Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Entendu - Page 14

  • Christophe Marguet Résistance Poétique - Pulsion

    christophe marguet, resistance poétique, pulsion, citizen jazzLa vitalité créative de Christophe Marguet n’est plus à démontrer. En témoignent, par exemple, son engagement à partir de 2004 aux côtés d’Henri Texier et son Strada Sextet ; sa Résistance Poétique, devenue un groupe après avoir été un disque et qui ne cesse de grandir depuis près de quinze ans ; à venir, une Constellation à six musiciens dans laquelle évolue un certain Steve Swallow, qui fut son son directeur artistique au temps de ses premiers disques. Quelques axes de son travail qui, résumés à grands traits, révèlent un musicien ayant su insuffler ces vingt dernières années une chaleur constante à toutes ses expériences.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Un ami s'en va...

    C’était il y a deux ans, presque jour pour jour, le 10 septembre 2010. Pour parachever la rédaction d’un des textes de l’exposition Portraits Croisés que je devais réaliser avec mon ami Jacky Joannès, j’avais demandé à Xavier Brocker – qui avait fini par devenir lui aussi un ami à force de passions partagées – de m’accorder un entretien. Je voulais qu’il me raconte en détail l’édition 1975 de Nancy Jazz Pulsations, dont il était à l’époque le directeur artistique. 45 minutes passionnées, beaucoup d’anecdotes, une verve inimitable et un incroyable talent pour faire vivre des instants pas comme les autres, à l’époque où les responsables du festival avaient décidé de programmer le JATP (Jazz At The Philarmonic) et son cortège de stars, comme Dizzy Gillespie, sous l’égide du fantasque Norman Granz. Vous pourrez, un peu plus bas, écouter cette passionnante conversation, si vous le souhaitez. 

    Xavier vient de nous quitter, trahi par son cœur qu’il avait gros comme ça. C’est un personnage, un vrai, qui s’en va. Il laisse un vide énorme autour de lui tant ses amis étaient nombreux. Il avait 73 ans.

    xavier_brocker.jpg
    Xavier Brocker © Maître Chronique - Septembre 2010

    Xavier était tombé dans le jazz à l’adolescence, contractant un heureux virus dont, jamais, personne n’aurait pu le vacciner. C’était en 1954, après un concert de Sidney Bechet à la Salle Poirel de Nancy. S’il lui arrivait de jouer du piano ou de la clarinette, il était d’abord une encyclopédie vivante, un boulimique de la connaissance, toujours soucieux de transmettre sa passion au plus grand nombre. Il fut l’un des membres fondateurs de Nancy Jazz Pulsations et son premier directeur artistique. Journaliste à l’Est Républicain, il était aussi l’auteur du Roman vrai du jazz en Lorraine. Retraité hyperactif, on pouvait souvent le retrouver en animateur de conférences passionnées illustrées par des écoutes dont il raffolait, aussi bien pour les jeunes que pour les adultes et qu’il appelait des causeries ; il consacrait aussi une partie de son temps à l’animation d’émissions de radio, dédiées au jazz, forcément. Il avait également pris une part prépondérante à l’élaboration du CD 50 ans de jazz en Lorraine, publié sur le label Etonnants Messieurs Durand. Xavier était un être curieux, toujours prêt à se frotter à de nouvelles découvertes. Il était un grand monsieur, un gourmand de la vie, la musique et le jazz en étaient pour lui le sel vital.

    Xavier était un grand seigneur. Alors que j’étais très honoré d’avoir été, à plusieurs reprises, l’invité de son émission, lui se sentait redevable. En témoignage de son amitié, il m’avait fait un somptueux cadeau, en m’offrant l’enregistrement original et intégral de la première création de Nancy Jazz Pulsations en 1973 : la « Stanislas Percussive Gavotte », interprétée par un big band réuni par le trompettiste Ivan Jullien et qui comptait parmi ses membres : Eddie Louis, Jon Surman, André Ceccarelli, Bernard Lubat ou encore Daniel Humair. Je garde précieusement cette bande magnétique, ce trésor, qu’un ami doit prochainement numériser. Il va de soi que chacun d’entre vous pourra bientôt l’écouter ici. C’est ce que voulait Xavier, il voulait partager. Ses désirs seront des ordres.

