Émotion, silence, sujet, verbe, complément et fin du monde
J’entendais ce matin une courte rubrique de France Inter appelée la Playlist dont le slogan est « On aime, on en parle ». En l’écoutant, j’ai pensé au chemin que j’essaie d’emprunter ici ou dans le cadre de mes chroniques pour Citizen Jazz. Il s’agit bien en effet de trouver les mots les plus appropriés pour donner envie à nos lecteurs de découvrir des disques qu’on aime et d’aller encourager les musiciens sur scène.
Néanmoins, j’aimerais faire part ici de deux ou trois réflexions relatives aux disques dont je ne parle pas ou que j’évoque (très) longtemps après leur parution... Je vous les livre en vrac, comme elles me viennent. Et puis, il est possible que je vous parle aussi d'autre chose, mais je n'en sais rien encore, on verra bien.
Un disque me laisse indifférent ou ne me parle pas ? Dans ces conditions, pourquoi donc prendrais-je le temps de partager cette distance vis-à-vis d’une œuvre ? Pour tenir des propos négatifs qu’on pourrait, à juste titre, me reprocher ? En quoi y suis-je autorisé ? Il m’est arrivé quelquefois d’écrire un texte de ce type : mais à une exception près je crois (et encore cette chronique était-elle tournée sur un mode qui se voulait humoristique parce que le groupe concerné vous avait un petit air de produit marketing qui m’autorisait, je crois, une pointe de taquinerie), jamais je ne me suis résolu à aller jusqu’au stade de la publication. Je garde ces textes, parce qu’ils sont nés d’une nécessité, mais celle-ci, finalement, ne concerne que moi. Le temps passe trop vite pour qu’on ne le consacre pas à dire qu’on aime. C’est un vieux débat, d’autres que moi, certainement d’éminents spécialistes, affûteront des arguments démontrant les bienfaits de la contradiction et me rangeront dans la catégorie des politiquement corrects. Je leur laisse ce plaisir.
Il se trouve que je fais partie d’un réseau dont chaque membre se voit offrir la possibilité d’écouter beaucoup de musique. Nous bénéficions donc d’un privilège inouï, celui d’une découverte permanente (ou presque), chaque jour renouvelée, qu’il est matériellement impossible de glisser intégralement dans les interstices de nos emplois du temps. Un peu comme si nous étions engagés dans une drôle de course contre la montre. Il y a dans toute cette matière première mise à notre disposition largement de quoi trouver nos bonheurs respectifs et nous interdire de regarder en arrière. Car il faut le dire et le redire : la crise du disque est une réalité très cruelle, mais j’ai l’impression d’avoir été rarement confronté à une richesse musicale telle que celle qui nous est livrée actuellement. Certes sous-exposée la plupart du temps (d’où notre rôle de modestes passeurs), parce qu’il est extrêmement compliqué pour un musicien de se faire connaître, mais d’une créativité étourdissante. Je vous parle ici de musiciens qui ne vivent pas des ventes de leurs disques, pour lesquels ces derniers sont une nécessaire carte de visite (sinon, pas de scène ou très peu, pas d’accès aux festivals, ...) et déploient des efforts immenses pour exister autrement, par le biais de concerts notamment.
On est alors dans une situation étrange : être habité de la certitude qu’on ne « capte » qu’une infime parcelle de tout ce qui est publié et en cela se dire qu’en écrivant sur un tel, on sera forcément injuste vis-à-vis d’un autre. Dans ces conditions, un silence vaut-il condamnation ? Non, pas du tout ! Il est souvent le résultat d’une impossibilité matérielle (pas le temps, vraiment, d’écrire sur tout) ou d’une difficulté à produire un texte qui soit conforme à ce qu’on souhaite publier et qu’on juge parvenu à un état satisfaisant.
