This is Ground Countrol to Major Zeuhl
À l’initiative de leur bienveillant admirateur Christophe Chassol, les musiciens de Magma étaient les invités d’Arte Concert, le temps d’une interprétation condensée de l’œuvre emblématique du groupe, « Mëkanïk Destruktïw Kommandöh ». C'était le 22 juin dernier. Un rendez-vous très attendu dans la mesure où la bande à Christian Vander avait connu un important remaniement à l’automne 2019 et ne s’était produite dans son nouveau line up qu’à l’occasion de quelques concerts, juste avant que la pandémie de Covid-19 ne mettre tout ce petit monde à l’arrêt. C’est vrai qu’on était curieux de savoir où en était le batteur, lui qui depuis ce changement ne cachait pas son plaisir en constatant que l’enfant kobaïen pouvait aussi swinguer.
Je passe ici très rapidement sur les commentaires qu’on a déjà pu lire sur les réseaux sociaux, partagés entre propos admiratifs et critiques émanant de la part de ceux qui, fidèles à leurs habitudes de commentateurs, savent mieux que le groupe lui-même ce qu’il aurait convenu de jouer, et de quelle manière. La nostalgie n’est pas toujours bonne conseillère et même si la prestation de Magma n’était pas exempte de quelques imperfections – n’oublions pas cette très longue pause contrainte, il me semble indispensable de rappeler deux ou trois choses. Libre à vous de n’être point d’accord d’ailleurs.
Magma a composé l’essentiel de son œuvre dans la première moitié des années 70, soit deux trilogies publiées dans un ordre sui generis et une composition qu’on peut considérer comme un grand final, « Zëss », dont l’ultime version a requis le concours d’un orchestre symphonique. On pourrait en ajouter quelques-unes, de moindre ampleur, mais il n’est pas anormal de penser que tout est là et que dans les années à venir, le groupe s’appuiera avant tout sur son grand répertoire lorsqu’il se produira en public. On peut rêver de cette « nouvelle musique » souvent évoquée par Christian Vander, mais les essentiels présentent un caractère inépuisable et sont la matière première dans laquelle chacun des musiciens plongera pour faire vivre au plus intense chacune des notes. À cet égard, le choix de « MDK » dans l’émission d’Arte semble assez logique dans la mesure où on peut considérer cette composition comme l’hymne de Magma. Il fallait bien choisir, de toutes façons.
Venons-en à l’interprétation maintenant, critiquée par certains. Trop ceci, pas assez cela, y avait qu’à, il aurait fallu… Christian Vander a 73 ans, et même s’il paraît en bonne forme, faisons preuve de réalisme, jamais plus il ne déploiera un jeu apocalyptique comme il le fit aux grandes heures de Magma. Conscient de ses forces et de ses limites (physiques comme vocales), il fait le choix d’une interprétation beaucoup plus souple et surtout beaucoup plus aérienne, en phase avec sa condition, mais en conservant le même engagement. Jamais on ne pourra le suspecter de tricherie, car Christian Vander vit EN musique. Côté technique, pas d’inquiétude, on sait qu’il est et reste l’un des batteurs les plus impressionnants encore en activité, et ça ne date pas d’hier. Tout au plus cette évolution liée à l’âge confère-t-elle à son jeu une dimension moins surhumaine, mais toujours aussi exigeante et précise.
Dans ces conditions, il est inutile de regretter le jeu tellurique de Philippe Bussonnet (qui aura été de l’aventure durant près de 25 ans et demeurera un des musiciens essentiels de la planète Kobaïa) à la basse pour mieux déplorer celui de Jimmy Top (fils de Jannick, bien sûr, autre compagnon de route majeur dans l’histoire du groupe). La souplesse de ce dernier, le caractère félin de son attaque des cordes sont sans doute les garants d’une association telle que Vander la désire lui-même. Redisons-le une fois, encore : Magma peut swinguer ! Et s’il s’agit de s’abreuver encore et encore à la surpuissance du Magma d’autrefois pour entrer en vibration, eh bien foin des lamentations nostalgiques et donneuses de leçons, tournons-nous vers la discographie live qui est abondante et documente parfaitement le caractère exceptionnel de ce long chemin : Magma Live (1975), les soirées Retrospëktïw à l'Olympia (1980), la trilogie Theusz Hamtaak pour la première fois réunie au Trianon (2000), les concerts Mythes et Légendes au Triton retraçant toute l’histoire (2005), la trilogie Ëmëhntëhtt-Ré jouée dans son intégralité au Triton (2014). De quoi se plaint-on ?
Pour finir, j’aimerais rappeler que Magma laisse peu de place à l’improvisation. Le seul temps accordé à un chorus dans la version donnée pour Arte est celui d’une courte intervention de Christian Vander lui-même vocalisant sur le thème de « Spiritual », de son si cher John Coltrane, dont il mime d’ailleurs le saxophone soprano en chantant. Pour le reste, tout est affaire de précision et de mise en place rigoureuse qui permettront d’embarquer musiciens et public dans une sorte de transe joyeuse. On apprécie alors d’autant plus la nouvelle architecture des chœurs – toujours une performance ! – qui contribuent eux-aussi à instaurer ce climat aérien dont il était question un peu plus haut. Avec ses six voix (auxquelles on peut ajouter celle de Thierry Eliez qui prend une part significative au chant), Magma nous rappelle ce que Vander a toujours dit, à savoir que sa musique était au départ conçue pour être chantée autour d’un piano.
À la fin de ce bref concert, on voit les musiciens s’embrasser, se serrer les uns contre les autres. Un vrai moment d’émotion, qu’on n’aurait peut-être pas imaginé il y a 40 ou 50 ans, à l’époque où un concert de Magma s’apparentait souvent à une cérémonie un peu menaçante. La roue a tourné, il n’y a pas lieu de le regretter. À chaque époque son climat. Celui du Magma 2021 semble plus apaisé : il ne contredit en rien les précédents, il offre tout simplement une autre direction.
Il est tellement simple de s’en réjouir !
Titres : Mëkanïk Destruktïw Kommandöh.
Musiciens : Christian Vander (batterie, chant), Jimmy Top (basse), Rudy Blas (guitare), Simon Goubert (Fender Rhodes), Thierry Eliez (claviers, chant), Stella Vander (chant), Hervé Aknin (chant), Isabelle Feuillebois (chant), Laura Guaratto (chant), Sandrine Destefanis (chant), Sylvie Fisichella (chant).