    Il y a quelques jours encore, c’était vendredi dernier, j’avais appelé Xavier, à sa demande. Il voulait m’inviter une fois de plus au micro de « Jazz Galaxies », l’émission hebdomadaire qu’il animait sur une radio locale à Nancy. Lui, tout comme moi, aimait ces petits rendez-vous et leur rituel (je sais, parce qu’il me le disait à chaque fois, qu’il appréciait beaucoup notre complicité ; ayant moi-même pendant plusieurs années animé une émission consacrée au jazz, il savait que j’avais du répondant, il appréciait la tonalité de ce qui devenait une conversation souriante mais à chaque fois exploratrice de nouveautés) : il venait à la maison une heure avant le début de l’émission, je lui préparais un café et nous discutions du programme. Je lui soumettais ensuite une liste de disques qu’il acceptait en toute confiance ; de son côté, il extirpait de son sac un vieux 33 tours ou un CD qu’il avait pioché dans sa volumineuse discothèque (la dernière fois, c’était un disque que lui avait offert Didier Lockwood). Enfin venait l’élaboration du conducteur et son minutage faussement précis, qu’il était de toutes façons incapable de respecter, en bavard impénitent qu’il était, dès lors que le voyant rouge s’allumait. Il goûtait, vraiment, le plaisir de dire le jazz et son amour infini pour cette musique. Il faut l’avoir vu au moins une fois savourer ses propres réflexions pour comprendre la saveur si particulière de son propos. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre dernière émission – c’était le 16 juillet – consacrée à Nancy Jazz Pulsations 2012, n’avait pu nous permettre de diffuser toute la musique programmée quelque temps plus tôt ; il voulait un second épisode, absolument. Malgré sa voix très affaiblie, son enthousiasme au téléphone était intact : il se réjouissait de notre nouveau duo et, toujours curieux, il m’avait demandé de revenir avec, dans mon sac, le disque d’Electro Deluxe Big Band que nous avions écouté six semaines auparavant et qu’il avait beaucoup aimé. Je le vois encore, pestant à l’idée qu’un tel groupe, si chaleureux et fédérateur, ne pût être vite à l’affiche du festival.

    Notre rendez-vous était fixé au 24 septembre à 10 heures. Un peu inquiet de la fatigue que j’avais détectée chez lui, je lui avais recommandé la prudence, lui demandant de prendre soin de lui, avant tout...

    Cette émission n’aura pas lieu, je garde son programme pour moi, avec le cœur serré. Xavier, reviens ! Je n’arrive pas à croire que tu viens de faire le grand saut.

    Je sais que tous ses amis, tous ceux qui le connaissaient le pleurent aujourd’hui. Peut-être que leur peine sera un peu adoucie à l’écoute de sa voix : je vous offre, en sa mémoire, cette causerie qu’il m’avait accordée en toute amitié et dont le souvenir ne s'effacera jamais. 

    Salut l’ami !



    En écoute, l'entretien que Xavier m'avait accordé le 10 septembre 2010 (durée : 44'51). Un enregistrement sans coupures ni montage, avec tous les bruits de fond en provenance de la brasserie où nous nous étions installés.

  • Jean-Charles Richard - Traces

    traces.jpgCoup de cœur ! Publié sur le label Abalone, Traces est un disque qu’on recommandera chaudement et sa puissance d’évocation comme sa force de frappe en font naturellement un « élu » Citizen Jazz. Les premières mesures de « Tumulte » ne laissent pas de place au doute, c’est le moins qu’on puisse dire : le saxophone baryton, qui fonce sur nous tel un ogre affamé, est la promesse d’un disque vigoureux, inspiré et musculeux dont chaque fibre est nourrie par un grand appétit de musique et de rythme.

    Lire la suite de la chronique sur Citizen Jazz...

  • Vaillant compagnon

    serge levaillant, sous les etoiles exactementIl y a, comme ça, des décisions qu'on a du mal à comprendre. Le fait du prince, probablement… Je sais bien qu'aucune situation n'est immuable, je sais bien qu'il faut que les choses changent et que l'évolution est inscrite dans nos gènes de bipèdes dotés d'un cerveau mais, tout de même ! Pourquoi cette suppression brutale d'une émission aussi singulière que remarquable et sincère que ne l'était "Sous les étoiles exactement", chaque nuit de la semaine, sur France Inter, dans une animation unique de curiosité bienveillante et gourmande de Serge Levaillant ?

    Ce type est devenu, à force d'écoute, de questions mitonnées aux petits oignons doux, de chaleur répandue par une voix complice et confidente, l'ami de ses invités tout autant que de ses auditeurs. On écoute Levaillant parce qu'on se sent bien avec lui, parce qu'une ou plusieurs heures en sa compagnie, c'est une assurance sérénité, une injection bienfaisante de sollicitude et de découverte. Fin cuisinier, Levaillant reçoit dans son studio comme il recevrait chez lui des amis : la table est accueillante, la cuisine est copieuse, elle a pris tout son temps pour mijoter. Oui, "Sous les étoiles exactement", c'est une gourmandise de l'esprit, il y a toujours quelque chose à picorer, y compris pour celui ou celle qui n'est pas forcément affamé ou qui apprécie plus ou moins le plat proposé.

    Musiques, littératures, gastronomies, vies… je mets volontairement ces mots au pluriel parce que chez Levaillant, il n'y a pas de dogme ni de ligne directrice autre que celle d'un appétit insatiable pour tout ce qui est à découvrir et, surtout, à partager. Une nécessaire et rare humanité, tout contre nous, qui ne demandons que ça…

    Les insomniaques comme moi en savent quelque chose, eux qui savent que leurs nuits chahutées pouvaient toujours trouver un exutoire relâché dans cette proximité que bien peu de ses collègues ont su imaginer et réaliser.

