Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Unité

    Paris, dans une sorte de self service sans âme du hall de la Gare de l'Est. Arrivé un peu en avance, je bois une bouteille d'eau minérale en attendant mon TGV. Je suis assis sur une chaise haute parmi quelques bipèdes qui, comme moi, tentent de tuer leur temps sans en avoir l'air. Après m'être échiné en vain à me raccorder à un réseau wi-fi public, j'observe du coin de l'œil un type qui vient nous demander de lui prêter un téléphone portable, le temps de passer un rapide coup de fil. Les candidats sont peu nombreux et après une courte hésitation, ma voisine de comptoir lui tend timidement son appareil. Elle saisit elle-même le numéro que le type lui dicte, puis lui confie le précieux objet. On devine toutefois à son regard interrogatif qu'elle n'est pas certaine des intentions du bonhomme. Quelques secondes plus tard, celui-ci lui rend naturellement le téléphone et commence à psalmodier une comptabilité geignarde de toutes les demandes sans succès qu'il a dû effectuer avant que quelqu'un accepte de lui rendre service. Il se plaint du manque de solidarité de ses contemporains et nous explique ensuite, preuves en main, qu'il ne réussit plus à faire fonctionner une carte téléphonique malgré 50 unités restantes. Une carte payée 14 € désormais inutilisable. Pourquoi est-il si bavard ? Je lui explique que, très probablement, il a dû la mettre en contact avec un objet qui l'aura démagnétisée. Bref, un début de conversation s'engage, mais qu'il est étrange ce sentiment de malaise qui nous gagne tous à l'idée de l'avoir unanimement soupçonné de nous jouer une vilaine entourloupe.

  • Bulles

    bulles_de_savon.jpg
    J'aime bien les petits jeux du hasard. Je ne déteste rien tant que l'idée selon laquelle toutes nos vies seraient organisées en un grand dessein sous la baguette autoritaire d'une force supérieure à laquelle nous ne saurions échapper. Je préfère imaginer que les êtres humains sont un peu comme des bulles de savon - ne me demandez pas qui a soufflé - dont le voyage sera guidé par des vents incontrôlables. Toutes les bulles n'ont pas la même épaisseur ni le même volume, mais elles sont bulles, elles peuvent s'entrechoquer ou ne jamais se toucher, parfois elles éclatent, certaines beaucoup plus précocement que d'autres. Leurs voyages les mènent à des destinations imprévisibles. Que serait donc notre vie si, par malheur, la fin était écrite ? L'incertitude et l'inconnu ne sont-ils pas les seuls garants de notre esprit d'initiative ? Oh, et puis zut, je sens que je me laisse gagner par ces grandes questions qui nous hantent : où vais-je ? où cours-je ? Et comme dirait Woody Allen : à quelle heure on mange ?

     

  • Rayé

     

    palais_royal.jpg
    Paris, au mois de février, du côté des jardins du Palais Royal et des colonnes de Buren. Il y a du chantier dans l'air et pour adoucir le paysage aux yeux des badauds, un «emballage» temporaire nous rappelle les rayures noires et blanches et laisse observer l'avancée des travaux à travers des filtres colorés : bleu, vert, jaune, orange et rouge. Pendant que je contemple ce spectacle un peu irréel, un enfant demande à son père : «C'est quoi, ça, papa ?» et s'entend répondre : «C'est rien, c'est nul, c'est moche». Dommage, il y avait pourtant de quoi passer un moment un peu ludique avec le gamin et lui raconter une histoire en couleurs. La grisaille est dans certaines têtes, aussi...

     