De plus, à ce niveau, je revendique le droit de m’accorder le temps nécessaire à la maturation d’un écrit. Parfois, un texte surgit en quelques minutes, après deux ou trois écoutes seulement. En une heure, la chronique est bouclée. Ce n’est que rarement le cas, il faut bien le dire, le dernier exemple en date fut pour moi le Kubic’s Monk de Pierrick Pédron, avec une chronique écrite en quarante minutes. Je suis un laborieux de la phrase, un tâcheron des lignes, un bafouilleur de la syntaxe et je dois, jour après jour, m’imprégner d’un disque pour que les premières phrases finissent par se dessiner, un peu n’importe comment : ce sont des mots qui se baladent, des idées qui me traversent l’esprit, ils viennent, ils repartent, c’est assez chaotique à l’intérieur, je ne vous le cache pas. Bref, le bordel ! Il arrive aussi que, malgré un tel processus, rien ne vienne, c’est la sécheresse totale et l’exaspération parce que ce disque-là, on l’aime, mais le déclic de l’écrit ne s’est pas produit. Alors je mets de côté, j’attends et j’y reviens, plus tard. C’est la raison pour laquelle – non soumis à quelque diktat promotionnel que ce soit – je revendique également la possibilité d’évoquer un album plusieurs mois après sa parution, parfois plus d’un an (au grand dam des musiciens eux-mêmes qui, je les comprends volontiers, peuvent manifester une certaine impatience parce qu’un soutien leur est toujours précieux). Il faut que les choses soient claires : écrire au sujet d’un disque, c’est plus que jeter deux ou trois mots à la va-vite d’un doigt distrait sur le clavier : sinon, il existe un moyen très simple de coller à l’actualité qui consiste à recopier à peu de choses près le contenu des dossiers de presse (il m’est arrivé d’être un peu étonné en constatant certaines similitudes entre des chroniques et ces derniers, mais chut... je ne dirai rien). Une telle méthode témoignerait d’un manque de respect pour le travail qui a été entrepris par les musiciens. Si je veux « rendre » une petite partie de ce qu’ils nous offrent, alors je dois de mon côté aller au-delà du simple compte-rendu et fournir un travail « respectable ».
Néanmoins, il faut savoir ne pas trop « s’écouter écrire » : les belles phrases, c’est bien joli, mais sont-elles les meilleurs vecteurs d’une émotion à communiquer et donc, à faire passer chez l’autre ? Dans une époque de fausse urgence où les mots d’ordre consistent parfois à nous recommander d’écrire peu mais bien (les Internautes sont, semblent-ils, frénétiques et pressés de passer à la page suivante, ils scrollent comme des malades, sur leurs ordinateurs, leurs tablettes ou leurs smartphones, c’est ce que nous serinent les communicants du moment), la fréquentation de Marcel Proust comme instrument de méditation et de concentration n’est pas la bienvenue. Sujet, verbe, complément et ça ira comme ça... Il paraît que les jeunes ne savent plus lire, que leur attention retombe au bout de quelques lignes, etc etc. C’est un dilemme, je le conçois bien mais que faire ? Cette réflexion est au cœur des mes préoccupations, parce que l’idée générale qui me guide est celle du soutien aux musiciens : d’un côté, prendre le temps de trouver les mots qui reflètent au plus près le ressenti profond ; de l’autre, frapper plus vite et, on l’espère, plus fort. Le plat se doit d’être un peu moins copieux pour être plus digeste. Un bel exercice de synthèse (une sorte de diététique de l’écrit) qui servira de ligne de conduite pour les mois à venir. Il y a un an, je m’étais fixé un objectif assez simple : écrire en moyenne une chronique par semaine pour Citizen Jazz ; en toute logique, je parviendrai à une soixantaine de textes. Le pari étant tenu, je le crois reproductible pour 2013, en lui assignant cette nouvelle contrainte d’une plus grande économie de moyens. Qui ne signifie pas appauvrissement, mais une plus grande pertinence.
En revanche, du côté de chez Maître Chronique, je ne suis pas certain d’être aussi disposé à prendre de telles résolutions. Bien envie de digresser quand le besoin s’en fera sentir.
On verra bien, de toutes façons, je peux bien raconter tout ce que je veux puisqu’il ne nous reste plus que cinq jours à vivre ! Et sur ces bonnes paroles, je file à Bugarach... Adieu les amis !
La musique embrasée du guitariste Yuval Amihai est portée avec ce disque à un haut niveau de chaleur. Chant, mélodie, lyrisme et tradition… C’est beau, tout simplement. Damien Fleau y rayonne au saxophone soprano.
Le jeune saxophoniste a quelque chose d’un philosophe. Son premier album est en réalité une proposition – toujours mélodique et solaire – de retour sur soi. Se connaître, goûter chaque instant pour célébrer la vie. Une chance pour nous, un disque lumineux.