    Oserais-je une confidence ? Je me demande si, parfois, il ne m'est pas arrivé de boire un café le soir dans le secret espoir d'être réveillé quelques heures plus tard en pleine nuit, un peu brutalement… là, je connaissais une solution : tendre le bras derrière ma tête de lit, atteindre le petit poste de radio – fidèle compagnon – toujours en bonne place, avant de l'allumer. Pour me laisser embarquer par Serge le confident, l'ami distant qui nous parle au creux de l'oreille, celui aussi qui laisse à ses interlocuteurs le temps de s'exprimer et de délivrer un propos aux antipodes de toute démarche mercantile. Oiseau de nuit, Serge Levaillant n'a pas son pareil pour extirper le meilleur de ses invités : parce qu'il les aime, tout simplement, parce qu'il veut les rapprocher de nous et inventer une drôle de famille invisible mais bien réelle. La nôtre.

    Ces nuits en direct sont à conjuguer au passé, parce qu'un certain Philippe Val a décidé qu'elles ne comptaient pas plus qu'un Kleenex usagé. On parle d'une émission le week-end uniquement, dans d'autres conditions probablement. Rayant d'un trait injuste vingt-cinq années de fidélité et de vraie tendresse – mais une tendresse exempte de toute mièvrerie ou d'admiration béate. La fraternité épicurienne qui caractérisait "Sous les étoiles exactement" aurait pourtant dû inciter les "responsables" de l'antenne à y regarder à deux fois avant de déchirer brutalement ce précieux parchemin radiophonique. Un tel service du public est-il si impossible à faire vivre encore un peu ? Le "service public" n'a-t-il rien de mieux à faire que de singer ses concurrents en bourrant ses programmes nocturnes de rediffusions d'émissions diurnes ? 

    Je fais quoi maintenant ? J'arrête le café ? Serge, prends ta voiture, ne te mets pas en retard, et fais comme si tu ne savais rien. On ne sait jamais, sur un malentendu… enfin, le mot est mal choisi, parce que notre seul désir, à nous les allumés de la nuit, c'est de t'entendre. Et bien. Et pour longtemps !

  • Cinematics - Les notes bleues

    Cinematics.jpgOlivier Calmel est un musicien prolifique : pianiste, compositeur et arrangeur, il a su se forger au fil des ans un univers très personnel dont les influences vont de la musique classique au jazz, en passant par le rock et même le hip hop. Sa discographie depuis une quinzaine d’années témoigne d’un solide appétit créatif, qu’il assouvit en s’appuyant sur un quartet de jazz, un quintet à vent ou de violoncelles, ou en travaillant sur des spectacles musicaux, des musiques de films ou des bandes-son pour jeux vidéo... Des projets très divers, donc, sur lesquels il s’était déjà expliqué dans un entretien accordé à Citizen Jazz. Ce musicien est de ceux dont on suit le chemin parce que leur travail de création semble à chaque étape marquer un renouvellement, une avancée, dont il parle avec une désarmante simplicité.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Univers Zéro - Hérésie

    Heresie-2010.JPGBien qu’enregistré en 1978-1979, le second disque du groupe belge Univers Zéro mérite d’être considéré, aujourd’hui encore, comme un disque essentiel à (re)découvrir car fondateur d’une longue histoire musicalement hors du temps. Réédité en 2010 sur le label Cuneiform Records, avec pour l’occasion un traitement sonore de grande qualité à partir des bandes d’origine, Hérésie est rehaussé par la finition très soignée de sa pochette qui inclut de riches notes du toujours juste Aymeric Leroy. C’est en effet une pièce maîtresse non seulement dans l’histoire – toujours en cours – du groupe, mais dans celle d’un mouvement qu’on a qualifié de chamber rock.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Louis Sclavis Atlas Trio - Sources

    Louis Sclavis, Gilles Coronado, Benjamin Moussay, Atlas Trio, Sources, Citizen JazzUn coup de maître, un de plus ! On a beau savoir que Louis Sclavis a longuement pétri la pâte de sa musique pour la modeler et débusquer le mouvement qu’il recherche avidement dans une quête aussi métaphysique qu’artistique, revenant avec patience sur ses « brouillons », puis rodant son travail sur scène et le modelant avec une extrême attention avant de le graver ; on a beau constater que le clarinettiste n’a pas son pareil pour s’entourer des musiciens acteurs les plus attentifs à la réalisation collective de son imaginaire, au point de constituer à chaque fois un groupe qu’on voudrait durable et qui, pourtant, cède presque fatalement la place à une nouvelle combinaison humaine ; on a beau être certain que l’étonnement émerveillé sera au rendez-vous… quand la musique paraît, on se rend à l’évidence : Louis Sclavis va encore au-delà de ce qu’on espérait. Ce disque en est une nouvelle preuve.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Olivier Bogé - Imaginary Traveler

    oboge.jpgAttachante rencontre que celle de ce voyageur imaginaire dont le saxophoniste Olivier Bogé vient nous narrer les aventures ! Tout en élégance discrète, Imaginary Traveler est plus un disque de groupe qu’une œuvre de musicien. En effet, le saxophoniste Bogé ne cherche pas à tout prix à se mettre en avant de façon narcissique, tous chorus dehors ; il préfère jouer la carte d’un collectif assumé et laisser quand il le faut ses compagnons s’exprimer. Ici, il est question de musique, et de liberté d’inventer à plusieurs à partir des propositions du narrateur.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

    PS : j'écoutais cet album ce matin encore. Il était très tôt, un rayon de soleil avait pris ses quartiers d'été dans mon salon. Enfin ! Et là, j'ai vraiment savouré le plaisir singulier de cette musique humble, partageuse et irradiante.

