Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une raison de plus d'aimer Coltrane…

Un billet d'humeur autour de la publication du livre que Michel Arcens vient de consacrer à un questionnement sur la vie et le jazz, en prenant pour point d'appui la musique de John Coltrane.

Je n'avais pas prévu d'écrire une note consacrée au livre de Michel Arcens appelé Coltrane, la musique sans raison (publié chez Alter Ego Éditions)… D'abord parce que l'auteur est un de mes collègues rédacteurs à Citizen Jazz et que je n'aimerais pas qu'on pense que je souhaite évoquer un livre par un simple réflexe de type corporatiste ; ensuite parce que son approche philosophique n'est pas de celles avec lesquelles je me sens très à l'aise quand il s'agit de proposer mon propre ressenti. À ce niveau, je suis totalement inculte et ce n'est jamais sans le sentiment d'accomplir un effort surhumain que j'arpente des pages habitées de concepts souvent complexes qu'il me faut lire avec la plus extrême attention.


michel arcens,john coltraneMais le livre de Michel a récemment fait l'objet d'une chronique cinglante dans le dernier numéro de Jazz Magazine. Aimer, ne pas aimer, critiquer, souligner les qualités et les défauts… Jamais je ne contesterai à qui que ce soit le droit d'émettre une opinion, c'est bien entendu. Un livre, comme un disque ou toute autre objet artistique peut faire l'objet d'un débat, c'est même dans l'ordre naturel des choses. Non, ce qui me gêne dans ce texte, c'est sa tonalité blessante, voire condescendante et par là même la dose de mépris qui l'habite. Tout cela me met mal à l'aise, d'autant que pour avoir lu le livre moi-même, je flaire dans cette chronique brutale quelque chose qui s'apparente à un hors sujet, comme si le journaliste s'était attendu à une nouvelle "explication" de Coltrane. Et quand l'auteur dudit article conclut en évoquant la nouvelle que Michel Arcens propose en coda de son livre : "une petite nouvelle de son cru, unique mérite de cet ouvrage", alors franchement je trouve qu'il y a là un vilain coté "fessée" administrée par un père rigoriste à son fils trop paresseux qui m'exaspère au plus haut point. Cette manière de faire la leçon est bigrement énervante…

Soyons clairs : on a pu lire par le passé bien des livres magnifiques consacrés au saxophoniste. La biographie de Lewis Porter, par exemple, qui comblera aussi bien les musiciens que les mélomanes ; Le cas Coltrane d'Alain Gerber également, autre livre référence ; et puis l'excellent ouvrage de Franck Médioni qui rassemble les témoignages, comme autant de déclarations d'amour, de 80 musiciens, sur lequel Michel Arcens s'appuie régulièrement d'ailleurs. Autant dire que le sujet Coltrane n'est pas un terrain vierge restant à défricher, que bien des exégètes se sont déjà attaqués à ce monument du jazz et qu'il en viendra certainement d'autres encore. Faut-il cependant attendre ainsi au tournant, méchamment, celui qui, à sa façon, très personnelle, presque intime, essaie de partager sa propre vision de l'existence et d'un artiste par une tentative d'analyse (ici appelée esquisse) de ce qui est pour lui le symbole de la vie et dont le jazz serait le pendant musical : l'émotion spontanée, l'évolution perpétuelle, une constante recherche et un affranchissement des genres ? Dont Coltrane, que Michel Arcens admire peut-être plus que tout autre musicien, serait l'incarnation (fugitive parce disparu bien trop tôt mais, à l'évidence, d'une admirable persistance) absolue.

Soyons clairs encore : il y a certainement des défauts dans le livre, des imperfections, des répétitions et donc parfois le sentiment de longueurs qu'on pourrait contourner. Mais celles-ci sont à comprendre comme le fruit d'une véritable quête de définitions, celle de la vie et son esthétique d'une joie philosophique, celle du jazz, et celle de la manière dont elles peuvent se croiser, voire s'enrichir mutuellement. Si un tel terrain était parfaitement balisé, alors il suffirait d'aligner deux ou trois vérités péremptoires et on n'en parlerait plus. Mais Michel Arcens choisit de questionner, se questionne, ne trouve pas toujours les réponses et c'est tant mieux. Alors il revient sur le sujet, encore et encore. C'est sa propre expérience humaine qu'il nous livre, sans jamais prétendre à autre chose qu'une exploration philosophique dont Coltrane est chez lui le catalyseur (chez un autre auteur, le même sujet aurait pu être abordé avec un autre artiste, c'est évident). Et je connais suffisamment la difficulté de l'écriture, surtout celle d'un livre, pour ne pas y aller de mes conseils dont la légitimité resterait à démontrer. Je prends ce livre pour qu'il nous dit être : des esquisses d'une philosophie imaginaire.

