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bruno tocanne

  • Images innées

    Chroniques de l'imaginaire.jpgLorsqu’à la fin de l’année dernière, Jean-René Mourot m’a contacté pour me demander si j’accepterais d’écrire le texte devant figurer sur un disque qu’il venait d’enregistrer (ce qu’on appelle parfois les liner notes), j’ai accepté sa proposition sans hésiter. Et pourtant, je connaissais à peine le pianiste (j’avais seulement lu dans Citizen Jazz sous la plume de mon collègue Olivier Acosta la chronique de son disque en solo), pas plus qu’il ne me connaissait lui-même. Mais il se trouve que mon nom (et donc mon éventuelle contribution) lui avait été soufflé par un certain Bruno Tocanne, batteur au sujet duquel j’ai déjà beaucoup écrit, ici-même ou pour Citizen Jazz ; voilà en effet un musicien que je tiens pour un des acteurs les plus attachants de la scène jazz contemporaine (précipitez-vous sur le Canto de Multitudes, magnifique disque publié sur Le Petit Label pour lequel il s’est associé au trompettiste Rémi Gaudillat et quelques autres camarades, en attendant au mois de décembre l’événement Over The Hills que j’ai déjà évoqué ici-même).

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  • Collines inspiréees

    Il n’entre pas trop dans mes habitudes de vous alerter sur des projets dont la réalisation passe par le soutien matériel (sonnant et trébuchant, donc) de son public potentiel. Pourtant, j’aimerais déroger ici à ce règlement personnel en vous proposant de découvrir, encourager et, si possible, aider un travail dont je sais qu’il aboutira à un disque important.

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  • Noir c’est Outrenoir, il y a de l’espoir...

    henri roger, bruno tocanne, eric-maria couturier, emmanuelle somer, parce que, Jamais deux sans trois. Fin avril, il était question ici d’un trio en immersion qui nous avait invité à partager sa Parole Plongée de toute beauté. Un peu plus loin, il y a exactement un an jour pour jour, j’évoquais déjà l’univers extra-ordinaire (je mets volontairement un tiret au mot pour bien faire comprendre que cette musique sort de l’ordinaire tant par le fond que par sa forme) dessiné par la musique improvisée  du pianiste Henri Roger à l’occasion de la parution de deux albums vinyle (complétés par un CD), le solitaire Exsurgences et la « Sérieuse Improvised Cartoon Music » de When Bib Bip Sleeps, disque ébouriffé enregistré avec de précieux camarades, dont deux, le batteur Bruno Tocanne et le violoncelliste Eric-Maria Couturier sont à nouveau impliqués dans Parce Que ! publié chez IMR, un disque inspiré par la peinture de Pierre Soulages. Avec eux, Emmanuelle Somer, hautboïste dont la réputation en matière d’improvisation n’est plus à faire et qui joue ici également de la clarinette, du cor anglais et du saxophone.

    Il n’y a pas de hasard... J’ai découvert la peinture de Pierre Soulages au cours de l’été 2012, quand une exposition lui avait été consacrée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon qui présentait une sélection d’œuvres inédites. Un choc pour moi, une plongée – c’est à mon sens le mot qui unit le mieux les deux univers artistiques dont il est question ici – dans un infini presque mystique d’où la lumière surgit d’un noir dominant (Soulages définit lui-même son noir comme un « noir lumière »), parfois parcouru de reliefs calligraphiques que le regard discerne petit à petit, tous sortis de l’imaginaire clair-obscur de celui qui dit ne pas vivre quand il ne peint pas. Les tableaux sans titre – aux dimensions souvent majestueuses – de Pierre Soulages se reçoivent presque d’un seul coup d’œil, avant qu’on ne cherche à les sonder, à questionner leurs profondeurs, leur matière et les ouvertures qu’ils offrent au regard vers un au-delà impénétrable, sans qu’on éprouve le besoin premier de les comprendre. On n’explique pas la peinture de Soulages, on la ressent, on s’immerge en elle et les considérations techniques, pour passionnantes qu’elles soient, ne doivent pas être un préalable à leur perception. C’est une peinture éminemment vibratoire, presque de l’instinct, porteuse d’une émotion intense et qui ne saurait être assimilée à une forme quelconque d’abstraction.

    Souvenir aussi, lors de ma visite, de cet homme disant à sa femme : « Tu me donnes un pinceau et un pot de peinture et j’en fais autant ! » Eh ben vas-y mon gars, fais-en autant, montre-nous donc tes œuvres bas du front, on verra bien ce que tu sais faire. Ou plutôt, tais-toi, observe en silence si tu en es capable, prends du recul... et puis non, va plutôt faire tourner les serviettes !

    Dans ces conditions, comment s’étonner qu’un musicien comme Henri Roger puisse passer à côté de cet univers aussi profond, celui de l’Outrenoir – au-delà du noir – auquel le peintre s’est consacré presque exclusivement depuis les années 70 ? Lui, musicien de l’éveil qui aime tant le registre grave de son piano, n’aurait-il pas quelque apparentement créatif avec un Soulages concentré sur le noir au point qu’il n’est pas pour lui question d’en imaginer la ligne d’horizon ? Et la naissance de cet au-delà du noir qui a quelque chose à voir avec le hasard n’est-elle pas, de son côté, une cousine de l’improvisation ? Toutes ces passions partagées devaient forcément converger. Alors Henri Roger a relevé un nouveau défi en invitant dans un premier temps les trois explorateurs cités un peu plus haut à s’approprier l’univers de Soulages par la découverte de quelques uns de ses tableaux sur internet, puis en les conviant à une séance en studio à Antibes au mois de novembre 2013. Chacun était là pour apporter, sinon ses propres couleurs, du moins ses nuances, ses motifs, ses traits d’union et ses formes sonores spontanées.

