Ange - Emile Jacotey Résurrection
Verycords
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Verycords
Je le disais récemment dans une émission de radio dont j'étais l'invité : Stéphane Kerecki appartient selon moi à la famille des alchimistes. Confiez-lui une matière sonore - cette fois, ce sont les musiques de quelques fleurons du cinéma des années 60 - et il la transformera en or. On peut me reprocher d'avoir mes « chouchous » parce que j'ai déjà dit ici-même le plus grand bien des deux dernières productions du contrebassiste, mais je m'en contrefiche : souvenons-nous en effet de l'album Patience en duo avec le pianiste John Taylor pour une magnifique conversation intimiste qui avait vu le jour en 2011 ; quelque temps plus tard, le trio de Stéphane Kerecki (Matthieu Donarier au saxophone et Thomas Grimmonprez à la batterie), augmenté de Bojan Z au piano et Tony Malaby au saxophone, déployait ses fastes pour un lumineux Sound Architects. Et me revoilà pour une troisième salve de compliments servie à une Nouvelle Vague dont le titre à lui-seul donne une indication sur son objet.
François Truffaut, Jean-Luc Godard, Louis Malle, Jacques Demy sont les quatre sujets d'étude de Kerecki et son équipe. Ou plus exactement les compositeurs Georges Delerue, Antoine Duhamel, Michel Legrand, Jean Constantin, Paul Misraki, Serge Revzani, Bernard Hermann, sans oublier Martial Solal ou Miles Davis. Quelle brochette ! Et surtout, comment ne pas se fourvoyer dans une évocation alambiquée ou, au contraire, trop respectueuse face à ce qui pourrait s’apparenter à de petites forteresses imprenables, au prétexte qu’on ne s’attaque pas au patrimoine sans risque ? Une évocation qui, aussi, perdrait de vue l'idée de liberté, « le seul point commun », selon Truffaut lui-même, à toutes ces œuvres, tant du point de vue cinématographique que musical ? D'autant plus qu'un constat s'impose : ces thèmes et leurs compositeurs ont rarement fait l'objet d'une relecture, en jazz ou ailleurs (c'est l'occasion, d'ailleurs, de rappeler les beaux Polars des lorrains de CE2, autre évocation réussie du cinéma français des années 60).
Comment s'y prendre, donc ? Tout simplement en jouant, comme Stéphane Kerecki sait si bien le faire, la carte d'une transmission directe - sans détour inutile par des arrangements complexes - des émotions et, surtout, en s'entourant d'une cellule d'instrumentistes dont les immenses qualités ne sont plus à démontrer. Encore que celles-ci ne sauraient suffire si ces musiciens n'étaient pas avant tout des artistes vibratoires…
Je ne peux résister au plaisir de citer les titres des films passés en revue à travers Nouvelle Vague parce qu'ils continuent de projeter en nous tous (ou presque), par-delà les années, des images d'une grande fraîcheur mais aussi toujours très vivaces, un demi-siècle (ou plus) après leur réalisation : Pierrot le fou, Tirez sur le pianiste, Le mépris, Les quatre cents coups, Les demoiselles de Rochefort, Ascenseur pour l'échafaud, Alphaville, La mariée était en noir, Lola, À bout de souffle… Un pan de l'histoire du cinéma, plus ou moins noir, rien que ça, pour un défi relevé dans un quasi dépouillement. Aucune esbroufe (de toutes façons, ce n'est pas le genre de la maison), juste la vérité acoustique des émotions libérées au plus près des instruments, parce que ces films méritent qu'on aille à l'essentiel.
Surtout, on ne sait ce qu'on a envie d'admirer le plus dans ce disque qui s'écoule dans un climat aux nuances parfois introspectives : est-ce la brillance harmonique du piano de John Taylor le Britannique, qui s’accorde si bien aux rondeurs félines et mélodiques de la contrebasse d'un complice avec lequel il s'est entendu à merveille dès leur première rencontre ? Est-ce l'impressionnisme des suggestions rythmiques de Fabrice Moreau à la batterie, que Stéphane Kerecki a côtoyé notamment au sein de la Société des Arpenteurs de Denis Colin ? Est-ce la fièvre contagieuse qui habite une fois encore le saxophone soprano d'Émile Parisien au point qu'il semble parfois le co-leader du quartet et qui s'affirme de mois en mois comme un maître à jouer ? Est-ce le chant presque distancié de Jeanne Added qui, à deux reprises, ajoute un supplément d'humanité à une évocation, jamais nostalgique mais toujours imprégnée de mémoire, qui n'en manquait déjà pas ? Autant de questions qui trouvent naturellement leurs réponses, tout au long d’une heure dont jamais l’intensité ne retombe. Nouvelle Vague est un disque de l’évidence, porté par un Stéphane Kerecki plus juste que jamais.
