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La fusion de Jazzman et de Jazz Magazine à la prochaine rentrée n'est pas une bonne nouvelle. Quelles qu'en soient les raisons et quoiqu'on pense de leurs lignes éditoriales, il s'agit d'une source de connaissance, une de plus, qui est victime d'un tarissement. Une au lieu de deux. Et même de trois, car dans le même temps, un autre mensuel, Muziq, rattaché à Jazz Magazine, disparaît définitivement des kiosques. La concurrence avec d'autres supports, comme Internet, ne peut à elle seule expliquer la désaffection des lecteurs. Celle-ci trouve probablement aussi son origine dans un désintérêt progressif pour toutes ces lectures qui donnent à écouter (on me pardonnera cette expression) autre chose que le conformisme sonorisé dont la représentation médiatique atteint un niveau maximal. Ces disparitions m'interpellent et m'incitent à repenser la gestion de mon temps rédactionnel dans les mois à venir. J'en reparlerai prochainement.
Je ne vais pas vous faire croire que je suis particulièrement sensible à cette célébration qu'on appelle la Fête de la Musique... J'imagine que nul ne contestera le fait que je déploie quelques efforts, tout au long de l'année, pour la célébrer, sans qu'il me soit nécessaire d'arpenter un soir par an les rues de la ville et tenter de me frayer un chemin au beau milieu de hordes alcoolisées dès que la nuit tombe (et même avant d'ailleurs). Dommage que ces foules ne manifestent pas dans leurs choix quotidiens un intérêt aussi marqué pour la musique durant tout le reste de l'année. Néanmoins, je ne veux pas faire le grincheux et j'adopte une méthode qui constituera ma contribution à cet événement. Il s'agit d'une rédaction (trimestrielle) pour le compte d'un collectif de passionnés de musique en général et de jazz en particulier. Allez, venez, c'est par ICI !
L'un des sujets de l'épreuve de philosophie de la cuvée 2009 du baccalauréat était : « Est-il absurde de désirer l'impossible ? ». Vaste programme... Je serais bien incapable de répondre à cette question à brûle-pourpoint, n'étant pas un expert en ce domaine (je revendique volontiers un côté philo dindon, histoire d'adresser non sans nostalgie un petit clin d'œil à une prolifération végétale du côté du salon de mon enfance...). En revanche, il suffit que j'ouvre les yeux ou les oreilles et que j'observe le monde qui m'entoure pour vérifier la proposition inverse. Il est parfaitement possible en effet de désirer l'absurde tant celui-ci prolifère au quotidien, comme ce bon vieux philodendron.
Mieux vaut tard que jamais. Certes, certes... Mais dire que j'ai ce disque sous le coude depuis trois mois au moins... Shame on me ! J'en parle seulement aujourd'hui alors qu'il est une petite merveille de brassage culturel qui vous regonfle l'âme et vous ferait croire à nouveau en la nature humaine.
Bozilo ? Ça vous dit quelque chose ? C'est un trio dans lequel on retrouve ces deux complices de longue date que sont Bojan Z (piano) et Julien Lourau (saxophones), eux qui ont multiplié les expériences communes depuis plus de quinze ans : au sein de Trash Corporation ou du Sonjal Septet d'Henri Texier, mais aussi dans le quartet du premier ou dans le projet Fire & Forget du second, ou, plus simplement, en un duo chamarré et porteur d'horizons géographiques multiples.
Une rapide évocation familiale : le 8 octobre 2003, Bojan Z et Julien Lourau se produisaient au Vertigo, à Nancy, dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations. Voilà un souvenir personnel d'autant plus émouvant que la première partie de leur concert était assurée par un quartet créé par mon propre fils qui n'avait pas encore 19 ans... Fin de la parenthèse.
Au beau milieu de cette paire BO-LO aguerri vient se glisser un ZI qui n'est pas né de la dernière baguette, soit le troisième larron percussif en la personne de Karim Ziad (connu pour ses collaborations aux travaux d'explorateurs tels que N'Guyen Lê, Cheb Mami ou le regretté Joe Zawinul, excusez du peu). De quoi parachever avec beaucoup d'imagination une entreprise de dynamitage déjà bien amorcée...
