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Vécu - Page 7

  • Scènes

    Allez savoir pourquoi, alors que je patientais tranquillement tout près d'une scène - celle du Quai Son à Nancy - où quelques musiciens* s'apprêtaient à rendre hommage à Léo Ferré, mon oeil a été aimanté par la vision de ces guitares qui semblaient elles aussi attendre qu'on veuille bien les prendre en main et faire chanter leurs cordes.

    quai son, ima, leo ferre, jean-marie viguier

    Un peu plus loin, un pupitre avait recueilli une partition, dont le contenu reste chez moi chargé d'un vrai mystère. Car si je comprends assez bien le principe d'une portée et des notes qu'on y écrit, si je perçois fugitivement l'idée des gammes et de leurs modes, leur transformation en échappées sonores relève encore dans mon esprit de l'alchimie. Certains affirment changer le plomb en or, mais j'ai vu de mes propres oreilles (ne cherchez pas l'erreur, c'est fait exprès) des magiciens convertir de l'encre et du papier en flammèches dorées dont le feu d'artifice s'appelle musique...

    quai son, ima, leo ferre, jean-marie viguier

    Alors simple spectateur, un peu photographe, j'ai abusé de ma position assise en savourant des instants tranquilles. Cette chaise n'est pas la mienne, juste celle d'un musicien, parfois assis, parfois debout... Mais elle aussi semblait baignée d'une lumière apaisante aux reflets dorés.

    quai son,ima,leo ferre,jean-marie viguier

    Allez savoir pourquoi...

    * Jean-Marie Viguier (guitare, chant), Rémy Chaudagne (contrebasse), Jerry Lipkins (claviers, chant), André Cuttitta (accordéon), Nadine Ledru & Fabrice Ach (chant), Fred Vinquent (batterie).

  • Projet

    bouquin_couverture.jpgJe commence à entrevoir ce que peut-être le baby blues, cette phase de déprime qui gagne certaines mères peu de temps après la naissance de leur enfant. Une sensation de vide difficile à décrire si ce n'est qu'elle vous laisse dans un état qui confine à une hébétude interrogative teintée de tristesse. Je me permets cette tentative d'explication parce qu'après le long travail ayant mené à la réalisation de l'exposition Portraits Croisés (dont je vous rappelle qu'il est toujours possible de me commander la version numérique avec plein de morceaux de bonus dedans, il suffit de cliquer ICI pour télécharger le bon de commande, allez-y m'sieurs dames, c'est pas cher et les premiers échos de mes acheteurs sont très positifs), je ressens un besoin impérieux : celui de ne pas me laisser gagner durablement par un malaise inconfortable et, tout de suite, d'imaginer un nouveau projet qui sera comme un guide quotidien des mois à venir. Une petite boussole personnelle, pour mettre des couleurs là où la vie en manque parfois. Un travail créatif qu'on a envie de partager, non sans surmonter les inhibitions qui pourraient vous inciter à penser qu'il est prétentieux d'imaginer qu'on a comme un signal à émettre et que, quelque part, se trouveront bien quelques récepteurs bienveillants. Cette nécessité de la création qui, comme nous l'évoquions voici quelques jours, est une manière de dire non aux renoncements et oui à la vie.

    Ainsi donc, l'idée d'un bouquin qui me trotte dans la tête depuis des années et des années, pourrait connaître une matérialisation à la fin de l'année. N'ayant aucune prédisposition à imaginer ce qui pourrait être un roman (j'ai essayé des dizaines de fois, avant de parvenir à la salutaire conclusion de mon incompatibilité avec l'invention écrite), je vais regarder dans mon petit rétroviseur personnel et travailler une matière existante, cette pâte qui vit déjà sous la forme de différents textes éparpillés ici ou là et que je viens de sélectionner. Oh, bien sûr, le plus difficile est à venir : il me sera nécessaire de lire et relire, de corriger, de décontextualiser certains propos, bref... de sculpter ! Je connais les affres d'un tel chantier, j'en connais aussi les bonheurs. Et je m'aperçois que le stock à remodeler prendra en réalité la forme de deux livres distincts... dont je ne dis rien de plus pour l'instant mais qui me sont essentiels de mon point de vue. Non que je pense un seul instant qu'ils soient d'un intérêt majeur, mais parce qu'ils sont une réalisation de ce qui m'habite depuis ma plus tendre enfance. Peut-être une manière d'exprimer noir sur blanc ce qu'un handicap congénital m'interdit parfois de verbaliser...

    Et puis... selon ma vieille habitude, je sais par avance que le résultat sera légèrement différent de ce que je vous laisse entrevoir aujourd'hui. Parce qu'il s'agit d'une matière vivante, dont la forme est en mouvement permanent. Quoiqu'à bien y regarder, je ne vous laisse pas entrevoir grand chose... J'essaierai juste d'être à la hauteur de mes propres rêves...

    Avis à certain(e)s ami(e)s qui se reconnaîtront : ce projet ne saurait entraver mon travail de rédaction pour un magazine de jazz auquel je collabore. Tiens, j'y retourne de ce pas !!!

    NB : la couverture ici présentée est plutôt un gag, même si le titre du premier bouquin sera probablement celui-là.

  • Précieuse archive

    J'étais tout récemment l'invité de Xavier Brocker, qui anime chaque semaine ses Jazz Galaxies sur une radio locale. Histoire de partager nos coups de cœur, de bavarder paisiblement à l'antenne et de donner à entendre d'autres musiques que celles qui nous sont paresseusement servies la plupart du temps sur les ondes (je ne méconnais cependant pas la qualité qui continue à régner sur certaines fréquences du service dit public). Nous avons réussi un enchaînement assez réjouissant, allant du premier album de Magma jusqu'au prochain disque du Nord-Sud Quintet d'Henri Texier*, en passant par cette bande de joyeux allumés que sont les toujours baba-cool du groupe Gong, les échappées belles du Baïlador de Michel Portal ou bien encore la célébration de Duke Ellington par le Big Band de l'Air, le maître de cérémonie tenant – et je l'en remercie – à souligner le talent de mon fils qui en est l'un des saxophonistes. Promis, je n'avais rien demandé. Mais j'ai apprécié le clin d'œil...

    Je n'avais pas plus souhaité devenir l'heureux dépositaire d'un petit trésor sonore – même si je m'en sens aujourd'hui très honoré – que celui qui fut le premier directeur artistique du festival Nancy Jazz Pulsations a tenu à m'offrir. Au point que j'en étais presque gêné sur le moment : pensez donc, un enregistrement original d'une vingtaine de minutes, sur bande magnétique, celui d'une création originale dont seul le final a récemment été exhumé lors de la parution du beau triple CD 50 ans de Jazz en Lorraine – French Connection 1955 To 1998.

    bande_magnetique.jpg

    De quoi s'agit-il donc ? D'une musique très haute en couleurs composée par Ivan Jullien, qui venait d'obtenir le Prix Django Reinhardt pour son travail en Big Band. Cette Percussive Stanislas Gavotte, fruit d'une commande passée spécialement par NJP au trompettiste, est captée le 14 octobre 1973 lors de la toute première édition du festival au Chapiteau de la Pépinière. Elle est interprétée par un big band où s'entrecroisent les noms de musiciens prestigieux tels qu'Eddie Louis (orgue), John Surman (saxophone soprano), les batteurs André Ceccarelli, Bernard Lubat et Daniel Humair. Sans oublier une petite dizaine d'autres percussionnistes au rang desquels s'illustre le Quatuor de Percussions de Paris sous la direction de Lucien Lemaire. Une vraie petite folie musicale !

