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olivier benoit

  • Olivier Benoit ou la musique en lettres capitales

    orchestre national de jazz, onj, olivier benoit, europa osloEuropa Oslo, quatrième et dernière étape pour l'Orchestre National de Jazz sous la direction d'Olivier Benoit et une autre source de stimulation de son imagination. Instantanément, c’est le sentiment d’un nouveau choc, dans un grand souffle de soixante-neuf minutes. Chaque écoute s’offre ensuite à la manière d’une révélation, levant le voile sur des richesses qu’on avait jusque-là effleurées. L’ONJ déploie les fastes d’une musique dont la singularité est plus que jamais avérée. Il y a un langage Olivier Benoit, voilà qui ne fait aucun doute. Mais ça, nous le savions depuis longtemps. Encore faut-il être capable de tenir ses promesses et, si possible, de surprendre. Et c’est bien le cas, une fois encore...

    On identifie instantanément l'ONJ, en particulier par la richesse de ses textures sonores et de ses brusques changements de cap dont « Det Har Ingenting Å Gjøre » est une parfaite illustration. Mais aussi par ses entêtements rythmiques, dans une jonction heureuse qui se nourrirait à la fois de la « discipline » de Robert Fripp et des déphasages de Steve Reich – j'assume ces comparaisons qui pourront étonner – comme dans l'introduction de « A Sculpture Out Of Tune » et le final de « Pleasures Unknown ». Une force de frappe mise au service d'arrangements luxuriants où s’épanouissent dans une lumière froide violon, clarinettes, saxophones, trombone, guitare, piano, claviers, percussions et quelques sorcelleries électroniques.

    Europa Oslo n'est ni Europa Paris, ni Europa Berlin, ni Europa Rome. Il n’est pas question pour autant de froideur, car ce serait trop facile, trop attendu. Mais plutôt d'une prise de distance, loin du bouillonnement de Berlin et de l'exubérance de Rome, par exemple. À l'image de ce « stade vêtu de blanc » et illuminé qu'on découvre au recto de la pochette, dont Olivier Benoit dit qu’il « crée le lien entre la ville, le texte et la musique ». Europa Oslo est un disque qu'il faut laisser venir vers soi, patiemment. Ce à quoi nous invite par exemple « Oastracism », en ouverture de ce quatrième voyage.

    L'Orchestre fait une fois de plus la démonstration de sa capacité à agencer dans un même continuum une vue microscopique, parfois bruitiste et sa vision panoramique de la musique : « Intimacy » est le meilleur exemple de ce glissement, qui commence par le frottement croisé des cordes, celles de la guitare d'Olivier Benoit et du piano de Sophie Agnel, pour laisser la place au chant limpide de Maria Laura Baccarini avant un tutti majestueux caractéristique de cette formation qui – c’est un avis personnel – est sans nul doute le plus fascinant de tous les ONJ. Et puis il y a ce groove, tenace et entêtant vers lequel l’orchestre revient toujours, comme une nécessité nourricière. La deuxième partie de « An Immoveable Feast » ou de « Sense That You Breathe », presque métronomique, poussée par les rondeurs de la basse de Sylvain Daniel ou le final de « Ear Against The Wall » témoignent de cet appétit. Ou encore « Ear Against The Wall » et la pulsation machinique élaborée par les claviers de Paul Brousseau et la batterie d’Éric Échampard.

    Plus que jamais, l'ONJ se présente comme un collectif, une entité extrêmement généreuse, qui sait toutefois accorder le temps nécessaire à quelques interventions solistes, peut-être moins nombreuses qu'au cours des trois précédentes étapes, mais d’une inventivité débridée qui dit beaucoup du plaisir profond ressenti par chacun des protagonistes de cette histoire : Paul Brousseau sur « Ear Against The Wall », Alexandra Grimal sur « Sense That You Breathe », Hugues Mayot sur « A Sculpture Out Of Tune », Fidel Fourneyron sur « An Immoveable Feast », Fabrice Martinez sur « Det Har Ingenting Å Gjøre » ou encore Olivier Benoit, rocker flamboyant, libre et aérien sur « Intimacy » (mais quel bonheur celui-là, quel bonheur quand il s’y colle...).