    Le résultat est fascinant, mystérieux aussi par sa dimension elliptique (encore une fois, il ne s’agit pas pour les musiciens de tout expliquer et c’est tant mieux pour nous). Attention cependant : j’en déconseille la diffusion inopinée à toute personne qu’on aurait omis de prévenir de ce qui l’attend, un peu comme mon visiteur narquois qui comparait volontiers son talent à celui de Pierre Soulages. Cette musique n’est ni chant ni même mélodie, elle peut effaroucher – mais ce serait bien dommage – parce qu’elle est une masse ombrageuse qui avance vers vous, nocturne, animée de mouvements à la fois lents et inexorables. Henri Roger, une fois de plus, se concentre sur la partie gauche de son clavier, il sculpte la matière première, celle du grave, qu’on peut comparer à des à-plats de noir : c’est elle qui crée la tension tout au long des cinq mouvements du disque dont les titres méritent d’être cités en raison de leur caractère pictural.  « Traces Ouate », « Coulures Apparences », « Signe Banquise », « Ratures Brumes » et « Griffure au fond » (une fois acheté ce disque, vous pourrez obtenir tous les détails en scannant le flash code au dos de la pochette minimaliste ; il vous conduira au bon endroit). Les trois comparses du pianiste, eux, superposent leurs tracés et imposent un relief nerveux, des mouvements dans le mouvement. Bruno Tocanne, dont on ne vantera jamais assez les qualités impressionnistes, trouve ici un nouveau terrain d’expression et suggère ses motifs en apposant de petites touches qui s’entrecroisent amoureusement avec les dissonances du violoncelle d’Eric-Maria Couturier qui, elles, sont autant de stries et d’ouvertures vers la lumière, tandis que les ébullitions nées des anches d’Emmanuelle Somer rendent la matière sonore presque palpable et en révèlent la nature organique. Mais parfois, ces trois-là prennent l’initiative des premières nuances, comme sur « Signe Banquise » : cette fois, le piano se garde d’intervenir immédiatement, il laisse aux autres instruments le soin d’inventer leurs propres nuances avant d’entrer avec eux dans une danse toute en sinuosités rampantes.

    On ne peut pas résumer cette expérience passionnante au moyen d’une poignée de phrases : à l’instar de la peinture de Soulages - que celui-ci se plaît à définir comme « l'état d'absence de mots » - il faut se confronter à elle, s’en approcher, la humer, être gagné par le désir de la toucher et l’accepter comme elle se présente, dans son mystère et la fascination qu’elle exerce par tout ce qu’elle ne dit pas d’emblée et laisse entrevoir au-delà de la musique. C’est là son côté Outremusique, probablement... D’un point de vue pratique, on peut suggérer son écoute au casque ou à fort volume, la tête entre les enceintes. Immersion garantie !

    J’ai la chance de connaître personnellement Henri Roger, j’ai déjà eu l’occasion de le rencontrer et nous échangeons souvent nos impressions. Malgré la distance, nous sommes devenus comme des camarades des temps modernes, tous réseaux et messageries déployés, et j’ai voulu lui poser une question très simple : pourquoi Soulages ? Bien entendu, j’ai interdit la réponse qu’il risquait de me renvoyer parce que le monsieur n’est pas seulement talentueux, il est aussi taquin : « Parce Que ! »

    Voici donc une explication par Henri Roger himself...

    « J’ai vu des tableaux de Pierre Soulages à Beaubourg, à la FIAC, et dans quelques galeries, au fil du temps et au cours de voyages. Je ne cherchais pas spécialement à voir sa peinture, ni à en savoir plus sur lui et sa démarche, mais à chaque occasion je suis resté un certain temps devant ses tableaux avec à la fois du plaisir, de la fascination et de l’interrogation. Qu’est-ce qu’on voit, croit voir et ne voit pas, de près et de loin dans un tableau noir de Pierre Soulages ?  C’est là qu’un lien commence à se faire avec ma musique et certains peintres contemporains. Le titre de mon premier album, paru sur le label « Pôle »,  est Images. La musique de ce disque est basée sur des superpositions de nappes de sons jouées sur orgue et synthés du début des 70’s. Qu’est-ce qu’on entend en premier ? Qu’est-ce qui se distingue en arrière-plan si on écoute fort ou pas ? C’est là le parallèle que je fais au niveau des perceptions entre le visuel et le son. Pierre Soulages raconte qu’à un moment de sa vie il s’est trouvé dans une impasse devant un tableau. Il a laissé ce tableau en chantier une nuit et l’a retrouvé le lendemain dans état tout à fait autre, la peinture avait coulé et pris d’elle même l’espace, en noir. L’Outrenoir était né. On voit bien le rôle du hasard, qu’on aime dans l’improvisation, mais aussi un choix de se limiter, de se contraindre à une seule couleur. C’est pour moi, dans mon parcours, ce que je cherche à développer : les graves du piano, un exemple extrêmement fort de combinaison entre liberté et contrainte.  Le noir est aussi très présent dans ma vie : le piano à queue, la salle de spectacle, la tenue de scène avec Catherine Ribeiro notamment, la vue magique de la rade de Villefranche-sur-Mer la nuit. Relier la musique de Parce Que ! à l’Outrenoir de Pierre Soulages m’est apparu très clairement évident. C’est beaucoup plus l’aspect énergie dans les tableaux que le côté sombre mentalement, du noir, que j’aime et j’espère que ça s’entend dans le disque. »

    Oui, Henri, ça s’entend ! Je te le confirme. J’irais même jusqu’à dire que ça se voit, si j’en crois la vidéo réalisée par la camarade Anne Pesce autour d’une des compositions du disque : « Ratures Brumes ». Et je te donnerai d’autres impressions après ma visite estivale au musée Pierre Soulages de Rodez, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes.