Du côté de chez Jazz Magazine, on nous dit que jamais Michel Arcens ne nous fait écouter Coltrane et que la nouvelle finale donne envie de relire Giono. Vraiment ? Relire Giono, oui, pourquoi pas ? Excellente idée, mais je ne vois pas bien le rapport, en dehors de quelques apparentements géographiques et d'une certaine idée de la contemplation.  Mais le texte conclusif appelé « L'été, un conte d'enfance », ne serait-il pas à prendre plutôt pour ce qu'il est en réalité : un présent déposé au pied du grand arbre Coltrane ? Voilà une explication qui me paraît bien plus proche de la démarche interrogative de l'auteur. Et bizarrement, allez savoir pourquoi, une fois terminée la lecture de Coltrane, la musique sans raison, je me suis dit qu'un être humain avait tenté d'expliquer sa propre vie à travers Coltrane, sa perception ontologique, humblement, prenant ainsi le risque de s'exposer alors qu'il aurait pu se contenter de vivre et de vibrer à l'art du saxophoniste de manière solitaire et égoïste. Et que ce que d'autres prennent non sans condescendance pour des litanies évoque avant tout une succession de chorus imaginaires issus d'un même thème mille fois remis sur l'ouvrage. Un questionnement perpétuel nourri d'un émerveillement né de l'enfance. Question de disponibilité d'esprit, probablement, de fraîcheur d'âme aussi. Il y avait chez Coltrane une vraie bonté, profonde et vitale, dont on ne trouve plus la moindre trace dans ces quelques lignes acerbes et gratuites.

Si le livre de Michel Arcens ne devait avoir qu'un seul mérite - ce qui serait déjà beaucoup et j'ai pu vérifier cet effet chez moi - c'est de vous contaminer du besoin irrépressible d'écouter le somptueux Live In Japan enregistré au mois de juillet 1966. La démarche répétitive d'Arcens fonctionne alors comme une des clés possibles d'une grosse serrure qui nous ouvre en grand la porte d'un monde dont le mystère nous échappera encore longtemps. On peut alors gloser indéfiniment sur les prétendus défauts du bouquin, qui ne sont plus selon nous que grains de poussière sans conséquence nuisible. Cette exécution un peu trop sommaire à mon goût semble finalement relever d'une démarche bien vaine face aux mille versions, itératives et mystiques, de « My Favorite Things » qui nous disent tellement sur le sens de la vie.

Michel Arcens cherche de son côté, et je ne sais toujours pas s'il a trouvé le début d'une réponse. Là n'est pas la question, vraiment, l'essentiel étant pour chacun d'entre nous de chercher à comprendre et à trouver des traits d'union.

Commentaires

  • hommes et propos de chapelles perdurent... à bas la calotte jazzistique, vive la liberté, totale

  • Si je comprends bien le livre "en cause" est plus une esquisse du rapport de l'auteur à la musique dans sa vie, cristallisé par son lien majeur à Coltrane...qu'un livre (encore!)sur Coltrane ...
    Si j'ai bien compris donc, je ne peux qu'être fascinée par cette démarche et approuver sans réserves ton point de vue...
    ainsi que les propos du commentaire de J. Chesnel...
    La musique, comme les autres oeuvres , une fois "donnée" appartient à ceux qui l'aiment et l'écoutent et qui lui "prêtent un sens" (Paul Valéry)....librement!

  • C'est exactement ça, ma chère Françoise !

  • Jacques, merci de ton passage, c'est toujours un plaisir et un honneur !

  • Live in Japan: une vibration majeure de mon adolescence. Un frisson constant.
    Très utile recension Maitre C, je crois que le livre de ton collègue Arcens va vite finir dans ma besace pour être lu avec Live in Japan sur l'oeille, justement.

Les commentaires sont fermés.