    On connaissait Maria Laura Baccarini, notamment depuis les disques All Around et Furrow avec la complicité de son cher Régis Huby ; on savait toute son expressivité dramatique : écoutez Gaber, Io e le cose si vous avez besoin d'être convaincus. Elle est ici chanteuse, mais aussi récitante des mots de Hans Petter Blad qui a travaillé en étroite collaboration avec Olivier Benoit à l'écriture de cette nouvelle fresque. Il y a chez elle une manière particulière d'habiter les textes, presque théâtrale (n’oublions pas qu’elle est aussi une actrice), qui évoque parfois la présence magnétique de Dagmar Krause au temps d'Henry Cow dans les années 70 (c’est particulièrement saisissant sur « A Sculpture Out Of Tune » ou « Glossary »). Maria Laura Baccarini transporte la vie dans son chant ou dans les phrases qu’elle respire au creux de notre oreille (« Sense That You Breathe »). Quelle belle idée de l’avoir associée à ce dernier parcours.

    Je ne voudrais pas terminer la rédaction de cette note sans souligner le bonheur ultime des cinq dernières minutes de « Pleasures Unknown », car cette conclusion bonus du disque commencée dans un climat étale est époustouflante de beauté, comme si l’ONJ nous prenait à témoin de sa détermination sans faille depuis le début de son histoire. À faire dresser les poils sur les bras... Ni sans avoir pris le temps de citer, une fois encore, tous les musiciens d’un Paris Oslo aussi beau qu’on pouvait l’espérer. Olivier Benoit (composition, guitare) ; Hans Petter Blad (textes) ; Maria Laura Baccarini (voix) ; Jean Dousteyssier (clarinettes) ; Alexandra Grimal (saxophone ténor) ; Hugues Mayot (saxophone alto) ; Fidel Fourneyron (trombone) ; Fabrice Martinez (trompette et bugle) ; Théo Ceccaldi (violon) ; Sophie Agnel (piano) ; Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse) ; Sylvain Daniel (basse électrique), Éric Échampard (batterie, électronique).

    Cet ONJ me manque déjà parce que je sais qu'il va bientôt parvenir au terme de sa trop courte vie (Europa Paris, le premier volet, fut publié en juin 2014, c’était hier). J'en viens à espérer qu'il continuera d'exister, sous une identité différente. Il lui reste tant d’histoires à raconter, tant de voyages à entreprendre. Tu m'entends, Olivier ? Vite, dis-moi quelque chose, promets-nous d’autres périples aussi passionnants. Vite...

  • Ich bin Berliner

    COVER-EUROPA-BERLIN.pngJe reviendrai prochainement sur ce disque, à la fin du mois très probablement, une fois que j’aurai, sinon épuisé toutes ses richesses, du moins consacré encore plus de temps à en parcourir les trésors. Mais pour l’avoir reçu aujourd’hui même et déjà écouté deux fois de façon attentive, je ne résiste pas à la tentation d’une rapide évocation. Europa Berlin est la deuxième production discographique de l’ONJ sous la direction d’Olivier Benoit, après Europa Paris en 2014. Un disque que j’avais évoqué ici-même ainsi que dans les colonnes du magazine Improjazz de mon camarade Philippe Renaud.

    Et si je ressens le besoin d’en parler sans attendre, c’est tout simplement parce que sa découverte m’a inspiré une réflexion, instantanée. Celle-ci s’est imposée à moi et j’ai pensé qu’il était bon de la partager avec vous.

    Voici en effet près de 45 ans que j’écoute de la musique de façon quotidienne et intensive. Je suis passé par bien des étapes, qui n’ont jamais exclu les précédentes, dans un processus de sédimentation et d’élargissement de mes maigres connaissances. Rock, rock progressif, jazz rock, jazz, musiques minimalistes, musiques ethniques, musique contemporaine, sans oublier ce qu’on appelle musique classique, à des doses plus limitées toutefois mais ô combien enrichissantes.