    En attendant, je ne résiste pas au plaisir de partager un documentaire consacré au peintre. Une demi-heure pour mieux connaître ce grand monsieur. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui y est affirmé parfois de façon un peu expéditive, notamment parce que je pense qu’il faut voir cette peinture en vrai pour la ressentir vraiment ; mais c’est une entrée en matière très intéressante et dont les qualités pédagogiques sont indéniables.

    On peut aussi lire le livre d’entretiens avec Françoise Jaunin, sobrement intitulé Pierre Soulages, Outrenoir, publié par La Bibliothèque des Arts. 

    Pierre Soulages, Henri Roger : merci à vous deux de nous offrir ce luxe incomparable qui consiste à nous réjouir de broyer du noir !

  • 22, v’là les « Maîtres » !

    Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous livre le palmarès de la première cérémonie de remise des trophées qu’on appelle par ici les Maîtres. Cette soirée très privée – j’en étais à la fois le Président et l’unique spectateur – est née de mon incapacité absolue à me résoudre à l’élaboration d’une liste de mes dix albums préférés de l’année 2012. Je l’ai tenue chez moi, dans la solitude de ma perplexité, face à de cruels choix auxquels personne ne m’avait contraint. Un exercice auquel s’est déjà livré mon camarade Franpi, dont je vous invite à découvrir la sélection beaucoup plus sévère sur son blog. J’ai cru comprendre, par ailleurs, que la camarade Belette n’avait pas résisté au charme des listes...

    Mon Top Ten, comme y disent, sera un Top 22… Je dois être trop enthousiaste, certainement, et donc vite prompt à vanter les mérites d’un grand nombre de disques, au risque, peut-être, de dissoudre dans un ensemble trop vaste les qualités immenses et intrinsèques de chacun d’entre eux. Mais c’est ainsi : je me dois de partager les bonheurs que me procurent la musique et les musiciens. J’ai bien peur d’apparaître comme un béat niais, toujours prêt à imaginer que ma joie peut aussi être celle des autres. M’en fous, j’assume... Comble de malchance, je ne dispose que d’une seule vie, ce qui ne me permet pas d’écouter tout ce qui mériterait de l’être (les grands absents de ma liste sont les premières victimes de cet agenda un peu trop chargé, et croyez-moi, ils sont nombreux). Et surtout que l’on ne se méprenne pas : j’ai énormément souffert pour parvenir à cette longue liste, j’ai sous le coude un bon paquet de disques qui auraient pu, ici ou là, en pousser d’autres vers la sortie. Que leurs auteurs ne m’en tiennent pas rigueur...

    Ou peut-être que les mois qui viennent de s’écouler auront vu s’épanouir à nos oreilles des heures et des heures de musique enchantée en très grande quantité, faisant de 2012 un cru d’exception. Allez savoir…

    Je ne trouve pas de réponse à ces interrogations. Je sais aussi qu’il va s’en trouver ici ou là pour me reprocher comme l’an passé d’avoir oublié le continent américain, dont je ne méconnais pas l’importance (même si, en réalité, beaucoup de disques m’auront échappé, forcément) mais qui, finalement, n’a pas besoin de mes modestes services pour se faire connaître. N’y voyez là aucune trace d’un patriotisme de mauvais aloi, comprenez simplement que bien souvent, tout près de nous, parfois à peine un peu plus loin, c’est déjà l’abondance ! Des labels, petits ou un peu plus grands, « sans bruit », en plastique ou en « carton », parfois associés en réseaux, déploient des trésors d’imagination pour faire vivre cette Musique qui le mérite bien ! Des artistes creusent jour après jour, non sans difficultés, leur sillon pour « réaliser » leurs rêves et les partager avec nous. Je n’ai donc entrevu – ou plutôt entrécouté – qu’une infime parcelle de ce vaste terrain sur lequel tous les jeux de l’imaginaire sont possibles.

    On sera donc indulgent avec une sélection qui, finalement, n’en est pas une : elle est à prendre comme une suite de suggestions parmi lesquelles il se trouvera forcément un disque que vous aimerez. Ouvrez vos yeux, vos oreilles et votre cœur, le reste viendra naturellement… bref, gardez en vous toute la fraîcheur qui sera toujours votre alliée. L’ordre est alphabétique, parce que je ne vois aucune raison de m’astreindre à un classement...

    Alea jacta est !

    PS : in extremis, trois jours plus tard, je me suis permis d'ajouter un vingt-troisième élément que j'avais commis la grave erreur d'oublier alors qu'il a enluminé le début de l'année. Il s'agit de Soul Shelter, de Bojan Z. La mémoire a ses mystères, parfois... Ce Top 22 est en fait un Top 23 !