  • Yuval Amihai Ensemble

    cj_yuval_amihai.jpgLe mot qui vient d’emblée à l’esprit à l’écoute du premier disque du Yuval Amihai Ensemble est « lyrisme ». On ne peut en effet qu’être saisi par la puissance communicative qui émane de ces neuf mélodies originales aux arrangements irradiant une chaleur dont l’origine se situe du côté des chants populaires israéliens. Il y a quelque chose d’irrésistible dans leur exposition solaire mêlant virtuosité et accessibilité. C’est une histoire qui nous est contée, et chacune de ses pages nous ouvre en grand les portes d’une déclaration d’un amour qui serait universel.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Post Image - Mandragore / In An English Garden

    postimage-20120205-13151.jpgVoilà ce qui s’appelle ne pas faire les choses à moitié ! Il serait plus juste de dire que pour fêter ses 25 ans, le groupe Post Image voit double en publiant simultanément deux albums qui, pour différents qu’ils soient, n’en sont pas moins le témoignage d’une identité à laquelle ceux qui suivent l’actualité du groupe depuis 1987 sont très attachés. Formé par le bassiste Danny Marcombe et le batteur Didier Lamarque, tous deux alors en provenance du groupe Uppsala, Post Image avait jusqu’à présent publié six albums et connu différentes évolutions de personnel en maintenant tendu le fil d’une musique qu’on affiliera volontiers au jazz rock.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Musique Action

    Retour en images – ou plutôt en photographies – sur la dernière édition du Festival Musique Action qui s’est tenu au mois de mai, du côté de Vandœuvre-lès-Nancy. Mon emploi du temps étant difficilement compatible avec une présence assidue lors de cet événement pas comme les autres, je n’ai pu être là qu’un seul soir, mais c’est l’ami Jacky Joannès qui s’y est collé. Et il a très bien fait ! Toujours bien placé, il nous livre une série de beaux instantanés dont il a le secret. Merci à lui, donc, en attendant notre deuxième exposition commune, qui se tiendra à l’automne 2013. 

    08_120516_4754.jpg

    Voir le reportage photo complet sur Citizen Jazz...

  • Siam - Bangkok 7h43

    cj_siam_cover.jpgVoilà un disque qui exprime une vraie sérénité, autant par le soin apporté aux mélodies, vite entêtantes, que par les histoires qu’il conte et les hommages rendus à travers chacune d’entre elles. Un voyage en Asie, un projet avorté de virée en hélicoptère avec l’Abbé Pierre, la disparition d’un jeune ami musicien avant la rencontre avec un vieil oncle philosophe, une célébration de compositeurs tels que Debussy, Chopin ou Pat Metheny... Bangkok 7h43 se veut le témoignage d’une certaine façon d’appréhender la musique comme élément constitutif de la vie. Philosophie de la musique ? Musique de la philosophie ?

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Romano Sclavis Texier "3 + 3"

    rst.jpgPas d’inquiétude ! Si certains s’interrogeaient sur la pérennité de la petite entreprise fondée voici près de vingt ans par Aldo Romano, Louis Sclavis et Henri Texier, ils seront rassurés avec ce nouveau disque qui, de toute évidence, est le fidèle héritier de ses trois prédécesseurs, tout en proposant de nouvelles pistes pour l’avenir. Sept ans, en effet, que le trio n’avait pas investi les studios d’enregistrement. Entre-temps ses membres ont maintenu le fil de leur récit commun via quelques concerts çà et là et, chacun de son côté, ajouté des chapitres très rassurants sur sa santé créative. En réalité, il y avait de l’augmentation de capital dans l’air !

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Bonnes nouvelles de Paris

    ParisShortStories.jpgIl faut le dire ici, une jeune garde est en action ! Et croyez-moi, ça fait beaucoup de bien. Surtout que, respectueux de leurs aînés à qui ils doivent beaucoup, cette bande de musiciens malicieusement doués a la bonne idée de ne pas jeter le pépé avec l'eau du bain ! Au contraire, ils savent qu'on ne peut écrire le futur qu'en ayant le passé bien présent dans son patrimoine.

    Manque de chance pour vous, je sens que je vais vous donner l'impression de radoter, parce qu'après avoir consacré deux notes au clarinettiste (et beaucoup plus que ça) Sylvain Rifflet, celui-ci va cette fois encore figurer en bonne place dans mon histoire (ou mes nouvelles, devrais-je dire). Mais moins directement, je vous l'accorde parce que pour cette occasion, il est l'un des protagonistes, parmi quelques autres bouilleurs de cru de la distillation d'une musique des plus réjouissantes.

    Après avoir écouté Alphabet (dont on lira avec profit la chronique écrite par le camarade Barriaux pour Citizen Jazz), je me rappelle m'être posé la question suivante au sujet du travail de Rifflet : « Jamais deux sans trois ? » en m'apercevant que le clarinettiste avait œuvré deux fois de belle manière en un laps de temps très court. Eh oui ! Car n'oublions pas les Beaux-Arts qu'il venait tout juste d'exposer, dans l'acuité nerveuse d'une exploration mettant en scène un trio éclectique et un quatuor à cordes. Et dont une fois encore vous lirez avec bonheur la chronique du même Franpi pour le même Citizen Jazz.