    Or, je m’aperçois que les 74 minutes de cette nouvelle aventure au cœur d’une capitale européenne contiennent tout, je dis bien tout, ce que je cherche en musique depuis si longtemps et que je ne trouve la plupart du temps que sous la forme de bribes qu’il me faut ensuite assembler. C’est pour moi comme un miracle... L’énergie un peu sauvage et électrique du rock ; les élans du jazz au sens le plus large du terme, qu’il s’exprime par le biais de thèmes exposés avec beaucoup d’ampleur (et de luxuriance aussi, ce qui renvoie aux heures nobles du rock progressif), par des arrangements complexes mais toujours justes ou par la densité d’interventions solistes urgentes et pleinement habitées par les musiciens en action ; les motifs sériels et envoûtants nourris par l’école dite minimaliste ; le recours à un bruitisme qui nous rappelle que le processus de création musicale est aussi à comprendre comme un laboratoire, où rien n’est jamais fini, où tout se joue sur le fil du rasoir. Oui, tout est là, dans Europa Berlin, en pleine fusion, dans ce disque choral qui chante notre vie d’aujourd’hui. Preuve, s’il en était besoin, qu’une formation institutionnelle peut engendrer un art neuf, combinaison parfaite d’exigence et de vibration ontologique.

    Pour cette raison, je voulais aujourd’hui même exprimer toute ma gratitude à Olivier Benoit (direction, composition, direction artistique), Bruno Chevillon (contrebasse, basse électrique), Jean Dousteyssier (clarinettes), Alexandra Grimal (saxophone ténor), Hugues Mayot (saxophone alto), Fidel Fourneyron (trombone), Fabrice Martinez (trompette), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse, effets), Eric Echampard (batterie). Merci enfin à Emmanuelle Rogeau de m’avoir permis, un peu à l’avance, de me repaître d’un tel festin.

    J’y reviendrai, c’est promis !

  • Dix galettes plus une et un coup de maître...

    Je me demande si j’ai raison... Peut-être suis-je sous l’influence de quelques-uns de mes camarades qui, nonobstant la vacuité de l’exercice, ne résistent pas à la tentation de produire une liste de disques de l’année. Je vais faire comme eux, je serai injuste comme eux et j’aurai au préalable mesuré à quel point mon « Top 10 » est une modeste goutte d’eau dans l’océan de la musique. Tant pis. Et que les oubliés me pardonnent, ils savent que je pense à eux et que la seule méthode à laquelle je me suis astreint à consisté à fermer les yeux pour laisser remonter à la surface des moments forts ressentis durant toute l’année. 2014 : au minimum 200 disques à découvrir (et je suis un piètre amateur comparé à certains...) parmi... combien déjà ?

    Alors, allons-y gaiment et dans l’ordre alphabétique... J’accompagne chaque disque sélectionné d’un court extrait d’une de mes chroniques. 

    Alban Darche & L’Orphicube : Perception Instantanée

    darche-alban_orphicube_perception.instantanee.jpgMusique grande classe, comme la bande son d’un film aux accents nostalgiques qui aurait été tourné en noir et blanc pour mieux souligner les éclats invisibles du quotidien et en révéler la part de magie. L’Orphicube vous transporte avec son ingéniosité génétique - encore une fois, cet orchestre a un son qui lui appartient totalement, sui generis, comme on dit - et sa forte dose d’onirisme.
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    Stéphane Kerecki Quartet : Nouvelle Vague

    kerecki_nouvelle_vague.jpgStéphane Kerecki endosse le rôle d'un passeur pacifié qui ne vise qu'un seul objectif : réenchanter des histoires dont tous les secrets n'avaient, on s’en rend compte grâce à lui, pas encore été dévoilés. En levant le voile sur ses propres visions, il nous propose un embarquement dans son imaginaire cinématographique et c'est un bonheur de le laisser faire… avec un grand sourire dans le regard.
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    Christophe Marguet & Daniel Erdmann : Together, Together !