L'adéquation entre le contenant et le contenu est amusante, mais certainement pas le fruit du hasard : la pochette de l'album montre un Jean-Paul Belmondo godardien menacé par un révolver et pourtant habité d'un regard souriant, comme si, au-delà de la menace, le personnage était détenteur d'une liberté dont une balle entre les deux yeux ne saurait le priver. Il en va de même pour la musique : quel que soit le sujet abordé - les cinéphiles n'ignorent pas tout ce qui peut séparer la légèreté des Demoiselles de Rochefort des élans frénétiques de Pierrot le fou ou des angoisses de Julien Tavernier prisonnier de son Ascenseur - Stéphane Kerecki endosse le rôle d'un passeur pacifié qui ne vise qu'un seul objectif : réenchanter des histoires dont tous les secrets n'avaient, on s’en rend compte grâce à lui, pas encore été dévoilés. En levant le voile sur ses propres visions, il nous propose un embarquement dans son imaginaire cinématographique et c'est un bonheur de le laisser faire… avec un grand sourire dans le regard. Comme Belmondo !
J'ai reçu depuis quelque temps plusieurs témoignages de confiance et des remerciements assez émouvants qui m'interpellent vraiment. Au début de la semaine, un vieux pote amoureux de musique, travailleur acharné du partage de ses passions, me demandait l'autorisation de reproduire l'une des chroniques de mon blog dans son magazine. Hier, je recevais un message d'un pianiste qui tenait à me faire part du plaisir pris à la lecture d'un de mes textes ; il voulait m'en remercier, un comble alors que de mon point de vue, c'est plutôt moi le débiteur. Au cours de l'hiver, un autre musicien m'a sollicité, un peu dans l'urgence, pour que j'écrive le rédactionnel devant figurer sur la pochette de son nouveau disque. Un exercice de style dont j'ai essayé de m'acquitter au mieux, avec les moyens du bord, ceux de l’écriveur que je suis et dont je dispose tant bien que mal. On m'a aussi demandé si j'acceptais qu'un extrait d'une de mes chroniques figure sur le catalogue de la prochaine saison d'une salle de concert. Je travaille actuellement sur la rédaction du dossier de presse associé à la parution du disque d'un jeune guitariste. Tout récemment enfin, mon complice Jacky Joannès a relevé le défi - c’est moi qui l’ai lancé, je le reconnais - d'une prochaine exposition unissant textes et photographies ; celle-ci, programmée au mois d'octobre 2016, sera principalement consacrée aux saxophonistes et aux clarinettistes et devrait s'appeler « La part des anches ». J'ai même prévu de réaliser le petit livre de l'exposition avant qu'elle ne commence, afin de le proposer lors du vernissage.
C'est bizarre tout de même : face à ces demandes ou sollicitations (dont la plupart sont consultables à la page À Côtés de mon blog), mon premier réflexe consiste à tourner la tête pour m'assurer qu'on ne s'adresse pas à quelqu'un d'autre… Le doute dont je ne parviens pas à me défaire m'incite à penser qu'il existe une foule de personnes capables de faire beaucoup mieux que moi qui reste un amateur coincé dans la nasse de ses obsessions textuelles.
Parallèlement à ce constat lucide, je ne cesse de penser à mes années d'enfance, quand je couvrais d'une encre bleu des mers du sud des cahiers Cathédrale sur lesquels je m’obstinais à écrire de stupides histoires policières. Je rêvais d'être journaliste ou écrivain, je m'imaginais vivre d'un métier qui me verrait assis à un bureau, face à une fenêtre ouverte sur un paysage de verdure. J'en suis bien loin ! D'abord parce que la technologie ne rend plus nécessaire la présence d'un bureau : je peux écrire n'importe où et sur des supports variés, tous synchronisés dans un data center qu'on appelle cloud ou nuage pour faire plus joli. Ensuite parce que, comme je le soulignais un peu plus haut, je me sens plus écriveur - entendez par là tâcheron - qu'écrivain, titre trop noble à mon sens pour résumer l'ensemble de mes contributions à caractère artisanal.
Cent fois sur le métier, etc etc…
Au-delà de ces limites déclarées, qui ne sont pas le moins du monde l'expression d'une fausse modestie, je parviens néanmoins à me dire qu'à force de patience, de travail quotidien, de sincérité aussi, je touche parfois du bout des doigts mes rêves d'autrefois. Bien sûr, je dois exercer une autre activité pour gagner ma vie, mais le plaisir recherché depuis toujours est bien là… Il suffit que je me consacre à la rédaction d'un texte pour qu'un drôle de manège commence à tourner : à tout moment, des mots dansent dans mon imagination, des bouts de phrases commencent à prendre forme, il me faut les noter coûte que coûte, non pas sur un bout de papier, mais sur le bloc-notes de mon téléphone ou sur ma tablette, un scénario se construit petit à petit jusqu'au moment fatidique où il faut bien décider d'entrer en écriture pour de bon. Une démarche qui peut s'avérer épuisante mais répondant au seul objectif que je me fixe : rester au plus près de la spontanéité des émotions, m'efforcer de composer une petite musique des mots qui me soit personnelle, ne jamais tricher. Parfois, la gestation peut s'avérer longue : j'ai dans mes archives des lambeaux de textes en souffrance depuis des semaines, je dois les laisser reposer avant de revenir à eux et de leur donner vie. Et que les musiciens se rassurent, je tiens toujours mes promesses : si j'envisage d'écrire une chronique, elle verra le jour, tout le reste n'est qu'affaire de patience et je ne suis mandaté par personne pour produire en un temps donné (sauf exception, bien sûr). À l'inverse, il m'arrive d'écrire de longs textes en une seule soirée, sans être passé par ces phases troublées : je me rappelle un texte consacré au disque Stand By du groupe Heldon au mois de juillet dernier. Je suis monté au deuxième étage chez moi pour écouter l'album vinyle et, à peine le bras relevé à la fin de la seconde face, la note était terminée et publiée.