Bozilo, enregistré live en mai 2008 à Coutances et au Triton est une addition de leaders qui prend la forme d'un triumvirat équilibré, l'union de trois musiciens qui nous offrent leurs compositions, dont la plupart sont déjà connues et qui nous invitent à un voyage lyrique et sans frontières, passant par les Balkans, le Maghreb et bien d'autres lieux habités par l'âme de leurs peuples.
Je vous en confie un petit extrait, juste avant de boucler ma chronique pour Citizen Jazz... C'est magnifique, tout simplement : « Ederlezi » est le chant découvert dans Le Temps des Gitans d'Emir Kusturica, ici arrangé par Bojan Z.
Bozilo Live - JMS 097-2. Un disque qu'on peut acheter ICI, par exemple.
Au détour de l'installation de son ordinateur sur lequel je m'échine, une collègue découvre que le système d'exploitation - que je ne nommerai pas, tant il est connu - installe des échantillons sonores et parmi ceux-ci, quelques mesures d'une œuvre de Beethoven. La voilà qui m'explique que cette découverte lui donne envie de réécouter toutes ses symphonies... Bizarrement, ce court dialogue un peu incongru me fait penser à la station des Arcs 1800, à son académie festival qui réunit élèves et enseignants durant deux semaines, chaque été. Et sans vouloir me faire passer pour un habitué des concerts qui sont donnés chaque soir, je me réjouis néanmoins déjà de ces quelques soirées auxquelles nous assisterons bientôt, au début du mois d'août. Allez savoir pourquoi, dès que je pense aux années que nous avons passées depuis douze ans dans cette station nichée au-dessus de Bourg-Saint-Maurice, j'entends instantanément les premières mesures de la Sonate pour Arpeggione et Piano de Franz Schubert. Mes connaissances ne me permettent pas de savoir s'il s'agit d'une œuvre majeure du compositeur autrichien, mais à la première écoute, je me suis senti en harmonie totale avec cette musique. Je crois me rappeler que l'un des interprètes était le violoncelliste Xavier Gagnepain, que j'ai déjà évoqué il y a plusieurs mois. Voici les premières minutes du premier mouvement (Allegro Moderato) de cette sonate, dans une version enregistrée en 1968 par le grandissime Mstislav Rostropovitch au violoncelle et le non moins majeur Benjamin Britten au piano. On peut très facilement se procurer cet enregistrement magnifique, pour une somme modique, ICI par exemple.
Nous vivons décidément dans un monde de brutes (oui oui, je sais, ma première phrase est la dernière de la note précédente, c'est fait exprès, chers amis, c'est un petit truc, comme ça, pour décorer mon texte...). Et totalement incohérent. Je prends au hasard deux exemples attrapés au vol de mon quotidien.
J'entendais hier à la radio la promotion lugubre de je ne sais quel bouquin sanglant chez un éditeur à gros tirage mais pas forcément spécialisé dans la littérature. Une voix censée nous faire peur dit : « La plupart des hommes ignorent à quoi ressemble une femme sans peau ». S'ensuit la glorification d'un criminel, sujet central du livre, et de tous les supplices qu'il inflige à ses victimes, des femmes bien entendu. Jusque là, c'est du commerce banal, racoleur et cynique... Donc, normal. Sauf que cette publicité vient s'insérer au beau milieu d'un débat moralisateur sur les dangers d'Internet pour les enfants. Faux débat, me semble-t-il, car le vrai danger, c'est la violence dans laquelle on plonge quotidiennement nos enfants, bien trop tôt, bien trop vite, une violence amplifiée par la démission de trop de parents. Et une belle démonstration d'hypocrisie de la part de cette radio qui nous rappelle que l'argent n'a pas d'odeur.
Hier toujours, je vois sur mon chemin, dans la vitrine d'un bureau de tabac, la figure hilare de notre Président sous la une d'un magazine hebdomadaire ultraconservateur : « La raclée des anti-Sarkozy ». Il faut être doué d'une belle dose d'hypocrisie, là encore, pour parvenir à une telle conclusion après les élections européennes. Qu'elles soient une débâcle pour le Parti Socialiste, personne ne peut le nier. Qu'elles soient une belle baffe pour le MoDem, chacun le vérifiera. Qu'elles aient permis aux écologistes de tirer leurs marrons du feu plutôt mieux qu'à l'habitude, c'est vrai aussi, parce que 16 % de 40 % des électeurs, ça nous donne plus de 6 % du total, soit une performance légèrement supérieure à ce que les Verts connaissent actuellement. Mais franchement, ce qui s'est passé dimanche dernier n'est-il pas l'expression d'une défaite pour l'ensemble des partis politiques, quand 6 électeurs sur 10 décident de ne pas se rendre au bureau de vote ? Et comment peut-on exagérer à ce point la réussite des listes issues du pouvoir en place, quand celles-ci ont tout juste rassemblé plus de 10 % du corps électoral ? La Fontaine nous dit que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute... On peut le vérifier, une fois encore.