    Certes, si les Paris Short Stories (Saison 1) mises en scène par le flûtiste Joce Mienniel (ci-devant membre de l'ONJ sous la direction de Daniel Yvinec) ne constituent pas le troisième acte que j'appelle de mes vœux (il viendra, c'est certain), voilà un disque ingénieux et débordant de bonnes idées, qu'on peut présenter comme un parfait cousin dans l'intention inventive. Rien d'étonnant parce Mienniel et Rifflet, c'est une association qui fonctionne plus que bien. Tous deux ont enregistré L'encodeur, sorte de disque laboratoire où les deux musiciens conjuguent leurs souffles en les mêlant à l'électronique. Ils redonnent, mine de rien, toutes leurs lettres de noblesse à une intrigante ambient music et laissent entrevoir un nombre presque illimité de pistes pour l'avenir. Précisons aussi – mais vous vous en souveniez, n'est-ce pas ? – que Joce Mienniel est l'une des quatre composantes de l'Alphabet de Sylvain Rifflet. Voilà pour les présentations, s'ils veulent compléter, ils savent que cette porte leur est grande ouverte.

    Revenons à nos moutons, je sens venir les digressions… Avec Joce Mienniel, il serait plus judicieux d'affirmer : jamais trois sans trois, ou plutôt, jamais trois sans trois fois trois ! Vous me suivez ? C'est simple : là où Sylvain Rifflet se montrait jongleur de lettres avec son Alphabet et sa fabrique à sons, Joce Mienniel s'attaque plutôt à une défi mathématique revigorant, une combinatoire née de la stimulation des éléments qui la composent. Il n'est pas donné à tout le monde de faire du neuf avec des trois. Plus fort encore, le flûtiste de l'arithmétique parvient à résoudre une sacrée équation dont les termes seraient 3 X 3 = 12. C'est, je crois, le principe même de la synergie. Un peu perdus ? Alors je veux bien tenter de vous expliquer.

    Pour mener à bien son expérience, Joce Mienniel a mis sur pieds trois trios inédits, composés de musiciens aux personnalités fortes et bien différenciées, avec chacun desquels il interprète trois compositions. Et comme fil conducteur reliant ces trois unités mobiles, il choisit en guise de bonus une composition tirée du premier album de Soft Machine, « Box 25 4 Lid », dont les trios donnent leur fugitive (entre 30 et 40 secondes) interprétation tour à tour. Voilà pour le sens à donner à la drôle d'équation dont il était question un peu plus haut. Mais, avouons-le, l'essentiel n'est pas là.

    L'idée la plus séduisante de Paris Short Stories (Saison 1), c'est le parti pris de créer des couleurs distinctes qui éclosent de la combinaison variable des instruments d'une formation à l'autre, avant de les imbriquer par leur alternance sur le disque. Flûte, trompette (Aymeric Avice) et clarinette (Sylvain Rifflet) ; flûte, Fender Rhodes (Vincent Lafont) et Orgue Hammond (Antonin Rayon) ; flûte, piano préparé (Ève Risser) et guitare (Philippe Gordiani). Le tout rehaussé de "traitements" assurés par chaque musicien, histoire de modifier encore les teintes ainsi créées et de s'ouvrir des horizons supplémentaires. On notera en passant que tout ce petit monde est au cœur de la marmite qui bouillonne du côté de par ici, au rayon du jazz et des musiques d'aujourd'hui : on ne compte ici que de fringants artificiers, qu'ils soient dans l'action de l'ONJ, de Radiation 10 ou du réseau iMuzzic, par exemple. Du lourd, pour parler trivialement.

    Et les voilà qui, en plus et reconnaissons-le pour notre plus grand plaisir, nous font le coup du palimpseste ! Ici, on puise dans l'existant, on gratte, on efface et on recommence le tableau. On reconnaît facilement l'original (à condition de le connaître, c'est évident), mais celui-ci se voit fièrement bouleversé sous l'effet des flèches décochées en toute impunité par ces jeunes qui, décidément, ne respectent plus rien, c'est bien connu ! Ou plutôt qui témoignent du vrai respect : celui qui consiste à ne pas parodier, mais à traduire dans son propre langage en conservant intact l'esprit originel. Et les sources sont variées ! Michel Portal par deux fois (dont l'obsédant « Mozambic »), tout comme Björk. Mais aussi Frank Zappa, Joni Mitchell, Lenny Tristano et… Sébastien Texier, dans une composition qui nous renvoie au somptueux Sonjal Septet d'Henri Texier (quelle bonne idée !).

    Paris Short Stories est un disque ludique. Un peu comme ces jeux d'enfants avec leurs pièces de toutes les couleurs, qu'on assemble au gré de son imagination pour inventer de nouveaux objets compagnons. Car même si l'idée d'un plaisir commun pris par les musiciens dans l'élaboration de leurs formes sonores semble être un minimum requis, un préalable à toute initiative créative, on reste un peu bouche bée devant cette accumulation de petits bonheurs singuliers qui, assemblés avec beaucoup de grâce, constituent la matière première, étonnamment mouvante, de ces "nouvelles de Paris". 