C'est ça mon côté laborieux, celui qui m'interdit de penser être plus que je ne suis en réalité. Mais ces bonheurs d'écriture, plus ou moins intenses, sont à n'en pas douter très proches de ceux dont j'imaginais qu'ils pourraient constituer mon métier quand je tirais la langue en faisant glisser mon stylo à plume sur les pages quadrillées. C'est mieux que rien, après tout et je veux rappeler ici tout ce que je dois à la musique. Elle est mon autre oxygène, elle rend la vie respirable quand tant d'autres s'efforcent de la polluer de leur cupidité, de leur malhonnêteté et de leur égoïsme programmé en vertu de je ne sais quelle théorie malfaisante ou religion nauséabonde. Je ferai toujours de mon mieux pour rendre aux musiciens - à la fois funambules et alchimistes - une toute petite partie de la monnaie de leur si belle pièce. Et face à ces horreurs du quotidien, je revendique haut et fort le droit d'apparaître comme un doux rêveur ou un crétin naïf.
Je laisse aux cyniques le plaisir de s'abrutir de richesses factices et m'en vais de ce pas gambader sur le petit sentier de mes amours partagées.
Et pour finir, je vous propose un peu de musique à écouter. Je ne vous dis pas ce que c’est ni qui joue... C’est un clin d’œil à celui qui va nous permettre d’en faire vraiment la fête samedi, dans des conditions uniques. Un immense merci à lui.
On peu appréhender ce double album de deux façons : soit en le considérant d'un œil sévère au prétexte que Gérard Manset, un peu trop sûr de la fidélité de ses aficionados jamais démentie depuis plus de quarante-cinq ans, se la joue facile en leur lâchant, comme un os à ranger, après un long silence discographique, une compilation améliorée sous la forme d'une sélection de dix-sept de ses vieilles chansons réenregistrées en 2012 auxquelles il ajoute un inédit qui donnera son titre à l’album, afin de marquer un changement de label et son arrivée chez Warner ; soit en acceptant cette proposition finalement pas plus malhonnête qu'une autre pour faire le constat, une fois encore, de sa singularité et de son talent fou ici concentrés en près de 100 minutes d'une élégance formelle indiscutable, presque intemporelle.
Un oiseau s'est posé est le vingtième album de Manset : si ses nouvelles interprétations contemporaines sont parfois proches des originaux dans leurs nouveaux habits de lumière, les identités de quelques chansons peuvent aussi être masquées sous des titres anglais (dont les traductions sont signées Paul Breslin), et transcendées par la brûlure qu'elles portent en elles, comme « Élégie funèbre » devenue « Cover Me With Flowers » en duo avec Mark Lanegan ou « Il voyage en solitaire » rebaptisée « No Man's Land Motel », dans une version poignante, planante, d’une beauté fulgurante. Et malgré la présence d'autres invités qui font leur apparition de temps à autre (Axel Bauer sur « Celui qui marche devant », Raphaël sur « Toutes choses » ou le groupe belge dEUS pour une reprise jubilatoire de « Animal on est mal »), Manset fait d'abord jouer une garde rapprochée, peu perméable aux codes esthétiques du moment, dont certains membres sont des compagnons de très longue date, comme le remarquable Didier Batard à la basse, Serge Perathoner aux claviers ou David Woodshill à la guitare.
L'univers de Gérard Manset - aux portes de la solitude et de l’introspection existentielle, pas besoin de préciser ici qu'il n'est pas vraiment question de grosse rigolade - se trouve ici sublimé par un passage en revue qui démontre que le vieux jeune homme (il fêtera ses 70 ans l'année prochaine) en a encore, comme on dit, “sous le capot”. Il n'en a même pas terminé avec ses exigences parfois surprenantes, de celles qui le font détester par certains et refusent de l'accepter tel qu'il est au prétexte qu'il ne devrait plus s'appartenir à partir du moment où sa parole est rendue publique. En témoignent ses exigences en matière de réédition des anciens albums (pour la plupart indisponibles dans leur contenu originel) ou sa requête de ne pas rendre disponible en podcast une récente émission de radio dont il était l'invité sur France Inter après la publication de Un oiseau s'est posé (et que bien sûr, nous avons tous rapatriée par des canaux détournés avant de l’archiver précieusement sur nos disques de sauvegarde).