Voilà une captivité qui a du bon et à laquelle on succombe volontiers, d'autant qu'il s'agit là non pas d'une volonté de nous enchaîner, mais plutôt de nous... déchaîner et de nous nourrir d'une musique hautement dosée en énergie ! Pour moi, l'histoire a commencé en octobre 2007 lorsqu'Olivier Temime et ses Volunteered Slaves avaient déployé leur belle machine à rythme dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations. La petite salle de la MJC Pichon doit encore s'en souvenir et le répertoire joué à l'époque, celui de l'album Streetwise, était déjà des plus réjouissants. Bis repetita, notre sympathique aréopage vitaminé remet le couvert avec un second opus, Breakfast in Babylon, pour nous proposer, je cite, « un festin musical aux confins du jazz, du funk et de l'afro-beat ». Bingo, voilà encore une affaire qui marche, et même très bien. Quand on peut se permettre de convoquer en cuisine des chefs tels que Prince (« Controversy »), Marvin Gaye (« I Heard It Thru The Grapevine »), les Jackson 5 (« I Want You Back ») ou Herbie Hancock (« Butterfly ») et relever leurs mets déjà bien goûteux de recettes originales signées pour la plupart d'Emmanuel Duprey, l'homme des claviers et de Jérôme Barde, spécialiste patenté du bardophone (pour faire simple, nous présenterons cet instrument comme une guitare qui lui est propre), il y a fort à parier que le menu, bien que particulièrement copieux, sera parfaitement digeste. Et vous pouvez m'en croire, on quitte le festin, l'estomac bien rempli mais léger, après avoir savouré chaque plat et essuyé proprement toute la sauce dans nos assiettes. Pas question d'en laisser ! Chance pour vous tous, ce bon restaurant - je n'ose dire qu'il est dirigé par une bande de toqués, mais en matière de cuisine, c'est là un compliment ! - est accessible à la plupart des bourses. Ce serait un peu stupide de s'en priver...
Olivier Temime : saxophones ténor et soprano, Emmanuel Duprey : Fender Rhodes et claviers, Jérôme Barde : bardophone, Arnold Moueza : percussions & chant, Akim Bournane & Philippe Bussonnet : basse, Julien Charlet : batterie.
Encore un grand monsieur qui nous quitte... Après Elton Dean et Pip Pyle en 2006, le bassiste Hugh Hopper, l'une des figures de proue de ce courant musical qu'on appelle l'Ecole de Canterbury, vient de faire le grand saut, emporté par une leucémie à l'âge de 64 ans. Après l'époque des Wilde Flowers au milieu des années 60 (dont faisaient partie notamment Robert Wyatt et Kevin Ayers), Hugh Hopper fut l'un des membres de Soft Machine entre 1969 et 1973. Il multiplia ensuite les expériences, toujours sur la brèche, notamment aux côtés de Stomu Yamash'ta,Carla Bley, Keith Tippett, Elton Dean et beaucoup d'autres musiciens très créatifs de premier plan
Je ne l'avais vu qu'une fois sur scène, au cours des années 90, dans une formation appelée Short Wave dont les autres équipiers étaient Phil Miller, Pip Pyle et Didier Malherbe, autant de figures de légende de la musique anglaise dite « progressive ».
Sa biographie est impressionnante et pourtant, en dehors de quelques revues spécialisées, on imagine que la disparition de Hugh Hopper ne fera pas la une des magazines.
