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Parce que je ne suis pas forcément là où l’on pourrait me croire, je reste attaché à des formes musicales qui elles-mêmes me lient à mon passé et peuvent paraître relever d’une esthétique formellement très éloignée de celle des disques dont je me nourris au quotidien. Comme dirait ma rédac’ chef : cépadujaze ! Et ça me plaît bien !
J’avais évoqué à la fin de l’année dernière un chanteur canadien aux origines Argentines, le dénommé Indio Saravanja. Je trouvais dans sa musique, sur laquelle planent les ombres bienveillantes de Bob Dylan comme celle de l’excellent et pas assez connu Jackson Browne, l’expression d’une vraie simplicité, propre à provoquer la communion de publics qu’on pourrait a priori croire difficiles à réconcilier. Il y a chez Indio Saravanja comme une douloureuse fragilité, dont la sensibilité me touche au plus près. Sa musique intimiste revêt les teintes douces et mauves d’une rêverie baladeuse qui cette fois, avec ce quatrième album intitulé Little Child, disponible en format numérique uniquement (au grand regret de Saravanja lui-même, très attaché au disque vinyle), célèbre aussi sa récente paternité et son cortège de joies et de craintes pour l’avenir, dans une orchestration classique et dépouillée (guitare acoustique, basse, batterie essentiellement).
Indio Saravanja est un artiste humble et sincère, il nous donne (ou presque, devrais-je dire car son disque est disponible pour une somme très raisonnable, à peine plus de 7 €) l’occasion de nous balader tranquillement à ses côtés. En ces temps troubles et violents, une telle proposition semble difficile à refuser.
Il y a comme un réflexe de type pavlovien chez les plus vieux des jazzeux du côté de Nancy : « Nancy Jazz Pulsations, c’est plus un festival de jazz, c’est plus comme avant », nous disent-ils en glorifiant un passé qui, peut-être, n'a jamais existé que depuis qu'il est passé. Je peux comprendre le désappointement des anciens lorsqu’ils voient fleurir en haut de l’affiche des noms comme ceux de Renan Luce, Zaza Fournier ou Arnaud Fleurent-Didier. Je m’associe également à leur peine quand, venus applaudir les grands Charles Lloyd et Chucho Valdés, on leur inflige la purge Raphael Gualazzi, indigeste saucisse prise entre ces deux goûteuses tranches de pain.
Mais enfin, n’est-ce pas là une vision un peu étriquée d’une manifestation qui a dû non seulement s’adapter aux contraintes de l’économie contemporaine (permettez-moi de vous dire ici qu'elles sont assez draconiennes) mais aussi élargir sa palette, non pas au détriment d’une programmation typiquement jazz mais en multipliant les scènes et les genres ? En 1973, que je sache, point d’Autre Canal, ni même de Hublot ou de Magic Mirrors. Et beaucoup moins de concerts au total ! De vieilles voix complices me sussurent même parfois que déjà, au bon vieux temps, on déplorait la présence trop marquée des concerts de blues. La nostalgie serait-elle toujours ce qu'elle n'a jamais cessé d'être ?
Par conséquent, j’aimerais souligner ici que durant la dizaine de jours de la trente-huitième édition du festival, les plus puristes auront tout de même pu se mettre sous la dent (qu’ils ont parfois dure) : Henri Texier, Francesco Bearzatti, Vincent Segal et Ballaké Sissoko, Tigran Hamasyan, Youn Sun Nah, Manuel Rocheman, Charles Lloyd, Chcuho Valdés, Dan Berglund, Mulatu Astatke, Billy Cobham, Stefano Bollani, Stéphane Belmondo, Louis Sclavis et Jacques Bonnafé… sans parler d’une multitude d’apéros jazz un peu partout dans la ville. Ceci, indépendamment bien sûr, de l'adhésion qu'aura pu susciter chaque concert auprès du public.
Pas si mal tout de même. Ce n’est là qu’un exemple de sélection, mais elle me paraît remettre un peu les choses en place. Et suggérer de renoncer à un gémissement un peu trop automatique. Pour le reste, il n'est interdit à personne de participer à un travail de réflexion sur l'évolution de ce qui est un temps fort de la vie cuturelle en Lorraine.
La satisfaction de quitter l’Opéra de Nancy sans m’être ennuyé une seule seconde !
Bien qu’abonné au programme annuel de la salle, je confesse volontiers une certaine tendance à l’endormissement systématique lorsque j’assiste à un opéra. Ma dernière performance remonte à quelques mois, quand je me suis longuement assoupi pendant une représentation d’Orlando Furioso de Vivaldi. Je n’en ai ni vu ni entendu grand-chose et j’ai ce privilège que d’aucuns m’envient : celui de payer pour dormir.
Mais résumer mes relations avec l’art dit lyrique à la seule mesure de mon sommeil serait injuste, parce que je passe aussi d’excellents moments en ce lieu un brin suranné, dont les fauteuils au confort sommaire ont du être créés à une époque où l’homme ne devait pas mesurer plus d’un mètre cinquante et ne pas être équipé d’une paire de genoux dont il n’est pas possible de confier la garde au vestiaire. Je me souviens d’un opéra vidéo dont le titre était Tomorrow In A Year qui, s’il avait partagé la salle, était une proposition novatrice à tendance technoïde, preuve d’une volonté affirmée de la part des programmateurs de garder un œil attentif sur des créations contemporaines dont la réputation contrastée peut mettre en danger l’équilibre financier de leur année.
Peu de couleurs pour l’œil qui de toutes façons a déjà suffisamment à voir, un travail de mise en scène et une chorégraphie qui privilégient le noir et le blanc, voire la couleur chair. Le chœur des Noces est puissant, les danseurs et les danseuses se livrent à une course tournoyante, le temps passe à la vitesse de l’éclair. Le souffle des œuvres de Stravinski ! A peine se souvient-on d’un entracte plus long que prévu parce qu’un musicien, remplaçant de dernière minute, file tout droit de Luxembourg pour assurer la continuité du spectacle. On n’oublie même une certaine mollesse de la direction d’orchestre qui, peut-être, aurait besoin d’un peu plus de muscle.