    Il me reste à faire bon usage de ce petit trésor. Non commercial, bien entendu, mais animé avant tout par le souci d'un partage avec tous les amoureux de la musique. Peut-être, pourquoi pas, en le proposant à l'écoute sur ce blog. Il faudra d'abord que je trouve la personne qui pourra effectuer le transfert de cet enregistrement vers un support numérique, parce que je ne possède malheureusement pas le magnétophone à bande qui est nécessaire à sa lecture.

    Affaire à suivre donc... et que vive la musique, une fois encore !

    * Qui vient de me passer commande d'un exemplaire de Portraits Croisés ! Je mesure donc l'honneur qui est fait au travail que Jacky Joannès et moi-même avons entrepris pour fixer dans le temps notre exposition automnale.

  • Portraits Croisés numériques !!!

    Voilà, c'est terminé !!!

    Le travail sur lequel je planche depuis quelques semaines aboutit enfin à un résultat qui me semble satisfaisant : l'édition numérique de "Portraits Croisés", cette exposition réalisée avec la complicité de mon ami Jacky Joannès !

    couverture_portraits_croises.jpgAprès le temps de l'exposition vivante et éphémère - nos productions ont été visibles à la Médiathèque de Laxou du 6 au 23 octobre dernier, dans le cadre de Nancy Jazz Pulsations - voici venu celui d'un support un peu plus durable. Nos quarante-sept portraits de musiciens (auxquels s'ajoutent deux inédits et un long focus multimédia sur un drôle de concert... celui du 11 octobre 1975, lorsque la prestation d'un "all star" - Dizzy Gillespie, Oscar Peterson, Milt Jackson, Joe Pass et des meilleurs... - a fini par provoquer un clash mémorable entre Norman Granz, imprésario imprévisible et fantasque, et l'équipe de NJP) trouvent maintenant un autre écrin pour venir vers vous.

    Sous la forme d'un fichier PDF pensé dans le but d'une navigation simple à l'aide de signets interactifs, agrémentée de quelques petits bonus (des liens hypertextes vers les sites des artistes, des suggestions discographiques, des archives sonores incluses dans le fichier lui-même et dont on peut déclencher l'écoute par un simple clic), cette production permettra aussi à tous ceux qui n'avaient pas pu venir nous rendre visite à l'automne de découvrir notre double déclaration envers ces funambules que nous admirons tout autant l'un que l'autre. Petite cerise sur la gâteau : un texte introductif qui vous explique la genèse de l'exposition : trois dates clés pour tout comprendre !

    L'édition numérique de "Portraits Croisés" est désormais disponible sous la forme d'un CD que nous vous proposons d'acquérir pour une somme plus que raisonnable !!! Et puis, n'est-ce pas là un beau cadeau à faire à ceux avec lesquels vous souhaiteriez partager votre passion de la musique ? Cela étant dit, pourquoi ne pas vous faire tout simplement plaisir en vous procurant cette promenade qui commence en 1975 pour se terminer 35 ans plus tard ?

    CLIQUEZ ICI POUR TELECHARGER LE BON DE COMMANDE

    Nous serons heureux de vous faire parvenir votre exemplaire numéroté et dédicacé !!!

  • Répliques

    Triangle.jpg

    Il y a dans cette photographie une vraie inclination nostalgique… Je regardais ce matin chez moi les deux premiers albums du groupe Triangle, dont la réédition au format vinyl replica est une incontestable réussite esthétique. Même si leur restitution sonore est bien celle d’un CD (dont l’étiquette est elle-même la réplique de celle des 33 tours originaux), la présentation de ces objets – voilà une dimension du disque, valable également pour le livre, qu’il ne faudrait pas oublier : celle de l’objet qu’on veut tenir entre les mains, pour le toucher, le humer, bref le respirer ! Ne jamais passer à côté du caractère sensuel d’une production soignée et durable – passe par la miniaturisation très soignée des albums tels qu’ils furent publiés initialement : le support est cartonné comme aux bons vieux jours, le disque est glissé dans un pochette en papier, il arbore lui-même la couleur noire du LP et tout ce qui se trouve reproduit correspond fidèlement, mot pour mot, à ce qu’on pouvait lire au début des années 70. Malgré le recours à nos lunettes de quinquagénaires, bien des textes en sont devenus illisibles tant les caractères imprimés sont microscopiques ! Au point qu’il a fallu glisser dans le cartonnage un livret supplémentaire dont la lecture est moins périlleuse pour nos yeux fatigués. Aucune importance, puisqu’on est sous le charme…

    Inutile de finasser : je doute que nos enfants numériques soient très sensibles à ce retour vers un passé musical à forte concentration pétrolifère peu soucieuse de développement durable… Mais comment ne pas ressentir une vraie émotion en retrouvant ces compagnons d’adolescence ? Il suffit de prendre les disques en main pour se laisser envahir par un cortège de souvenirs émouvants : les longues heures passées auprès d’un électrophone arborant fièrement son bras articulé, notre tête collée contre le haut-parleur recouvert d’une feutrine rouge, le bruit de la pointe de saphir ou de diamant venant se poser sur la galette noire en produisant un ploc, juste avant les irremplaçables prolégomènes grésillants qui annoncent l’imminence des premières notes…

    Étrangement, je parcourais tout récemment les bacs d’un disquaire lorrain et, à ma grande surprise, je me suis retrouvé nez à disques avec un mur… de LP, tout beaux, tout neufs. Attention, je n’évoque pas ici des vieilleries recyclées comme celles qui font l’objet premier de cette note, mais de nouveaux enregistrements ! Oui, il s’agissait bien de nouveaux albums… Beaucoup plus séduisants, avouons-le, que leurs voisins tristement nichés dans un boîtier cristal sans âme. Il faut bien le dire : on ne voyait qu’eux ! Enfin, j’exagère : disons plutôt que je n’ai vu qu’eux…  Mais je ne suis pas la seule victime de ce phénomène... Prenez par exemple un type comme le grand Neil Young : s’il publie un nouveau CD, il en proposera aussi une version vinyle, dont il vantera tous les avantages, ce dont personne ne cherchera à le blâmer, parce qu’un véritable consensus s’est dégagé depuis belle lurette sur la qualité du son des 33 tours, dont la reproduction analogique ne sera, semble-t-il, jamais égalée par l’échantillonnage et l’écrêtage de leurs homologues numériques.