    marguet_erdman.jpgTogether, Together! n’est pas de ces disques qu’on écoute avec passivité ; il fait plutôt partie des instants d’équilibre un peu miraculeux, dont on connaît la fragilité, et qu’on ne veut pas laisser filer entre ses doigts. On laisse approcher la musique, on lui accorde tout son temps, pour qu’elle nous souffle ses délicatesses au creux de l’oreille. Musique sensuelle, on vous dit !
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    Iain Matthews : The Art Of Obscurity

    Mathews_Iain_Art_Of_Obscurity.jpgDans un climat d'une grande sobriété, on retrouve avec ce beau disque l’essentiel de ce qui fait tout son pouvoir de séduction, comme si Matthews jouait la carte de l’épure et de l'intemporel en se disant qu’eux seuls disent le vrai : au service de son art, une instrumentation légère composée de guitares (acoustique et électrique), d'un piano électrique (ou d'un orgue) et d'une basse.
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    ONJ Olivier Benoit : Europa Paris

    onj_paris_europa_200X200.jpgUn chef d'œuvre ? Le temps parlera, mais après tout, ne suffit-il pas de dire que la manière avec laquelle Olivier Benoit, entouré d’une équipe soudée, est parvenu à synthétiser toutes les musiques qui l'habitent depuis des années, est admirable ? Au point de donner vie à un idiome dont on attend dès à présent les prochaines pulsations, celles qui résonneront des échos d'une autre capitale européenne, Berlin.
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    Emile Parisien Quartet : Spezial Snack

    spezial_snack.jpgOn a beau chercher, regarder derrière soi ou même de côté, il faut bien se rendre à l’évidence : ce disque sans équivalent est une nouvelle pépite, une pierre précieuse, tout juste polie au sens où ses audaces la rendent heureusement irrévérencieuse. Le quartet d’Emile Parisien est âgé d’une petite dizaine d’années et sème sur son chemin de sacrés cailloux. Sa musique, aussi singulière et intrigante que les titres de ses disques, n’a certainement pas fini de nous sidérer.
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    Vincent Peirani & Emile Parisien : Belle Epoque

    belle_epoque.jpgC’est incroyable qu’on puisse être à la fois si jeune et porteur des horizons sans cesse réinventés d’une histoire de la musique du XXe siècle, que Vincent Peirani et Émile Parisien semblent connaître depuis toujours, comme si elle coulait dans leurs veines. Un disque fédérateur qui s’adresse aux amoureux du jazz, de la chanson, de toutes les musiques impressionnistes, des musiciens vibrants et dont on ne finit jamais de contempler les beautés exposées.
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    Sylvain Rifflet & Jon Irabagon : Perpetual Motion

    rifflet_irabagon.jpgVoix, sons métalliques ou électroniques, bruits de rue, chant naturel des instruments : cette polyphonie, qui célèbre Moondog avec autant d’inventivité que de respect, séduit d’emblée. En imaginant Perpetual Motion, Sylvain Rifflet, Jon Irabagon et leurs complices sont allés bien au-delà de l’hommage : ils expriment une fusion totale entre le génie d’un compositeur et leur art propre, qui se refuse à toute limite. Et surtout pas celle de leur imagination.
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    Henri Roger & Noël Akchoté : Siderrances