A la sortie, j’entends quelqu’un dire : « Ce n’est pas classique classique ». Tu l’as dit mon ami, et ce n’est pas ce bon Igor qui te dira le contraire. Il pourra te raconter la soirée du 29 mai 1913 au Théâtre des Champs Elysées !!!
C’était le 5 juillet dernier, au festival Jazz à Vienne, dans le cadre majestueux du théâtre antique de la ville. La soirée était entièrement consacrée aux big bands et la première partie proposait un concert d’une jeune formation : The Amazing Keystone Big Band. Une petite vingtaine de musiciens partageant leur vie entre Lyon et Paris, que Citizen Jazz a déjà remarqués après leur passage au Méridien le 9 mai.
J’ai vu le groupe l’année dernière dans un club de Lyon appelé La Clef de Voûte, qui est un peu leur bercail, leur lieu fétiche. Vous avez compris : Keystone, Clef de Voûte !
Je n’étais pas à Vienne. Mais j’aurais bien aimé… D’abord parce que – comme vous pourrez le vérifier sur la vidéo – il faisait un temps magnifique et que le soleil exerce sur moi une attraction plutôt forte, en bon Lorrain que je suis ; aussi parce que je ne connais pas ce lieu chargé de beaucoup d’histoire et très majestueux. Une troisième raison n’a fait qu’ajouter à mes regrets, sur laquelle je ne m’étendrai pas mais que les plus attentifs parmi vous auront tôt fait de comprendre. Cerise sur le gâteau, cette bande de jeunes loups talentueux et fougueux avait choisi de multiplier les énergies en faisant appel à quelques guests prestigieux comme l’organiste Rhoda Scott ou le vibraphoniste Michel Hausser.
Voici une petite séance de rattrapage de ce concert que j’ai pu visionner quelque temps plus tard dans son intégralité : The Amazing Keystone Big Band interprète « Joshua », une composition de Miles Davis. L’image est un tantinet déformée mais comme dit l’autre, qu’importe le flacon… Et si vraiment cet étirement vous gêne, eh bien c’est tout simple : fermez les yeux et ouvrez vos oreilles !
Je finis par me demander si la discographie du Grateful Dead ne ressemble pas à une grosse vis dont le filetage serait usé, au point qu’une fin n’est jamais envisageable. Elle tourne, elle tourne, elle tourne… Je ne reviendrai pas ici une nouvelle fois sur l’histoire personnelle qui me lie à ce groupe (cherchez si vous le souhaitez, vous finirez bien par trouver…) parce que j’aurais l’impression d’être un vieux schnock radoteur (ce que je suis probablement). Je résumerai cette forme de dépendance inoffensive en disant qu’une petite musique Grateful Dead résonne constamment dans ma tête, de près ou de loin. C’est ainsi… une sorte d’oxygène neuronal.
Mais tout de même ! Les archivistes de la bande à Jerry Garcia – hommes d’affaires bien avisés ? – nous annoncent la publication en 2012 d’une nouvelle collection d’enregistrements baptisée Dave’s Picks, sous la houlette de David Lemieux. Mais c’est quoi ce truc ? On n’en finira donc jamais ?
Je passe sur l’épaisseur de la discographie officielle du groupe : treize albums studios (ce qui est peu finalement, pour une existence couvrant la période allant de 1966 à 1995), une ribambelle d’albums live (dont on peut établir le compte, mais j’y renonce… il y a des doubles, des triples, des quadruples, et même beaucoup plus, je crois avoir un coffret de neuf disques rassemblant trois concerts du début de l'année 1969) qui sont autant de témoignages de la créativité d’une formation dont le four core (Jerry Garcia, Bob Weir, Phil Lesh et Bill Kreutzmann) aura soufflé un air d’une grande fraîcheur, nonobstant un parcours très troublé par de nombreux excès, liés à l’usage des drogues en particulier, sans oublier plusieurs disparitions tragiques. Une douce brise un peu folle aux confins du rock, du folk, du rhythm’n’blues, de la country music, toujours prête à s’échapper de ces cadres trop étroits par de longues séquences d’improvisations (celles-ci ont même fait l’objet d’un disque sous la forme d’une énigmatique compilation appelée Infrared Roses) qui ont constitué la marque de fabrique du groupe.
Si c’était aussi simple… On pourrait délimiter le périmètre et en rester là. On prend son petit stock de disques et on a largement de quoi s’occuper. Mais c’est sans compter sur cette espèce de folie jusqu’au boutiste qui prévaut au sein de l’équipe de Dead Heads régnant sur un stock d’archives très impressionnant. Au point que les collections qu’ils élaborent, mises bout à bout, nous permettent de vivre en différé ce qui s’apparente à une épopée un peu déjantée, qui fait vivre pendant 30 ans un répertoire dont la liste des compositions n’est pas si étoffée. Il y a chez le Grateful Dead un terreau sans cesse labouré, une remise constante de l’ouvrage sur le métier.
Ah, ces collections live ! 36 volumes de la série Dick’s Picks (chacun d’entre eux étant lui-même composé de plusieurs CD) ; une grosse douzaine de Download Series tout aussi copieuses ; et pour finir les Road Trips, soit une petite vingtaine de volumes supplémentaires. N’en jetez plus, la cour est pleine. Curieusement, cette accumulation, ces répétitions n’ont jamais suscité chez moi la moindre lassitude : ces concerts passés m’accompagnent, je les vis à distance géographique et chronologique, peut-être pour combler la cruelle déception d’un concert (dont j’ai encore les billets en ma possession) à Nancy qui ne s’est jamais tenu… Peut-être aussi pour rester en parfaite connexion avec mon passé et vivre le présent de manière plus sereine.
Je croyais en avoir fini jusqu’à hier (enfin, quand je dis finir, il faut comprendre que je pensais mon univers enfin délimité), en découvrant l’annonce d’une nouvelle série de concerts dont les quatre premiers volumes sont annoncés pour 2012. Des soirées intégralement restituées, semble-t-il, avec un travail soigné apporté au son. Pfff… Voilà qui promet encore de longues heures de cohabitation avec les héros de mon adolescence. Sont fous ces Américains.