    Autre cas de figure qui interroge la connexion entre passé et présent : Charlélie Couture publie un nouveau disque, Fort Rêveur, dont le conditionnement s’apparente à celui d’un LP à l’ancienne. Avec, comme nous le rappelle son argument publicitaire : les textes des chansons, un poster, …

    Il y a des jours, comme ça, où je me sens moins seul au beau milieu de mes souvenirs…

  • Nancy Jazz Pulsations 2010

    cj_youn_sun_nah.jpgLe pari était pourtant loin d’être gagné vu le contexte économique. Les Lorrains, plus encore que les Français dans leur ensemble, ont le moral en berne et sont rarement au mieux de leur forme lorsque l’automne, qui n’est autre ici qu’un hiver mal déguisé, commence à glacer les esprits... On pouvait donc se poser la question : sauraient-ils se distraire – au sens le plus strict du mot – de leurs inquiétudes, pointer le bout du nez hors les murs et participer à cette fête de la musique ?

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  • Mille-feuilles

    Etrangement, l'histoire semble se répéter... Je me rappelle avec un vrai bonheur ces heures, si lointaines aujourd'hui, de découverte d'une myriade d'univers musicaux enchantés, lorsque tapi dans un coin de la chambre de mon frère aîné, je partageais la totalité des coups de cœur qu'il collectionnait en vertigineuses piles de disques, ces galettes dont l'effet magique ne s'est jamais évanoui chez moi. Chez lui non plus d'ailleurs, je suis prêt à prendre les paris. Il suffirait de lui demander. J'ai déjà évoqué ces instants, en particulier dans un texte où je me suis efforcé de décrire un processus naturel d'indépendance vis-à-vis de celui qui était d'une certaine façon mon nourricier culturel. Appelons cette phase cruciale un sevrage, d'abord par la bande à Jerry avant que ma petite route ne me vaille de nombreuses embardées plus ou moins contrôlées... soit le début d'une longue quête dont je pense ne jamais voir la fin et qui me vaut aujourd'hui de ressentir la musique comme une nécessité presque vitale. La musique, les musiques...

    indio-saravanja.jpgAllez savoir pourquoi le passé vient soudainement carillonner à la porte de mon présent. Alors forcément, n'étant jamais à court d'une œillade à mes années de jeunesse, j'ouvre la porte en grand et je laisse entrer mon hôte et son cortège de bonnes nouvelles. Car voilà qu'après avoir écrit voici quelques mois un beau texte, très documenté, le dit frère instructeur a récemment multiplié les appels à la découverte d'un certain Indio Saravanja. Que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam... Ou plutôt, devrais-je dire, ni de Bob ni de Neil, voire de Jackson... Car ce songwriter Canadien originaire d'Argentine, personnage hors normes se battant au quotidien pour faire vivre son art, a probablement biberonné son Zim ou son Loner depuis sa plus tendre enfance. Nul ne pourra le nier... Au point qu'il partage avec eux cette faculté d'exposer tranquillement ses faiblesses, comme cette voix qui, ici ou là, semblera fragile, ou un jeu d'harmonica qu'on devine vacillant. Tant mieux ! Ici, il n'est pas question de gros bras, mais bien plutôt de délicatesse et de sincérité. Et la comparaison avec les maîtres cités un peu plus haut s'arrêtera là parce qu'Indio Saravanja vous enveloppe très vite dans son univers chaleureux et singulier. On s'y attache sans opposer la moindre résistance, en constatant avec un plaisir gourmand qu'il se dégage de ses songs une identité des plus attachantes. Beaucoup d'intelligence, beaucoup de finesse... Je possède par ailleurs quelques indices qui me laissent penser que l'homme est très proche de l'artiste... Ce qui ne saurait nous étonner.

    On peut découvrir la musique d'Indio Saravanja à travers trois beaux disques, qu'il n'est pas toujours facile de se procurer mais qui sont disponibles néanmoins sur la plupart des plates-formes de téléchargement : Indio Saravanja (2005), The Caravan Sessions (2009) et Songster (2010), ce dernier rassemblant des chansons dites de jeunesse, ici interprétées dans leur plus grande nudité et enregistrées en quelques heures seulement. Un disque épuré, loin de tous les artifices des surproductions anglo-saxonnes et, finalement, hors du temps. Et des modes... Let it be naked, comme dirait l'autre. Quant à The Caravan Sessions, il n'est ni plus ni moins qu'un très grand disque, qu'on écoute d'une traite, subjugué par son évidence mélodique. Je n'en dirai pas plus, sachant que du côté de Blue Umbrella, l'essentiel vous est expliqué avec beaucoup d'arguments convaincants et de nombreuses explications fort utiles.

    Me voilà donc à nouveau dans la posture bien confortable du pré-adolescent que je ne suis plus depuis belle lurette. Une situation très confortable, finalement... Un peu comme le gamin qui met les pieds sous la table, sans se demander si quelqu'un a préparé le repas, parce qu'il sait qu'il y aura quelque chose à manger. Oh, je sais que le présent va très vite me faire signe en m'agitant sa grisaille tenace, tel le torero brandissant la muleta sous le nez du taureau. Mais en attendant, je savoure...

    On aura donc compris que si je me laisse souvent assaillir par des bouffées de nostalgie, je développe en contrepartie des stratégies presque surhumaines pour les réprimer, ou plutôt les comprimer autant que possible. Car la tentation nostalgique n'est bonne conseillère qu'à la seule condition qu'on en fasse un usage modéré, sans quoi elle vous interdit de regarder devant vous et vous fige inutilement dans un passé vitrifié à force d'être idéalisé. Mais consommée à petites doses, savourée en quelque sorte, elle vous fait comprendre qui vous êtes, comment vous avez multiplié les efforts pour vous construire et grandir en vous rappelant votre appartenance à ce monde de l'enfance qu'un quotidien brutal essaie d'enfouir dans ses tréfonds les plus insupportables. Alors cette vieille histoire d'apprentissage fraternel qui surgit à nouveau, dans toute sa simplicité, n'est finalement rien d'autre qu'une tranche de vie, une de plus, dans le mystérieux mille-feuilles de l'existence de l'être humain que j'essaie d'être, lui-même goutte d'eau dans l'océan de l'histoire. Autrement dit, pas grand chose finalement...

    Mais nom d'un chien, on a beau surveiller sa ligne et guetter avec une rigueur spartiate le niveau de son indice de masse corporelle, qu'il est bon ce gâteau ! Tiens, j'en reprends une grosse part...

  • Portrait final

    Considérons les jours à venir comme une ligne droite. La dernière, avant l'arrivée... Parce qu'il ne me reste plus à produire qu'un ultime effort, peut-être pas le plus exaltant dans sa réalisation mais ô combien stimulant néanmoins en ceci qu'il correspond à la phase où les pièces du puzzle s'assemblent... celui du retroussage de manches final : retouche et réglage des photographies, mise en page des fonds de pages et des textes, recherche des liens externes et sélection subjective de disques (mes recommandations en quelque sorte), exportation du travail au format PDF, élaboration des signets de navigation, sans oublier - comment faire autrement ? - un minimum de comptabilité pour obtenir, au final, le livret numérique (le digital booklet, comme disent les anglophones) de « Portraits Croisés », cette exposition réalisée en partenariat amical avec le pote Jacky Joannès au mois d'octobre dernier.