Parce qu’il semble enfin lui-même, le pianiste Emmanuel Borghi frappe très juste avec un disque intime et mélodique. Sorti sur la pointe des pieds, son album mérite vraiment qu’on s’y attarde.
En toute discrétion, le guitariste Philippe Canovas offre une musique raffinée et intime. C’est peu son histoire qu’il évoque, en une vingtaine d’épisodes courts et séduisants.
Disque presque solitaire, fruit d’un voyage initiatique à la Nouvelle Orléans entrepris par Pierre Durand dont la guitare évoque Coltrane, John Scofield et l’Afrique. Séduction immédiate.
Un feu d’artifice entre soul, funk et jazz et un autre « maître », de cérémonie celui-là, en la personne du chanteur James Copley qui a fort à faire face à un Big Band furieux de douze soufflants. Ce disque devrait être remboursé par la Sécurité Sociale.
Le contrebassiste est un virtuose, on le sait. Mais habiter sa musique avec autant d’intensité est la marque des très grands. Ce concert en solitaire, où l’instrument ne rechigne pas à s’abandonner à quelques effets sonores, en est le témoignage vibrant et intemporel.
On pensait qu’Antoine Hervé était un musicien sérieux. Il est bien plus que cela et son quartet, dynamité par Jean-Charles Richard, Philippe Garcia et la facétieuse acousmatique de Véronique Wilmart, nous prouve qu’il est un passionnant créateur. Magique !
Le batteur Helvète n’a certainement plus rien à prouver et pourtant, il rebat les cartes en s’entourant d’une jeune garde dont la liberté d’expression invente un menu musical savoureux et épicé.
L’élégance de cet album est certainement celle du contrebassiste Stéphane Kerecki lui-même. Son trio est ici... un quintet, puisque Tony Malaby et Bojan Z sont aussi de la fête. La musique est habitée, la pulsation celle du cœur.
La générosité est la marque de fabrique de ce quintet qui brille de mille feux. Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Mauro Gargano (contrebasse), Bruno Angelini (piano) et Jean-Charles Richard (saxophones) entourent le batteur pour un chant… irrésistible !
Proche de Sylvain Rifflet avec lequel il pratique l’art secret de l’encodage, le flutiste Joce Mienniel n’est pas en reste avec un disque malicieux où trois trios rivalisent d’invention pour célébrer leurs amours musicales. On veut le volume 2 de ces très bonnes nouvelles !
Daniel Yvinec et sa bande d’artificiers s’attaquent à un nouveau monument, Astor Piazzolla. Un tour de force où l’on n’entend pas de bandonéon ni même de tango. Et pourtant, la sensualité, celle de magnifiques textures sonores, est là.
La batteuse élargit son trio, faisant appel à la solidité de Stéphane Kerecki et à la jeunesse d’Antonin-Tri Hoang. Un disque qui fait affleurer une enfance africaine très chantante.
On l’attendait plutôt avec un troisième volet de ses aventures électriques, mais voilà le saxophoniste qui déboule dans un hommage urgent et parfaitement maîtrisé à Thelonius Monk, enregistré en quelques heures. Le jazz comme il n’a jamais cessé d’être et le sera pour longtemps encore.
Le saxophoniste éclate aux côtés de Christophe Marguet (Pulsion), d’Antoine Hervé (PMT QuarKtet), mais aussi en trio pour un disque dont le titre aurait tout aussi bien pu être Empreintes tant il éclabousse de sa fougue une musique en climats aussi variés qu’intenses.
Deux disques coup sur coup au début de l’année : d’abord de passionnants Beaux-Arts, puis cet Alphabet aux sonorités singulières, hors de toutes influences. Une création à l’état pur.
Un trio Helvète adepte de Sonic Youth, plutôt inclassable et éclectique, qui joue la carte d’un minimalisme mélodique très attachant. Au cœur de l’album, une longue composition, “Alice In The Sky”, avec le grand Fred Frith dans le rôle de l’invité.
Quand le rêve d’un homme devient la réalité d’un artiste. Avec ce disque, le saxophoniste parvient à une forme d’épanouissement qui confine à l’enchantement. On est à la fois heureux pour lui et pour nous tous qui profitons de cette irradiation.
Le clarinettiste n’en finira donc jamais de nous surprendre. Chaque disque est pour lui une nouvelle quête, et pour nous une formidable invitation au voyage, cette fois en trio. Du grand art.