Ainsi va Manset dans son « splendide isolement » : un drôle d’oiseau efflanqué d'apparence hautaine, plus fragile qu'il n'y paraît, chanteur unique, identifiable dans l'instant, ce qui n'est donné qu'aux très grands. On peut compter sur les doigts de la main les chanteurs qui ont su inventer leurs propres mondes... Cerise sur le gâteau : sa voix sui generis résiste aux assauts du temps, elle chante avec la même instabilité émouvante qu'aux premiers jours. Le même frisson depuis « Animal on est mal ».
Chapeau l'artiste : ici on t'aime tel que tu es ; les chiens peuvent bien aboyer et te dénigrer, ils n'empêcheront pas ta fière caravane de passer. Avec toi, comme un guerrier, on va passer le pont habillé d'un manteau rouge en écoutant chanter le rouge-gorge, avant de monter dans le train du soir pour entrer dans le rêve et entrevoir deux voiles blanches baignées de lumières…
Gérard Manset (paroles, musiques, orchestrations, chant, guitare, clavier), Patrice Marzin (guitare), David Woodshill (guitare), Serge Perathoner (claviers), Didier Batard (basse), Claude Salmieri (batterie), François Causse (percussions), Vincent Chavagnac (flûte et saxophone) + guests : Mark Lanegan, Paul Breslin, Axel Bauer, Raphaël, dEUS.
Un petit rappel discographique :
Remerciements, parce qu'ils savent pourquoi : Sam Pierre, Thierry Moreau...
Jamais deux sans trois. Fin avril, il était question ici d’un trio en immersion qui nous avait invité à partager sa Parole Plongée de toute beauté. Un peu plus loin, il y a exactement un an jour pour jour, j’évoquais déjà l’univers extra-ordinaire (je mets volontairement un tiret au mot pour bien faire comprendre que cette musique sort de l’ordinaire tant par le fond que par sa forme) dessiné par la musique improvisée du pianiste Henri Roger à l’occasion de la parution de deux albums vinyle (complétés par un CD), le solitaire Exsurgences et la « Sérieuse Improvised Cartoon Music » de When Bib Bip Sleeps, disque ébouriffé enregistré avec de précieux camarades, dont deux, le batteur Bruno Tocanne et le violoncelliste Eric-Maria Couturier sont à nouveau impliqués dans Parce Que ! publié chez IMR, un disque inspiré par la peinture de Pierre Soulages. Avec eux, Emmanuelle Somer, hautboïste dont la réputation en matière d’improvisation n’est plus à faire et qui joue ici également de la clarinette, du cor anglais et du saxophone.
Il n’y a pas de hasard... J’ai découvert la peinture de Pierre Soulages au cours de l’été 2012, quand une exposition lui avait été consacrée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon qui présentait une sélection d’œuvres inédites. Un choc pour moi, une plongée – c’est à mon sens le mot qui unit le mieux les deux univers artistiques dont il est question ici – dans un infini presque mystique d’où la lumière surgit d’un noir dominant (Soulages définit lui-même son noir comme un « noir lumière »), parfois parcouru de reliefs calligraphiques que le regard discerne petit à petit, tous sortis de l’imaginaire clair-obscur de celui qui dit ne pas vivre quand il ne peint pas. Les tableaux sans titre – aux dimensions souvent majestueuses – de Pierre Soulages se reçoivent presque d’un seul coup d’œil, avant qu’on ne cherche à les sonder, à questionner leurs profondeurs, leur matière et les ouvertures qu’ils offrent au regard vers un au-delà impénétrable, sans qu’on éprouve le besoin premier de les comprendre. On n’explique pas la peinture de Soulages, on la ressent, on s’immerge en elle et les considérations techniques, pour passionnantes qu’elles soient, ne doivent pas être un préalable à leur perception. C’est une peinture éminemment vibratoire, presque de l’instinct, porteuse d’une émotion intense et qui ne saurait être assimilée à une forme quelconque d’abstraction.
Souvenir aussi, lors de ma visite, de cet homme disant à sa femme : « Tu me donnes un pinceau et un pot de peinture et j’en fais autant ! » Eh ben vas-y mon gars, fais-en autant, montre-nous donc tes œuvres bas du front, on verra bien ce que tu sais faire. Ou plutôt, tais-toi, observe en silence si tu en es capable, prends du recul... et puis non, va plutôt faire tourner les serviettes !
Dans ces conditions, comment s’étonner qu’un musicien comme Henri Roger puisse passer à côté de cet univers aussi profond, celui de l’Outrenoir – au-delà du noir – auquel le peintre s’est consacré presque exclusivement depuis les années 70 ? Lui, musicien de l’éveil qui aime tant le registre grave de son piano, n’aurait-il pas quelque apparentement créatif avec un Soulages concentré sur le noir au point qu’il n’est pas pour lui question d’en imaginer la ligne d’horizon ? Et la naissance de cet au-delà du noir qui a quelque chose à voir avec le hasard n’est-elle pas, de son côté, une cousine de l’improvisation ? Toutes ces passions partagées devaient forcément converger. Alors Henri Roger a relevé un nouveau défi en invitant dans un premier temps les trois explorateurs cités un peu plus haut à s’approprier l’univers de Soulages par la découverte de quelques uns de ses tableaux sur internet, puis en les conviant à une séance en studio à Antibes au mois de novembre 2013. Chacun était là pour apporter, sinon ses propres couleurs, du moins ses nuances, ses motifs, ses traits d’union et ses formes sonores spontanées.