    Yuvai Amihai Ensemble

    cover.jpgLa musique embrasée du guitariste Yuval Amihai est portée avec ce disque à un haut niveau de chaleur. Chant, mélodie, lyrisme et tradition… C’est beau, tout simplement. Damien Fleau y rayonne au saxophone soprano. Plus

    Olivier Bogé : Imaginary Traveler

    Cover.jpgLe jeune saxophoniste a quelque chose d’un philosophe. Son premier album est en réalité une proposition – toujours mélodique et solaire – de retour sur soi. Se connaître, goûter chaque instant pour célébrer la vie. Une chance pour nous, un disque lumineux. Plus 

    Emmanuel Borghi Trio : Keys, Strings And Brushes

    keys_strings_brushes.jpgParce qu’il semble enfin lui-même, le pianiste Emmanuel Borghi frappe très juste avec un disque intime et mélodique. Sorti sur la pointe des pieds, son album mérite vraiment qu’on s’y attarde. Plus 

    Philippe Canovas : Thanks

    canovas-thanks.jpgEn toute discrétion, le guitariste Philippe Canovas offre une musique raffinée et intime. C’est peu son histoire qu’il évoque, en une vingtaine d’épisodes courts et séduisants. Plus 


    Pierre Durand : Chapter 1 NOLA Improvisations

    cover.jpgDisque presque solitaire, fruit d’un voyage initiatique à la Nouvelle Orléans entrepris par Pierre Durand dont la guitare évoque Coltrane, John Scofield et l’Afrique. Séduction immédiate. Plus 

    Electro Deluxe Big Band : Live in Paris

    E2L Live in Paris.jpgUn feu d’artifice entre soul, funk et jazz et un autre « maître », de cérémonie celui-là, en la personne du chanteur James Copley qui a fort à faire face à un Big Band furieux de douze soufflants. Ce disque devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Plus 

    Renaud Garcia-Fons : Solo (The Marcevol Concert)

    RGF-SOLO.jpgLe contrebassiste est un virtuose, on le sait. Mais habiter sa musique avec autant d’intensité est la marque des très grands. Ce concert en solitaire, où l’instrument ne rechigne pas à s’abandonner à quelques effets sonores, en est le témoignage vibrant et intemporel. Plus 

    Antoine Hervé PMT QuarKtet

    pmt_quarktet.jpgOn pensait qu’Antoine Hervé était un musicien sérieux. Il est bien plus que cela et son quartet, dynamité par Jean-Charles Richard, Philippe Garcia et la facétieuse acousmatique de Véronique Wilmart, nous prouve qu’il est un passionnant créateur. Magique !

    Daniel Humair New Reunion : Sweet & Sour

    sweetandsour.jpgLe batteur Helvète n’a certainement plus rien à prouver et pourtant, il rebat les cartes en s’entourant d’une jeune garde dont la liberté d’expression invente un menu musical savoureux et épicé. Plus 

    Stéphane Kerecki : Sound Architects

    sound_architects.jpgL’élégance de cet album est certainement celle du contrebassiste Stéphane Kerecki lui-même. Son trio est ici... un quintet, puisque Tony Malaby et Bojan Z sont aussi de la fête. La musique est habitée, la pulsation celle du cœur. Plus 

    Christophe Marguet Résistance Poétique : Pulsion

    cover.jpgLa générosité est la marque de fabrique de ce quintet qui brille de mille feux. Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Mauro Gargano (contrebasse), Bruno Angelini (piano) et Jean-Charles Richard (saxophones) entourent le batteur pour un chant… irrésistible ! Plus 

    Joce Mienniel : Paris Short Stories Vol. 1

    ParisShortStories.jpgProche de Sylvain Rifflet avec lequel il pratique l’art secret de l’encodage, le flutiste Joce Mienniel n’est pas en reste avec un disque malicieux où trois trios rivalisent d’invention pour célébrer leurs amours musicales. On veut le volume 2 de ces très bonnes nouvelles ! Plus 

    ONJ : Piazzolla !

    ONJ-Piazzolla--cover.jpgDaniel Yvinec et sa bande d’artificiers s’attaquent à un nouveau monument, Astor Piazzolla. Un tour de force où l’on n’entend pas de bandonéon ni même de tango. Et pourtant, la sensualité, celle de magnifiques textures sonores, est là. Plus 

    Anne Paceo : Yôkaï

    front.jpgLa batteuse élargit son trio, faisant appel à la solidité de Stéphane Kerecki et à la jeunesse d’Antonin-Tri Hoang. Un disque qui fait affleurer une enfance africaine très chantante. Plus 


    Pierrick Pédron : Kubic’s Monk

    cover.jpgOn l’attendait plutôt avec un troisième volet de ses aventures électriques, mais voilà le saxophoniste qui déboule dans un hommage urgent et parfaitement maîtrisé à Thelonius Monk, enregistré en quelques heures. Le jazz comme il n’a jamais cessé d’être et le sera pour longtemps encore. Plus 

    Jean-Charles Richard : Traces

    cover.jpgLe saxophoniste éclate aux côtés de Christophe Marguet (Pulsion), d’Antoine Hervé (PMT QuarKtet), mais aussi en trio pour un disque dont le titre aurait tout aussi bien pu être Empreintes tant il éclabousse de sa fougue une musique en climats aussi variés qu’intenses. Plus 

    Sylvain Rifflet : Alphabet

    pochette_v2.jpgDeux disques coup sur coup au début de l’année : d’abord de passionnants Beaux-Arts, puis cet Alphabet aux sonorités singulières, hors de toutes influences. Une création à l’état pur.  Plus 

    Rusconi : Revolution

    rusconi-revolution.jpgUn trio Helvète adepte de Sonic Youth, plutôt inclassable et éclectique, qui joue la carte d’un minimalisme mélodique très attachant. Au cœur de l’album, une longue composition, “Alice In The Sky”, avec le grand Fred Frith dans le rôle de l’invité. Plus

    Jacques Schwarz-Bart : The Art Of Dreaming

    cover.jpgQuand le rêve d’un homme devient la réalité d’un artiste. Avec ce disque, le saxophoniste parvient à une forme d’épanouissement qui confine à l’enchantement. On est à la fois heureux pour lui et pour nous tous qui profitons de cette irradiation. Plus 