Le trio Prysm (Pierre de Bethmann : piano, Christophe Wallemme : contrebasse et Benjamin Henocq : batterie), qui a connu ses heures de gloire de 1994 à 2001, a eu l'excellente idée de se reconstituer pour les 25 ans du Sunset à Paris et, mieux encore, pour une série de concerts à l'occasion d'une résidence à Lyon. Jouant dans sa formule classique jeudi, le trio invitait vendredi le guitariste Manu Codjia et, hier soir, un très grand monsieur, le saxophoniste transalpin Rosario Giuliani.
Soit une soirée de musique qui frôlait la perfection ! Un cadre magnifique (l'Amphi, au sous-sol de l'Opéra) où le public est tranquillement attablé dans un petit amphithéâtre, une acoustique parfaite, des conditions d'écoute d'autant plus agréables qu'ici, les spectateurs manifestent un vrai respect pour les musiciens (pas de bruits de conversations parasites, pas de verres qui s'entrechoquent, pas de déambulations) et une belle réactivité à chacun des moments forts.
Comment imaginer que ces quatre là n'ont pas derrière eux des années de musique commune tant la mise en place de leur musique est tirée au cordeau ? Le ton est donné d'emblée avec un « D'ici demain » particulièrement percutant et une première intervention de Rosario Giuliani au saxophone alto qui annonce la couleur de la soirée : on va aller très haut ! Qu'elles soient de Prysm ou de Rosario Giuliani, les compositions qui s'enchaînent le temps de deux sets mettent en valeur la redoutable efficacité de la paire Wallemme - Henocq, flamboyante rythmique sur laquelle les deux feux follets que sont Pierre de Bethmann et son invité d'un soir peuvent laisser libre cours à leur imagination et leur lyrisme.
Voilà quatre musiciens qui méritent notre admiration, sans réserve : ils ont les yeux tournés vers le ciel, leur élévation est la nôtre et l'on sort de ces deux heures de jazz enluminé avec une dose d'énergie maximale.
Merci à vous, messieurs, et vivement la prochaine occasion d'une reformation de Prysm !
Il est de bon ton, depuis hier, de souligner les insultes échangées entre deux hommes politiques participant à un débat télévisé consacré aux élections européennes. Le « pétage de plombs » de l'un d'entre eux est stigmatisé. Soit...
J'aurais deux remarques à ajouter, néanmoins...
Pourquoi radios et télévisions ont-ils omis de préciser qu'après cet échange très vif, les deux candidats se sont mis d'accord pour unir leurs forces afin de barrer la route au président de la Commission Européenne, ultra-libéral et complice de toutes les politiques de dérégulation et de démantèlement des services publics ? Une entente bien plus essentielle que les échanges de noms d'oiseaux qui ont affolé la sphère médiatique pour pas grand chose.
Mais surtout, c'est le principe même de l'émission et son organisation qui sont scandaleux : cette mise en place de « duels » entre candidats, auxquels on accorde un temps de parole proportionnel aux intentions de vote exprimés dans les sondages réalisés par je ne sais quels instituts sous la commande de je ne sais qui. Des candidats sommés de faire court et par là même censés éviter de brasser des idées qui pourraient ennuyer des téléspectateurs qu'on embarquerait dans des considérations trop techniques. On me dit que ce programme était diffusé sur le « service public ». Ce service là, je n'en veux pas !
Un disque d'apparence foutraque, mais qui est rien moins que savant et qui fait un bien fou ! La nouvelle livraison du trio un brin déjanté et néanmoins germano-franco-danois, Das Kapital, est un très grand moment de musique. Ballads & barricades, Das Kapital plays Hanns Eisler, devrait ravir tous ceux qui attendent de l'art autre chose que ce qu'ils connaissent déjà, et qui aiment qu'on les emmène brinquebaler sur des chemins de traverse, histoire de se dégourdir les tympans. Avec sa formule peu commune : guitare, saxophone et batterie, le trio reprend à son compte quinze chansons de Hanns Eisler, qui fut « une icône de l'art communiste allemand » après avoir fui d'abord son pays pendant la seconde guerre mondiale puis, à nouveau chassé mais cette fois par le Mc Carthysme, effectué un retour sur sa terre natale. Il devint même le compositeur de l'hymne de l'Allemagne de l'Est. Nos trois lascars ne reculent devant rien : ils peuvent entamer une bossa nova ou se la jouer calypso avant d'effectuer de joyeuses embardées (imaginez Stan Getz ou Sonny Rollins mettant les doigts dans une prise de courant), puis se lancer dans une valse faussement bancale ou bien interpréter un thème particulièrement émouvant (qu'on aurait volontiers imaginé joué par le Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, en écoute un peu plus bas) qui se transforme en un duel rageur saxophone - batterie, comme une évocation de l'époque où John Coltrane livrait bataille avec Rashied Ali le temps d'un Interstellar Space. Ce disque est d'une incroyable richesse, il nous livre une surprise au détour de chaque mesure et traduit un bel équilibre entre les musiciens qui savent endosser tour à tour le rôle de solistes et de rythmiciens. Voilà une musique savante nourrie de chants populaires qui sait rester accessible à toutes les oreilles de bonne volonté.