    Je peux même vous montrer ici (mais de loin, hein ?) à quoi la chose ressemblera lorsque vous regarderez la double page consacrée à un artiste.

    Voilà, ça ne devrait pas être éloigné de l'image ci-dessous mais... en bien plus grand, en bien plus net, avec ici ou là la possibilité de cliquouiller de la souris pour aller voir un peu plus loin.

    portraits_croises.jpg

    Au final, plus de 100 pages et un service de livraison d'un CD déposé dans votre boîte aux lettres... à condition bien sûr, que ces doubles regards retiennent votre attention.

    Et je serai heureux, pour finir, de vous en proposer un exemplaire personnalisé.

    Allez, je retourne à mes travaux !

  • Equilibre du monde

    Je me suis trouvé l'autre jour - c'était à La Douera, juste après le beau concert du trio malien de Moriba Koïta évoqué la semaine dernière - face aux œuvres d'un peintre dont j'ignorais jusqu'au nom. J'imagine que Patrick Royer me pardonnera cette lacune, sachant que l'omniscience n'est pas exactement ce qui me caractérise. Cependant, mon dilettantisme accorde suffisamment d'espace à ce que je considérerais volontiers comme une capacité revendiquée et non réfléchie à me laisser submerger par une émotion. Impossible dans ces moments étranges de mettre des mots sur l'échange dont je suis alors comme un récepteur, d'abord passif, avant que le temps qui passe me laisse comprendre qu'une résonance vécue par instinct n'est autre que la matérialisation d'une rencontre inéluctable. Allez savoir pourquoi, en pleine contemplation d'un tableau comme World Balance, j'ai subodoré un décrochage assez imminent et un rapatriement de la toile vers son berceau. Chez moi, bien sûr...

    world_balance.jpg
    World Balance, de Patrick Royer

    A l'heure présente, je n'ai même pas envie (ni besoin) de trouver une explication à ce phénomène. Je sais que l'artiste a voulu nous dire quelque chose, je sais également que mes passages répétés devant cette surface acrylique à la rigueur vacillante font naître en moi les premières histoires que m'inspirent ces alignements de lignes habitées de pointillés et ce que je veux voir pour l'instant comme un fossé central - de la pénombre à la lumière - qui semble les éloigner. Y aura-t-il une séparation ? Ou plutôt une réunion naturelle entre ces univers visiblement opposés ? Quant à l'appartenance de World Balance à une série d'œuvres d'inspiration tribale, elle est pour moi une ouverture à la fois vers le passé et vers l'avenir.

    Des questions avant tout, et surtout pas de réponse. Que serait la vie si nous avions toujours des réponses ? Le début de la fin, probablement... Pas pour moi, merci !

  • Place Stanislas

    Vous commencez à me connaître, n'est-ce pas ? Toujours le premier à miauler sous les effets d'une douleur diffuse et néanmoins perverse dès que l'automne avance, à me morfondre en états d'âmes pseudo-dépressifs à la première pluie, à couiner pitoyablement quand la grisaille perdure. Et jamais en peine pour établir la liste chaque jour plus longue des tares météorologiques dont  souffre la Lorraine depuis la nuit des temps. Enfin, la nuit des temps, finalement, je n'en sais rien, je parle ici de la nuit de mes temps. C'est-à-dire un bon paquet d'années maintenant, beaucoup plus qu'il ne m'en reste à vivre, assurément...

    Alors, puisqu'on parle de nuit, je voudrais corriger ici le tir, histoire de vous démontrer que je ne suis pas seulement un pourfendeur grimaçant des froidures orientales. Mais aussi, parfois, un béat truffe en l'air qui sait quand il le veut se réjouir d'un instant habité de magie. Gardez vos ricanements pour vous, je revendique ici haut et fort mon droit le plus absolu à une certaine part de romantisme. Non mais...

    J'ai traversé vendredi soir la Place Stanislas. Notez bien que c'est une chose qui m'arrive assez souvent. Sauf que... La nuit était déjà tombée depuis un petit moment, une pluie glaciale avait laissé sur les pavés autant de pièges qu'il est donné à un être humain de faire des pas. Et pourtant, il y avait quelque chose de très particulier, un peu hors du temps, qui flottait dans l'air ambiant, car j'ai vu ça !

    place_stanislas.jpg

    En toute sincérité, je dois reconnaître qu'il faudrait être un fieffé pisse-froid pour ne pas admirer la magie du spectacle. Les façades illuminées, les réverbères diffusant une lumière tamisée et projetant sur la place leurs flammèches en forme d'étoiles, rejetant derrière elles une bien mystérieuse pénombre, les reflets sur le sol devenu miroir... Il y avait subitement comme la projection in vivo d'un film dont chacun d'entre nous était l'acteur, volontaire ou pas.

    Tiens, ce vélo qui semble glisser sous les coups de pédale d'un homme-ombre : où va-t-il ? Et plus loin, ce couple qui avance bras dessus bras dessous, vers quel refuge romantique peut-il se diriger ? On scrute derrière les fenêtres les clients installés sur la banquette de velours rouge d'un café où l'on doit certainement servir un capuccino bien chaud, surmonté d'une montagne de crème Chantilly. Et là, juste à côté, une vieille dame, assise seule, sirote un verre de vin blanc en grignotant deux ou trois bretzels un peu durs sous la dent. Tournant encore la tête, on devine les derniers signes d'une activité dans les bureaux de l'Hôtel de Ville. Et là, juste à côté, le Grand Hôtel de la Reine, majestueux, dont la bâtisse fait face à celle de l'Opéra, comme si tous deux voulaient aussi engager une conversation mémorielle.

    C'est bête, n'est-ce pas ? Le temps de prendre quelques photographies, je me suis raconté ces petites histoires, j'avais envie de me dire que la vie est aussi faite de ces pépites fugaces, ces fragments essentiels qui nous nourrissent et nous font avancer, le cœur un peu plus léger.

  • Ailleurs

    Ailleurs, vraiment ? Oui, peut-être, parce qu'on peut en effet se laisser gagner par un profond dépaysement, dès les premières notes jouées par Moriba Koïta au n'goni. L'Afrique, notre mère à tous, nous enveloppe et nous emporte, suscitant dans l'imagination des enfants que nous sommes restés des images brûlées de chaleur, vibrant de puissants appels à un partage des émotions essentielles. Mais sommes-nous bien ailleurs ou plutôt ici-même, profondément, au cœur des méandres de notre complexité, celle de l'âme humaine et de sa mémoire éternelle, quand la musique vient chavirer d'un ondoiement recueilli le public venu à La Douëra pour écouter le trio du musicien malien ?

