Ange - Emile Jacotey Résurrection
Quelle drôle d’idée ! Près de quarante ans après la sortie de l’album Émile Jacotey, quatrième disque du groupe Ange et l’une de ses plus grosses ventes, Christian Descamps – bientôt 68 ans au compteur – remet le couvert et décide de ressusciter le maréchal-ferrant (décédé en 1978, afin de « torcher le cul au firmament ») qu’il avait interviewé avant d’écrire les chansons composant un disque pas comme les autres : finies les épopées médiévales, place à la mémoire et à la sagesse d’un ancien dont quelques phrases se faisaient entendre au début et à la fin du disque. Ange, groupe théâtral étiqueté rock progressif, à l’époque considéré comme le pendant hexagonal de la première mouture de Genesis (celle de Peter Gabriel), avec comme particularité la forte inclination rabelaisienne des textes de Descamps, la présence de claviers évoquant souvent le mellotron et une guitare rageuse. Si cette formation n’a jamais cessé d’exister depuis sa création en 1969, elle a connu un nombre assez important de périodes et de changements de musiciens : seul son leader est de toutes les époques, lui qui trouve en son fils Tristan un appui précieux depuis une quinzaine d’années. Une bonne trentaine d’albums viennent raconter cette histoire sincère, parfois inégale mais hantée sans relâche par un chanteur dont les contes volontiers éructés ne laissent jamais indifférent. On peut s’en faire une idée correcte à la seule écoute des quatre premiers disques publiés entre 1972 et 1975 (Caricatures, Le cimetière des arlequins, Au-delà du délire, Émile Jacotey).
Émile Jacotey Résurrection est né d’une idée simple : en ce monde déshumanisé et plus brutal que jamais, la parole du vieil Émile n’en est que plus actuelle. Voici donc tout le disque entièrement réenregistré par la formation actuelle, soit les dix compositions originelles, auxquelles viennent s’agglomérer, sans distorsion de forme ni de fond, quatre autres dont une Suite pileuse pour pinceau et pubis inspirée par L’Origine du Monde de Gustave Courbet. Cette actualisation est aussi l’occasion d’entendre de nouveaux extraits de l’interview du vieux bonhomme et les paroles de « sa bouche sucrée de légendes » ; cerise sur le gâteau, le travail de mise au jour est présenté dans un beau livre disque incluant un livret de 28 pages. Un objet, digne du propos.
Il faut bien le dire : les réserves qu’on pouvait émettre a priori à l’idée d’une telle démarche sont très vite balayées par l’enthousiasme qui irrigue le disque, du début à la fin. Et c’est avec un grand plaisir qu’on retrouve « Bêle bêle petite chèvre », « Sur la trace des fées », « Jour après jour », « Le nain de Stanislas » ou la longue suite en quatre mouvements « Ego & Deus », sans oublier l’émouvante « Ode à Émile » qui clôt le disque, tout comme en 1975. Les poils se dressent sur les bras... Le son est ample comme au bon vieux temps, Christian Descamps n’a rien perdu de la rage au ventre qu’on lui connaît depuis toujours, et les nouveaux arrangements ont même gagné en nervosité ; ça et là, ils tournent leur regard vers des horizons plus lointains, comme le Maghreb (« Le marchand de planètes ») ou l’Inde (« Jour après jour »).
On saura gré aux musiciens d’Ange d’avoir réussi arrêter le temps et à tendre un fil invisible, mais d’une grande résistance, entre les deux vies de cet Émile Jacotey si attachant, dont les souvenirs nous vont droit au cœur et continuent de nous émouvoir avec la même force. Récemment, Christian Descamps confiait qu’Ange pourrait exister sans lui : on veut bien le croire, mais qu’il nous permette de penser qu’il est plus que jamais l’âme de ce groupe qui continue de nous communiquer son frisson si particulier.
Tristan Descamps (claviers, chant, chœurs), Hassan Hajdi (guitares, chœurs), Thierry Sidhoum (basses, chant, chœurs), Ben Cazzulini (batterie, percussions), Christian Descamps (chant, guitares, accordéon et claviers divers).
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