    Paris Short Stories (Saison 1), voilà bien un de ces disques comme on les aime. La surprise vous guette dans le moindre de ses recoins ; à peine celle-ci dévoilée, une autre est en préparation, mitonnée avec gourmandise par ces trois brigades de cuisiniers imaginatifs (je m'autorise cette incursion dans la sphère culinaire après avoir lu le texte expliquant sur la pochette du disque la recette de ces plats décidément savoureux) qui vont nous réserver, je n'ai aucun doute à ce sujet, encore bien d'autres objets de découverte.

    Saison 2 attendue, qu'on se le dise ! En attendant, si j'étais vous - ce que je ne vous souhaite pas, ayant beaucoup de mal à être moi-même – je me jetterais sur ce disque qu'on peut commander directement auprès de Joce Mienniel sur son bébé label Drugstore Malone. Tope là ?

  • Plaistow - Lacrimosa

    plaistow, lacrimosa, citizen jazzIl y a un cas Plaistow, ou plutôt une énigme. Qui donc sont ces trois Helvètes qui, en très peu de temps - tout juste cinq ans - ont érigé une construction musicale dont les contours sont si difficiles à cerner ? On pense à des aventuriers, parce que ces musiciens savent prendre des risques, notamment celui de nous perdre avec eux dans leurs explorations un brin angoissantes. Exégètes du classique trio piano - basse - batterie, amoureux de Bill Evans ou Keith Jarrett, soyez prévenus : vous ne trouverez pas satisfaction à l’écoute de ce vertigineux Lacrimosa et ses deux longues pièces dont il n’est pas aisé de sortir indemne.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Americano !

    americana.jpgSacré Neil Young ! Chassez le naturel, il revient au galop, et pas n’importe lequel, celui de son Cheval Fou. On avait laissé le Canadien en 2010 avec Le Noise, un disque un peu énigmatique, voire introspectif, enregistré en duo avec le producteur Daniel Lanois. Un album dont il était parfois difficile de savoir s’il se façonnerait correctement dans nos mémoires avec le temps, celui-ci faisant toujours son affaire, mais – avouons-le – vers lequel on revient aujourd’hui assez peu alors que d’autres disques, beaucoup plus anciens, sont pour nous des compagnons de toute une vie (je vous épargnerai ma propre liste, mais j’évoque quelques lignes plus bas l’un de ces trésors...). Non qu’il soit mauvais (à l'exception de quelques fautes de goût qu’on attribuera par commodité à la vacuité musicale des années 80 à laquelle il n’a pas su lui-même échapper, Neil Young a rarement commis autre chose que de bons disques), mais allez savoir pourquoi, on a tendance à oublier The Noise. Comme s’il était un travail de laboratoire, une expérience, une idée en gestation...

    2012 voit le retour du Loner électrique et sauvage, celui qu’on aime depuis toujours (ou presque, mais quand j’y réfléchis, je n’ai que des souvenirs très flous de l’époque antérieure à celle où j’ai croisé la musique de Neil Young pour la première fois...) et dont l’un des albums les plus éclatants en ce domaine est aussi l’un de ses premiers, le splendide Everybody Knows This Is Nowhere en 1969.

    Pour ce retour en force, Neil Young a rameuté sa bande de companeros tout aussi électriques que lui, le groupe Crazy Horse avec lequel il n’avait pas travaillé sur disque depuis 2003, date de la publication de l’album Greendale. Et pour être plus précis, il faudrait même dire qu’on doit remonter à 1996 et au disque Broken Arrow pour retrouver le groupe en entier aux côtés de son mentor : Frank Sampedro à la guitare, Billy Talbot à la basse et Ralph Molina à la batterie. C’est dire que de telles retrouvailles ne pouvaient susciter que beaucoup d’impatience ! D’autant que pour composer le menu de Americana, Neil Young a choisi un répertoire par lequel il revisite à sa manière très particulière quelques grands classiques de la musique américaine, comme le célébrissime « Oh Suzanna », « Tom Dula », « Clementine » ou « This Land Is Your Land » (un hymne signé Woodie Guthrie), sans parler d’une relecture à sa façon de « God Save The Queen ». Avec une précision de la part de Neil Young : « Nous connaissons tous ces chansons depuis le jardin d’enfants. Mais à partir du moment où Crazy Horse les a réarrangées, elles nous appartiennent ». Prenez ça dans les dents !