« On dit que le rock est mort. On dit que le jazz l'est aussi. On a enterré le socialisme. La liberté a été sécurisée. 68 est en retraite. On nous ordonne de divertir. On nous impose d'avoir peur et de se méfier d'autrui. Enfin, ce n'est pas vraiment notre genre ».
C'est ce que rappellent les musiciens de Das Kapital. On est bien là en effet devant un art engagé, qui ne connaît pas la tiédeur et dont l'inspiration est si puissante qu'on ressort comme étourdi de cette revue jubilatoire. Allez, je m'autorise d'ores et déjà à dire que ce disque sera l'un des plus beaux de l'année.
En écoute, un extrait de « Die Moorsoldaten ». Daniel Erdmann (saxophone ténor), Hasse Poulsen (guitare), Edward Perraud (batterie).
Troisième matinée de soleil consécutive. Cette bizarrerie climatique - j'habite la Lorraine, est-il besoin de le préciser ? - ne laisse pas de m'enchanter, en particulier aux premières heures de la journée quand, privilégié que je suis, je déguste un thé parfumé aux agrumes dans mon jardin de poche, dont la végétation a pris ses plus belles couleurs. Allez savoir pourquoi, ces couleurs enchantées font résonner en moi la musique de « Ripple », petit bijou harmonique qu'on trouve, parmi d'autres trésors, sur l'American Beauty du Grateful Dead. Le groupe connaissait à l'époque, en 1970, une sorte de parenthèse tout aussi enchantée que mon arc-en-ciel arboré, entre les délires psychédéliques de la première époque et les vingt-cinq années qui allaient suivre, plus électriques mais tout aussi échevelées. Cette musique est intacte, comme préservée par les assauts des modes et du temps. « Let there be songs to fill the air... »
Petit retour en arrière sur un moment hors du temps, probablement le plus beau avec le Serbie Academic Choir Coll et ses chanteuses magnifiques, offert par le Festival International de Chant Choral de Nancy. Avec un magnifique ensemble, une interprétation au cordeau, un répertoire exigeant mais jamais austère, un humour élégant et un arc-en-ciel pour les yeux, le Japan Tokyo Trouvere a suscité l'émerveillement. De quoi inspirer les chorales locales dont le manque d'ambition artistique et l'amateurisme étaient flagrants, un peu à l'image de l'enseignement de la musique en France, trop souvent frileux, embourgeoisé et académique. Vivement la prochaine édition en 2012 et la plongée dans d'autres cultures.
Retour en quelques mots sur une soirée de musique comme on en souhaiterait un peu plus, du côté de Nancy. En dehors de son festival annuel, le jazz, finalement, se fait rare du côté de chez nous... Pas étonnant donc que dans ces conditions et malgré une époque peu favorable, celle des vacances scolaires, le Vertigo fût plein comme un œuf, au détriment, avouons-le, du confort des spectateurs. Parce qu'en l'occurrence, deux options se présentent à vous lorsque vous y pénétrez : prévoyant, vous avez réservé vos places et vous vous retrouvez assis à une table dans une position bizarre vous obligeant à tourner la tête à 90° pour voir la scène et encourir le risque d'un torticolis, sauf si vous décidez de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de contempler votre voisin d'en face durant toute la soirée, ce qui peut constituer une redoutable épreuve pour le cas où sa trombine ne vous reviendrait pas. Si au contraire, vous êtes imprévoyant, vous chercherez les dernières places assises et devrez vous contenter d'écouter le concert, ce qui, tout de même, est un peu dommage. A moins que vous n'optiez in fine pour l'option debout et là, vous pouvez vous accouder au comptoir et tourner le dos aux musiciens ou bien, pour finir, décider de vous planter au fond de la salle, face aux artistes et de profiter à plein du spectacle.