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    Moriba Koïta (n'goni), Moussa Diabaté (balafon), Maryam Sonntoura (chant)

    Revenons quelques instants sur le n'goni, que j'avoue avoir découvert à cette occasion. Il s'agit d'un instrument traditionnel appartenant à la famille des luths, dont le bois est recouvert d'une peau de vache. Ses quatre cordes en nylon sont fixées sur un chevalet en calebasse. Auparavant, elles étaient en crin de cheval mais, comme nous l'a malicieusement rappelé Moriba Koïta, on n'a pas toujours un cheval avec soi quand on casse une corde... Par un raccourci un peu trop rapide, on pourra dire que le n'goni est une sorte d'ancêtre du banjo. Voilà pour la précision instrumentale.

    moriba_koita_moussa_diabate.jpg

    Aux côtés de Moriba Koïta, Moussa Diabaté joue du balafon (un xylophone à vingt et une lames) et de la guitare acoustique. Maryam Sonntourra (dite Kadiaba) chante et danse, dans une imploration particulièrement saisissante. Le trio devient alors hypnotique, il ne reste plus qu'à fermer les yeux, à se laisser bercer au gré de la pulsion douce et sensuellement chaloupée qui en émane. A toucher du bout des rêves l'idée d'une humanité qui serait une et indivisible, et dont tous les regards seraient braqués vers le meilleur. Un rêve, oui certainement... mais auquel on veut croire, tout de même. Des enfants, je vous le répète, nous sommes toujours des enfants.

    maryam_marie.jpg
    Maryam Sonntoura & Marie Ossagantsia

    C'est à l'initiative de Marie Ossagantsia que le trio a pu venir nous inoculer sa musique si pacifique et je ne surprendrai personne – en tout cas parmi ceux d'entre vous qui la connaissent – en vous disant que la chanteuse a, forcément, partagé la scène avec ses invités, le temps de deux ou trois compositions enivrantes. Il faut voir les deux femmes, magnifiques, engager un dialogue habité, s'encourager par d'irrésistibles sourires (décidément, c'est le maître mot en ce qui la concerne, voir à ce sujet une note récente...) et nous conquérir tous par la transmission d'un amour puissant. Et s'il est vrai qu'on ne vient pas ici, par un jour d'automne désespérément gris et sans espoir de lumière, pour offrir la moindre résistance à nos émotions, il est encore plus vrai que cette musique paraît très propice à l'abandon, au lâcher prise.

    A vous les artistes, merci.

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    Moriba Koïta, Marie Ossagantsia, Maryam Sonntoura, Moussa Diabaté

  • Improvisions, le retour

    Il y a quelque temps, j'ai évoqué ici la publication à venir d'un très beau disque enregistré par le pianiste Murat Öztürk et le guitariste designer sonore Jean-Pascal Boffo. Tous deux venaient de me faire l'honneur de m'associer à leurs Improvisions en me demandant de rédiger un texte pour le livret du disque. Soit une gouttelette créative dans leur belle rivière imaginaire...

    Une vraie responsabilité, un peu d'angoisse aussi, la peur de tomber à côté de la plaque... C'est pourquoi j'aimerais, en quelques lignes, tenter de m'expliquer sur la façon dont j'ai envisagé cette (modeste) collaboration.

    3915994709.jpgLorsque j'ai reçu le disque et le visuel de la pochette (qui incluait les notes écrites par chacun des musiciens), j'ai – comme on s'en doute – pris le temps d'écouter dans un grand silence cette musique improvisée, sans vraiment réfléchir. Murat et Jean-Pascal avaient par ailleurs déjà fourni dans leurs propres textes des informations suffisamment documentées sur leur travail pour que je n'aie pas à me perdre en considérations trop descriptives ou factuelles. Alors j'ai voulu jouer le jeu des Improvisions, en ce sens que j'ai noté sur un bout de papier les premiers mots, les premières images qui me venaient à l'esprit en écoutant le disque. Eux-mêmes ayant improvisé, je leur devais une écriture qui repose sur une trame la plus spontanée possible. Mes visions improvisées, en quelque sorte... Je précise ici que j'ai procédé exactement de la même façon pour construire les 57 textes de l'exposition Portraits Croisés, en association avec mon ami Jacky Joannès (avis à la population : un livret numérique est en préparation, avec toutes les photos, tous les textes, des bonus... Tout cela sera prêt au mois de décembre).

    Ne me demandez pas pourquoi, en écoutant Improvisions, j'ai vu, tout de suite, des paysages un peu sauvages, des arbres, des collines, des vallées et un grand lac sur lequel rebondissaient en ricochets de petits cailloux, probablement lancés par Jean-Pascal Boffo ! Le disque semblait m'inviter à un voyage imaginaire et m'offrait un panorama où se dressait un pont (à n'en pas douter inspiré par le précédent disque de Murat Öztürk, Crossing My Bridge).

    La forme générale étant dégrossie, j'ai entrepris de polir mes phrases, en cherchant à préserver la dimension poétique des visions qui avaient surgi en moi. C'est là certainement la phase qui vous ronge le plus, celle de la sculpture, du ciselage des détails et des interrogations : est-ce que ces mots véhiculent leur propre musique ? sont-ils un reflet suffisamment fidèle de ce que le disque donnera à entendre ? a-t-on le droit d'imposer sa propre lecture, au risque d'égarer celui ou celle qui va acheter Improvisions ?

    Aujourd'hui, le disque est là et le texte que j'ai écrit illustre non seulement son livret mais sert aussi à sa promotion. Je croise les doigts pour que mes drôles d'illuminations soient avant tout une incitation à le découvrir.

    Par conséquent, je m'autorise à en faire un peu de publicité supplémentaire en vous indiquant ci-dessous le bon chemin pour le commander.

    Vous pouvez télécharger le bon de commande en cliquant ICI.

  • Sourires

    jeannette dalia curta,marie ossagantsia

    Jeannette Curta & Marie Ossagantsia © Maître Chronique

    Parfois, une photographie vaut tous les discours... Hier soir, Jeannette Dalia Curta se produisait à Villers-lès-Nancy avec ses musiciens dans le cadre du Festival Vand'Influences. Une soirée entre jazz, soul, funk, chanson, bossa nova ou influences directes de sa terre d'origine, la Roumanie. Juste après le concert, elle retrouvait sa complice Marie Ossagantsia – dont il a déjà été question ici et qui faisait partie des 57 « Portraits Croisés » mis en scène dans le cadre de l'exposition réalisée avec mon pote Jacky Joannès au mois d'octobre. Ces deux-là se connaissent bien et l'on en viendrait à appeler de nos vœux une prestation à deux voix. On devine déjà que le grand gagnant de ce duo de charme serait le sourire !

  • IMA bien plu

    Allons allons, les pleurnicheries automnales ne sauraient tenir lieu de fil conducteur à mon petit laboratoire textuel... La tentation est grande pourtant : tenez, pas plus tard qu'hier soir, j'ai détruit mon parapluie. Un gros coup de vent, le machin fabriqué chez les Chinois se retourne violemment et se désintègre, sans le moindre cri de souffrance. Je pense toutefois avoir battu mon record personnel en maintenant en vie l'objet protecteur durant plus de six mois. D'habitude, c'est deux ou trois, rarement plus... Eh bien vous savez quoi ? Ça m'a fait marrer ! Je me suis dit que la prochaine fois, je choisirais un robuste modèle made in Aurillac en non pas en RPC, comme disent les marchands avides. Certes, la chose me coûtera quelques brouzoufs de plus, mais j'aurai ma conscience pour moi.