Le résultat est fascinant, mystérieux aussi par sa dimension elliptique (encore une fois, il ne s’agit pas pour les musiciens de tout expliquer et c’est tant mieux pour nous). Attention cependant : j’en déconseille la diffusion inopinée à toute personne qu’on aurait omis de prévenir de ce qui l’attend, un peu comme mon visiteur narquois qui comparait volontiers son talent à celui de Pierre Soulages. Cette musique n’est ni chant ni même mélodie, elle peut effaroucher – mais ce serait bien dommage – parce qu’elle est une masse ombrageuse qui avance vers vous, nocturne, animée de mouvements à la fois lents et inexorables. Henri Roger, une fois de plus, se concentre sur la partie gauche de son clavier, il sculpte la matière première, celle du grave, qu’on peut comparer à des à-plats de noir : c’est elle qui crée la tension tout au long des cinq mouvements du disque dont les titres méritent d’être cités en raison de leur caractère pictural. « Traces Ouate », « Coulures Apparences », « Signe Banquise », « Ratures Brumes » et « Griffure au fond » (une fois acheté ce disque, vous pourrez obtenir tous les détails en scannant le flash code au dos de la pochette minimaliste ; il vous conduira au bon endroit). Les trois comparses du pianiste, eux, superposent leurs tracés et imposent un relief nerveux, des mouvements dans le mouvement. Bruno Tocanne, dont on ne vantera jamais assez les qualités impressionnistes, trouve ici un nouveau terrain d’expression et suggère ses motifs en apposant de petites touches qui s’entrecroisent amoureusement avec les dissonances du violoncelle d’Eric-Maria Couturier qui, elles, sont autant de stries et d’ouvertures vers la lumière, tandis que les ébullitions nées des anches d’Emmanuelle Somer rendent la matière sonore presque palpable et en révèlent la nature organique. Mais parfois, ces trois-là prennent l’initiative des premières nuances, comme sur « Signe Banquise » : cette fois, le piano se garde d’intervenir immédiatement, il laisse aux autres instruments le soin d’inventer leurs propres nuances avant d’entrer avec eux dans une danse toute en sinuosités rampantes.
On ne peut pas résumer cette expérience passionnante au moyen d’une poignée de phrases : à l’instar de la peinture de Soulages - que celui-ci se plaît à définir comme « l'état d'absence de mots » - il faut se confronter à elle, s’en approcher, la humer, être gagné par le désir de la toucher et l’accepter comme elle se présente, dans son mystère et la fascination qu’elle exerce par tout ce qu’elle ne dit pas d’emblée et laisse entrevoir au-delà de la musique. C’est là son côté Outremusique, probablement... D’un point de vue pratique, on peut suggérer son écoute au casque ou à fort volume, la tête entre les enceintes. Immersion garantie !
J’ai la chance de connaître personnellement Henri Roger, j’ai déjà eu l’occasion de le rencontrer et nous échangeons souvent nos impressions. Malgré la distance, nous sommes devenus comme des camarades des temps modernes, tous réseaux et messageries déployés, et j’ai voulu lui poser une question très simple : pourquoi Soulages ? Bien entendu, j’ai interdit la réponse qu’il risquait de me renvoyer parce que le monsieur n’est pas seulement talentueux, il est aussi taquin : « Parce Que ! »
Voici donc une explication par Henri Roger himself...
« J’ai vu des tableaux de Pierre Soulages à Beaubourg, à la FIAC, et dans quelques galeries, au fil du temps et au cours de voyages. Je ne cherchais pas spécialement à voir sa peinture, ni à en savoir plus sur lui et sa démarche, mais à chaque occasion je suis resté un certain temps devant ses tableaux avec à la fois du plaisir, de la fascination et de l’interrogation. Qu’est-ce qu’on voit, croit voir et ne voit pas, de près et de loin dans un tableau noir de Pierre Soulages ? C’est là qu’un lien commence à se faire avec ma musique et certains peintres contemporains. Le titre de mon premier album, paru sur le label « Pôle », est Images. La musique de ce disque est basée sur des superpositions de nappes de sons jouées sur orgue et synthés du début des 70’s. Qu’est-ce qu’on entend en premier ? Qu’est-ce qui se distingue en arrière-plan si on écoute fort ou pas ? C’est là le parallèle que je fais au niveau des perceptions entre le visuel et le son. Pierre Soulages raconte qu’à un moment de sa vie il s’est trouvé dans une impasse devant un tableau. Il a laissé ce tableau en chantier une nuit et l’a retrouvé le lendemain dans état tout à fait autre, la peinture avait coulé et pris d’elle même l’espace, en noir. L’Outrenoir était né. On voit bien le rôle du hasard, qu’on aime dans l’improvisation, mais aussi un choix de se limiter, de se contraindre à une seule couleur. C’est pour moi, dans mon parcours, ce que je cherche à développer : les graves du piano, un exemple extrêmement fort de combinaison entre liberté et contrainte. Le noir est aussi très présent dans ma vie : le piano à queue, la salle de spectacle, la tenue de scène avec Catherine Ribeiro notamment, la vue magique de la rade de Villefranche-sur-Mer la nuit. Relier la musique de Parce Que ! à l’Outrenoir de Pierre Soulages m’est apparu très clairement évident. C’est beaucoup plus l’aspect énergie dans les tableaux que le côté sombre mentalement, du noir, que j’aime et j’espère que ça s’entend dans le disque. »
Oui, Henri, ça s’entend ! Je te le confirme. J’irais même jusqu’à dire que ça se voit, si j’en crois la vidéo réalisée par la camarade Anne Pesce autour d’une des compositions du disque : « Ratures Brumes ». Et je te donnerai d’autres impressions après ma visite estivale au musée Pierre Soulages de Rodez, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes.