  • Enchanté

    hugh_coltman.2.jpg

    Pagney-derrière-Barine, vous connaissez ? Non ? Il ne saurait être question de vous en vouloir parce que ce tout petit village, niché au pied des vignobles du Toulois, est quasiment introuvable. Même votre GPS devra s'y reprendre à plusieurs reprises pour vous en indiquer le chemin. Et pourtant... voici quarante ans que cet improbable endroit abrite un temple du blues et du rock vers lequel converge un public de passionnés, fumeur et buveur de bière bien souvent : Chez Paulette ! Là, je vous sens frétiller parce que, peut-être, ce nom vous dit quelque chose. Non, toujours pas ? Pas grave, mais vous auriez tort de méconnaître une salle (dont on devine qu'elle fut une grange il y a bien longtemps) qui est capable de programmer un type comme Hugh Coltman, dont j'avais évoqué le dernier disque, Stories From The Safe House, ici-même. Son rock teinté de blues, de folk et de jazz, sur lequel cet anglais francophile et francophone pose une voix dont le registre file souvent vers d'insoupçonnables hauteurs, s'accommode parfaitement de l'âme des lieux, malheureusement un peu vides hier soir. Quelques dizaines de spectateurs seulement avaient répondu présents à l'appel et l'on sut immédiatement que les absents avaient tort. Passant en revue son disque et l'entrecoupant de quelques reprises, dont "In the Summertime" de Mungo Jerry et un ravageur "Jealous Guy" où étaient convoquées les mânes d'Otis Redding, Hugh Coltman n'a pas déçu, tant s'en faut. Mieux encore : il a su nous offrir un véritable petit moment de grâce quand, alors que le second set allait commencer, notre homme décida de s'installer au beau milieu du public pour interpréter une émouvante version acoustique de l'une de ses compositions, "Sixteen". Cette chanson évoque les idéaux en noir et blanc de l'adolescence, avant que ceux-ci ne se fracassent sur la réalité plus grise de la vie d'adulte. Par chance, j'ai pu capter ces belles minutes pendant que Madame Maître Chronique officiait au Lumix. Ce sera mon petit cadeau du jour, j'espère qu'il vous plaira. Et merci à toi, Hugh, pour la chaleur de ta musique. Elle fait beaucoup de bien.
    podcast
    Hugh Coltman : "Sixteen", une version acoustique live captée Chez Paulette, le samedi 7 mars 2009

  • Entrée

    Mes deux précédentes notes (Durable suivi d'Éphémère) étaient consacrées à des sujets futiles, dont le thème commun est la crise économique qui s'abat sur nous tous. Il est temps de revenir à l'essentiel et d'aborder un sujet dont la gravité n'échappera à aucun d'entre vous. La nécessité de l'évoquer est née de l'observation de quelques uns de mes collègues aux prises avec la saisie d'un texte sur leur ordinateur et plus particulièrement de l'étude scientifique d'un massacre méticuleusement programmé, celui de la touche Entrée, située sur la droite de tout clavier digne de ce nom. Avez-vous constaté en effet, concernant cette dernière, à quel point elle est méthodiquement martyrisée par les utilisateurs de l'outil informatique ? Cette violence à peine retenue serait-elle un reliquat de l'époque révolue des machines à écrire ? Si si, rappelez-vous : parvenu à la fin d'une ligne, il fallait énergiquement enclencher un petit bras articulé pour provoquer le mythique «retour chariot». Parfois même, la machine retentissait d'un «ding» guilleret avertissant votre entourage de l'avancée de votre travail. Mais aujourd'hui, là où un effleurement suffirait amplement à assouvir le besoin d'un changement de paragraphe, ces forcenés de la frappe ne peuvent s'empêcher d'asséner un coup violent à ce pauvre petit carré de plastique qui n'en demande pas tant. Conséquence (je tiens cette observation d'une longue pratique de l'entretien d'un parc informatique) : la touche Entrée est bien trop souvent branlante, voire absente et le collègue coupable, dans ce cas, m'explique avec la plus grande sincérité qu'il ne comprend pas pourquoi elle s'est volatilisée et que le matériel est vraiment de piètre qualité, ce qui est normal puisqu'il est fabriqué en Chine. Il fallait que j'évoque cette question grave. Mais c'est promis, j'essaierai de ne pas vous choquer trop souvent...

  • Éphémère

    C'est en quelque sorte le contrepoint sombre à la note écrite hier... Je soulignais quelques unes des rares conséquences positives nées d'une nécessaire gestion de la crise par nos compatriotes se trouvant dans la nécessité de dépenser mieux et moins. Malheureusement, cette crise semble être le prétexte à d'autres décisions beaucoup moins élégantes, quant à elles. Ce soir par exemple, en procédant à la mise à jour du calendrier des concerts de Magma sur le site de Seventh Records, j'ai dû retirer de la liste prévisionnelle celui qui devait être donné à Colmar le 28 avril. Parce qu'il semble que la municipalité ait supprimé les subventions aux associations culturelles de la ville, dont celle qui était impliquée dans l'organisation du concert de Magma, et ce malgré des engagements pris antérieurement. Une bonne manière de faire, enfin, la chasse aux «saltimbanques» en se cachant derrière le masque hypocrite des restrictions budgétaires ?

