Danseurs célestes
Si mes comptes sont exacts, Sky Dancers est le dix-huitième disque qu’Henri Texier publie en tant que leader chez Label Bleu. Une longue et belle série qui retrace un large pan de l’histoire du contrebassiste – dont l’origine remonte aux années 60 – depuis La Compañera en 1989. À tous ces enregistrements, il faut bien sûr ajouter les quatre productions du trio Romano-Sclavis-Texier, qui couvrent la période 1995-2011, ainsi que le troisième et ultime album d’un autre trio formé avec François Jeanneau et Daniel Humair, Update 3.3 en 1990. Voilà donc un musicien fidèle qui élabore, année après année, une œuvre d’une grande cohérence dont l’homogénéité et la constance forcent l’admiration. Cette fidélité a d’ailleurs été récompensée en 2008 par une compilation sous la forme d’un double CD intitulé Blue Wind Story qu’on peut recommander à celles et ceux qui souhaiteraient pousser la porte de son domaine. Et pour peu qu’on s’accorde le temps d’un retour en arrière et d’une écoute attentive de toutes ces pages de musique écrites avec une passion inaltérable, qui se nourrit autant d’une révolte devant la violence des hommes que d’une admiration sans bornes pour les beautés que notre monde peut offrir, alors la conclusion s’imposera vite : Henri Texier est un artiste essentiel, qui vient de fêter son soixante-et-onzième anniversaire et qu’il s’agit de célébrer de son vivant. On a trop souvent l’occasion de louer, à grand renfort de « RIP », le talent des grands au moment où ils nous quittent qu’il serait absurde de ne pas rendre hommage dès à présent à celui qui est bien vivant. Surtout que son nouveau disque, Sky Dancers, est très certainement l’un de ses plus beaux.
Voilà un disque qui ne respecte pas la chronologie des textes que je dois écrire par ici. Je ne m’appesantirai pas sur la hauteur d’une pile dont l’équilibre est constamment menacé par une croissance rapide, pour ne pas dire exponentielle, ni même sur le sentiment de culpabilité qui me gagne à l’instant où je pense aux musiciens dont les dernières productions sont en instance d’admiration de ma part, et que je maintiens temporairement dans un silence qui aboutira – je leur fais cette promesse – à une libération de ma parole envers eux. Je suis moins ordonné qu’on ne pourrait parfois le croire : oui, c’est vrai, j’ai pour habitude de planifier mes écrits consciencieusement mais... j’aime par-dessus tout l’idée d’un enthousiasme qui emporte toutes mes bonnes résolutions sur son passage et vient bousculer un calendrier qui n’aime rien tant que d’être chahuté par la spontanéité des élans. Ainsi en va-t-il d’Inner Village, un disque publié chez Cristal Records par le guitariste Gérard Marais, qu’on est heureux de retrouver en très grande forme et, de surcroît, très bien entouré.
Mine de rien, voilà plus de vingt-cinq ans qu’Henri Texier n’avait pas proposé d’enregistrement en public. Pour être précis, on notera que At « L’Improviste »n’est d’ailleurs que le deuxième de sa longue et prolifique carrière : le précédent remonte à 1986, lorsque son quartet avait invité le saxophoniste Joe Lovano dans le cadre du festival de jazz d’Amiens. S’en était suivi l’album Paris-Batignolles, déjà chez
Pas d’inquiétude ! Si certains s’interrogeaient sur la pérennité de la petite entreprise fondée voici près de vingt ans par Aldo Romano, Louis Sclavis et Henri Texier, ils seront rassurés avec ce nouveau disque qui, de toute évidence, est le fidèle héritier de ses trois prédécesseurs, tout en proposant de nouvelles pistes pour l’avenir. Sept ans, en effet, que le trio n’avait pas investi les studios d’enregistrement. Entre-temps ses membres ont maintenu le fil de leur récit commun via quelques concerts çà et là et, chacun de son côté, ajouté des chapitres très rassurants sur sa santé créative. En réalité, il y avait de l’augmentation de capital dans l’air !

Dans ma précédente note, j'ai évoqué parmi les vingt disques que j'avais sélectionnés

J’aurai l’occasion de revenir plus longuement sur le nouveau disque d’Henri Texier, Love Songs Reflexions, paru la semaine dernière chez Label Bleu. J’ai sur le feu en effet une chronique de cet album habité qu’on pourra lire prochainement sur le site de
Cette Blue Wind Story constitue un excellent guide d’initiation à la musique d’Henri Texier. Avec une compilation proposant plus de deux heures de musique sélectionnées dans son répertoire en tant que leader au cours des vingt dernières années (tous les disques originaux étant disponibles chez Label Bleu), le contrebassiste administre une formidable démonstration de lyrisme. Sa musique – un chant – est aussi l’occasion pour ses nombreux compagnons, tous prestigieux, de donner le meilleur d’eux-mêmes, comme ici François Corneloup dont le chorus au saxophone baryton sur «Lady Bertrand» est un petit moment de magie. Voilà un disque qui risque de donner l’envie à pas mal de gens d’en savoir un peu plus sur ce grand monsieur qu’est Henri Texier. Et ils auront bien raison !