    Siderrances.jpgSiderrances est un disque auquel on doit s’abandonner… Loin des urgences de notre monde, il offre son temps long (le deuxième disque ne comporte que deux titres, respectivement de 20 et 32 minutes) et laisse aux deux protagonistes le loisir d’engager une conversation de l’intime qui, jamais, ne nous laisse de côté. Là est sa grande force : il nous parle au creux de l’oreille dans sa langue propre, mais très empathique.
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    The Man They Call Ass : Sings Until Everything Is Sold

    the-man-they-call-ass-sings-until-everything-is-sold-500-tt-width-360-height-342-crop-1-bgcolor-000000.jpgHasse Poulsen, cet homme qu’on appelle Ass, chante le désenchantement, celui d’un monde menacé par l’épuisement de ses ressources vitales, elles-mêmes objets de commerce. Souhaitons que son inspiration, en tout cas, ne se tarisse jamais, car un songwriter de premier plan doublé d’un magnifique chanteur vient de voir le jour, et s’expose enfin après de longues années de maturation.
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    Avez-vous lu le titre de cette note ? Parce qu’un onzième disque a pris place dans ma tête il y a quelque temps, depuis le jour où Olivier Bogé m’a donné à écouter Expanded Spaces, son prochain disque (et troisième en tant que leader après Imaginary Traveler et The World Begins Today) qui ne sera publié chez Naïve qu’au printemps 2015. Le saxophoniste compositeur s’y révèle aussi pianiste, guitariste et vocaliste ; surtout, il prend le risque de faire sauter les barrières stylistiques en s’écartant radicalement de l’esthétique du jazz. Ce disque de l’épure est le reflet d’une passion qui transporte ses mélodies limpides pour les élever au rang d’hymnes à la fraternité. Olivier m’a demandé d’écrire le texte qui figurera sur la pochette d’Expanded Spaces et je l’en remercie infiniment. Alors forcément, j’en reparlerai, mais j'avais envie de l'annoncer sans attendre.

    henri_roger.jpgVoilà pour ce petit exercice de style que je ne saurais conclure sans décerner un « Coup de Maître » à un musicien ami qui aura beaucoup donné cette année, et que je tiens absolument à saluer. Henri Roger a non seulement publié le magnifique Siderrances en duo avec Noël Akchoté, mais il nous aura gâtés à maintes reprises en 2014 sur le précieux label Facing You / IMR : en solo (Sunbathing Underwater), en quartet hommage à Pierre Soulages (Parce Que) ou en trio aquatique avec Benjamin Duboc et Didier Lasserre (Parole Plongée). Et je crois avoir compris que le pianiste guitariste improvisateur a décidé de continuer sur cette belle lancée. Vas-y Henri, ne te gêne surtout pas !

  • # NJP2014, échos des pulsations / 3

    Voici venu le temps d’une première visite au Théâtre de la Manufacture pour une soirée qui promettait de faire le choix des chemins de traverse et des embardées plutôt que de célébrer un jazz à la papa. Objectif atteint, public satisfait. Que demander de plus ?

    Puisez quelques musiciens dans la marmite Emil 13, plus précisément la moitié d’un Bernica Octet et vous obtenez Ark 4, soit Jean Lucas (trombone), Pierre Boespflug (claviers), François Guell (saxophone alto) et Christian Mariotto (batterie). Et comme si cette quarte d’électrons libres – passés maîtres dans l’art de la construction collective de formes où l’improvisation est le ciment de compositions jouées dans un ordre non défini à l’avance – ne suffisait pas, n’hésitez pas à épicer le tout en saupoudrant  deux autres musiciens épicés et néanmoins estampillés Orchestre National de Jazz. Olivier Benoit d’abord, son actuel directeur, un guitariste incisif qui nous a impressionnés voici quelques mois avec la publication d’un fascinant Europa Paris, premier volet des pérégrinations de l’ONJ en direction des grandes capitales d’Europe. Hugues Mayot enfin, saxophoniste de cet orchestre décidément pas comme les autres et instrumentiste rompu à l’exercice périlleux des musiques improvisées. Tous les ingrédients étant réunis, vous voici en route pour une aventure aux parcours rendus surréalistes, tant par la présence de textes énigmatiques où il sera question, par exemple, d’observer le paysage depuis sa douche, que par la volonté de faire feu de tout instrument, quitte à lui faire subir quelques outrages pour lui en extirper d’autres sonorités (trombone démonté, saxophone sans bec, …). Mais surtout, ce qui émerge au fil des minutes d’un tel concert fouineur, c’est la faculté des musiciens de se retrouver, pas à pas, après s’être cherchés par tous les moyens nés de leur imagination à saveur bruitiste, avant de s’unir autour d’un thème fédérateur interprété en puissance. Là est la force des musiciens d’Ark 4 et leurs invités d’un soir : d’abord susciter la curiosité par l’exposition de formes sonores qui semblent disparates (et non dénuées d’humour), puis retenir l’attention du public par leur assemblage final. Comme un collage qui, dans sa version ultime, finit par dessiner un tableau. Un groupe tout autant musical que pictural, quand on y songe.