En attendant, je ne résiste pas au plaisir de partager un documentaire consacré au peintre. Une demi-heure pour mieux connaître ce grand monsieur. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui y est affirmé parfois de façon un peu expéditive, notamment parce que je pense qu’il faut voir cette peinture en vrai pour la ressentir vraiment ; mais c’est une entrée en matière très intéressante et dont les qualités pédagogiques sont indéniables.
On peut aussi lire le livre d’entretiens avec Françoise Jaunin, sobrement intitulé Pierre Soulages, Outrenoir, publié par La Bibliothèque des Arts.
Pierre Soulages, Henri Roger : merci à vous deux de nous offrir ce luxe incomparable qui consiste à nous réjouir de broyer du noir !
Et pan sur le bec ! À force d'entendre une poignée d'acrimonieux s'acharner sur une vidéo bruitiste dans laquelle un guitariste connu pour son refus des dogmes et son ouverture d'esprit – du petit au grand format, appliquée au jazz, au rock, à la musique contemporaine, à l’électronique et aux musiques improvisées – se mettait en scène lui-même ; à force de les voir faire semblant d'oublier son travail dans le collectif Muzzix, et certaines de ses expériences pluridisciplinaires telles que La Pieuvre ou le Circum Grand Orchestra*, deux grands ensembles qu’il avait réussi à réunir dans la minéralité du Feldspath, ou ses contributions décisives à certains disques (comme le Family Life Quartet de Jacques Mahieux ou Furrow de Maria Laura Baccarini, ce sont là deux illustrations à la volée) ; à force de les entendre ratiociner et relancer une fois encore le débat stérile et passéiste de la définition d’un « vrai » jazz alors qu’il s’agissait plutôt de regarder devant soi ; à force de ne pas comprendre cette manière de dénigrer par avance sa nomination à la tête de l'ONJ… quelques-uns d'entre nous, y compris les moins connaisseurs de son passé – mais très vite lassés par ces attaques injustifiées – en étaient venus à se laisser contaminer par un a priori symétrique et bienveillant à l'égard d'Olivier Benoit.
Désolé de le dire ici avec une pointe d'autosatisfaction, mais les faits sont là qui donnent raison à ceux qui n’avaient manifesté ni inquiétude ni agressivité vaine. Avec la publication de Paris Europa, double album choc captivant tout au long de ses quatre-vingt-douze minutes, la réponse de l'Orchestre National de Jazz 2014 est cinglante. Amis scrogneugneux, enfouissez vos aigreurs dans votre poche et posez votre mouchoir par-dessus : ce disque est un des temps forts de l'année (et probablement de la décennie) ; il s'avère au fil des écoutes une source de richesses, une caverne d’Ali Benoit, qu'on n’épuise pas en quelques écoutes, même les plus attentives. Europa Paris est à sa façon un monument : un constat assez logique puisque cette musique a quelque chose à voir avec l'architecture, Olivier Benoit aimant rappeler qu’il réfléchit « sur les concepts d’espace avant d’essayer de leur donner des formes musicales ». C’est un disque qui, de plus, ne souffre en rien d'avoir été composé dans un laps de temps assez court. Si le guitariste a imaginé chacun des mouvements en cherchant à définir une ligne personnelle, tout en prenant en compte la personnalité des solistes qui devaient s'y illustrer, l'impression d'ensemble et la cohésion ne s'en trouvent nullement affectées. Bien au contraire, la sélection des musiciens qui composent l'ONJ, fruit d'un travail associant son nouveau directeur à Bruno Chevillon, ne doit absolument rien au hasard ; elle est l’aboutissement d’une réflexion sur l’équilibre à trouver « en termes d’esthétique, mais aussi d’expérience et de génération » (32 ans séparent le membre le plus jeune du plus âgé). Onze musiciens sont ainsi unis pour le meilleur et pourraient bien marquer notre époque de leur empreinte. Savourons donc le plaisir qui nous est offert de vivre cet événement à leurs côtés !