    Louis Sclavis Atlas Trio : Sources

    sources.jpgLe clarinettiste n’en finira donc jamais de nous surprendre. Chaque disque est pour lui une nouvelle quête, et pour nous une formidable invitation au voyage, cette fois en trio. Du grand art. Plus 

    Claude Tchamitchian : Ways Out

    cover.jpgLe contrebassiste s’électrifie pour un album fascinant en quartet, avec Régis Huby (violon), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Un univers se modèle devant nous, quelque part entre jazz et musiques progressives. Les cordes s’entrelacent, la batterie chante. Plus 

    Bruno Tocanne : In A Suggestive Way

    inasuggestiveway.jpgPlus coloriste que jamais, attentif à ses compagnons comme toujours, le batteur rend un hommage sensible à son « héros » Paul Motian. On est là au cœur du processus de création, c’est l’essence du jazz. Plus 

    Bojan Z : Soul Shelter

    jazz,regis huby,sylvain rifflet,jean-charles richard,bruno tocanne,citizen jazzUne bonne dizaine après son Solobsession, le pianiste récidive avec un disque en solo qui n'est rien moins qu'un indispensable. Comme le dit Citizen Jazz : "Soul Shelter renferme tous les trésors d’invention et de créativité de Bojan Z, comme une goutte d’essence pure". On ne saurait être plus juste. Plus

    Aaaaah… Si j'osais… J'inventerais bien un autre trophée, une sorte de Maître d'honneur, histoire de surligner le travail de quelques artistes et de mettre en avant leur contribution décisive et abondante à la vie musicale et discographique de l'année 2012. Allez, je me jette à l'eau et je décerne ce prix à quatre funambules admirables. Et que tous les autres sachent que je pense bien à eux néanmoins !

    Une quarte majeure en quelque sorte... Reçoivent un Maître d'honneur 2012 (je les cite dans l'ordre alphabétique) :

    Régis Huby

    Il n’a pas seulement prêté l’âme de son violon au Ways Out de Claude Tchatmitchian ou aux Songs No Songs de Denis Badault. A travers son label Abalone, il faudrait parler des If Songs de Bruno Angelini et Giovanni Falzone, évoquer une fois de plus Traces de Jean-Charles Richard et Pulsion de Christophe Marguet. Un peu plus tôt, c’était Furrow de Maria-Laura Baccarini ou Cixircle du Quatuor IXI. Abondance, imagination, tout y est.

    Jean-Charles Richard

    Quelle affirmation ! Son saxophone (soprano ou baryton) rayonne de façon fulgurante sur son album Traces, mais aussi sur deux autres disques cités plus haut : Pulsion de Christophe Marguet et PMT QuarKtet d’André Hervé. Magnifique musicien, on attend la suite des aventures.

    Sylvain Rifflet

    Parce que Beaux-Arts, parce qu’Alphabet, parce que partie prenante des Paris Short Stories Vol. 1 de son complice Joce Mienniel. ! Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, l’inventeur Rifflet se doit d’être célébré avec ferveur !

    Bruno Tocanne

    Belle année pour le batteur : un duo évasion avec le pianiste guitariste Henri Roger (Remedios la Belle), une célébration de Léo Ferré avec l’i.Overdrive Trio (Et vint un mec d’outre saison) et un disque où le jazz est élevé à un degré de liberté magnifique (In A Suggestive Way).

    A l’année prochaine... ou pas !

  • Et vinrent quatre mecs d’outre musique

    C’est l’histoire d’une belle rencontre entre l’auteur compositeur Marcel Kanche et une formation magnétique aux confins du jazz et du rock, l’i.overdrive Trio.  Au cœur de leur travail de fusion, un certain Léo Ferré...

    kanche_ioverdrive.jpgJe vous dois pour commencer deux confidences : jusqu’à une époque très récente, je n’avais jamais entendu parler de Marcel Kanche. Inutile de me jeter vos reliquats de tomates à la figure, c’est ainsi, l’omniscience n’est pas ce qui me caractérise et je sais revendiquer mon inculture. Néanmoins, en bon petit soldat de la toile, je me suis penché sur sa question lorsqu’un beau matin, j’ai appris qu’il engageait une collaboration avec un groupe qui, lui, m’était tout sauf inconnu. Et là, j’ai su qu’après des études aux Beaux-Arts, notre homme avait navigué dans les eaux plus ou moins troubles et néanmoins expérimentales du rock, du punk et du jazz, et qu’on l’avait retrouvé quelque temps plus tard en collaboration avec Matthieu Chédid ou Vanessa Paradis. Il me faut également avoir l’honnêteté de préciser que si je connais, comme tout un chacun, Léo Ferré, il serait exagéré de ma part de prétendre que je pourrais vous en parler durant des heures. Bien sûr, « Jolie Môme », « C’est extra », ses hommages à Beaudelaire, Verlaine ou Rimbaud ; bien sûr, le vieux lion rugissant et anarchiste, toute crinière au vent. Mais allez savoir pourquoi, quand j’entends le nom de Léo Ferré, une image me revient : celle d’un numéro de la revue Best (en 1973, me semble-t-il) qui avait mis au tableau d’honneur de ses chroniques de disques un album appelé Il n’y a rien plus rien. Un texte enthousiaste, une pochette magnifique et... près de quarante ans plus tard, je n’ai pas encore écouté l’album. Promis, je vais me pencher sur cette affaire, il n’est jamais trop tard.