Imprévoyant et debout, voilà ce que j'étais en ce soir du 9 avril 2009.
Bien m'en a pris, parce que le Bernica Octet, sous la direction de François Jeanneau, est une formation des plus réjouissantes ! Apparue pendant les années 90 puis évanouie avant de ressurgir à l'instigation de René Dagognet, cette famille de musiciens lorrains cornaquée par le saxophoniste - à ce sujet, je signe illico des deux mains pour avoir cette allure de jeune homme à 74 ans - propose un jazz chatoyant, formidablement arrangé et dynamité par quatre soufflants (trois sur quatre se prénommant François... : Guell, feu follet à l'alto, figure historique de la famille Emil 13 avec son complice Pierre Bœspflug ; Cochet, tromboniste des plus attachants ; Jeanneau, forcément !), eux-mêmes soutenus par une rythmique alliant souplesse et belle présence, notamment sous la conduite de Jean-Luc Déat à la contrebasse. Il faudrait citer tout le monde, ne pas oublier Christian Mariotto à la batterie et Denis Moog, enlumineur guitariste. Le groupe a joué ce soir-là l'intégralité de son tout nouveau disque : Very Sensitive, belle galette qui mêle les compositions de François Jeanneau, certaines inédites et d'autres déjà connues, comme « Kel Essouf » et « Scratchbook » qui remontent au trio Humair - Jeanneau - Texier et plus précisément Update 3.3. aux contributions de François Guell et Pierre Bœspflug. Musique savante, mais jamais laborieuse, imprégnée d'une grande fraîcheur (aucun doute là-dessus, les musiciens s'amusent visiblement sur scène et sur disque) et débordant de sève, le jazz du Bernica Octet est affaire de gourmet. C'est avec le plus grand plaisir qu'on goûte le saxophone soprano de François Jeanneau, haut perché et volubile, comme il le démontre par exemple sur « Very Sensitive ». Ce type-là est un as, ne l'oublions pas et ça ne date pas d'hier (ah, mon album de Triangle acheté l'année de mes 15 ans...). Ses camarades sont loin d'être en reste, la machine tourne bien, sans effort apparent, mais avec une redoutable efficacité. On prend du plaisir en leur compagnie. On en redemande. Parce que cette musique est vivante, tout simplement.
FrançoisJeanneau (sax soprano, direction), René Dagognet (bugle, trompette), François Guell (sax alto), François Cochet (trombone), Pierre Bœspflug (piano), Denis Moog (guitares, oud), Jean-Luc Déat (contrebasse), Christian Mariotto (batterie).
En écoute : « Simple Valse Champêtre », de François Jeanneau.
Zut, je viens encore de me faire griller ! Voilà des semaines que je voulais vous parler d'un disque surgi de nulle part, un double album qui est beaucoup plus que ça en réalité, c'est un objet splendide avec de la musique, des textes, des photos, ce genre de disque qu'on veut posséder pour le toucher, le palper et qu'il ne nous viendrait même pas à l'esprit de télécharger légalement : Sans Tête, c'est son nom, est signé du Surnatural Orchestra. Une bande de fous joyeux, car ils sont plus de vingt, un Big Band qui souffle à pleins poumons une musique de vie comme il faudrait pouvoir en écouter beaucoup plus souvent. Avec ce disque enregistré en concert, on sent que ça vit, que ça respire, sous nos yeux ou plutôt sous nos oreilles, ça invente, ça cherche et ça trouve ! Sans Tête est un beau manifeste, un acte de résistance à tous les formatages en vigueur, un décapsuleur de cerveau disponible. Pratiquant le soundpainting, les musiciens du Surnatural Orchestra nous embarquent pour un voyage dont la destination ne nous est pas connue au moment du départ. Je me suis fait griller donc, parce que je viens de tomber sur une chronique de cet album dont je pourrais revendiquer chacun des mots. Ça m'apprendra à tergiverser, la prochaine fois, promis, je serai plus réactif... Alors, pourquoi vous imposer une double lecture qui pourrait vous sembler fastidieuse ? Allez donc tout simplement faire un petit tour par ICI !
