Olivier Bogé : « When Ghosts Were Young »
Il m’est assez difficile d’évoquer un disque d’Olivier Bogé dans la mesure où, bien que nous n’ayons jamais eu l’occasion de nous rencontrer, nous sommes devenus amis par la seule force de quelques mots échangés par écrit ou à l’occasion de plusieurs conversations téléphoniques. Je suis certain que lui et moi nous nous connaissons mieux que certaines personnes se côtoyant chaque jour… Cette relation un peu particulière a abouti à un travail en commun le jour où celui que je n’ose plus qualifier de saxophoniste m’a demandé d’écrire le texte devant figurer sur la pochette de son précédent disque – le troisième sous son nom –, Expanded Places. Une expérience passionnante qui m’avait permis de comprendre à quel point sa musique devait être entendue comme la traduction de sa perception du monde à fleur de peau, de son attachement profond aux beautés de la nature et d’une vision humaniste, poétique et littéraire qu’on ne confondra pas avec de la sensiblerie. Parlez de Christian Bobin à Olivier Bogé, il se montrera très vite intarissable
Voici donc venir When Ghosts Were Young, un album qui fait suite à Imaginary Traveler (2010), The World Begins Today (2013) et Expanded Places (2015). Il est vraiment le disque qu’on pouvait attendre de la part d’Olivier Bogé. Non qu’il soit sans surprise, mais parce qu’il va bien au-delà de ses prédécesseurs en affirmant un seul et même chant, qui se décline en subtiles variations d’une composition à l’autre. Au point qu’il ne s’agit même plus de se dire que le disque en compte dix, mais bien une seule qui coule avec une grande douceur, empreinte de sérénité. On imagine l’homme musicien s’arrêter au bord d’un ruisseau pour laisser l’eau filer entre ses doigts, marcher au plus profond d’une forêt ou sur un sentier de montagne, contempler le ciel et la mer, écouter le bruit du vent. When Ghosts Were Young est une musique des éléments, en prise directe avec ce que la nature nous offre de plus beau et que nous ne savons plus voir.
En disant cela, je ne me trompe guère, car Olivier me l’a confirmé par la suite, lui qui me confiait : « L'immense majorité de l'album a été écrite durant mes pérégrinations multiples, la guitare dans la voiture, m'arrêtant au bord d'un moulin, au milieu d'une forêt pour y coucher (accoucher ?) les quelques notes qui jaillissaient après la vue d'un pan de lumière, d'un amas d'arbres… Les chaos que je traversais à cette période étaient immédiatement effacés par ces cadeaux du ciel et du vent. Et ça a été une obsession constante : n'y coucher que les moments de lumière, en cherchant coûte que coûte à exploser les ombres, à les écarter, les éloigner. Ne pas les laisser prendre une quelconque place dans cette musique. Être attentif au bruit de l'eau, à l'odeur d'une forêt, à l'explosion de lumière en face de moi ».
D’ailleurs, il est intéressant de savoir que le titre initialement prévu pour l’album était celui de « As Spark Hits The Shadows », l’une des compositions figurant sur When Ghosts Were Young. Une proposition écartée en raison de la difficulté à le prononcer. C’est peut-être un peu dommage…
Pour ce qui est de la forme, on constatera d’abord qu’Olivier Bogé est fidèle en amitié puisqu’on retrouve en action les mêmes musiciens que pour Imaginary Traveler, le premier disque en 2010. Soit Pierre Perchaud à la guitare, Tony Paeleman au piano, Nicolas Moreaux à la contrebasse et Karl Jannuska à la batterie. Outre la présence sur un titre (« Rain’s Feathers ») d’Isabelle Sörling au chant, le changement le plus notoire, par comparaison avec ce premier chapitre, est à chercher dans la panoplie des instruments de Bogé : là où il ne se présentait que comme saxophoniste, il est désormais aussi pianiste, guitariste et chanteur (et compositeur, bien sûr). Ce qu’on avait pu comprendre déjà lors de la parution de Expanded Places. Un collectif soudé, donc, au sein duquel la parole individuelle n’est pas primordiale mais toujours d’un grand lyrisme. Il suffit d’écouter le chorus au saxophone alto de « As Spark Hits The Shadows » pour s’en rendre compte, puis l’intervention de Pierre Perchaud. Ou le solo de piano puis de saxophone alto sur « Odissey Of The Innocent Child ». Fièvre et concision en une même voix, peut-être l’exercice le plus ardu qui soit… Les mélodies, d’une grande limpidité, sont exposées tour à tour au piano, à la guitare, au saxophone, souvent doublés par la voix d’Olivier Bogé. Des chansons sans paroles et un langage musical qui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’on nomme communément jazz. La musique d’Olivier Bogé – bande originale d’un film dont les images défilent tranquillement et découvrent des paysages illuminés – est onirique, d’une beauté formelle incontestable. Un folk-rock-jazz intemporel et impressionniste dont les racines puisent au cœur des musiques qui ont habité le vingtième siècle. Debussy tend la main à Joni Mitchell, en quelque sorte. C’est une incitation à déposer les armes, celles dont chacun·e de nous doit se munir au quotidien pour rester debout.