    L’i.overdrive trio, en revanche, m’a attrapé par la manche voici quatre ans lorsque Philippe Gordiani (guitare), Rémi Gaudillat (trompette) et Bruno Tocanne (batterie) ont rendu un vibrant Hommage à Syd Barrett, membre fondateur et principal compositeur du premier album de Pink Floyd, vite englouti dans le tourbillon de sa folie schizophrène. Un hommage à ce point réussi que le trio parvenait à accomplir une belle performance en s’affranchissant complètement de l’esthétique du groupe tout en préservant son univers mélodique et aussi son mystère. Le nom du trio, rappelons-le, est inspiré de « Interstellar Overdrive », une longue et urgente composition extraite de The Piper At The Gates Of Dawn, premier album du Floyd. 

    Depuis 2008, j’ai eu, par ailleurs, l’occasion de me plonger plus avant dans le travail mené par Bruno Tocanne. Ses disques s’empilent tranquillement chez moi, je ne suis pas loin de les posséder tous ; j’ai même installé chez moi un rayonnage que j’appelle ma Tocannothèque ; j’ai pu, aussi, rencontrer le musicien un beau soir du côté du Château de Montmelas Saint Sorlain et me rendre compte qu’il faisait partie de ceux dont on sait que jamais ils ne trahiront la confiance que vous pouvez placer en eux. Une amitié est née entre nous, et c’est très bien ainsi. Très prochainement, j’évoquerai In A Suggestive Way, son tout nouveau disque (à la réalisation duquel j’ai apporté un très modeste soutien matériel) qui est une petite merveille de sensibilité libertaire et intime.

    Revenons plutôt à Et vint un mec d’outre saison, un disque dont le titre est emprunté à l’épilogue de L’Opéra du Pauvre composé par Léo Ferré. Ce qui frappe d’emblée à son écoute, c’est l’idée d’une brûlure : Marcel Kanche dit plus qu’il ne chante, effleurant la plupart du temps les mélodies originelles (comme par exemple sur la reprise de « C’est extra »). On le sent comme pris à la gorge, livrant de manière abrasive et hantée la poésie du grand Léo. Il y parvient d’autant mieux que l’environnement musical instillé par l’i.overdrive, une fois de plus, maintient l’équilibre entre l’identité de la source (ici la poésie douloureuse de Ferré) et la sienne propre. Jamais envahissante, jouant comme sur son premier disque la carte de l’épure dans une formule plutôt rare : trompette, guitare et batterie, la tension maintenue par le trio apporte ce je ne sais quoi d’hypnose et de puissance qui forment un très bel écrin aux mots déclamés par Marcel Kanche. Ni jazz, ni rock, un peu les deux, un peu autre chose. Une certaine idée de l’outre musique, en quelque sorte, avec cette combinaison d’électricité des cordes (impeccable Philippe Gordiani, qui n’hésite pas à tisser une toile sonore ou marteler des imprécations rythmiques dans lesquelles plane l’ombre d’un certain Robert Fripp, qui n’est jamais loin, souvenons-nous de son magnifique « From KC To Gawa » sur le bouleversant disque du Libre(s)Ensemble, KC signifiant, vous l’avez compris, King Crimson) et d’appels lancés par la trompette de Rémi Gaudillat, jamais à court d’envolées qui ressemblent à des hymnes. Tocanne, lui, sait ce qu’il a à faire : en musicien toujours à l’écoute et en éveil, il délivre son jeu dont les nuances évoquent une autre idée, celle de l’impressionnisme. On n’est pas disciple de Paul Motian pour rien, même lorsque le propos exige, ici ou là, de frapper (en témoigne un violent et court « Le chien », moins de deux minutes et un beau coup de poing). J'aimerais aussi souligner la beauté formelle du son de sa batterie, toute en humble élégance... Un modèle du genre.

    L’histoire nous dit que Léo Ferré aimait Pink Floyd ; elle nous raconte aussi que Marcel Kanche fut séduit par l’i.overdrive Trio lors de la publication de son premier disque ; elle est encore plus belle quand on sait que Marie et Mathieu Ferré ont offert à Marcel Kanche, après une rencontre quelque part en Toscane, « Le chemin d’enfer », un somptueux titre inédit de Léo, qu’on peut découvrir sur Et vint un mec d’outre saison. Le disque nous raconte tout cela, comme dans un seul souffle, sans possibilité de repos pour celui qui veut s’y plonger. C’est un cadeau précieux, qui maintient vive la flamme d’un poète singulier, mais sans jamais sombrer dans une quelconque nostalgie ni dans le piège de la fossilisation hagiographique. Ces « chansons » sans âge sont comme torréfiées par un quatuor inspiré qui nous administre un bel exemple d’appropriation exempte de tout risque de trahison.

    Alors « Ni Dieu ni maître » ? Peut-être... mais on dirait bien que la passion aura été un guide fort stimulant pour mener à bien l’aventure d’un disque qui ne ressemble qu’à lui-même et dont les stances captivent du début à la fin.

    Une question me vient, tout à coup : après Syd Barrett et Léo Ferré, à qui le tour ? Ce ne sont pas les idées qui manquent... A bon entendeur !

  • Duo Bruno Tocanne & Henri Roger "Remedios la Belle"

    tocanneroger_remedios.jpgQuand un beau duo se fait la belle ! Voici un disque – un petit objet de collection par ailleurs – qui vient décocher ses flèches irisées avec une intelligence qui n’a d’égale que l’excitation que son écoute suscite. Bruno Tocanne (batterie) et Henri Roger (piano et guitare) ont uni leurs forces pour imaginer ce Remedios la Belle aux vertus évidentes dont la première, et non des moindres, est la faculté de nous donner à vivre chaque instant comme une profonde vibration. La traduction en musique, peut-être, d’une invitation à la pratique du carpe diem.