Je vais essayer de survivre à cette nouvelle attaque traîtresse…
PS : on aura compris par cette note quels moments difficiles je vis...
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la ville de Blois compte parmi ses habitants un fou furieux qui, depuis des lustres, se bat avec un acharnement qui force l’admiration pour défendre et partager une passion que je lui ai toujours connue. Quand je dis toujours, je n’exagère pas puisque je me rappelle l’époque de mon enfance à Verdun et la forte propension du personnage à ne parler que de musique avec mon frère, dont il était un camarade de classe. Je crois même me rappeler qu’en ces temps reculés – chut, ne le dites à personne - il vouait un vrai culte aux Rolling Stones… Philippe Renaud – c’est lui que j’évoque ici – s’est forgé une solide réputation en créant voici un bon paquet d’années Improjazz, un magazine mensuel disponible par abonnement uniquement et dont le dernier numéro en date est le cent-soixante-dix-neuvième. C’est dire que le temps passe…
Attention ! Ce magazine d’information musicale est probablement un cas unique, pas seulement en raison de sa longévité, ni par la ténacité de son créateur et de ceux qui l’entourent mais par son concept et son esthétique. Dédié principalement au jazz et tout particulièrement à ses formes improvisées, Improjazz s’adresse exclusivement aux lecteurs. N’y voyez pas là un truisme, mais plutôt une nécessaire explication : par sa mise en page austère presque inchangée depuis son origine, par la densité des textes qui le composent, la publication ne cède en rien aux canons actuels de la communication écrite et n’ira pas vous tirer par le bout de la manche pour se vendre. Bref, vous m’aurez compris, on aura du mal à le feuilleter pour regarder les illustrations, rares et monochromes ; bien au contraire, on ouvre Improjazz comme on le ferait d’un livre : il faut un peu de temps devant soi et vouloir découvrir une foule d’artistes dont, probablement, vous n’aurez jamais entendu parler.
Objet de curiosité, publication pour curieux, Improjazz ne vit que par la foi de l’équipe de Philippe Renaud et par les abonnements de ses lecteurs. En ces temps chahutés où je ne sais quel comité Théodule est réuni par celui qu’on prétend être Ministre de la Culture pour se pencher au chevet du jazz, il est aussi de notre devoir de valoriser un soutien aussi fidèle au monde de la musique.
J’apprends que les quatre musiciens de Festen vont prochainement entrer en studio pour enregistrer leur second disque. Voilà qui ressemble fort à une excellente nouvelle ! Le premier chapitre de leurs aventures musicales était très séduisant, par son mélange d’influences multiples – pour ne pas dire sa fusion, mais ce mot est trop souvent connoté de façon négative après avoir été confisqué par certaines tendances du marshmallow sonore des années 80. Pour jeunes qu’ils soient, Damien Fleau (saxophone), Jean Kapsa (piano), Oliver Degabriele (contrebasse) et Maxime Fleau (batterie) n’en possèdent pas moins une très solide culture jazz qui jamais ne leur interdit d’aller, par l’effet conjugué d’une saine curiosité et de leur histoire personnelle, faire un tour du côté de leurs amours plus rock. Inutile de dire qu’on a déjà envie d’en savoir plus sur ce projet en gestation.
Plus généralement, je défends bec et ongles cette nouvelle génération de musiciens qui croisent les univers et n’adoptent jamais une attitude condescendante envers des formes musicales que d’autres jugent inférieures voire vulgaires, au point de penser que leur incorporation dans le brouet du jazz constitue une marque de dégénérescence. Peut-être parce que de mon côté j’ai grandi dans un environnement très largement influencé par le rock, et qu’à l’époque j’étais étonné de l’agressivité exprimée par la sphère des puristes (dans le camp du jazz ou de la musique classique) à son encontre. Ils démontraient la plupart du temps un vrai sectarisme et, pire, une ignorance totale du mal qu’ils se croyaient obligés de pointer d’un doigt vengeur.
Il me semble que cette époque là est bien révolue et qu’aujourd’hui, l’assimilation, tranquillement, s’opère. Tant mieux. Festen en est une manifestation très claire !
En écoute, « Ed’s Night Out », extrait du premier disque de Festen.
Un guitariste nancéen, que je connais de longue date parce qu’il fut notamment l’un des enseignants de mon fils lors de ses années d’apprentissage musical, a publié tout récemment un disque autoproduit dont j’aimerais dire ici quelques mots, avant de l’évoquer un peu plus longuement dans les colonnes de Citizen Jazz. Avec son titre un peu nostalgique, Those Were The Days (qu’on pourrait traduire par « C’était le bon temps ») est le second album de Sylvain Courtney, après sa Bal(l)ade Faubourg qui avait vu le jour en 2007. Qui connaît un peu Sylvain saura que ce disque lui ressemble : paisible, fluide et élégant, un peu à l’image de sa longue silhouette et d’une convivialité jamais forcée. Au-delà d’influences revendiquées (notamment celle de la génération de jeunes guitaristes tels que Jonathan Kreisberg ou Lage Lund), Sylvain Courtney sait capter l’attention par un phrasé dont l’expressivité chaleureuse n’est jamais entravée par une technique trop démonstrative. Voilà un disque bienfaisant, d’une sérénité virtuose mais limpide, qui très vite circule en vous pour s’insinuer tranquillement dans votre discothèque des jours de soleil.
En écoute : « Those Were The Days », extrait de l’album éponyme par le Sylvain Courtney Quartet.
Sylvain Courtney : guitare ; Jean-Yves Jung (piano) ; Damien Varaillon (contrebasse) ; Jean-Marc Robin (batterie) + Michael Alizon (saxophone).
Pour une fois, je n’abuserai ni des mots, ni même de ce travers dont je me régale : la confection de phrases interminables. Je veux simplement partager avec vous une photographie que je trouve magnifique.