    #NJP2014_Olivier_Benoit.jpg
    Olivier Benoit

    Ark 4 et invités

    Christian Mariotto (batterie), Jean Lucas (trombone, voix), François Guell (saxophone alto, voix), Pierre Boesgflug (claviers), Olivier Benoit (guitare), Hugues Mayot (saxophone ténor).


    MONUMENTAL ! Il faut quelques secondes seulement pour savoir que le Supersonic de Thomas de Pourquery va offrir l’un des grands moments de Nancy Jazz Pulsations 2014. Il y a quelque chose qui ressemble à un commando dans cette formation tonitruante qui a su, avec son récent Plays Sun Ra, rendre plausible l’idée qu’on pouvait pénétrer aisément l’univers pourtant cosmicomplexe de l’Arkestra. J’avoue très honnêtement faire partie de ceux qui n’ont, pour l’instant, pas réussi à trouver la porte d’entrée de Sun Ra – plus de 200 albums au compteur de ce pianiste compositeur un peu déjanté, imaginez le défi – qui aurait fêté des 100 ans cette année et fut, souvenons-nous en, l’une des têtes d’affiche de la première édition de NJP en 1973. Mais Thomas de Pourquery est un passeur, un showman rubicond et facétieux de la transmission de son patrimoine ésotérique ; un héritage foisonnant qu’il transforme pour mieux le restituer sous la forme de standards chantés et chahutés, dans une grande fête aux allures de fantaisie débridée. Il faut dire que l’équipe dont il est entouré a de quoi soulever des montagnes : qu’il s’agisse des soufflants que sont Laurent Bardainne (saxophone) ou Fabrice Martinez (trompette), le premier plus convulsif, le second plus volontiers porté sur une approche mélodique. Et que dire d’Edward Perraud, dont on savait que la gestuelle était à elle-seule un spectacle à part entière ? Ce batteur fascinant ne connaît jamais l’immobilité (après le concert, Thomas de Pourquery m’a laissé entendre que si, peut-être, pendant son sommeil… Et encore, pas sûr !) et fait le show assis, debout, en lançant si nécessaire baquettes et mini cymbales. De leur côté, les claviers d’Arnaud Roulin lancent des appels cosmiques pendant que la basse électrique (utilisée parfois avec un archet, ce qui est peu courant) de Fred Galiay gronde jusqu’au rugissement final d’une « Watusi Egyptian March » pendant laquelle le public sera sommé de chanter. Le leader altiste mène sa troupe avec enthousiasme, pratique avec eux l’accolade camarade et passe, sourire aux lèvres, du saxophone au chant. Le temps file à la vitesse de l’éclair dans cet espace supersonique. Parfois, une pause s’impose et ce sera « Love In Outer Space », une sorte de chanson d’amour à dimension spatiale, chantée à trois voix. Le groupe reviendra pour un rappel tout aussi vocal et un « Enlightenment » final, jusqu’à l’extinction progressive de son chant heureux. Le Théâtre de la Manufacture, quasi plein, a fait un drôle de voyage. Thomas de Pourquery et ses acolytes ont signé là un concert explosif et vitaminé : qu’ils en soient mille fois remerciés.