Une musique de la rêverie éveillée et surtout pas de l’oubli. When Ghosts Were Young est une très belle réussite à travers laquelle Olivier Bogé dévoile un peu plus encore sa personnalité attachante. Un disque addictif, qui peut tourner encore et encore, comme nos têtes enivrées par le spectacle du monde.
When Ghosts Were Young est publié chez Jazz&People.
L’histoire remonte à la fin de l’année dernière. Je crois même me rappeler – vous me pardonnerez ce détail un peu trivial – que je patientais dans la rue, devant ma boulangerie. Quand mon téléphone a sonné, interrompant ainsi l’écoute d’un disque – mais cette fois, je suis bien incapable d’en dire plus à son sujet – alors sur le point de faire l’objet d’une chronique, je n’ai pas identifié illico la personne qui m’appelait. Trop de bruit dehors, certainement. Avant de comprendre qu’Olivier Bogé, musicien dont j’apprécie le travail depuis un bout de temps (j’ai les preuves écrites :
Musique grande classe, comme la bande son d’un film aux accents nostalgiques qui aurait été tourné en noir et blanc pour mieux souligner les éclats invisibles du quotidien et en révéler la part de magie. L’Orphicube vous transporte avec son ingéniosité génétique - encore une fois, cet orchestre a un son qui lui appartient totalement, sui generis, comme on dit - et sa forte dose d’onirisme.
Stéphane Kerecki endosse le rôle d'un passeur pacifié qui ne vise qu'un seul objectif : réenchanter des histoires dont tous les secrets n'avaient, on s’en rend compte grâce à lui, pas encore été dévoilés. En levant le voile sur ses propres visions, il nous propose un embarquement dans son imaginaire cinématographique et c'est un bonheur de le laisser faire… avec un grand sourire dans le regard.
Together, Together! n’est pas de ces disques qu’on écoute avec passivité ; il fait plutôt partie des instants d’équilibre un peu miraculeux, dont on connaît la fragilité, et qu’on ne veut pas laisser filer entre ses doigts. On laisse approcher la musique, on lui accorde tout son temps, pour qu’elle nous souffle ses délicatesses au creux de l’oreille. Musique sensuelle, on vous dit !
Dans un climat d'une grande sobriété, on retrouve avec ce beau disque l’essentiel de ce qui fait tout son pouvoir de séduction, comme si Matthews jouait la carte de l’épure et de l'intemporel en se disant qu’eux seuls disent le vrai : au service de son art, une instrumentation légère composée de guitares (acoustique et électrique), d'un piano électrique (ou d'un orgue) et d'une basse.
Un chef d'œuvre ? Le temps parlera, mais après tout, ne suffit-il pas de dire que la manière avec laquelle Olivier Benoit, entouré d’une équipe soudée, est parvenu à synthétiser toutes les musiques qui l'habitent depuis des années, est admirable ? Au point de donner vie à un idiome dont on attend dès à présent les prochaines pulsations, celles qui résonneront des échos d'une autre capitale européenne, Berlin.