Mon ami Jacky Joannès, en grand chasseur de portraits de musiciens, était l’autre jour au pied de la scène du Chapiteau de la Pépinière, pendant un concert que le saxophoniste Charles Lloyd donnait dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsations.
Et soudain, il a vu ça…
Ah qu'il est beau cet instant fugace durant lequel la silhouette du musicien s’est dessinée, juste par un effet d’éclipse d’un projecteur. C’est admirable. Je ne saurai jamais assez remercier l'ami Jacky pour la joie que peuvent procurer tous ses coups d’œil. Quand un regard plein de lumière nous offre de tels petits miracles visuels, on s’incline et on savoure…
La pluie d’automne n’aura pas réussi à gâcher la fête. Ou plutôt l’anniversaire. Electro Deluxe a voulu souffler ses dix bougies en investissant à grand renfort de vibrations la scène de l’Alhambra mardi dernier. Bien lui en a pris parce qu’au vu des mines réjouies des spectateurs à la sortie d’un concert enflammé devant un parterre archi-comble, le pari de Thomas Faure et de ses complices aura été largement gagné. Le genre de soirée qu’on garde en soi pour longtemps, comme un moteur à combustion personnelle pour les temps à venir, une cure préventive avant l’hiver, dans le souffle puissant de l’énergie qui s’y est déployée.
Electro Deluxe : comment qualifier la musique que joue ce groupe ? Voilà un exercice bien compliqué tant le cocktail servi par les musiciens, au-delà de son fort dosage en vitamines, est composé de fruits mûrs et goûteux. Ceux de la Motown et de la soul music (citons en passant des inspirateurs comme James Brown, Otis Redding ou encore Stevie Wonder), du jazz quand il s’électrifie (Herbie Hancock n’est jamais loin), une énorme grappe d’un funk bien juteux et, plus près de nous, hip hop et rap qui viennent s’inviter à la parade. On évoque parfois l’idée d’électro-jazz, ce qui finalement ne veut pas dire grand-chose, mis à part le fait que le recours à l’électronique et aux samples en est aussi une composante. Electro Deluxe est d’abord une machine à groove, un système généreux qui vous oblige à quitter votre siège parce qu’il est assez irrésistible. Le groupe a publié trois albums : Stardown (2005), Hopeful (2007) et Play (2010) sur lesquels un certain nombre de visiteurs prestigieux, cerise sur un gâteau déjà bien appétissant, sont venus pointer le bout de leur nez talentueux.
Thomas Faure (saxophone, arrangements, direction), Gaël Cadoux (claviers), Jeremy Coke (basse), Arnaud Renaville (batterie), Vincent Payen (trompette) et James Copley (chant, lancer de veste et jeté de pied de micro) ainsi que quelques amis de passage : HKB Finn, 20Syl (membre de Hocus Pocus), Nyr ou Opé Smith… tous étaient là pour transpirer leur musique pendant deux heures, la faire ruisseler jusqu’au bout de leur enthousiasme.
Trop simple ? Oui, trop simple… Parce qu’au bout d’une dizaine de minutes, histoire d’ajouter encore un peu de démesure, il a bien fallu que le rideau noir qui occultait jusque là une bonne partie de la scène se lève soudain sur une armée de furieux soufflants* (cinq saxophones, quatre trombones et quatre trompettes, excusez du peu) cravatés et vêtus de blanc, et venus en cela renouveler une expérience torride déjà tentée avec succès au mois de juin dans un New Morning tout aussi plein que l’Alhambra, lors de la première tentative d’Electro Deluxe en grand ensemble.
Et là, le déferlement a commencé, balayant tout sur son passage, pour une tempête black and bitter de deux heures que les spectateurs (mais aussi acteurs à leur manière) présents ne sont pas près d’oublier. Plus charismatique que jamais, James Copley mettra le feu à la salle en véritable showman formé au chant dans les églises baptistes de son enfance, guetté du coin d’un œil rieur par Thomas qui avait déjà Faure à faire avec la direction de son Big Band survolté. Autant dire que les autres petits camarades n’ont pas eu le loisir d’admirer le spectacle mais qu’ils avaient au contraire la lourde responsabilité de propulser et faire vrombir le vaisseau !!! Arnaud Renaville et Jeremy Coke, une rythmique d’acier et Gaël Cadoux, virevoltant sur des claviers tantôt caressés tantôt martelés avaient en effet un mot d’ordre, un impératif absolu auquel ils se sont bien volontiers soumis : let’s go to work !
Cet Electro Deluxe XXL est assez fascinant, il faut bien l’avouer. Sa musique très fédératrice, à la fois rigoureuse et populaire, d’une grande sincérité et entourée d’un soin maniaque par ses géniteurs, possède bien des atouts qui devraient lui valoir une renommée encore plus large.
Avis aux festivaliers : plutôt que de vous laisser endormir par des produits marketing insipides au prétexte qu’ils remplissent les salles, jouez donc la carte de cet ébouriffant électro-jazz-funk et bien plus encore. Tout le monde y trouvera son compte. La musique en premier lieu.
Encore une petite cerise : une vidéo du concert à l’Alhambra… "Let's Go To Work".
* Dont on citera bien volontiers les noms tant ils contribuent à la coloration assez exceptionnelle du projet : Cyril Dumeaux, Christophe Allemand, Pierre Desassis, David Fettmann et Olivier Bernard (saxophones) ; Mathieu Haage, Anthony Caillet et Benjamin Belloir (trompette) ; Jean Crozat, Nicolas Grymonprez, Bertrand Luzignant et Jérôme Berthelot (trombone).