Le contrebassiste s’électrifie pour un album fascinant en quartet, avec Régis Huby (violon), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Un univers se modèle devant nous, quelque part entre jazz et musiques progressives. Les cordes s’entrelacent, la batterie chante.
Plus coloriste que jamais, attentif à ses compagnons comme toujours, le batteur rend un hommage sensible à son « héros » Paul Motian. On est là au cœur du processus de création, c’est l’essence du jazz.
Une bonne dizaine après son Solobsession, le pianiste récidive avec un disque en solo qui n'est rien moins qu'un indispensable. Comme le dit Citizen Jazz : "Soul Shelter renferme tous les trésors d’invention et de créativité de Bojan Z, comme une goutte d’essence pure". On ne saurait être plus juste.
S’il fallait résumer en quelques mots les qualités de 
Autant le dire sans détour, l’album est de ceux qui comblent toutes les espérances formulées dès qu’on a connaissance de leur gestation ; voilà en effet un disque dont le titre reflète avec une fidélité chargée d’émotion la musique impressionniste et méditative. Celle-ci suggère, elle ne s'impose pas par excès de puissance, mais elle finit par affirmer son élégance feutrée. Jamais le moindre discours n’est asséné, bien au contraire : chacun des musiciens semble éprouver le bonheur des suggestions faites aux autres, celles des pistes à suivre quelque part du côté de l’imaginaire, comme autant de fugues spontanées et d’impromptus vivifiants. Bruno Tocanne et ses compagnons réussissent leur pari, celui de la liberté et – là réside toute l’âme de cette musique – de l’écoute réciproque, de l’attention portée à l’interprétation d’une note. Un travail de funambule, dont l’équilibre n’est jamais menacé, parce que le chant règne toujours en maître, y compris au moment où la musique s’invente et ruisselle dans la confrontation fructueuse des idées lancées. Comme le souligne Arnaud Merlin avec beaucoup de justesse, il s’agit là, je le cite « de l'association d'idées et de la conjugaison de sensibilités ». On aurait presque envie de voir dans cet art sublimé et sensible une définition du jazz, en ce qu’il a de plus organiquement vivant, par son association fluide de l’écriture et de l’improvisation.
Il y a des disques qui vous chantent au creux de l’oreille une musique dont les contours souvent feutrés et intimistes, parfois électriques, n’en sont pas moins persistants. Et bienfaisants, reconnaissons-le. Un peu comme un paysage verdoyant qu’on admire pour sa lumière au point du jour et qu’on peut encore contempler une fois les yeux refermés. C’est un peu ça, l’univers de
Zut de zut !
Mais le livre de Michel a récemment fait l'objet d'une chronique cinglante dans le dernier numéro de Jazz Magazine. Aimer, ne pas aimer, critiquer, souligner les qualités et les défauts… Jamais je ne contesterai à qui que ce soit le droit d'émettre une opinion, c'est bien entendu. Un livre, comme un disque ou toute autre objet artistique peut faire l'objet d'un débat, c'est même dans l'ordre naturel des choses. Non, ce qui me gêne dans ce texte, c'est sa tonalité blessante, voire condescendante et par là même la dose de mépris qui l'habite. Tout cela me met mal à l'aise, d'autant que pour avoir lu le livre moi-même, je flaire dans cette chronique brutale quelque chose qui s'apparente à un hors sujet, comme si le journaliste s'était attendu à une nouvelle "explication" de Coltrane. Et quand l'auteur dudit article conclut en évoquant la nouvelle que Michel Arcens propose en coda de son livre : "une petite nouvelle de son cru, unique mérite de cet ouvrage", alors franchement je trouve qu'il y a là un vilain coté "fessée" administrée par un père rigoriste à son fils trop paresseux qui m'exaspère au plus haut point. Cette manière de faire la leçon est bigrement énervante…
Je vous dois pour commencer deux confidences : jusqu’à une époque très récente, je n’avais jamais entendu parler de Marcel Kanche. Inutile de me jeter vos reliquats de tomates à la figure, c’est ainsi, l’omniscience n’est pas ce qui me caractérise et je sais revendiquer mon inculture. Néanmoins, en bon petit soldat de la toile, je me suis penché sur
Ce disque du guitariste Philippe Canovas mérite vraiment qu’on s’y arrête. On ne le trouvera pas sous forme de CD, signe des temps, malheureusement. Mais le guitariste a trouvé refuge sur un e-label appelé
Les temps sont durs. Comment un tel disque a-t-il pu, à ce jour, ne trouver d’autre canal de diffusion que celui des plateformes de téléchargement, et n’exister que de façon virtuelle sur le label
La 39e édition du festival
Ce disque est comme le journal de bord d’un temps qui appartient au passé : il faut imaginer l’ambiance d’une salle de cinéma à l’ancienne, avec ses ouvreuses et leurs paniers de friandises à l’entracte. En première partie, un court-métrage qu’on a regardé d’un œil distrait parce qu’on n’est pas venu pour ça. Quelques bandes-annonces pour patienter, deux ou trois réclames... On attend le film, pas toujours en couleur, un policier avec ses personnages dont on sait d’avance que l’histoire peut les mener à un destin tragique. Des histoires au parfum d’années 60, juste avant la marchandisation industrielle d’un art qui n’en est plus toujours un, avec ses grandes gueules et ses codes d’honneur qui n’ont peut-être existé que dans l’imagination de leurs inventeurs.