  • Durable

    La crise économique aurait-elle des effets bénéfiques ? Certainement pas pour tous ceux qu'elle jette dans le fossé des restructurations et des licenciements et qui viennent s'ajouter à l'interminable cohorte des chômeurs sacrifiés sur l'autel des dividendes. Ceux-là souffrent assez pour manquer du temps nécessaire à une réflexion sur les effets secondaires du tsunami financier. Néanmoins, il est curieux de constater à quel point les discussions ou débats qu'on peut entendre un peu partout ont pour thème une certaine manière de repenser nos pratiques de consommateurs. Parce que les produits de première nécessité sont souvent devenus hors de prix, on réfléchit à une alimentation plus raisonnée, voire plus saine, qui nous éloigne des nourritures industrielles trop grasses, trop sucrées, trop salées et par conséquent néfastes au plan sanitaire. La cuisine familiale redevient pour certains la source de substantielles économies mais aussi d'un mode de vie plus communicatif et écologiquement plus sage. Ailleurs, on évoque l'idée du co-camionnage, pour diminuer le coût du transport des marchandises mais aussi dans le but de limiter la pollution et la consommation de carburant. On entend aussi que bon nombre de nos compatriotes attendent le développement de nouvelles technologies, plus propres, pour changer leur automobile (dont la crise se révèle plus profonde qu'on ne veut bien nous le dire et semble devoir être dissociée des récents événements). L'économie durable pointe le bout de son nez dans les comportements de chacun d'entre nous. Lors d'un autre débat, dont le thème était celui du changement radical du modèle économique planétaire, j'ai aussi retenu ce propos d'un participant qui suggérait de réapprendre les «plaisirs durables», ceux de l'immatériel comme peut l'être la culture par exemple. Le chemin sera très long, mais il n'est pas désagréable de noter ces nouvelles prises de conscience.

  • Paralysie

    A chaque fois, c'est pareil... Voilà près de trente-cinq ans que ça dure et je ne parviens toujours pas à m'expliquer le phénomène dont je suis victime. Comme pas mal d'autres, d'ailleurs, si j'en crois quelques témoignages entendus ici ou là. Je reste toujours comme tétanisé - étrange paralysie physique et mentale - durant les jours qui suivent un concert de Magma. Pas moyen ni envie d'écouter quoi que ce soit d'autre (Coltrane peut-être, tout de même). Celui que nous avons vécu la semaine dernière à Nancy n'était peut-être pas le meilleur de tous ceux auxquels j'ai eu la chance d'assister depuis le premier -  c'était le 18 juin 1976, avec au violon un gamin de vingt ans appelé Didier Lockwood -  mais il véhiculait comme à chaque fois une telle dose d'énergie vitale, cette énergie que nous recevons de la musique et qu'en retour, nous brûlons nous-mêmes pour mieux intensifier l'échange avec les musiciens, que j'en suis ressorti comme vidé après un effort physique intense. Il faudra bien qu'un jour je parvienne à comprendre où Christian Vander puise cette force qu'il sait si bien faire rejaillir sur nous. Ce n'est pas faute d'avoir lu toutes les interviews qu'il a pu donner depuis quarante ans, mais le mystère demeure entier. Au point qu'on en vient à se dire que le temps passe, inexorablement, que les années s'ajoutent les unes aux autres et qu'il nous faut vivre chaque concert avec la plus grande intensité de peur qu'il soit le dernier... Dans les loges après ces instants hors du commun, Stella et moi avons résumé cette question en deux mots : «Carpe Diem».

  • Augmentation

    hotel_de_locean.jpg

    C'est la crise ! Malgré les injonctions de notre petit monarque neuilléen nous suggérant de travailler plus pour gagner plus - sans nous dire toutefois ce qu'il s'agit de gagner - les effets de la crise financière de l'automne dernier se font sentir jusque dans les recoins les plus insoupçonnés de la vie des français. On le voit ici par exemple : l'offre commerciale proposée par cet hôtel breton est alléchante. Oui, sauf que les gérants de cette maison se sont vus dans l'obligation de prendre une subtile décision... Rallonger de trois jours le mois de février pour compenser la perte occasionnée par une promotion qu'ils n'ont peut-être plus les moyens de prendre à leur charge. Étonnant, non ?