    #NJP2014_Thomas_de_Pourquery.jpg
    Thomas de Pourquery

    Thomas de Pourquery & Supersonic

    Arnaud Roulin (claviers, piano, chant), Edward Perraud (batterie, chant), Fred Galiay (basse, chant), Fabrice Martinez (trompette, bugle, chant), Laurent Bardainne (saxophone ténor, chant), Thomas de Pourquery (saxophone alto, chant).

    Disque associé : Plays Sun Ra (Quark, 2013)

  • Étonnez-moi, Benoit !

    onj_paris_europa_200X200.jpgEt pan sur le bec ! À force d'entendre une poignée d'acrimonieux s'acharner sur une vidéo bruitiste dans laquelle un guitariste connu pour son refus des dogmes et son ouverture d'esprit – du petit au grand format, appliquée au jazz, au rock, à la musique contemporaine, à l’électronique et aux musiques improvisées – se mettait en scène lui-même ; à force de les voir faire semblant d'oublier son travail dans le collectif Muzzix, et certaines de ses expériences pluridisciplinaires telles que La Pieuvre ou le Circum Grand Orchestra*, deux grands ensembles qu’il avait réussi à réunir dans la minéralité du Feldspath, ou ses contributions décisives à certains disques (comme le Family Life Quartet de Jacques Mahieux ou Furrow de Maria Laura Baccarini, ce sont là deux illustrations à la volée) ; à force de les entendre ratiociner et relancer une fois encore le débat stérile et passéiste de la définition d’un « vrai » jazz alors qu’il s’agissait plutôt de regarder devant soi ; à force de ne pas comprendre cette manière de dénigrer par avance sa nomination à la tête de l'ONJ… quelques-uns d'entre nous, y compris les moins connaisseurs de son passé – mais très vite lassés par ces attaques injustifiées – en étaient venus à se laisser contaminer par un a priori symétrique et bienveillant à l'égard d'Olivier Benoit.

    Désolé de le dire ici avec une pointe d'autosatisfaction, mais les faits sont là qui donnent raison à ceux qui n’avaient manifesté ni inquiétude ni agressivité vaine. Avec la publication de Paris Europa, double album choc captivant tout au long de ses quatre-vingt-douze minutes, la réponse de l'Orchestre National de Jazz 2014 est cinglante. Amis scrogneugneux, enfouissez vos aigreurs dans votre poche et posez votre mouchoir par-dessus : ce disque est un des temps forts de l'année (et probablement de la décennie) ; il s'avère au fil des écoutes une source de richesses, une caverne d’Ali Benoit, qu'on n’épuise pas en quelques écoutes, même les plus attentives. Europa Paris est à sa façon un monument : un constat assez logique puisque cette musique a quelque chose à voir avec l'architecture, Olivier Benoit aimant rappeler qu’il réfléchit « sur les concepts d’espace avant d’essayer de leur donner des formes musicales ». C’est un disque qui, de plus, ne souffre en rien d'avoir été composé dans un laps de temps assez court. Si le guitariste a imaginé chacun des mouvements en cherchant à définir une ligne personnelle, tout en prenant en compte la personnalité des solistes qui devaient s'y illustrer, l'impression d'ensemble et la cohésion ne s'en trouvent nullement affectées. Bien au contraire, la sélection des musiciens qui composent l'ONJ, fruit d'un travail associant son nouveau directeur à Bruno Chevillon, ne doit absolument rien au hasard ; elle est l’aboutissement d’une réflexion sur l’équilibre à trouver « en termes d’esthétique, mais aussi d’expérience et de génération » (32 ans séparent le membre le plus jeune du plus âgé). Onze musiciens sont ainsi unis pour le meilleur et pourraient bien marquer notre époque de leur empreinte. Savourons donc le plaisir qui nous est offert de vivre cet événement à leurs côtés !