Paris Europa se décline en six parties aux durées très variables (moins de quatre minutes pour « Paris VI » jusqu'à plus de quarante-quatre pour « Paris II », longue suite elle-même organisée en dix mouvements) et projette une myriade d'images qui accordent peu de place au repos. Scènes de nuit, scènes de jour, mouvements de foule, déplacements, trains de banlieue, dialogues ou monologues, courses poursuites, stridences urbaines, danses hypnotiques... une frénésie de ville, quoi ! Pas un seul instant la tension ne retombe tout au long de cette visite guidée ; on se dit qu'Olivier Benoit et son orchestre ont voulu abattre d'emblée le maximum de cartes sur la table afin de présenter dans ce premier panorama le champ de leurs possibles. Aux tutti où l'ONJ fait montre de sa force collective et impose de magnifiques textures sonores mêlant les instruments à vent aux cordes du piano et du violon, vont succéder des échanges où les instruments s'agrègent en combinaisons variables animées de mouvements cycliques, se répondent en motifs sériels dessinés par des déphasages rythmiques hérités du travail de Steve Reich ; guitare et claviers endossent le costume de designers sonores avides de perturbations atmosphériques et de fractures électriques ; la pulsion imprimée par le duo formé de la contrebasse (ou la basse) et de la batterie parle un jazz dont l'accent est aussi celui du rock, avant qu'un impromptu aux couleurs chambristes ou bruitistes ne lui reprenne la parole pour imposer son échappée improvisée. Cette profusion de sources d'inspiration et d'héritages assumés, qui pourrait n'être qu'un maelstrom indigeste en des mains moins expertes, devient luxuriance et suscite une adhésion sans réserve, par sa capacité d'assimilation et de (re)création. L'ONJ invente sa musique, il nous accorde le privilège d’assister à la naissance d’un processus artistique. Les solistes, quant à eux, sont habités par une frénésie de mouvement qui pourrait être celle des commuters, leurs chorus prennent tour à tour la forme de ballades rêveuses ou de noueuses improvisations, quand ils n’expriment pas un cri.
Disque d'interaction permanente à la mise en scène savante, Paris Europa est un manifeste libertaire, une déclaration d'imagination collective qui souligne avec acuité les talents de chacun des membres de l'ONJ. Aux côtés d'Olivier Benoit, il faut les citer tous (ici dans l'ordre alphabétique, le seul qui ne soit pas injuste) : Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse, effets), Théo Ceccaldi (violon, alto), Bruno Chevillon (contrebasse, basse électrique), Jean Dousteyssier (clarinettes), Eric Echampard (batterie), Fidel Fourneyron (trombone, tuba), Alexandra Grimal (saxophones ténor et soprano), Fabrice Martinez (trompette, bugle), Hugues Mayot (saxophone alto).
Le choix des mots n'est jamais simple : sommes-nous là en présence d'un chef d'œuvre ? Le temps parlera, mais après tout, ne suffit-il pas de dire que la manière avec laquelle Olivier Benoit, entouré d’une équipe soudée, est parvenu à synthétiser toutes les musiques qui l'habitent depuis des années, est admirable ? Au point de donner vie à un idiome dont on attend dès à présent les prochaines pulsations, celles qui résonneront des échos d'une autre capitale européenne, Berlin.
Une seule réserve, mineure car elle porte sur un aspect formel de l’objet disque : si le digipack est élégant, on est un peu désemparé face à la sécheresse de son contenu. Liste des titres et des musiciens, quelques informations pratiques et c’est tout. On aurait aimé des détails supplémentaires, que cette histoire nous soit racontée dans son déroulement, juste pour le plaisir d’en apprendre encore un peu plus.
Mais c’est bien peu par rapport à tout le reste... Alors, Paris Europa, un disque électrisant ? Un temps fort de l’histoire du jazz contemporain ? Pour le coup, ça ne fait aucun doute.
* Dont le nouveau disque intitulé 12 - enregistré cette fois sous la férule du bassiste Christophe Hache – est de toute beauté et sera prochainement évoqué ici.
La pochette de Country Roads fournit une indication assez précise de ce qui vous attend à l’écoute du nouveau disque du contrebassiste Gildas Boclé. Imaginez... Vous montez à bord d’une petite voiture décapotable, vous démarrez et commencez à parcourir tranquillement les routes de campagne avoisinantes, en Bretagne peut-être parce que les Côtes d’Armor sont aussi pour lui des côtes d’amour, mais pas seulement. Tout chemin propice à une évasion fera l’affaire. Alors, les paysages défilent sous vos yeux, vous observez les variations constantes des jeux de lumière et vous finissez par vous laisser gagner par une sérénité bienfaisante. Car la violence du monde ne saurait vous faire oublier une forme de beauté qui s’offre à chacun, pour peu qu’on tourne le dos à la folie des hommes, ne serait-ce que le temps d’une échappée.