Attention : pépite ! Voici une pièce de collection, une archive très attendue qu’on peut sans trop de risque ranger dans l’armoire aux petits trésors. Et pourtant - les acteurs de ce disque ne nous démentiront pas – qui aurait pu souhaiter la publication d’un tel enregistrement ? Qui aurait même pu vouloir ce concert, dont la reproduction d’une grande qualité est à elle seule le meilleur hommage rendu à feu le violoncelliste Tom Cora ?
Pierrejean Gaucher
S’il y a quelque chose de réjouissant chez
Au bowling, on appellerait ça un strike : quand le joueur, d’un pas décidé, s’avance sur la piste et projette la boule par un geste rapide et précis. Toutes les quilles tombent, la place est nette, la partie peut continuer. Une sorte de coup parfait. Il y a dans Kubic’s Monk cet alliage de vitesse et d’exactitude qui saute aux oreilles et surtout frappe par la modernité d’un propos glissé avec bonheur dans son étui de facture plutôt traditionnelle.
C’est vrai ça, j’t’aime bien Lily. J’aime bien ta petite entreprise et les deux albums - pas un de plus, pas un de moins - de ton magasin. Déjà, tu avais accompli il y a quelque temps une vraie performance en convainquant le tromboniste Sébastien Llado d’enregistrer un album, ce qui n’était pas une mince affaire parce qu’à ce qu’on m’avait dit, les disques, c’est pas trop son truc. Bilan de l’opération :
Il y a quelque chose d’assez surréaliste dans la soirée qui s’annonce. Pensez donc :
Une belle passe de trois pour la batteuse
Surtout, ne pas s’arrêter au titre de l’album, qui pourrait en rebuter plus d’un par son petit côté « musique de terroir » aux accents un brin passéistes, ou faire croire à une tentative de greffe artificielle d’un instrument sur un répertoire qui n’a jamais vraiment été très accueillant pour lui. Retenons plutôt la dimension collective, très attachante par la chaleur de son chant, d’un disque qui ne manque pas d’atouts et qu’on écoute avec un vrai plaisir.
C’est en contemplant le spectacle figé des centaines de disques méthodiquement rangés à l’ombre d’un deuxième étage sous les toits que je me suis laissé gagner par ces pensées presque nocturnes. Chers disques, sources de tant de rêves en musique, objets de convoitise parfois, générateurs d’impatiences et d’obsessions égotistes… Ils sont là, aujourd’hui silencieux, inactifs pour la plupart, les plus anciens ayant depuis longtemps franchi le cap de la quarantaine. Je passe devant les rayonnages et les piles qui s’entassent, faute d’une rigueur dans le travail de classement parce qu’on verra plus tard… Je scrute les amoncellements et les déséquilibres verticaux. Puis, plutôt que de m’apitoyer sur cette savante mise en désordre, j’essaie d’exercer ma mémoire en tentant d’identifier les tranches des 33 tours ou des CD, je cherche à me rappeler où et quand je les ai achetés. Alors c’est la grande plongée dans l’océan trouble des images qui défilent, le télescopage des souvenirs aux contours flous parfois.