    Paris Europa se décline en six parties aux durées très variables (moins de quatre minutes pour « Paris VI » jusqu'à plus de quarante-quatre pour « Paris II », longue suite elle-même organisée en dix mouvements) et projette une myriade d'images qui accordent peu de place au repos. Scènes de nuit, scènes de jour, mouvements de foule, déplacements, trains de banlieue, dialogues ou monologues, courses poursuites, stridences urbaines, danses hypnotiques... une frénésie de ville, quoi ! Pas un seul instant la tension ne retombe tout au long de cette visite guidée ; on se dit qu'Olivier Benoit et son orchestre ont voulu abattre d'emblée le maximum de cartes sur la table afin de présenter dans ce premier panorama le champ de leurs possibles. Aux tutti où l'ONJ fait montre de sa force collective et impose de magnifiques textures sonores mêlant les instruments à vent aux cordes du piano et du violon, vont succéder des échanges où les instruments s'agrègent en combinaisons variables animées de mouvements cycliques, se répondent en motifs sériels dessinés par des déphasages rythmiques hérités du travail de Steve Reich ; guitare et claviers endossent le costume de designers sonores avides de perturbations atmosphériques et de fractures électriques ; la pulsion imprimée par le duo formé de la contrebasse (ou la basse) et de la batterie parle un jazz dont l'accent est aussi celui du rock, avant qu'un impromptu aux couleurs chambristes ou bruitistes ne lui reprenne la parole pour imposer son échappée improvisée. Cette profusion de sources d'inspiration et d'héritages assumés, qui pourrait n'être qu'un maelstrom indigeste en des mains moins expertes, devient luxuriance et suscite une adhésion sans réserve, par sa capacité d'assimilation et de (re)création. L'ONJ invente sa musique, il nous accorde le privilège d’assister à la naissance d’un processus artistique. Les solistes, quant à eux, sont habités par une frénésie de mouvement qui pourrait être celle des commuters, leurs chorus prennent tour à tour la forme de ballades rêveuses ou de noueuses improvisations, quand ils n’expriment pas un cri.

    Disque d'interaction permanente à la mise en scène savante, Paris Europa est un manifeste libertaire, une déclaration d'imagination collective qui souligne avec acuité les talents de chacun des membres de l'ONJ. Aux côtés d'Olivier Benoit, il faut les citer tous (ici dans l'ordre alphabétique, le seul qui ne soit pas injuste) : Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (Fender Rhodes, synthétiseur basse, effets), Théo Ceccaldi (violon, alto), Bruno Chevillon (contrebasse, basse électrique), Jean Dousteyssier (clarinettes), Eric Echampard (batterie), Fidel Fourneyron (trombone, tuba), Alexandra Grimal (saxophones ténor et soprano), Fabrice Martinez (trompette, bugle), Hugues Mayot (saxophone alto).

    Le choix des mots n'est jamais simple : sommes-nous là en présence d'un chef d'œuvre ? Le temps parlera, mais après tout, ne suffit-il pas de dire que la manière avec laquelle Olivier Benoit, entouré d’une équipe soudée, est parvenu à synthétiser toutes les musiques qui l'habitent depuis des années, est admirable ? Au point de donner vie à un idiome dont on attend dès à présent les prochaines pulsations, celles qui résonneront des échos d'une autre capitale européenne, Berlin.

    Une seule réserve, mineure car elle porte sur un aspect formel de l’objet disque : si le digipack est élégant, on est un peu désemparé face à la sécheresse de son contenu. Liste des titres et des musiciens, quelques informations pratiques et c’est tout. On aurait aimé des détails supplémentaires, que cette histoire nous soit racontée dans son déroulement, juste pour le plaisir d’en apprendre encore un peu plus.

    Mais c’est bien peu par rapport à tout le reste... Alors, Paris Europa, un disque électrisant ? Un temps fort de l’histoire du jazz contemporain ? Pour le coup, ça ne fait aucun doute.

     

    * Dont le nouveau disque intitulé 12 - enregistré cette fois sous la férule du bassiste Christophe Hache – est de toute beauté et sera prochainement évoqué ici.