    Il n’y a que Neil Young pour oser délivrer un tel disque ! Qui d’autre que lui pourrait se permettre de nous balancer à la figure un pareil brûlot dont les imperfections – toujours les mêmes, celles qu’on aime, celles qu’on attend à chaque fois – sont aussi les qualités intrinsèques ? Une rythmique cul-de-plomb, car jamais la paire Talbot / Molina ne fait dans la finesse ni dans l’originalité, sa lourdeur éléphantesque étant irremplaçable ; une voix toujours en déséquilibre, approximative et incertaine, qui se fiche de savoir si elle est juste ou fausse comme de son premier cri ; des chorus de guitare mille fois entendus qu’on pourrait presque chanter avant de les avoir entendus... On sait tout cela, dès les premières notes, mais jamais, aussi paradoxal que celui puisse paraître, Neil Young n’est pris en défaut. Il est ailleurs, au-dessus... Probablement parce qu’il reste l'un des rares survivants d’une époque qui nous semble aujourd’hui bien lointaine et parce qu’il a su préserver intacte l’énergie originelle du rock qui coule dans ses veines. Debout face au vent, le père Young. Malgré certaines contradictions (reportons-nous pour mieux les comprendre au bouquin de JeanDo Bernard : Neil Young, Rock’n’Roll Rebel?), le personnage reste un insoumis qui semble être en mesure de jouer la musique qu’il veut, comme il veut et quand il veut. Et ça marche !

    Americana en est un nouvel exemple. Le disque va sortir très prochainement, mais on peut d’ores et déjà l’écouter dans son intégralité sur le site du magazine Rolling Stone. Attention, ça décoiffe : like a hurricane, comme dirait l’autre !

  • Round About Jobim

    stephane-spira-round-about-jobim.jpgLe parcours du saxophoniste Stéphane Spira est plutôt atypique : en effet, cet ingénieur en électronique n’a pas pu se satisfaire d’une vie probablement trop ancrée dans le matérialisme, préférant se lancer dans une aventure beaucoup plus incertaine, celle de la vie de musicien de jazz. Une vie qu’il s’est fabriquée à l’école des clubs et des rencontres initiatiques avec d’autres artistes, parmi lesquels le regretté Michel Graillier. Après First Page, un premier album en quartet publié en 2006, puis Spirabassi en duo avec Giovanni Mirabassi trois ans plus tard, Spira rend aujourd’hui hommage à Antonio Carlos Jobim.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Electro Deluxe Big Band - Live in Paris

    electro deluxe, live in paris, citizen jazzElectro Deluxe a soufflé dignement ses dix bougies le 18 octobre 2011 devant un Alhambra archicomble. Souffler : tel est bien le mot, puisqu’à cette occasion, le groupe s’est étoffé d’un Big Band complice, renouvelant en cela une première expérience réussie quelques mois plus tôt au New Morning à Paris. Ce double CD – qui inclut six vidéos en noir en blanc reflétant fidèlement l’ambiance festive qui régnait ce soir-là – constitue un témoignage précieux d’une soirée de musique dont la force est bien celle de l’énergie vitale de ses influences. Elles aussi soufflent très fort sur le feu de la musique.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Jacques Schwarz-Bart - The Art Of Dreaming

    jacques-schwarz-bart-the-art-of-dreaming.jpgCoup de cœur ! Il y a chez Jacques Schwarz-Bart le souffle d’une évidence radieuse qui pourrait faire douter de la nécessité des mots, certainement insuffisants pour refléter comme elle le mérite la sérénité qui s’en dégage. Le saxophoniste, dont la carrière trace depuis une quinzaine d’années les contours d’une exploration de ses origines guadeloupéennes mêlée à des confrontations avec la scène jazz new-yorkaise, et en particulier son courant nu soul – lui-même laboratoire aux confins du jazz, de la soul et du hip hop – parvient aujourd’hui à une étape essentielle de sa vie d’artiste.

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

  • Le bel Alphabet de Sylvain Rifflet

    sylvain rifflet, alphabet, beaux-arts, saxophone, clarinette, citizen jazzLe changement c’est maintenant. Oui, certes... mais j'aimerais consacrer cette note à un disque – et ce faisant à un artiste de premier plan – récemment publié, dont le flux musical a circulé instantanément dans mes veines, bien mieux que n’a pu le faire mon propre sang malgré le soutien depuis bientôt trente-trois ans d'une colonie de comprimés aux vertus anticoagulantes (11.949 à ce jour, desquels il faut toutefois retrancher quelques rarissimes oubliés matinaux. Pensez à fêter mes 12.000 cachets, ce sera le vendredi 18 mai. Fin de la parenthèse).

    Le problème, c’est qu’en vous parlant de Sylvain Rifflet, je pourrais vous donner l’impression de bégayer un peu dans mon écriture. Un changement, oui, mais dans la continuité de son indéniable talent...

    Car oui, je l’avoue, j'ai déjà évoqué ici-même le saxophoniste clarinettiste compositeur arrangeur (etc.) à l'occasion de la publication de ses enchanteurs Beaux-Arts. C'était au mois de février. Bis repetita... Je ne reviendrai pas ici sur cet album, autant lire ou relire si vous le souhaitez la note que je lui avais consacrée ou, mieux, la chronique que mon camarade Franpi avait écrite pour Citizen Jazz.