Un final en bouquet de mots pour Nancy Jazz Pulsations, une conclusion où les phrases chahutées par la lecture trépidante de Jacques Bonnafé viennent caresser, irriter, bousculer et chatouiller les sinuosités d’autres paroles, musicales celles-là, nées de l’imagination de Louis Sclavis (clarinette basse, saxophone soprano et piano à pouces). Une heure sans le moindre répit où la tentation surréaliste d’une orange qu’on éponge vient se fracasser le zeste sur la sombre réalité d’un jour d’octobre 1961 du côté du Pont de Neuilly et du temps de Papon, avant que les mots qui s’entrechoquent ne décident d’enfourcher leur bicyclette rouillée pour arpenter les routes du Tour de France aux côtés de vieux héros de Miroir Sprint comme Pierre Brambilla (le visage sculpté à coups de marteau), Raymond Poulidor et sa poupoularité ou Lucien Aimar, roi de la descente. Jean-Pierre Verheggen, Antonin Artaud, Francis Ponge, Jacques Prévert, Ludovic Janvier et bien d’autres agitateurs du verbe comme Antoine Blandin sont convoqués dans ce carrousel un peu étourdissant où les deux artistes se parlent, se poursuivent dans une course effrénée vers la vérité du non sens. Musique des mots, mots mis en musique, exploit sportif aussi par le déferlement des textes, le duo Sclavis-Bonnafé est un havre poétique qui stimule et réveille. Déconcertant ? Non, des concertextes !
Théâtre de la Manufacture – Samedi 15 octobre 2011
En écoute : « Annonce», extrait de Lost On The Way de Louis Sclavis.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Stefano Bollani se reconnaît volontiers comme un musicien chanceux, qui jouit du privilège de vivre de sa passion et se fait un devoir de transmettre sa bonne humeur. Alors merci à lui, mais aussi à ses deux complices danois (Jesper Bodilsen : contrebasse et Morten Lund : batterie), d’avoir réjoui un Théâtre de la Manufacture plein à craquer. Car le pianiste transalpin et ses acolytes ont servi au public une musique évoluant constamment sur le fil ténu de leurs conversations élégantes et espiègles. Que le trio puise dans des compositions originales ou qu’il aille chercher l’inspiration vers Antonio Carlos Jobim, Caetano Veloso ou… Michael Jackson pour une irrésistible version chantée de « Billie Jean », tout est prétexte à de savoureuses déambulations narratives offrant le spectacle d’un parfait équilibre entre les musiciens. La paire danoise, à l’allure faussement austère, n’est pas la dernière à glisser ses facéties dans le jeu du pianiste volontiers taquin, allant jusqu’à mimer du bout des baguettes et d’un claquement de cordes une corrida où l’on ne sait qui joue le rôle du taureau et qui joue celui du matador. Bollani pratique le piano sous tous ses angles : assis, debout, accroupi, à genoux mais toujours dans le plaisir de l’invention. Mais la légèreté des apparences ne dissimule jamais la justesse d’une union entre trois voix qui s’écoutent avec une remarquable attention. Voilà un triangle parfaitement équilatéral : de quoi nous réconcilier avec la géométrie.
Stéphane Belmondo a tout l’air d’un homme heureux ! Son récent The Same As It Never Was Before est le disque de son épanouissement, dont le trompettiste a pu faire aboutir l’idée en associant ses forces à celles de deux papys flingueurs titulaires de cartes de visite qui sont de véritables who’s who de l’histoire jazz américain : le pianiste Kirk Lightsey et le batteur Billy Hart. Sans oublier l’appui précieux du contrebassiste Sylvain Romano, compagnon de route de Belmondo que ce dernier considère comme son autre frère en musique et qui, du haut de sa trentaine, tutoie les deux maîtres du bout des cordes avec une rigoureuse rondeur. Un quartet de choc que l’on retrouve à Nancy dans la pleine lumière de sa réussite et qui, à l’évidence, prend un énorme plaisir à jouer le répertoire de ce disque roboratif. Ouvrant le concert avec « What’s New », dont la version par Ella Fitzgerald remonte à la fin des années 30, Stéphane Belmondo va très vite creuser le sillon de The Same As It Never Was Before : « So We Are », « You And I », « Habiba », « Light Upon Rita », autant de pièces qui deviennent le terrain de jeu d’une sacrée bataille d’amitié entre les musiciens du quartet, parmi lesquels nos deux américains – visiblement réjouis d’être au cœur de l’action – vont se tailler une part de lion ! Le plaisir pris à écouter le disque est ici démultiplié par leur force de frappe qui s’expose à un public plus qu’enthousiaste. Ainsi entouré, Stéphane Belmondo peut libérer son jeu – volubile et virevoltant - sans la moindre entrave et toucher du doigt ses rêves de toujours. Être le principe actif d’une création musicale vivante et constamment sur le fil de cet implacable rasoir qu’est la prise de risque en scène. Ses artificiers septuagénaires, tous sourires dehors, lui ont fourni une occasion très précieuse de vivre des instants rares et intenses. Comme toujours, ceux-ci ont semblé bien trop courts. On en redemande !
Théâtre de la Manufacture – Samedi 15 octobre 2011
En écoute : « So We Are», extrait de The Same As It Never Was Before de Stéphane Belmondo.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Le public est un peu clairsemé pour l’entrée en scène des suédois de Tonbruket. Les deux premiers albums sur le label Act (Dan Berglund’s Tonbruket et Dig It To The End) de ce groupe formé par Dan Berglund, contrebassiste du défunt E.S.T. (défunt étant le mot juste puisque l’histoire du groupe a pris fin en 2008 après la disparition brutale de son leader Esbjörn Svensson), sont de vraies réussites. Par leur savant dosage d’influences catalysant jazz, échappées bruitistes et rock expérimental, les quatre musiciens ont su élaborer des compositions courtes et nerveuses, comme autant de scénarios urgents de petits films nés d’une imagination stimulée par leur atelier sonore. Ce premier concert français des quatre musiciens laissera toutefois un petit goût d’inachevé : la succession des pièces dont le déroulé glissait naturellement sur disque est ici plus raide, les transitions sont parfois un peu brutales et manquent encore de la spontanéité fruit de l’expérience de groupe. Le prix à payer pour une formation qui n’est qu’au début de son histoire. Car on est bien face à un quartet riche de mille idées qui s’expriment avec une force assez stupéfiante (une monumentale version de « Dig It To The End ») et dont la qualité première est de posséder un son d’ensemble très identifiable, dans lequel la pedal steel guitar de Johan Lindström joue les premiers rôles. Et c’est au moment où Tonbruket parvenait enfin à imposer sa force personnalité, après une heure bien trop courte, qu’il a dû céder la place, sans possibilité de rappel alors que le public le demandait, à la suite du programme de la soirée. Un manque de fair play à leur égard qu’on ne peut que souligner ici. Il faut leur donner une seconde chance car les agitateurs de Tonbruket le méritent bien.