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  • Madkluster Vol. 1

    Alain Blesing, Bruno Tocanne, Fred Roudet, Benoît Keller, Madkluster, IMR, imuZZicEn quelques mois d’existence, le label IMR - créé et co-dirigé par Bruno Tocanne et Alain Blesing au sein du réseau imuZZic - aura affirmé une séduisante identité militante, nourrie de liberté et d’un esprit d’ouverture propre à stimuler ce que chacun d’entre nous a de meilleur. Voici la troisième référence d’un catalogue encore peu fourni – forcément – mais qui pratique déjà le sans-faute. Après Libre(s)Ensemble et 4 New Dreams, deux disques étincelants parus en 2010, une pierre supplémentaire vient s’ajouter à l’édifice créatif : Madkluster Vol. 1.

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  • T'as pas cymbales ?

    Rêves de batteries, batteries de rêve... Une petite flânerie, des digressions, forcément, avec pour point commun de tortueuses histoires de fûts et de caisses. Et pour finir, un beau disque à découvrir sans plus attendre...

    4_new_dreams.jpgC'était il y a fort longtemps, très longtemps. La preuve, j'étais jeune, quelque part entre la sortie de l'enfance et l'entrée dans cette phase – dont je ne suis pas toujours persuadé d'avoir réussi à m'extraire – qu'on nomme adolescence et que les psychologues de tout poil s'acharnent à rendre impossible à vivre... A cette époque, j'avais dans un premier temps caressé l'espoir de devenir un jour un guitar hero : les exemples vinyliques ne manquaient pas chez moi et le té en bois dont on m'avait imposé le recours pour d'erratiques cours de technologie au collège m'avaient de temps à autre permis de prendre la place avantageuse d'un John Fogerty ou d'un Eric Clapton au mieux de leur forme. Mais ma gestuelle silencieuse (et par conséquent inoffensive) avait vite trouvé ses limites lorsqu'après avoir emprunté à plusieurs reprises la (vraie) guitare de ma sœur (qui, me semble-t-il, n'en a jamais fait un usage beaucoup plus intensif que le mien, malgré quelques tentatives risquées de l'ascension d'un sommet technique tel que « Jeux Interdits »), je m'étais rendu compte que l'instrument était fort douloureux pour les doigts. Un camarade de classe, plus obstiné que moi, avait par ailleurs fini par me convaincre que l'apprentissage d'une six cordes risquait fort de s'apparenter à un vrai de chemin de croix, repoussant ainsi dans les limbes de ma rêverie mes pauvres ambitions musicales.

    C'est pourquoi j'eus tôt fait de m'adonner à un nouveau rêve artistique : devenir batteur ! Oui, trôner fièrement au centre d'une scène et déclencher dans toute leur immensité les forces incommensurables de l'univers !!! J'avais chez moi tout le matériel nécessaire pour assouvir cette nouvelle passion : un vieux coussin en cuir que je m'échinais à martyriser méthodiquement au moyen d'une paire d'aiguilles à tricoter qui n'en demandaient pas tant. Ah ah ah ! La sphère percussive n'avait qu'à bien se tenir, parce qu'au gré de mes découvertes, j'étais à chaque fois prêt à prendre la place de mes héros du moment. Je ne saurais établir une liste exhaustive de mes différentes victimes mais je me rappelle parfaitement avoir congédié dans un premier temps Colin Petersen (Bee Gees), Doug Clifford (Creedence Clearwater Revival), Bill Kretuzmann (Grateful Dead), avant de m'attaquer à de redoutables concurrents tels que Bill Bruford (Yes, King Crimson), Richard Coughlan (Caravan) ou John Marshall (Soft Machine). Aucun d'entre eux ne pouvait résister à mes pathétiques frisés, en quelques frappes bien senties sur la peau chamarrée de mon fût de fortune, je donnais un coup de vieux à leur jeu si étrangement mélodique alors que le mien, plus rustique, n'en était pas moins animé par la volonté définitive de leur succéder et de susciter chez eux une admiration sans bornes.

    Mais un beau jour, ce fut le drame... Je croisai le chemin de Magma et de son bourreau des cymbales, le dénommé Christian Vander ! Hé ho ! C'est quoi, ça ? Comment je fais, moi, avec mes deux aiguilles et mon vieux coussin ? Dis-donc, Cri-Cri, c'est pas du jeu ! Non, mais ça va pas la tête ? Il est fou, il va trop vite et en plus, je sais même pas faire les yeux de fou et il faudrait que j'apprenne à secouer la tête à toute allure de gauche à droite et inversement. Arrête, si mes parents me voient dans cet état, c'est l'asile direct !!! Déjà que j'ai réussi à monnayer allemand LV 2 contre un pack italien plus latin, c'est peut-être pas le moment de me faire remarquer. Alors là, je peux vous dire, j'ai eu comme un vieux coup de mou... Bon, je pressentais bien, très empiriquement, que mon sens inné du rythme équivalait grosso modo à celui d'un vieux gant de toilette desséché au fond d'un panier à linge sale, mais tout de même. Me faire ça à moi ? Et puis, il faut dire qu'avec cette fracassante déclaration d'hostilité kobaïenne, je me suis vite rendu compte que par le passé, quelques grands maîtres avaient bien déblayé le terrain, repoussant mon drumming in camera vers le tréfonds, que dis-je, le néant de l'histoire de la musique. Les Art Blakey, Elvin Jones, Tony Williams ou Jack DeJohnette étaient passés par là, je n'en avais même pas subodoré l'existence... Ma décision fut prise en quelques instants, un beau soir d'automne (en fait c'était peut-être une autre saison, mais j'en ai tiré une au sort et c'est tombé sur celle-là... désolé) : au placard aiguilles et coussin (au fait, je voudrais bien savoir ce qu'il est devenu celui-là, le pauvre, il n'a probablement pas eu droit à des obsèques dignes de son héroïsme subi, il faudrait que je songe à lui élever une stèle, une sorte de monument au coussin inconnu), je rends les armes et je ne serai jamais musicien ! Tout au plus me contenterai-je d'aimer la musique, ou plutôt les musiques. Je développerai malgré moi un terrible syndrome de boulimie des portées (dont la lecture continue de m'échapper), je deviendrai un goinfre des galettes, un affamé des mélodies.