    Pourquoi est-ce que je vous dis tout ça, au fait ? Ah oui : hier soir donc, plutôt que de me morfondre en lamentations pluvio-lorraines (je compte bien cependant m'adonner régulièrement à cette activité maniaco-dépressive dans les semaines à venir), j'ai bravé la pluie battante pour rallier la petite salle du Quai Son où, un lundi sur deux environ, se tiennent les lundis de l'IMA, sous la houlette de Jean-Marie Viguier. Je ne vous en dis pas plus sur ce sympathique rendez-vous nancéien et néanmoins musical, sachant que j'ai dans mes cartons un petit entretien avec le monsieur pour Citizen Jazz.

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    Jean-Marie Viguier © Jacky Joannès

    Le Quai Son – qui tire son nom de son implantation Quai Claude Le Lorrain et de sa nette tendance à émettre des sons – est une petite salle, avec un bar, quelques tables et chaises. Au fond, une scène. Voilà, c'est aussi simple que ça, mais on pourra ajouter que le lieu est plutôt accueillant, avec sa lumière tamisée, son public à effectif variable mêlant musiciens et autres habitués qui finissent par former un petit club. Hier soir, l'invité était le saxophoniste Vincent Thékal entouré de ses trois complices belges : Laurent Melnyk à la guitare, Michel Vrydag à la basse (et aux compositions), Kris Duerinckx à la batterie.

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    Vincent Thékal © Jacky Joannès

    Voilà un combo tout en énergie savante dont le jazz élaboré n'a jamais manqué un seul instant de cette composante essentielle qu'on pourrait baptiser la vi(e)vacité. On me pardonnera ce quasi néologisme qui me semble un bon raccourci du ressenti à l'écoute du répertoire de Vincent Thékal. Les compositions originales du groupe sont entrecoupées de quelques reprises parmi lesquelles celles de Wayne Shorter sont en bonne place (« Juju », « Speak No Evil »), ce dont on ne saurait se plaindre. Une heure et demie dans une ambiance presque cosy, à écouter une musique vivante : franchement, que voulez-vous demander de plus en ces heures grises ?

    On attend le prochain rendez-vous...

  • Monautomne

    J'ai hésité entre deux titres pour cette note d'humeur morose. Au départ, je pensais à Douleurs d'Automne et puis, en regardant la photographie prise cet après-midi quelque part dans la campagne des environs de Nancy, en m'apercevant de plus que sans avoir effectué le moindre réglage préalable de mon petit compagnon sino-japonais, j'avais capté un paysage qui semblait avoir perdu de lui-même toutes ses couleurs, faisant naître chez moi une très pénible sinistrose.

    monautomne.jpg

    A l'évidence, je suis un dépressif automnal... Les effets désastreux de cette maladie chronique annuelle sont renforcés chez moi par une détestation toujours plus grande du climat lorrain. Du côté de par ici, l'été fait montre d'une mesquinerie sans égale, en pointant très timidement le bout de son nez à la fin du mois de juillet pour filer au loin dès le début du mois d'août. Et encore, pas tous les ans : j'ai connu des années sans été... Tout le reste de notre calendrier n'est qu'une immonde pataugeoire pseudo hivernale : grisaille, pluie, froid, nuages bas, vent d'est ou du nord. Ici, nous accueillons généreusement les dépressions venues de l'ouest qui semblent trouver chez nous un terrain propice à leur épanouissement, au point qu'après avoir très péniblement franchi la célèbre barrière plus connue sous le nom de ligne bleue des Vosges, elles nous reviennent toutes ragaillardies quelques heures plus tard sous la douce appellation de retours d'est. Saloperies...

    Qu'on me donne les pleins pouvoirs ! Je supprimerai dès le premier jour par décret les mois de novembre, décembre, janvier... et même février, tant qu'on y est.

    Et juste avant ma destitution, je m'autoriserai par ailleurs à expulser de notre territoire quelques nuisibles qui se vautrent sous nos yeux ébahis dans une indécente politique de caniveau... Chance dans notre malheur météorologique, avec toute la pluie qui tombe dans le coin, ils fileront très vite rejoindre les égouts dont ils n'auraient jamais dû s'extraire.

    Et comme il me reste – tapi très profondément en moi – un vieux reste d'optimisme béat, et certainement stupide, j'imposerai comme hymne national cette version inoxydable de « My Favorite Things » par John Coltrane. On a fêté tout récemment les cinquante ans de cet enregistrement, qui constitue un remède très efficace à la morosité ambiante dont j'ai conscience de me faire l'écho aujourd'hui...

  • Keystoned

    Week-end de la Toussaint, un ciel de plomb coiffe la ville de Lyon. Pluie, nuages, pluie, nuages... Rien de bien réjouissant au-dessus de nos têtes, mais c'est ailleurs qu'il faut chercher le soleil. Celui de la musique par exemple. Alors direction La Clef de Voûte, ce petit caveau niché sur les pentes du quartier de la Croix-Rousse... On se presse autour des quelque soixante sièges qui attendent le public venu nombreux, on se tasse au besoin pour applaudir une bande de jeunes musiciens réunis sous l'appellation très opportune de Keystone Big Band.

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    Ceux-là vont nous proposer leur relecture souriante de Count Basie, Duke Ellington, ou de compositions originales concoctées par François Théberge qui fut le professeur de bon nombre d'entre eux. Et n'en déplaise à un éminent jazzologue hexagonal qui leur reproche un académisme préoccupant (sic) ainsi qu'un intérêt trop marqué pour la note au détriment de la musique, force est de constater que les deux sets proposés par ce big band ont sévèrement réchauffé l'atmosphère et insufflé au public une sacrée dose d'énergie bienfaisante. Sous la houlette de Frédéric Nardin (piano) et Jon Boutelier (saxophone ténor), ces jeunes artificiers n'ont pas cherché midi à quatorze heures en partageant tout simplement leur plaisir d'être là. Les thèmes s'enchaînent, chacun y va d'un chorus pétulant, les sourires circulent entre les pupitres et c'est très bien ainsi. Le Keystone Big Band allie le classicisme d'un répertoire patrimonial à la fougue de sa jeunesse : le cocktail est savoureux, inutile donc de rallier le camp des esprits chagrins...

    Allez, c'est le moment d'en reprendre une petite gorgée... A votre santé ! Vous avez même le droit d'en abuser...

    Un court extrait du concert du Keystone Big Band à la Clef de Voûte (Lyon), le lundi 1er novembre 2010. Ses dix-sept musiciens interprètent "Suburban Beauty" de Duke Ellington.