Astatke Mulatu, me dites-vous ? Et vous aurez raison car le quasi septuagénaire vibraphoniste percussionniste éthiopien, venu avec sa formation haute en couleurs, aura marqué cette soirée de toute son empreinte. Huit musiciens au total dans une orchestration originale associant piano, trompette, saxophone, violoncelle, contrebasse, batterie et percussions. Quelque part entre le monde bariolé de Sun Ra, les envolées mystiques de Pharoah Sanders et les luxuriances orchestrales d’un big band latinisé par Dizzy Gillespie, Mulatu aura créé l’enchantement, volant probablement la vedette à celui qui était en haut de l’affiche d’un soir. Très cinématographique, sa musique laisse imaginer de vastes paysages soulevés par une rythmique implacable et foisonnante. Une musique vibrante, zébrée de rebondissements à en perdre le souffle. Avec une mention particulière, aussi, à Danny Keane dont le violoncelle survolté a su prendre sa place avec une énergie libératrice dans un ensemble où chaque musicien est poussé au meilleur de lui-même. Jouant pour l’essentiel le répertoire de Mulatu Steps Ahead, le vibraphoniste a offert là au public l’un des plus festifs moments de Nancy Jazz Pulsations 2011.
Peut-on quitter un concert de Billy Cobham en s’avouant déçu ? Oui si notre mémoire résonne encore des fulgurances spirituelles du Mahavishnu Orchestra dont le guitariste John McLaughlin était l’inspirateur et Cobham l’un des serviteurs les plus fervents. Une page majeure de l’histoire du jazz rock, dont une autre fut tournée par une seconde formation clé, Weather Report. Non si l’on a suivi le parcours du batteur depuis cette époque enfiévrée ! Car cette ère là est révolue, il ne reste, quarante ans plus tard, qu’un ersatz mahavishnien dont le disque Palindrome est un reflet fidèle. Billy Cobham propose un jazz fusion dont la coloration sur scène à grands renforts de claviers – mauvais substituts d’une section de cuivres – est aujourd’hui très datée et formatée, frôlant le kitsch des années 80. A l’actif de Cobham, on soulignera une technique monumentale, mise en avant par une disposition centrale et surélevée, une virtuosité démonstrative que personne ne pourra lui contester. Mais toute cette mise en scène ne suffit pas à masquer une certaine vacuité de la démarche artistique, à l’exception de la reprise surpuissante de « Stratus » que le batteur avait composé dans le sillage de Mahavishnu sur son premier album Spectrum. Même son long solo final finit par susciter un peu d’ennui. Un de mes voisins comparait Billy Cobham à une voiture de course. Il n’avait pas tout à fait tort, car, oui, cette musique va vite et très fort, mais elle ne semble pas en mesure d’aller très loin. On pourra toujours écouter, parce qu’il s’agit là d’une belle réussite, le Meeting Of The Spirits que Cobham a enregistré en 2007 avec le HR Big Band dirigé par Colin Towns. Mahavishnu, quand tu nous tiens…
Chapiteau de la Pépinière – Jeudi 13 octobre 2011
En écoute : « The Way To Nice », extrait de Mulatu Steps Ahead par Mulatu Atstake.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Des places assises en plus grand nombre, un vrai soin apporté à la lumière, un son plutôt meilleur qu’à l’habitude malgré quelques approximations (comme au début du concert de Chucho Valdès), voilà une série d’améliorations qui est à souligner. Le Chapiteau de la Pépinière, lieu emblématique du Festival, évolue tranquillement, au rythme de la déambulation des spectateurs en quête d’un verre de bière ou d’un paquet de cacahuètes grillées vendues à prix d’or ; toujours imprégné de cette ambiance historique bien particulière, on adore le détester ou on déteste l’adorer, c’est selon l’humeur du moment !
Charles Lloyd a beau être nimbé de sa propre légende et des pages importantes qu’il a fait tourner à l’histoire du jazz, on imagine volontiers que le saxophoniste a ressenti un immense bonheur de voir sa musique dynamitée par un trio haut de gamme : Jason Moran au piano, Reuben Rogers à la contrebasse et Eric Harland à la batterie. Tous les trois ont assuré une bonne partie du spectacle, permettant à Charles Lloyd de servir en toute sérénité sa musique selon le mode introspectif qu’on lui connaît depuis longtemps, au saxophone ténor, à la flûte ou au tarogato. Cet artiste-là est libre, tout comme son jazz qui sait s’affranchir de la mélodie pour glisser vers des échappées plus aventureuses, mais toujours habitées. Le quartet communique peu avec le public, déroulant son histoire presque sans interruption dans une ambiance qui, reconnaissons-le, ne rend peut-être pas justice à son intensité méditative. Lloyd est un géant du jazz qui, de sa démarche hésitante, est venu nous inciter à regarder vers le haut.
Oublions la prestation de Raphael Gualazzi même si la standing ovation par une partie du public a de quoi interroger. Voilà un ersatz plutôt insipide de Paolo Conte dans un mauvais jour et de Jamie Cullum au quotidien, revu et corrigé par un directeur artistique ayant fait ses classes dans la Nouvelle Star : ses gesticulations associées au martèlement frénétique des touches de son piano mettent surtout en évidence la vacuité d’un propos convenu et une désagréable confusion entre énergie et séance de fitness. Quant à son massacre de « Caravan », il restera par ailleurs dans les annales du festival comme l'un des moments les plus terrifiants de cette édition... La conclusion s’impose : je ne suis pas le cœur de cible de ce type de produit marketing. Il faut savoir reconnaître ses propres limites. Tant mieux pour ceux qui aiment, après tout.