    Je m'aperçois que d'autres, avant moi, ont connu ce type de mésaventures. Ainsi, je lis dans le dernier numéro de l'excellent Improjazz* (dont il faudra que j'évoque l'existence un jour ou l'autre, parce que la passion de son créateur continue de m'impressionner) une interview passionnante de l'écrivain Guy Scarpetta. Cet amateur de jazz nous raconte que ses parents avaient décidé de lui faire apprendre le violon. Un choix qui se solda par un résultat proche de l'accident industriel dont il a réussi à extraire une passion pour la musique : « Cette expérience ratée a bien failli me dégoûter à tout jamais de la musique. Mais curieusement, il a suffi que je renonce à jouer pour qu'aussitôt, comme par miracle, mon oreille s'ouvre. Pour que je devienne immédiatement passionné de musique, de toutes sortes de musiques ». Ah ben voilà, on se sent moins seul quand on lit ce genre de choses ! Merci monsieur Scarpetta...

    Ce qui me pose problème avec ce foutu non apprentissage – considérez-moi comme un a-musicien et qu'on n'en parle plus – c'est la formulation correcte des plaisirs qu'on ressent à l'écoute d'un disque, quand on est incapable de les traduire en termes musicalement adaptés. Prenez par exemple un très beau disque récemment publié par le batteur (ben oui, forcément, toutes ces circonvolutions pour en arriver là...) Bruno Tocanne. Ses 4 New Dreams sont un véritable petit enchantement... Ma collègue Diane sait très bien trouver les termes adéquats dans la chronique qu'elle a rédigée pour Citizen Jazz, elle vous explique tout ça avec les mots justes... ceux que je serais bien incapable de trouver moi-même. Quand il est question d'un intervalle de quarte ascendante, je me fais tout modeste, je rase les murs de ma connaissance, je me pose même la question de ma légitimité de chroniqueur citoyen, c'est vous dire... Alors il me reste pour tout viatique la tentation de l'enthousiasme, qui s'affranchit des obstacles techniques et n'a d'autre ambition que de communiquer le bonheur qu'on vit à l'écoute d'un très réjouissant quartet. J'avais voici quelque temps salué la relecture par le même Bruno Tocanne et son i-Overdrive Trio de la musique de l'énigmatique Syd Barrett, membre fondateur de Pink Floyd. Ce type-là (Tocanne, pas Barrett qui malheureusement ne communique plus depuis le mois de juillet 2006), qui multiplie les rêves depuis quelque temps, est à classer sans attendre parmi ceux que j'appelle volontiers les agitateurs d'atomes, ces musiciens qui savent bousculer votre quotidien acoustique en vous suggérant des chemins sur lesquels, de votre propre initiative, vous n'oseriez pas forcément vous engager. Ils vous tapent sur l'épaule en vous disant : « Allez, tu viens avec nous, on va faire une chouette balade, tu verras, je suis certain que tu vas voir des petits coins que tu ne connaissais pas ». Ici, avec le fidèle Rémi Gaudillat (trompette), Michael Bates (contrebasse) et Samuel Blaser (trombone), nous sommes en excellente compagnie. Celle de ces musiciens épris de liberté et de découverte et qui, à chaque seconde, renouvellent votre plaisir de récepteur en vous embarquant dans leurs conversations enfiévrées, en vous proposant de ne pas vous laisser endormir par un confortable conformisme. Bruno Tocanne aime l'idée de résistance et c'est aussi ce qu'on apprécie chez lui : on sent qu'armé de ses baguettes, il dynamite à la fois sa musique mais aussi notre vigilance. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : ces 4 New Dreams ne sont en rien une œuvre absconse et difficile d'accès ! Juste l'expression la plus pétillante qui soit d'une belle santé et d'une volonté de ne pas s'arrêter en si bon chemin. Toujours avancer. Et puis, quand on publie un disque sur lequel on trouve des compositions qui s'appellent « Le singulier au pluriel », « Pas si simple » ou « Le présent du vindicatif », on sait que la musique sera conjuguée avec ce mélange d'humour et d'élégance qui sont une vraie politesse faite à nos oreilles curieuses. Et si vous voulez vous faire une petite idée des inventions renouvelées des quatre compères, je vous suggère de ne pas attendre plus longtemps.


    PS : En me relisant, je m'aperçois que cette note n'a pas vraiment de fil directeur. Tant pis, je veux bien assumer cette incohérence, qui est probablement le fruit de ma sénilité naissante. Ou parce qu'aujourd'hui étant le jour de mon anniversaire, j'ai décidé de faire comme je voulais. Et le coussin sur lequel je suis assis au moment où j'écris ces ultimes lignes n'a qu'à bien se tenir...

    * Et j'en profite pour remercier ici Philippe Renaud qui a eu la gentillesse d'y inclure une petite note informative sur le CD « Portraits Croisés » dont je me permets de rappeler qu'il est toujours disponible !