  • Improvisions

    Le pianiste Murat Öztürk et son complice designer sonore Jean-Pascal Boffo m'ont fait l'honneur de me demander la rédaction d'un texte qui illustrera le livret de leur prochain disque, Improvisions. Cette belle aventure improvisée sera disponible prochainement, mais en attendant, je partage ici la modeste contribution qui a été la mienne. Si ces quelques lignes peuvent vous donner envie d'en savoir plus sur leur musique, alors le pari sera gagné. Et merci à eux deux, une fois encore.

    improvisions.jpg"Improvisions" ou la connivence de deux funambules. Une complicité qui nous transporte au gré du courant d'une rivière imaginaire traversant des paysages dont la quiétude est parfois troublée par les soubresauts d'une vie en liberté. Alors, nos sens en éveil scrutent, là haut, cet horizon lointain qui ne dévoile pas ses mystères au premier regard.
    On avait laissé Murat Öztürk sur un pont qu'il franchissait dans l'équilibre d'un quatuor. Entre Orient et Occident, le pianiste donnait vie à ses voyages, d'un doigté subtil soulignant la sérénité de mélodies méditatives, parfois zébrées d'accords plus convulsifs.
    Jean-Pascal Boffo, déjà, était là... Le ciseleur d'arpèges, guitariste amoureux du chant de la musique, déployait ses cordes dans un espace sonore qu'il animait d'une imagination impressionniste.
    Après le passage du pont, voici venu le temps du grand saut vers l'inconnu stimulant de l'improvisation. Le beau défi de l'invention spontanée, celle qui dessine une route invisible, parfois guidée par le cher hasard nietzschéen.
    Murat Öztürk, qui jamais ne perd de vue la nécessité de la mélodie, joue la carte de l'épure. Il nous offre des accords à notes comptées, comme s'il se savait emporté vers l'essentiel.
    Jean-Pascal Boffo, en designer sonore attentif à ce qui s'imagine devant lui, invente de nouvelles couleurs et suggère ses propres chemins. Il lance de petits cailloux – échos, boucles, samples, sons inversés – à la surface d'une eau limpide qui s'anime de mouvements éphémères et harmonieux. Il flotte comme un parfum de magie dans ce dialogue fraternel.
    Écoutons ces deux musiciens vivants nous raconter leur belle aventure...

    Pour commander le disque : improvisionsprojekt@gmail.com

  • Magique

    Nancy Jazz Pulsations, c'est fini. L'édition 2010 s'est terminée en apothéose avec une soirée de clôture tonitruante, sous les coups de boutoir de Marcus Miller et sa basse virtuose pour une relecture haute en couleurs de Tutu, ce disque de Miles Davis dont il avait été le compositeur, l'arrangeur et le producteur en 1986. J'aurai l'occasion de revenir sur ce festival dans un prochain article pour Citizen Jazz, afin de souligner quelques moments forts, comme le concert d'Avishai Cohen, ou la soirée réunissant le trio Thomas Savy et le quartet de Diego Imbert. Sans oublier, bien sûr, le grand Dave Holland au Chapiteau de la Pépinière.

    Et puis, délicieuse cerise sur ce savoureux gâteau musical, la prestation enchantée de Youn Sun Nah, une chanteuse coréenne envoûtante dont la complicité intimiste avec le guitariste Ulf Wakenius a suscité une adhésion méritée du public venu remplir La Fabrique, cette petite salle qu'on imaginerait volontiers devenir, ici, un lieu dédié au jazz. Ce lieu qui fait cruellement défaut à la ville de Nancy.

    ysn&mc_3_101015.jpgYoun Sun Nah © Jacky Joannès

    Le public est attentif lorsque Ulf Wakenius entre seul en scène pour nous proposer un petit échauffement (a warm up), seul à la guitare, avant l'arrivée de sa complice chanteuse. Dans la salle, un groupe d'enfants – toute une classe de sixième – ouvre de grands yeux, c'est le premier concert auquel ils assistent. Ils écouteront religieusement pendant près d'une heure et demie, captivés par le spectacle qui s'offre à eux. Très vite, Youn Sun Nah fait son apparition, arborant un sourire absolument désarmant. Elle nous dit quelques mots, nous explique dans un murmure combien elle est heureuse de se trouver là. Et c'est parti pour l'enchantement : qu'elle chante ses propres compositions ou des thèmes de bossa nova de João Gilberto ou Egberto Gismonti, qu'elle reprenne à son compte « Avec le temps » de Léo Ferré ou « My Favorite Things » (dont la version transfigurée de John Coltrane fêtera ses 50 ans après-demain), cette chanson tirée de La Mélodie du Bonheur pour une interprétation a cappella avec comme seul instrument un discret kalimba, qu'elle nous emmène dans son pays avec un chant traditionnel coréen, tout devient beau, habité par la grâce. Oui, la grâce ! Il y a des artistes charismatiques, magnétiques et parmi eux, certains ont en plus cette faculté supplémentaire de rayonner et d'emporter avec eux leur public vers un ailleurs un peu magique. Youn Sun Nah est de ces êtres qui irradient leur entourage au point qu'au moment où les lumières se rallument, on se demande si l'on a vécu ces instants ou si on les a rêvés.

    C'est d'ailleurs ce que j'ai tenu à lui dire alors que, venue saluer son public, la chanteuse s'émerveillait devant ces enfants qui levaient le doigt pour lui poser des questions, avant de lui tendre de petites feuilles blanches pour emporter avec eux un autographe. 

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    Youn Sun Nah & Maître Chronique © Jacky Joannès

    Youn Sun Nah ose à peine croire aux compliments qu'on lui fait, c'est elle qui nous remercie alors qu'autour d'elle, les yeux brillent, encore illuminés par ces instants de bonheur, par cette cérémonie du chant durant laquelle elle aura démontré l'étendue de son talent, qui est immense. On reste fasciné par l'aisance avec laquelle elle aura pu faire appel à son registre vocal – du soupir au cri – et mener, non sans humour parfois, sa belle embarcation musicale.

    Et pour que la fête continue encore un peu...



    Découvrez Youn Sun Nah en live avec "My favorite things" sur Culturebox !

  • L'œil et la main...

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    Cette fois, c'est la dernière ligne droite ! Encore un tout petit travail de rédaction - mais pas un portrait - et j'aurai mis un terme à mes petites activités musico-littéraires sur lesquelles je planche depuis la fin du mois de mai... Voilà une expérience qui m'aura comblé au-delà de toutes mes espérances, quels qu'en soient le résultat et l'accueil que réservera le public à deux visions complémentaires de ces musiciens qui seront à l'honneur pendant plus de deux semaines à la Médiathèque de Laxou.

    Moins simple qu'elle n'y paraît, la petite histoire qu'on a envie de raconter en quelques lignes est le fruit d'une méthode que je me suis appliquée de manière assez rigoureuse : une fois les artistes sélectionnés d'un commun accord avec mon complice Jacky Joannès, j'ai toujours procédé de la même façon. Essayer de faire le vide pendant de longues minutes, puis penser silencieusement au musicien et noter immédiatement les premiers mots qui me venaient à l'esprit. Et tenter de me débrouiller avec tout ça pour raconter quelque chose, qui ne soit ni biographie ni chronique... Non, autre chose que j'aurais bien du mal à définir. Une tentative un peu littéraire, dirais-je...