Fort heureusement, le cubain Chucho Valdés a redressé la barre d’une soirée qui menaçait de s’étioler en variété estampillée Bisounours au pays du jazz ! Avec ce pianiste bardé de prix et de distinctions, c’est un torrent d’énergie qui s’est déversé, notamment sous les coups de boutoir des trois percussionnistes de ses Afro-Cuban Messengers ; un flot de musique généreuse bien servi également par une paire trompette / saxophone jamais en mal d’inspiration. Valdés est aussi, à sa façon, un percussionniste, quoiqu’on ne saurait le cantonner à ce rôle de dynamiteur de touches qui a fait sa renommée : des incursions très mélodiques, aux confins du jazz et des univers de compositeurs comme Debussy ou Stravinski, ont aussi émaillé son propos, élargissant le spectre musical d’une formation enthousiaste, augmentée de la chanteuse Mayra Caridad Valdés, le temps d’un « Besame Mucho » ondulant et espiègle. L’un des beaux moments du concert aura certainement été « Zawinul’s Mambo », en hommage au créateur du groupe Weather Report, où l’on peut entendre une évocation de « Birdland » ; le groupe enchaînera avec « Stella By Starlight », rendu méconnaissable sous les assauts des fûts. On ressort de cette prestation aux rouages bien huilés tout ragaillardi à l’idée de s’être glissé dans les pas de Chucho, malgré la bruine qui nous rappelle que l’automne vient d’arriver.
Chapiteau de la Pépinière – Mercredi 12 Octobre 2011
En écoute : « Zawinul’s Mambo », extrait de Chucho’s Steps par Chucho Valdés & The Afro-Cuban Messengers.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Un autre moment de grâce ! Le pianiste Manuel Rocheman n’a pas manqué son rendez-vous avec NJP en offrant un répertoire directement issu de The Touch Of Your Lips, Tribute To Bill Evans, disque émouvant et sensible surlignant les qualités solaires de son jeu et son amour de la mélodie. Si le trio (avec Mathias Allamane à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie) diffère légèrement de celui-ci du disque, les qualités de la musique jouée sont à l’évidence intactes : mieux même, la présence de Goubert, très charismatique dans sa gestuelle évoquant son mentor Christian Vander, constitue une force de premier plan et un puissant pôle d’attraction pour ses comparses. Par l’interprétation de ses compositions ou de celles qu’il avait sublimées, Bill Evans est bien sûr l’inspiration de ce concert (« B Minor Waltz », « We Will Meet Again », « The Touch Of Your Lips ») qui met aussi en avant des thèmes originaux (« La Valse des Chipirons », « For Sandra » ou « Rhythm Changes »). Le rappel rendra hommage à un autre immense artiste, lui-même amoureux de la musique de Bill Evans, un certain Michel Petrucciani : « Lookin’ Up ». Ce thème splendide sera la conclusion irradiée du concert, où le trio, dans un équilibre en suspension, frôle la perfection. Sa belle unité a soufflé un doux vent de grâce dans un théâtre flambant neuf à l’acoustique irréprochable ; ses trois individualités, fortes et bien distinctes, ont une fois encore renouvelé un art pourtant éprouvé et malgré tout bien difficile.
Théâtre de la Manufacture – Mardi 11 Octobre 2011
En écoute : « Send In The Clowns », extrait de The Touch Of Your Lips, Tribute to Bill Evans.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Temporairement échappée du Grand Journal de Canal+, la grande messe quotidienne et néanmoins commercialement consensuelle de la chaîne parfois cryptée, China Moses est venue présenter sa passion pour les women in blues, et plus particulièrement pour Dinah Washington à laquelle elle a consacré en 2009 un disque : This One’s For Dinah. Epaulée par un trio très professionnel (Raphaël Lemonnier : piano et arrangements, Fabien Marcoz : contrebasse et Jean-Pierre Derouard : batterie) maîtrisant à la perfection tous les codes d’un exercice d’une facture très classique, la chanteuse a aisément endossé le costume de la meneuse de revue, parsemant son répertoire d’anecdotes à caractère humoristique. Dinah Washington est au centre de l’affaire parmi d’autres chanteuses, que ces dernières l’aient influencée ou qu’elles s’en réclament : Bessie Smith, Esther Phillips ou Mamie Smith par exemple. On feuillette ainsi avec China Moses un album dont les photos un peu jaunies nous persuadent, à tort certainement, que le temps s’est arrêté. Ce spectacle un brin suranné, d’un esprit presque music hall, ne réserve guère de surprises : tout est bien en place, mais les musiciens semblent un peu cachés derrière les stéréotypes qu’ils mettent en scène avec une application qui n’émeut guère. Le public a aimé, reconnaissant probablement ce qu’il avait envie d’entendre. Comme on déguste une friandise dont les saveurs s’évanouissent très vite.
Théâtre de la Manufacture – Mardi 11 Octobre 2011
En écoute : « Fine Fine », extrait de This One’s For Dinah.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Elle avait hypnotisé la petite salle de La Fabrique lors de la précédente édition de NJP. Son duo avec le guitariste Ulf Wakenius avait comblé le public, au premier rang desquels de jeunes enfants écarquillaient des yeux ébahis. La voici qui revient, mais en quartet et à l’Opéra ! Une sacrée montée en puissance… En douze mois, Youn Sun Nah est presque devenue une icône. Vincent Peirani à l’accordéon et Simon Tailleu à la contrebasse sont entrés cette année dans la danse lumineuse de la délicieuse coréenne qui paraît toujours aussi étonnée du phénomène d’adhésion qu’elle suscite. Le répertoire, tiré de ses deux derniers disques Voyage et Same Girl (à l’exception de « Avec le temps » chanté lors de l’un des trois rappels) est exactement le même qu’en 2010 : qu’importe, le charme opère instantanément. Seule à la kalimba ou à la boîte à musique, en trio, en duo ou en quartet, la chanteuse met à nu toutes ses émotions, ses joies, ses peines. Parfois, elle murmure, elle crie, avant d’évoquer, les yeux fermés, son pays natal dans un blues coréen. Elle emprunte des thèmes à Randy Newman, Léo Ferré ou Tom Waits ; ses musiciens rivalisent de lyrisme et de dialogues inventifs, parfois cocasses comme sur le splendide « Frevo » d’Egberto Gismondi. Ulk Wakenius, un grand monsieur, multiplie les trouvailles, massacrant au besoin une cannette de boisson gazeuse qui n’en demandait pas tant ; Vincent Peirani s’impose comme un parfait partenaire et sait aussi doubler avec un vrai charisme Youn Sun Nah au chant. Il faudra trois rappels – et un espiègle « Pancake » - pour assouvir la faim d’une salle conquise par une artiste décidément pas comme les autres.