On a beau chercher, regarder derrière soi ou même de côté, il faut bien se rendre à l’évidence : ce disque sans équivalent est une nouvelle pépite, une pierre précieuse, tout juste polie au sens où ses audaces la rendent heureusement irrévérencieuse. Le quartet d’Emile Parisien est âgé d’une petite dizaine d’années et sème sur son chemin de sacrés cailloux. Sa musique, aussi singulière et intrigante que les titres de ses disques, n’a certainement pas fini de nous sidérer.
C’est incroyable qu’on puisse être à la fois si jeune et porteur des horizons sans cesse réinventés d’une histoire de la musique du XXe siècle, que Vincent Peirani et Émile Parisien semblent connaître depuis toujours, comme si elle coulait dans leurs veines. Un disque fédérateur qui s’adresse aux amoureux du jazz, de la chanson, de toutes les musiques impressionnistes, des musiciens vibrants et dont on ne finit jamais de contempler les beautés exposées.
Voix, sons métalliques ou électroniques, bruits de rue, chant naturel des instruments : cette polyphonie, qui célèbre Moondog avec autant d’inventivité que de respect, séduit d’emblée. En imaginant Perpetual Motion, Sylvain Rifflet, Jon Irabagon et leurs complices sont allés bien au-delà de l’hommage : ils expriment une fusion totale entre le génie d’un compositeur et leur art propre, qui se refuse à toute limite. Et surtout pas celle de leur imagination.
Siderrances est un disque auquel on doit s’abandonner… Loin des urgences de notre monde, il offre son temps long (le deuxième disque ne comporte que deux titres, respectivement de 20 et 32 minutes) et laisse aux deux protagonistes le loisir d’engager une conversation de l’intime qui, jamais, ne nous laisse de côté. Là est sa grande force : il nous parle au creux de l’oreille dans sa langue propre, mais très empathique.
Hasse Poulsen, cet homme qu’on appelle Ass, chante le désenchantement, celui d’un monde menacé par l’épuisement de ses ressources vitales, elles-mêmes objets de commerce. Souhaitons que son inspiration, en tout cas, ne se tarisse jamais, car un songwriter de premier plan doublé d’un magnifique chanteur vient de voir le jour, et s’expose enfin après de longues années de maturation.
Voilà pour ce petit exercice de style que je ne saurais conclure sans décerner un « Coup de Maître » à un musicien ami qui aura beaucoup donné cette année, et que je tiens absolument à saluer.
Deuxième volet des aventures de cette jeune quarte qui allie la science du jazz à l’énergie du rock. Damien Fleau (saxophone), Maxime Fleau (batterie), Jean Kapsa (piano) et Oliver Degabriele (contrebasse) écrivent une musique dense, nerveuse et habitée. Ils savent aussi atteindre l’épure, privilège des grands, leur « Grandfather’s Bed » en est une preuve. On est heureux de se sentir un peu comme membre de cette belle famille au sein de laquelle circule une énergie très contagieuse.
Encore une très belle année pour le tromboniste ! Hyperactif, notre Helvète préféré a notamment doublé la mise avec deux albums qui séduisent par la somme d’imagination et de liberté qu’ils respirent. Tout récemment, Mirror To Machaut offrait une relecture limpide de la musique de deux Guillaume du Moyen-Âge : de Machaut et Dufay. Mais avec As The Sea, Blaser avait sculpté quelques mois plus tôt la matière sonore d’un univers mouvant et jamais fini, en compagnie de ses amis Marc Ducret, Gerald Cleaver et Bänz Oester. Un disque énigmatique et passionnant de bout en bout.
Le souffle cuivré d’un quatuor libre et onirique : celui de Rémi Gaudillat et Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse). Quatre musiciens qui savent demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels et leur donner le muscle de la pulsation. Leur musique entre ombre et lumière exhale un parfum impressionniste des plus séduisants, elle est une porte grande ouverte sur un imaginaire poétique dans lequel on plonge sans réserve.
