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Festen again !

festenfamilytree.jpgBlasphème ! Une fois encore, Festen a trempé sa musique dans un brouet énergétique qui ne refuse pas de laisser mijoter des ingrédients à forte teneur en influences rock et commet le sacrilège, ici ou là, d'une exécution binaire. M'étonnerait pas que ça couine un peu dans le Landerneau du jazz… enfin, dans un certain jazz. Déjà, sur son premier album, le quartet affichait des amours impures en ne refusant pas d'admettre des inspirations où les grands seigneurs du jazz se voyaient titiller les mollets par Portishead, Nirvana, Neil Young, Led Zeppelin ou Pink Floyd.

Avec Family Tree, deuxième album du groupe (auquel on ajoutera un live au Périscope de Lyon disponible en téléchargement sur le site du groupe), Jean Kapsa (piano), Damien Fleau (saxophones), Maxime Fleau (batterie) et Oliver Degabriele (contrebasse) font mieux que confirmer toute le bien qu'on pensait d'eux. Ils s'affirment et font une magnifique démonstration de maturité avec un disque dont la qualité première est un alliage de sobriété et de densité. Leurs talents individuels auraient pu les inciter à des épanchements lyriques que nul n'aurait eu envie de leur reprocher. Mais non, c'est presque le contraire : le groupe est très économe de ses chorus - c'est même sa marque de fabrique - et le collectif remarquable qui faisait d'emblée la singularité du groupe semble ici encore plus ramassé, la cohésion-fusion crée une puissance d'évocation qui dissipe tous les doutes qu'on aurait pu formuler avant un deuxième épisode qu'il est de bon ton d'attendre au tournant. Plus remarquable encore est la retenue qui semble habiter leur propos - comme s'il s'agissait d'épurer la musique en la délestant de ses notes inutiles - et la spiritualité qui l'habite. Elle trouve son acme dans une composition chair de poule intitulée « Grandfather's Bed », où la musique, très solennelle, comme en suspension, se fait suggestion et le souffle du saxophone ténor devient murmure sur les accords plaqués par un piano concentré d'émotion. Magistral. Tout l'album est parcouru d'un grand frisson, celui qu'on éprouve en découvrant des chants (des chansons, finalement) dont les mélodies finissent très vite par devenir entêtantes, parce qu'elles frappent juste et savent être sans détour. À l'exception de « In motion », tiré de la bande originale du film The Social Network de David Fincher et de « All Apologies », une reprise de Nirvana, toutes les compositions sont signées par le groupe et, c'est une nouveauté à signaler, Festen expérimente un nouvel instrument sur  « Alone With The Driver » avec la voix de la chanteuse Alison Galea. Un peu plus de 45 minutes de musique tendue, vibratoire, à la saine énergie contagieuse.

Puissance et concision lyrique chez Damien Fleau, enluminures hypnotiques et solaires du jeu de Jean Kapsa (dont on recommandera les 100 impromptus quotidiens enregistrés entre août et décembre 2012), groove musclé de la paire Oliver Degabriele / Maxime Fleau, ainsi pourrait-on dire en quelques mots les attraits d'un groupe qui, redisons-le, séduit par sa généreuse unité. Mais aussi par une gravité qu'on peut comprendre comme l'expression d'une vision lucide du monde dans lequel nous vivons et d'une quête d'un ailleurs moins superficiel.

Ah, j'oubliais de préciser aussi que je suis un petit veinard : j'ai reçu Family Tree la semaine dernière et je pense faire partie des premiers à l'avoir écouté (le disque sortira en version numérique le 18 février et sous forme physique un peu plus tard). Ce privilège s'est doublé d'une surprise (et aussi d'une vraie émotion, je ne peux pas le cacher parce que c'était totalement inattendu), celle de voir mon nom cité dans la liste des personnes remerciées sur la pochette de l'album ; j'imagine que les musiciens de Festen voulaient marquer ainsi leur reconnaissance, parce que je les soutiens depuis le début. Mais je ne sais pas si tout cela est bien mérité. La seule chose que je voudrais souligner ici pour dissiper d'éventuels doutes quant aux raisons de mon engouement pour cette nouvelle production de Festen, c'est que dès l'origine, je me suis senti totalement en phase avec sa musique : elle possède l'énergie du rock avec lequel j'ai grandi et qui m'a nourri, ce rock dont je ne me suis jamais éloigné parce qu'il est un de mes organes vitaux ; elle a de plus toute l'imagination et la liberté qui m'ont fait aimer le jazz et tourner quelques unes de ses plus belles pages (un livre tellement épais que jamais je ne parviendrai au bout, je le sais bien. Si je peux boucler plusieurs chapitres, ce sera déjà une belle aventure), inépuisable réserve de surprises empreintes de magie intranquille. En d'autres termes, je me contrefiche de savoir si Festen est à classer dans le tiroir des héritiers de E.S.T. et de The Bad Plus (j'aurais d'ailleurs beaucoup de mal à accepter qu'on puisse leur reprocher une telle filiation qui ne manque pas d'allure), s'ils avancent au carburant binaire ou ternaire, s'ils doivent jouer comme ci ou comme ça, se couler dans le moule de telle ou telle école... Tout cela n'a que bien peu d'importance parce qu'ils possèdent l'essentiel : ils savent insuffler la vie, et basta !

Alors plutôt que de ruminer une rancœur hors de propos - comme ne manquent pas de le faire certains professionnels de l'écriture jazzifiante à intervalles réguliers, je viens encore de le constater tout récemment dans un magazine spécialisé - dans un pré-carré qui, comme son nom l'indique, ne tourne plus vraiment rond à force de se regarder penser, je me dis qu'il est urgent d'accorder à cette génération de musiciens toute notre confiance. Pour leur belle énergie, pour leur volonté affichée de repousser les cloisons sans pour autant provoquer l'effondrement d'une si belle maison, pour leur capacité à attirer vers eux un public qui pourrait juger rebutante l'approche par trop entomologiste, voire élitiste de quelques exégètes sourcilleux ; et ce faisant lui donnant la possibilité de partir à la découverte de ce monde qu'est le jazz à lui tout seul, pour toutes ces raisons j'ai voulu ici tirer une nouvelle fois un grand coup de chapeau aux quatre musiciens de Festen. Jean, Damien, Maxime, Oliver, vous avez bien raison de vous battre avec autant d'élégance et de partager avec nous votre engagement personnel, Family Tree est un disque grande classe et une nouvelle preuve de votre talent. Et c'est à moi, cette fois, de vous dire merci.

Encore !

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