Opéra de Nancy – Lundi 10 Octobre 2011
En écoute : « Pancake », extrait de Same Girl.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Il n’est jamais évident de s’avouer qu’au-delà de la jeunesse et du talent de Tigran Hamasyan (le pianiste arménien a 24 ans), de sa virtuosité habitée, de son engagement physique et du corps à corps qu’il entreprend avec son instrument ; des paysages aux fragrances orientales qu’il dessine frénétiquement, sans oublier l’héritage de compositeurs comme Bartok ou Rachmaninov, tous accords plaqués des deux mains dans un flot continu de notes, en s’accompagnant parfois d’un chant qui mue de temps à autre en beat box ; d’un accueil chaleureux du public de l’Opéra de Nancy le rappelant une fois, la prestation de celui qui venait pour la seconde fois à Nancy Jazz Pulsations auréolé d’une reconnaissance internationale ne nous aura pas toujours autorisés à communier pleinement avec lui. Comme si l’interprétation de sa musique, puisée dans le répertoire de son récent et captivant A Fable, était encore prisonnière d’une épaisse carapace qui nous interdit souvent l’accès à son intimité. A n’en pas douter, Tigran Hamasyan est un grand monsieur, il a beaucoup de choses à nous dire et tout l’avenir devant lui : à lui maintenant de fendre un peu l’armure pour nous inviter à mieux entrouvrir sur scène les portes de son univers et faire du public l’acteur de sa musique plutôt qu’un spectateur admiratif.
Opéra de Nancy – Lundi 10 Octobre 2011
En écoute : « Carnaval », extrait de A Fable.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Faut-il recourir aux mots pour traduire le sentiment d’apesanteur et d’éternité qui aura submergé chacun des spectateurs venus écouter le duo formé par Ballaké Sissoko et Vincent Segal ? Voilà un pari un peu risqué tant les quatre-vingt dix minutes offertes par ces deux musiciens auront été habitées d’une plénitude confinant à la magie. Le disque Chamber Music, publié l’année dernière, était déjà un enchantement. Le concert de Nancy, dans le cadre théâtral de la Salle Poirel, a imposé le silence à tous tant l’union entre les deux musiciens s’apparente à un phénomène proche de la sorcellerie. La kora de Ballaké Sissoko constitue à elle-seule un spectacle passionnant : l’instrument, qu’il faut longuement accorder entre chaque morceau, est magnifique, il irradie de toute la lumière mémorielle de ceux qui en ont été les virtuoses à travers son histoire. Le violoncelle de Vincent Segal – qui endosse également le costume du maître de cérémonie – vient lover ses notes (à l’archet comme en pizzicato) au cœur des arabesques qui naissent des vingt-et-une cordes que Ballaké Sissoko manipule avec une admirable dextérité, mêlant douceur et vitesse d’exécution. Tous deux sont en communion, la musique des deux devient une et indivisible. Et même si les thèmes abordés sont parfois contemporains (ainsi « Ma-Ma FC » qui nous raconte l’histoire des fils respectifs des deux musiciens, qui se connaissaient par leur pratique du football avant que leurs pères eux-mêmes ne se rencontrent) et d’inspiration européenne (une composition est d’origine bretonne), Sissoko et Segal imposent à leur propos une tonalité, sinon religieuse, du moins hautement chargée en spiritualité. Voilà un moment qu’on n’est pas près d’oublier, celui d’un état de grâce.
Salle Poirel - Nancy - Vendredi 7 octobre 2011
En écoute : "Ma-Ma FC", extrait de Chamber Music.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Quarante-huit heures après sa prestation en cette même salle Poirel mais en tant que membre du quintet d’Henri Texier, Francesco Bearzatti est revenu cette fois entouré de ses musiciens italiens. Ce quatuor baptisé Tinissima avait publié en 2010 le disque X (Suite For Malcolm), affichant par là une sacrée santé créative et une dynamique iconoclaste née de l’association formée par le saxophoniste et le trompettiste Giovanni Falzone (qui ressemble étrangement au bassiste Janik Top, mais ceci est une autre histoire). Le concert nancéen est à l’image de l’enregistrement, mais en plus explosif, il s’apparente à un feu d’artifice sonore où la vie du militant des droits afro-américains nous est contée par le recours à différentes formes de musiques noires : funk, rap, hip hop et jazz bien sûr. Jusqu’à une ambiance disco sur le thème appelé « Cotton Club » ! Jouée dans sa continuité, sans pause, l’œuvre est flamboyante, gorgée d’une sève bouillonnante et les dialogues entre les deux solistes sont à chaque fois très hauts en couleurs. Derrière eux, une rythmique surpuissante les pousse au meilleur. Francesco Bearzatti se déhanche plus que jamais, Giovanni Falzone trompette et éructe ses vocalises, la basse électrique de Danilo Gallo gronde et Zeno De Rossi foisonne derrière ses fûts. Le rappel, qui est aussi la conclusion de l’album : « Kinshasa », dédié à Mohamed Ali, vient glisser une ultime note à résonnance africaine et finit d’emporter l’adhésion d’un public attrapé à la gorge et bienheureux d’avoir été l’otage consentant d’un voyage aussi étourdissant.
Salle Poirel - Nancy - Vendredi 7 octobre 2011
En écoute : "Betrayal", extrait de la Suite For Malcolm X.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.