    Tout le reste se sera apparenté à un travail que je qualifierai volontiers d'artisanal. Car une fois la forme dégrossie, il a fallu polir avec patience pour parvenir à un résultat que je n'oserais qualifier de satisfaisant mais dont la musique des mots se trouvait en harmonie avec ce que m'inspirait chacun des artistes.

    Dans quelques jours, de toute façon, ce travail ne m'appartiendra plus.

    PS : merci à Elise pour les menues retouches apportées à ce self made visuel !

  • Monsieur Xavier !

    L'un des meilleurs antidotes à la puanteur du monde qui nous entoure, au comportement nauséabond et à la veulerie de ceux qui s'en disent les acteurs essentiels, est peut-être de se tourner vers des personnes desquelles émane un fort rayonnement, une lumière bienfaisante. Ils vous laissent espérer que tout n'est peut-être pas perdu... et vous irradient !

    Il est vrai aussi que la rupture née de la fin de mon travail d'écriture pour l'exposition « Portraits Croisés » n'est pas sans conséquence sur mon propre fonctionnement... Je me sens comme en état d'apesanteur, un peu prostré, à la recherche d'un prochain projet vers lequel je pourrai me tourner pour y engloutir mes forces. The exhibition blues, peut-être... C'est ainsi... Pendant que d'autres nous recommandent de travailler plus pour que, eux et leurs alliés de la finance paresseuse, gagnent plus, je lis dans les temps à venir, plus que jamais, la nécessité de dessiner les contours d'une vie moins utilitaire, plus orientée vers l'irrationnel, au centre de laquelle se trouve, bien sûr, la musique (mais pas seulement).

    Tenter de résister à la tentation consumériste, concéder à la pression quotidienne le minimum d'une dépense souvent peu utile, marquer le pas et réfléchir. Rester lucide. Défier les nuisibles d'un grand bras d'honneur salutaire... Ne pas leur concéder le moindre neurone disponible...

    Revenons donc à une action totalement bénévole, dédiée à la musique et n'ayant pour seul objectif que la propagation vers le plus grand nombre des bienfaits d'une passion partagée par deux amis. « Portraits Croisés » mettra assez largement en scène une soirée retentissante dans l'histoire de Nancy Jazz Pulsations : celle du 11 octobre 1975, qui vit réunis sous le Chapiteau de la Pépinière des noms prestigieux : pensez donc, Dizzy Gillespie, Oscar Peterson, Milt Jackson, Joe Pass et des meilleurs... Une dizaine de monstres sacrés, un « all stars » réuni sous la houlette d'un imprésario fantasque et amateur de bonne chère, Norman Granz. Cette mise en scène sera par ailleurs illustrée d'une manière surprenante, qu'il m'est impossible de révéler pour l'instant, mais dont je suis certain qu'elle devrait étonner celles et ceux qui viendront faire un petit tour du côté de la Médiathèque de Laxou entre le 6 et le 23 octobre. Je précise ici que ce coup de projecteur braqué sur l'édition 1975 de NJP ne constitue qu'une sorte d'enclave, nichée au milieu d'une cinquantaine de portraits individuels mettant en scène des musiciens s'étant produits sur les différentes scènes du festival depuis ses débuts, en 1973.

    Je dois donc peaufiner cet événement dans l'événement en rédigeant un ultime texte de présentation d'une soirée haute en couleurs dont le contenu m'aura été largement inspiré par ma rencontre avec un grand monsieur, Xavier Brocker. Cet septuagénaire éternel adolescent est une figure historique du festival, puisqu'il en fut le premier directeur artistique (en 1973 puis en 1975), à une époque où l'organisation d'une telle manifestation revêtait un caractère beaucoup plus artisanal et d'où l'improvisation n'était pas exclue, qu'à notre époque qui voit la mise en place d'une véritable machinerie et l'implication d'un grand nombre de personnes et de partenaires issus du monde économique.

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    Xavier Brocker © Maître Chronique - Septembre 2010

    Dans l'intimité bruyante d'un bar du centre ville, j'ai ouvert mon magnétophone et laissé ce grand bonhomme me raconter avec une inénarrable faconde et une grande fraîcheur ses aventures plutôt cocasses et les difficultés rencontrées quand il s'est agi pour lui de mettre tout ce petit monde face au public pour interpréter un numéro de musique bien rôdé, jusqu'aux enchaînements de chorus parfaitement huilés par de nombreuses heures de scène. Dix musiciens « professionnels » jusqu'au bout des instruments, attendant l'arrivée de leur imprésario, et refusant de se produire tant que ce dernier, avec lequel et personne d'autre ils avaient signé un contrat d'engagement, ne leur aurait pas donné le top départ. Pas de chance, Norman Granz avait choisi ce soir-là de s'installer à l'une des meilleures tables de l'époque, jusqu'à en oublier l'heure fatidique. Il fallut le débusquer, lui faire comprendre qu'il ne pouvait rester là et que le spectacle devait commencer. Pas commode, le type s’exécuta mais compromit par les mauvaises relations qui s'installèrent alors la soirée du jeudi suivant, dont les têtes d'affiche s'appelaient Count Basie et Ella Fitzgerald. Excusez du peu... Toute cette histoire aurait pu finir en procès si la Ville de Nancy, impliquée dans le financement du festival, n'avait pas eu la bonne idée d'en rester là, tant le risque d'une mauvaise surprise financière était élevé, n'oubliant pas que les Américains, procéduriers et implacables en affaires, avaient mis toutes leurs chances de leur côté.

    J'entends la voix de Xavier Brocker me raconter cette histoire ! Et poursuivre sur d'autres aventures, celles du saxophoniste Archie Shepp, qui, après avoir revendu le billet d'avion fourni par NJP afin d'en acheter un second lui permettant un petit crochet par... Rome ! avait confondu cette année-là Nancy et Massy-Palaiseau ! Et s'apercevant de sa méprise, demandant au chauffeur de taxi de le conduire au plus vite, lui et ses musiciens, soit deux voitures, de la région parisienne jusqu'en Lorraine, aux frais du festival bien entendu. Je revois mon interlocuteur me laisser deviner à quel point lui-même se sentit ce soir-là très mal, à la seule idée de présenter une facture exorbitante à l'organisation de Nancy Jazz Pulsations. « Une annus horribilis ! »... et le risque pour lui d'être complètement discrédité vis-à-vis de ses petits camarades...

    Trente-cinq ans plus tard, Xavier Brocker vit toujours la musique avec la même passion, il ne résiste que très difficilement au plaisir d'une « causerie » où il aura toujours des milliers de petites histoires essentielles à nous raconter, à chaque fois il voudra illustrer son propos par une série d'écoutes à vocation pédagogique. Dans un vrai souffle, celui de l'enthousiasme et d'une jeunesse intacte.

    Je lui dédie bien volontiers mon travail en cours, tout en sachant que je ne suis probablement pas digne de son talent ni même de la force qui l'habite toujours. J'aimerais seulement être animé de la même fraîcheur d'âme que lui, ce serait déjà beaucoup...