Magma. Oui, encore Magma. Parce qu'au détour de la publication de « Live in Tokyo », un double CD enregistré en 2005 et disponible uniquement en ligne sur le site de Seventh Records ainsi que dans les bacs des disquaires japonais, le groupe nous fait un très beau cadeau avec une monumentale version pour voix et piano d'une trilogie Theusz Hamtaahk condensée en 50 minutes : une interprétation des Voix de Magma qui vient s'installer très très haut dans le palmarès discographique de la planète Kobaïa. Dépouillée de sa charge électrique, livrée à elle-même sans l'appui d'une batterie qu'on sait d'habitude déferlante et hypnotique, la musique de Christian Vander est proposée là dans ce qu'elle a de plus essentiel, de plus vital. Pas une seconde de cette musique qui ne soit transcendée par la foi brûlante de son compositeur, qui nous gratifie, soit dit en passant, d'un magnifique « Nebëhr Gudahtt » où le chanteur est à son zénith, se livrant à l'exercice si redoutable du « scat kobaïen ». Un sommet dans l'histoire de ces 40 ans de musique.
Le disque propose également une version électrique de « K.A », beaucoup moins indispensable dans la mesure où Magma nous en avait proposé une très belle captation sur l'un des DVD de la série Mythes & Légendes, à peu près à la même époque.
Mais ces Voix de Magma justifient à elles seules l'achat du disque, qui n'est pas à réserver aux seuls collectionneurs et autres inconditionnels, parce qu'elles constituent une belle porte d'entrée vers l'univers de la Zeuhl et propulsent la musique vers les sphères de l'intemporel.
Seventh Records réédite très opportunément dans une version remasterisée un album solo de Christian Vander datant de plus de 20 ans maintenant. To Love fut en effet publié à la fin de l'année 1988 et ce disque constituait pour pas mal de gens une vraie surprise. Loin des fureurs de Magma, l'artiste se présentait face à nous presque seul, au piano. Seule la fidèle Stella venait illuminer de sa présence vocale cette musique intimiste, dépouillée, douloureuse (le disque étant un hommage à un ami trop vite disparu) et d'inspiration très spirituelle. En 2009, Christian Vander se lance un nouveau défi : celui de se produire seul en scène, au chant et au piano. L'angoisse préliminaire au récent concert donné en l'église d'Eyzines s'étant dissipée, et malgré un peu de casse matérielle (un touche de piano brisée), cette nouvelle aventure pourrait bien connaître d'autres épisodes tant sa réussite semble avérée par un public chaleureux et conquis. En attendant que Christian Vander vienne se produire du côté de chez vous, pourquoi ne pas prêter une oreille attentive à To Love qui, on s'en doute, n'a pas pris une seule ride et continue d'envoûter ?
La nostalgie n'est plus ce qu'elle était... Tenez, par exemple, mes oreilles écoutent Roadsinger, le nouvel album de Ysuf, autrefois connu sous le nom de Cat Stevens et rebaptisé ainsi après sa conversion à l'Islam en 1977 après un grave accident. Mais comment dire ? Un drôle de sentiment me gagne, que j'avais déjà ressenti de la même façon en 2006 lors de la publication de Another Cup. Notre bonhomme fait beaucoup d'efforts pour se rappeler au bon souvenir de son vieux public - qui ne l'a pas suivi dans son chemin spitrituel - en retrouvant les accents du chanteur qu'il était au début des années 70 : voix inchangée et toujours magnifique, mélodies finement ciselées, instrumentation très intemporelle et identique à celle des premiers disques. On s'y croirait, cela ressemble à s'y méprendre à un revival en bonne et due forme, on entend même quelques notes, jouées au piano, extraites de « Sitting », vieille chanson de l'album Catch Bull At Four et pourtant... quelque chose est cassé. Est-ce la tonalité volontiers prêchi-prêcha des textes qui nous gêne un peu aux entournures ? Est-ce le souvenir des prises de position très ambiguës du chanteur lors de la fatwa lancée contre l'écrivain Salman Rushdie qui nous reste en travers des tympans, malgré leur explicitation ultérieure un peu alambiquée ? Difficile à analyser, et même si Yusuf se présente aujourd'hui comme un militant de la paix, cette nouvelle galette n'apporte pas grand chose, en dehors de regrets. L'histoire de l'homme nous brouille un peu l'écoute.