    Mais tout de même : alors que les richesses de ce disque continuent de répandre leurs bienfaits, voici dès à présent, bien plus qu'une simple piqûre de rappel (je persiste dans la métaphore hématologique, pardonnez-moi), une nouvelle proposition tout aussi créative et passionnante. À la fois nom de groupe et nom d'album, Alphabet est un coup de maître. Un de ces disques qui, par leur inventivité, leur originalité mais aussi l'immédiateté de leur propos – je tiens à préciser ici que cette musique est très accessible, qu’elle ne suppose aucune initiation préalable. Amis craintifs du tympan, soyez rassurés et venez tranquillement découvrir ce petit monde baroque, vous devriez en apprécier les sinuosités – s'envolent miraculeusement et viennent s'installer en vainqueurs tranquilles de votre propre biotope, tout en haut – au sommet, vraiment – de la pile des disques que, par précaution et tendresse, vous gardez toujours à portée de platine. En d'autres termes, je suis habité par la conviction qu'Alphabet fera partie de ma sélection de l'année – il y sera forcément en très bonne place – et, mieux encore, qu'il est d'ores et déjà un point de repère, pour ne pas dire un classique. Déjà ? Qu’on me pardonne une certaine grandiloquence assumée : quand j’aime, je répugne à compter...

    Continuité et changement, donc. Nous sommes bien en présence d’une musique tout aussi originale et fusionnelle que celle qui hantait le sillon de Beaux-Arts. Il y a chez Sylvain Rifflet la capacité de dévoiler à nos oreilles un univers très contemporain – en témoignent les influences directes de Philip Glass, ou bien encore Steve Reich et sa science des décalages rythmiques et plus généralement de l’école dite des minimalistes – au milieu duquel les choix mélodiques sont, s’il le faut, tournés vers les compositeurs du début du XXe (« A l’heure » et son empreinte mélodique que n’aurait pas renié un Claude Debussy), mais vite confrontés à des scansions nettement plus crimsoniennes (note à l’attention des non spécialistes : j’évoque ici l’influence d’un groupe comme King Crimson, et bien entendu de son leader Robert Fripp), comme sur « Electric Fire Gun » ou la première partie de « C ≠ D » et à un savant travail de modelage de la matière sonore.  On aurait tort toutefois de s’arrêter à ces références – majeures et nourricières – parce que le résultat est avant tout profondément original. Il y a quelque chose dans la musique de Sylvain Rifflet qui incite à la fois à une rêverie un peu lunaire, voire mélancolique, tout en maintenant intacte notre capacité à l'éveil par ses assauts rythmiques répétés et ses incursions délicatement bruitistes. La construction d’une composition telle que « C ≠ D, part 2 » est exemplaire à cet égard : elle nous caresse puis tout doucement, elle s’élève, elle emporte. Ou celle de « A = B », qui, petit à petit, déconstruit la mélodie pour nous conduire vers une instabilité épanouie. Il ne vous aura pas échappé, aux titres des compositions, que cette musique établit par ailleurs des liens entre les notes et les lettres de l’alphabet... 

    Au lieu d’adosser un trio saxophone guitare batterie à un quatuor à cordes comme il l’avait réalisé sur Beaux-Arts, le professeur Rifflet, tout à ses alambics sonores,  a concocté une nouvelle formule aussi réjouissante avec l’aide de ses amis, dans la continuité d’une résidence établie dans le cadre du festival Jazz au fil de l’Oise. Ils sont ici en quartet, et c’est une bonne compagnie, celle de musiciens de jazz, à l’aise dans l’improvisation comme dans l’univers du rock : aux côtés du saxophoniste, Joce Mienniel à la flûte (Mienniel est actuellement membre de l’ONJ sous la direction de Daniel Ivinec), Philippe Gordiani à la guitare (pour en savoir plus sur ce dernier, je vous recommande une fois encore d’écouter ses contributions aux projets de l’excellent Bruno Tocanne, tels Libre(s)Ensemble , dans lequel il dévoilait déjà la face frippienne de son jeu, ou l’iOverdrive Trio) et Benjamin Flament aux percussions. Pas de basse donc, mais une batterie remplacée par un set de métaux traités (casseroles, bols, équerres...) : « Pour obtenir un son plus industriel, plus garage mais aussi plus précieux et ainsi de se balader quelque part du côté de Tom Waits et Cliff Martinez». La fusion des sonorités éclate au grand jour, elle est immédiatement attachante par sa singularité.

    Nous vivons dans un monde étrange : alors qu’on imaginerait volontiers artiste du talent de Sylvain Rifflet recevant le soutien enthousiaste d’un label, il semble bien que tel ne soit pas le cas. Il lui faut trouver d’autres voies, se distribuer lui-même (en espérant qu'il ne consommera pas trop d'énergie dans ce travail)... Jusqu’à proposer le téléchargement gratuit de son Alphabet ! Qu’on aura, si possible, la délicatesse de compléter ensuite par l’achat en ligne du CD pour la somme plus que raisonnable de 10 €... parce qu’il le vaut bien... 

    Nous ne sommes pas encore à la moitié de l’année 2012 et Sylvain Rifflet nous a déjà proposé deux disques coups de maître : je lui souhaite très sincèrement de trouver toutes les issues possibles pour la diffusion de sa musique, sur disque bien sûr mais aussi et surtout sur scène, parce qu’il s’agit d’abord de musique vivante et vibratoire.

    Et puis, on a presque envie de lui poser la question : jamais deux sans trois ?

    Alphabet :

    Benjamin Flament : métaux traités et électronique ; Joce Mienniel : flûtes et électronique ; Philippe Gordiani : guitares et électronique ; Sylvain Rifflet : compositions, saxophone, clarinette, métallophone et électronique.