    Merci à Madame Maître Chronique qui a débusqué cette perle au gré de son butinage sur la Toile.

  • Abstinence

    Lors d'un récent long week-end parisien - trois jours off - j'ai volontairement fermé les yeux et les oreilles à toute information diffusée par un poste de radio ou de télévision. Un nécessité absolue de désintoxication après tant de semaines où, comme tout citoyen consciencieux, je me suis quotidiennement infligé la potion très amère de la ligne éditoriale des différents médias, qui confine à l'acharnement, voire la psalmodie, de toutes les brutalités de la planète Terre déposées à nos pieds. Je n'ignore rien de l'extrême brutalité de notre monde et j'ai la faiblesse de croire que je ne me comporte pas comme une autruche plongeant la tête dans le sable, mais il est des jours où, à force de violence répétée, il faut - tel un ordinateur dont on libère un peu de mémoire vive en quittant une application - apprendre à se préserver des agressions extérieures en se détachant de son environnement.

  • Félicité

    cv_nancy.jpg

    Crédit photo © Jacky Joannès
     

    Une foule tranquille s’est retrouvée hier soir dans le béton rouge vif de l’Autre Canal à Nancy. Après avoir fêté «quarante ans d’évolution» deux semaines plus tôt au Casino de Paris, Magma passait par la Lorraine… Grand bien lui en a pris, car si le confort de la salle est… spartiate (quelques places assises seulement sur des gradins amovibles), l’acoustique est impeccable, ce qui reste un incomparable bénéfice pour les oreilles de tous (les conditions sonores dans la vieille salle de la rue de Clichy, deux semaines plus tôt, étaient beaucoup moins favorables, doit-on le préciser).

    Une première heure durant, l’Infernal Machina de Jannick Top est venue déferler et délivrer ses climats oppressants, sombres, à la limite de l’étouffement. Si le disque éponyme paru l’an passé était passionnant, il y a quelque chose qui continue de gêner dans la version live du groupe, comme si la musique arrachait tout sur son passage, sans emporter vraiment, il faut le dire, l’adhésion. La volonté de froideur du propos semble créer une distance presque infranchissable et il faudra chercher à comprendre ce filtre un peu opaque qui s’installe entre la musique et son public.

    Magma, quant à lui, s’expose très naturellement à la lumière et offre pour commencer près de cinquante minutes de nouvelles compositions, dont un splendide « Félicité Thösz » qui souligne toutes les qualités de leader de Christian Vander : compositeur toujours inspiré, batteur à la précision surhumaine, chanteur incomparable, remarquablement soutenu par Stella qui, rarement, aura été autant mise en avant et dont la voix aérienne offre un parfait contrepoint à la force du groupe. Il y a quelque chose de rayonnant dans cette œuvre récente, un ensoleillement parfaitement souligné par un jeu de batterie qui privilégie la frappe des cymbales, dont on sait qu’elles ont toujours fasciné le créateur de Magma. Quant à sa conclusion chantée par Vander lui-même (un petit extrait est ici en écoute), elle est habitée, d’une double voix père-fils héritière des harmoniques de John Coltrane et leur alternance de chant grave et chant haut placé. Une dualité qui, probablement, est aussi l’identité du groupe depuis le premier jour.

    Magma interprète ensuite sa version intégrale de « Ëmehntëhtt-Ré » dont la plupart des thèmes sont connus de longue date de tous les kobaïens, avant un final – tous gongs dehors – en forme de marche funèbre jusqu’à une ultime vocalise de celui qui s’est offert sans compter.

    Il nous reste à nous envoler ensuite sur la planète « Kobaïa », cerise sur le gâteau, avec son chanteur originel, Klaus Blasquiz dont la puissance vocale reste étourdissante et, en salut intimiste, cette « Ballade » émouvante où Christian Vander, presque seul au chant, vient tutoyer l’étoile de son maître à jouer, John Coltrane.

    Il est minuit.


    podcast
    En écoute, « Öhst », extrait de « Félicité Thösz » lors du concert à l'Autre Canal (Nancy), le 28 février 2009.