et de la variété.

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  • Dévolution

    richard pinhas, heldon, yoshida tatsuya, oren ambarchi, cuneiform records, desolation row, tikkun, welcome in the void, rockJe vous ai déjà parlé de Richard Pinhas et dit tout le bien que je pensais de ce musicien au parcours unique. La dernière fois, si mes souvenirs sont exacts, c’était il y a deux ans environ, lorsque j’avais convoqué à la fête de ce blog Stand By, probablement le plus beau disque avec Interface du groupe Heldon dont il était l’âme, le guitariste, le compositeur et, pour tout dire, le philosophe. Dans ce long texte, j’avais effectué un court rappel historique de cette formation sans équivalent sur la scène... la scène quoi, en réalité ? Rock ? Electronique ? Métallique ? Politique ? Un peu de tout cela, certainement. Mais la parution récente, entre 2013 et 2014, de trois disques publiés sur le label Cuneiform Records  : Desolation Row, Tikkun et Welcome... In The Void, m’oblige à revenir vers sa musique pour tenter de vous faire comprendre à quel point cet artiste me semble important dans le monde au cœur duquel nous sommes plongés, dans toute sa violence et son idolâtrie du Dieu Argent, dans sa propension à engendrer des inégalités irréversibles et à donner l’illusion qu’une addition sommaire des égoïsmes peut forger un sentiment d’appartenance à un collectif qui n’existe pas.

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  • Collines inspiréees

    Il n’entre pas trop dans mes habitudes de vous alerter sur des projets dont la réalisation passe par le soutien matériel (sonnant et trébuchant, donc) de son public potentiel. Pourtant, j’aimerais déroger ici à ce règlement personnel en vous proposant de découvrir, encourager et, si possible, aider un travail dont je sais qu’il aboutira à un disque important.

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