Quand deux amis décident de se donner les moyens et le temps de faire aboutir un vieux rêve : jouer une musique dont chaque détail compte, par un travail d’orfèvre appliqué à une matière sonore qui fait l’objet d’un soin maniaque. Leur jazz funk bienvenu est habité d’un gros son, il est interprété par une ribambelle d’amis dont certains ne sont pas les derniers venus, comme Marcus Miller. Un disque de plaisir total, qu’on écoute avec gourmandise en se disant qu’une production aussi aboutie est tout de même rare de nos jours. Chouette cadeau !
Un récidivisite, déjà haut placé en 2012, j'espère ne pas l'assommer avec mes coups de mâitre à répétition... Cette fois, le batteur joue la carte d’une dream team aux couleurs chatoyantes et forme un orchestre dont les richesses n’en finissent pas de se dévoiler au fil des écoutes. Constellation est de ces disques dont on peut dire sans se tromper qu’ils sont empreints de magie. Normal, Christophe Marguet s’est entouré de magiciens : Régis Huby (violon), Steve Swallow (basse), Benjamin Moussay (claviers), Chris Cheek (saxophone) et Cuong Vu (trompette). Du grand art.
La formule est d’une apparente simplicité. 21 signifie ici 2+1, et plus exactement deux guitares et une batterie. Une combinaison originale et très électrique. Il y a ici tout ce qu’on aime (enfin, quand je dis on, je parle de moi, mais je sais que je ne suis pas seul à penser ainsi) : l’énergie, l’imprévu, le mystère, la fougue, les élans... En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles. Coup de cœur et de foudre garantis à tous les amoureux des escapades un peu folles !
Décidément, Sylvain Rifflet (clarinette, saxophone) et Joce Mienniel (flûte) sont au sommet de leur art. En 2012, ils figuraient déjà en très bonne place dans ce palmarès. Avec l’Ensemble Art Sonic, ils inventent un univers géographique et sublimé, une musique de chambre du XXIème siècle. A leurs côtés, Cédric Chatelain (hautbois, cor anglais), Baptiste Germser (cor) et Sophie Bernardo (basson) sont les pièces vitales d’un quintette à vents irrésistible. Mine de rien, on assiste avec ce très beau disque à la naissance d'une musique qui n'en est qu'à ses premiers frémissements, en attendant la suite, qui nous comblera.
Que la lumière soit ! Après nous avoir raconté l'histoire d'un voyageur imaginaire, le saxophoniste prouve avec son second disque qu’il est bien plus qu’un jeune musicien talentueux : il est aussi un humain conscient, en quête d’un chant solaire qui irradie sa musique de la première à la dernière note. Il est entouré d’amis de renom : Tigran Hamasyan, Jeff Ballard, Sam Minaie. Ces derniers savent mettre leur art, avec humilité, au service d’une inspiration/respiration commune qui s'épanouit sur des compositions d'une grande limpidité. Bogé partage, partageons sa musique...
Aussitôt arrivé, déjà au sommet de la pile ! Neuf musiciens haut de gamme composent l’Ensemble Dédales dirigé par le passionnant violoniste Dominique Pifarély : Guillaume Roy (alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Vincent Boisseau (clarinettes), François Corneloup (saxophone baryton), Pascal Gauchet (trompette, bugle), Christiane Bopp (trombone), Julien Padovani (piano), Eric Groleau (batterie), tous au service d’une musique à la fois savante et nourrie d’une pulsion hypnotique, libre et engagée dans l'invention de nouveaux paysages entre jazz et musique de chambre contemporaine. Time Geography est un disque aux variations subtiles, dont les richesses se dévoilent au fil des écoutes.
C’est d’une certaine manière le label Pépin et Plume d’Alban Darche qui est ici récompensé. Sa première référence, L’Orphicube, manifestait un fort pouvoir de séduction. Mais en fin d’année, le saxophoniste glissait au pied du sapin un second disque, une boîte de Noël un peu magique, pleine à craquer de chants tels que tous les enfants que nous sommes rêvent d’écouter le soir de la veillée. Un disque durable et enchanté, au plaisir augmenté par la lecture d'un conte signé Franpi Barriaux. Quoi, on n'a plus le droit de dire du bien des copains ?
Comme bon nombre de ses confrères saxophonistes,
Attachante rencontre que celle de ce voyageur imaginaire dont le saxophoniste