C’est un peu ça, Country Roads, disque des lumières dont les ballades sont orchestrées avec un soin cinématographique : il exprime la volonté de Gildas Boclé d’être le metteur en scène de sa musique et de rechercher un son d’ensemble qui traduise aussi fidèlement que possible sa vision colorée d’un monde, celui dont les trésors nous échappent parce que la vie nous interdit trop souvent de nous arrêter ; un album qui est aussi la manifestation de son attachement à la qualité de l’orchestration parce que celle-ci « est aussi importante que l’expression de la personnalité individuelle des musiciens ». Avec la projection de toutes ces images en nuances chaudes, on ne s’étonnera pas d’apprendre que parallèlement à son travail de musicien, Gildas Boclé est aussi un artiste passionné de photographie et de vidéo.
Le contrebassiste, illustrateur amoureux des paysages qu’il n’a de cesse de parcourir, n’a jamais caché sa passion pour la guitare folk : ce disque nous le rappelle par la présence rythmique de leurs cordes sur plusieurs compositions. Autrefois, Gildas Boclé écoutait les maîtres du genre que sont Doc Watson, Leo Kottke ou Chet Atkins ; et ce fut la contrebasse de Patrice Caratini aux côtés de Maxime Le Forestier qui lui donna un beau jour l’envie de pratiquer cet instrument qui vibre aujourd’hui à l’unisson de ses émotions. Et puis il y eut une belle rencontre, lors de sa période américaine, avec Gary Burton (qu’on retrouvera à l’affiche de Or Else, album de Gildas Boclé paru en 2006). Le vibraphoniste, connu entre autres expériences pour avoir travaillé avec George Shearing, Stan Getz, Pat Metheny ou Larry Coryell, avait enregistré en 1969 un album qui reste l’un des préférés de Boclé : Country Roads And Other Places. Tiens tiens, des routes de campagne, déjà... On comprend instantanément le clin d’œil et l’hommage que le contrebassiste a voulu lui rendre avec un disque qui donne lui-même beaucoup à entendre un autre vibraphoniste, Jean-Baptiste Boclé, frère de Gildas, dont le jeu très prégnant renvoie à l’existence du projet fraternel appelé Keltic Tales (une formation qui doit publier son quatrième album à l’automne prochain).
Le travail des couleurs et la mise au point de leurs variations passe chez Gildas Boclé par une multiplication des combinaisons autour d’un trio, lui-même variable, formé par la contrebasse, l’orgue associé au vibraphone de Jean-Baptiste Boclé et la batterie (jouée en alternance par Marcello Pelliterri, Simon Bernier ou Manhu Roche). Ce que les peintres, dans leur domaine, appellent le fond. Celui-ci est fondamental en ce qu’il définit l’ADN d’une musique qui accorde à la fois une importance extrême à l’évidence des thèmes composés et à la manière de les mettre au mieux en valeur. Cette base ainsi définie, Boclé convoque des instruments qui vont enrichir sa palette : le saxophone de Walt Weiskopf (déjà présent sur Or Else évoqué un peu plus haut), les guitares de Nelson Veras, Taofik Farah et Jérôme Barde (ancien membre des Volunteered Slaves), le piano et l’orgue de Florent Gac.
Gildas Boclé dit ressentir une attraction de plus en plus forte pour la contrebasse jouée à l’archet, que cet album traduit par ses éclats de lumière répétés : il suffit d’écouter son jeu sur des compositions telles que « Country Roads », « Kristen » ou « Départementale 786 » pour s’en convaincre. Son expressivité empreinte de spiritualité n’est pas sans rappeler celle de Renaud Garcia-Fons, l’accent méditerranéen en moins (la « Départementale 786 » est une route qui relie Morlaix à Dinard, histoire de nous rappeler l’importance de cette Bretagne presque vitale), mais l’attachement à la création d’une musique qui chante est bien le même. Parce qu’à sa façon, Gildas Boclé est un chanteur, même s’il ne ressent pas le besoin d’écrire des paroles. Les douze compositions de Country Roads sont un kaléidoscope de mélodies qui captent l’attention par leur caractère irisé, dont la tension monte parfois lorsque Walt Weiskopf entraîne le quatuor vers un jazz plus urbain, parfois teinté de blues (« Pueblo »). Mais les mélodies ne quittent jamais le devant de la scène. Celles-ci sont servies au mieux par la complicité des deux frères qui fait merveille du début à la fin. Le vibraphone, souvent chargé d’exposer les thèmes, les illumine, tandis que la contrebasse souligne leur dimension plus contemplative et leur donne corps avec beaucoup d’intensité.
La publication de Country Roads chez Absilone / Socadisc s’est faite voici quelques semaines dans une relative discrétion qui ne rend pas justice à ses nombreuses qualités. Il n’est pas trop tard pour prendre la route avec Gildas Boclé et ses compagnons : le voyage qu’ils proposent ressemble à s’y méprendre à une parenthèse enchantée.
« Country Roads »
Taofik Farah & Jérôme Barde (guitare), Jean-Baptiste Boclé (orgue & vibraphone), Simon Bernier (batterie), Gildas Boclé (contrebasse).