J'observe - ou plutôt j'écoute - un mouvement de retour en arrière, assez loin vers les années 60 et 70, dans le monde de ce que j'appellerai, pour simplifier, la musique rock. Voilà un phénomène qui me rassure en ce sens que je me fais moins l'effet d'être un vieux schnock lorsque je m'aperçois que de jeunes musiciens vont puiser dans les mêmes fonds de catalogue que moi (et quelques autres d'ailleurs) ! Comme s'ils avaient tiré un trait sur toute la période commençant à la fin des années 70 et le désastre disco annonçant le désert des années 80 et ce qui en a découlé par la suite. Toute cette période où la création musicale comptait beaucoup moins que la rentabilité qui pouvait être dégagée de l'investissement à court terme sur une éphémère tête d'affiche. Mon fils, manifestant ainsi probablement plus de sagesse que son père, dit qu'il s'agit là d'une nouvelle mode en attendant la suivante. Une mode donc, consistant à n'en avoir pas. Aujourd'hui pourtant, on se réclame des pères de la soul music, on convoque la musique acoustique d'origine californienne, les synthétiseurs sont rangés dans les placards au profit de claviers plus traditionnels. Volontairement, je ne citerai aucun nom. Mais je me pose la question du lien qui pourrait exister, s'il s'agit d'un mouvement à plus long terme, entre la prise de conscience du basculement écologico-économique que nous allons forcément devoir vivre dans les années à venir, et cette autre nécessité exprimée ainsi d'une musique moins encombrée d'artifices et plus chargée d'esprit, aux antipodes de celle qui avait pu s'épanouir durant les années « fric » et toc. Ou peut-être tout ceci n'est-il que le fruit de l'imagination du potentiel (futur) ringard que je suis. La parenthèse vous indiquant d'ailleurs que ce processus irréversible est peut-être déjà engagé.
N'empêche... puisque l'on parle de vieux croûlants... Il y a ce gamin de 61 ans nommé Steve Winwood dont j'aimerais vous parler plus longuement un jour. Ce type là chante comme un Dieu et tout son parcours parle pour lui, sans qu'il soit besoin d'en rajouter : Spencer Davis Group (à 15 ans), Blind Faith avec Eric Clapton (à 20 ans), Traffic et sa discographie magique (dans la foulée de Blind Faith), ses albums solo (dont le tout récent Nine Lives est exemplaire) et sa participation à quelques galettes historiques : Electric Ladyland de Jimi Hendrix, Berlin de Lou Reed ou encore Broken English de Marianne Faithfull.
Allez, vous partez avec moi pour un petit retour en arrière ?
J'écoutais ce matin un débat très intéressant sur le thème de la connaissance et de la mémoire avec pour corollaires les problèmes posés par les actuels supports de stockage magnétiques. Il est désormais avéré que la durée de vie des CD et autres DVD est beaucoup plus limitée qu'on ne l'imaginait à l'origine, tout comme celle des disques durs sur lesquels il nous faut enregistrer nos photos numériques, nos achats de musique en ligne et bien d'autres fichiers informatisés. A l'heure actuelle, je ne vois pas d'autre solution que celle consistant à doubler (voire tripler) mes sauvegardes sur des disques externes, partant de l'idée que l'hypothèse d'un crash simultané de toutes ces unités est peu probable (même si rien n'interdit à un avion de s'écraser sur ma maison et de tout détruire...). Qu'en sera-t-il dans les années à venir ? Faut-il imaginer d'autres matériaux, plus résistants ? J'ai lu quelque part que des recherches étaient menées pour élaborer des disques en verre, infiniment plus résistants, mais plus onéreux. Doit-on inventer de nouveaux circuits de sauvegarde distante, favorisée par la généralisation des hauts débits ? Et cette accumulation de supports peu encombrants, ces possibilités démultipliées de mémoriser font-elles de nous des homo sapiens plus riches de connaissances que ne l'étaient nos ancêtres ? Etrangement, à peine m'étais-je posé toutes ces questions que j'ai ressorti de ma bibliothèque un vrai bouquin, avec du papier et de l'encre, et que je me suis ressourcé à la lecture de quelques pages de « La Recherche du Temps Perdu ».