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alban darche

  • Petit exercice en Darche arrière

    alban darche, crooked house, hyprcub, On dit que le temps ne fait rien à l’affaire… C’est vrai probablement, mais il m’est difficile de ne pas culpabiliser à la seule idée d’avoir omis de souligner les qualités intrinsèques d’un disque paru au mois d’avril dernier. Non qu’il n’ait jamais été question d’Alban Darche du côté de mes Musiques buissonnières : il m’est au contraire déjà arrivé de souligner à plusieurs reprises les qualités du saxophoniste compositeur arrangeur, géniteur fécond d’une singulière lignée de Cubes, en particulier quand l’Orphicube a publié sa Perception Instantanée ou bien encore au moment de Noël, il y a deux ans presque jour pour jour, à l’occasion d’une Xmas boX tout aussi colorée et réjouissante, tombée de façon très opportune dans mon Hotte Club. Il n’empêche que dans la foulée d’une Horloge ayant tourné ses aiguilles au mois de février, mettant ainsi à l’heure les pendules d’un jazz de chambre soyeux et qui voyait un saxophone se laisser aller aux caresses d’une sixte de cordes (celles d’un quatuor augmenté d’une guitare et d’une contrebasse), un autre petit événement musical nous était conté, histoire de témoigner d’un fructueux voyage outre-Atlantique à la fin du printemps 2014. Voilà que notre homme, pensant peut-être qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des E, dévoilait les contours d’un HYPRCUB pour se présenter en architecte d’une maison qu’il prétendait biscornue. Estampillée Yolk Records comme il se doit, cette Crooked House était en réalité une construction bien plus costaude qu’elle ne voulait le prétendre. Je me suis empressé d’en proposer un extrait dans l’émission Jazz Time à laquelle je collabore une fois par mois : c’était le 22 mai, pour être précis. Et puis le temps a passé, mon horloge n’étant peut-être pas réglée sur le fuseau horaire Darchien, et probablement victime des soubresauts multiples occasionnés par une abondance discographique qui sera pour ce qui me concerne la marque de cette année finissante.

    Mais les mois de décembre servent aussi à regarder un peu derrière soi et prendre le temps d’établir un rapide bilan. L’absence de Crooked House était injustifiable, un point c'est tout. Cerné par une rythmique maison (et quelle paire !) échafaudée par Sébastien Boisseau à la contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie, Alban Darche décidait de faire appel à deux hommes distants l’un de l’autre d’un océan : le saxophoniste américain ténor Jon Irabagon (pour mémoire, récent co-responsable avec Sylvain Rifflet d’un  Perpetual Motion en hommage à Moondog qu'on ne saurait que trop recommander) et le claviériste belge Jozef Dumoulin (allez donc tendre l’oreille à son Fender Rhodes Solo pour comprendre à quel point ce musicien-là est facteur de climats). Et pour faire bonne mesure, le même Rifflet était convié à la fête de la construction de ce grand pont, pour y faire entendre sa clarinette ou son saxophone ténor le temps de trois morceaux. C’est là une équipe qui laisse croire au meilleur à la seule lecture de la pochette, avant même d’avoir glissé le disque dans la platine. Alban Darche n’est pas seulement architecte, il est aussi un maître de maison avisé.

    Autant dire que le plaisir est là. Ce disque semble déborder d’une multitude d’histoires aux intonations volontiers nostalgiques, celles que sait si bien conter Alban Darche. Je pense avoir déjà eu l’occasion de le dire, mais ce jazz est – on me pardonnera un néologisme paresseux – cinégénique. Comme si son story-board, à l’écriture inventive, aux textures élégantes, ouvrait en grand la porte d’improvisations multiples, propres à esquisser par leurs propres couleurs un mouvement d’ensemble tout en variations de nuances. Le disque – qu’on veut toucher comme on le ferait d’un beau tissu – a d’un bout à l’autre les atours d’une conversation de haute tenue (parce que, pour chantante que soit sa musique, celle-ci n’en est pas moins le fruit d’un travail exigeant dont les détails se révèlent au fil des écoutes) et je me refuse à isoler plus qu’un autre l’un de ses acteurs. Certes le travail d’un Jozef Dumoulin est en lui-même un voyage entre éclats et brumes électriques, certes les élans d’un Jon Irabagon ont des allures de traversée, certes Alban Darche lui-même est ici un écrivain tout autant qu'un compositeur… Il faut savoir prendre tout son temps pour épuiser les richesses de cette production raffinée. On peut de plus aborder Crooked House sous des angles multiples : en s’abandonnant à ses mélodies, sans éprouver le besoin d’en savoir plus, afin de dérouler tranquillement un film imaginaire projetant des images (que je vois toujours en noir et blanc, allez comprendre pourquoi...) et dont on sera volontiers l’un des protagonistes ; en observateur curieux des interactions entre les musiciens et de leurs dialogues nourris ; en scrutateur méticuleux des combinaisons sonores et des contrepoints (je reviens sur ce que je viens de dire… le Fender Rhodes, tout de même, quel bonheur ! Que les autres musiciens ne prennent pas mal cette distinction, surtout...). Et si Crooked House commence par une étonnante « Albanolgy » qui pourrait nous laisser croire durant quelques mesures que le saxophoniste a plongé au cœur des années be bop chères à Charlie Parker, la suite va faire la démonstration d’une écriture très ouverte sur notre monde, un scénario qui nous donne à le ressentir dans tous ses émois. Il y a de la joie, de la tristesse et avant toute chose beaucoup de souffle ; rien n’est jamais simple, mais c’est bien la fusion des énergies qui pourra nous aider à aller de l’avant. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le titre de l’album : biscornue peut-être en raison des matériaux multiples qui la forment, cette maison symbolise-t-elle, ainsi que s’interroge Alban Darche lui-même, une musique à plusieurs dimensions ? Ou la vie, tout simplement ? Oui, à n’en pas douter…

    Huit mois après sa publication, Crooked House a conservé toute sa fraîcheur et sa faculté de retenir notre attention au fil d’une élaboration aux rebondissements nombreux. Il est de ces disques qu’on ré-écoute. Décembre a bien fait de venir… Et vive la Darche arrière, donc !

  • Dix galettes plus une et un coup de maître...

    Je me demande si j’ai raison... Peut-être suis-je sous l’influence de quelques-uns de mes camarades qui, nonobstant la vacuité de l’exercice, ne résistent pas à la tentation de produire une liste de disques de l’année. Je vais faire comme eux, je serai injuste comme eux et j’aurai au préalable mesuré à quel point mon « Top 10 » est une modeste goutte d’eau dans l’océan de la musique. Tant pis. Et que les oubliés me pardonnent, ils savent que je pense à eux et que la seule méthode à laquelle je me suis astreint à consisté à fermer les yeux pour laisser remonter à la surface des moments forts ressentis durant toute l’année. 2014 : au minimum 200 disques à découvrir (et je suis un piètre amateur comparé à certains...) parmi... combien déjà ?

    Alors, allons-y gaiment et dans l’ordre alphabétique... J’accompagne chaque disque sélectionné d’un court extrait d’une de mes chroniques. 

    Alban Darche & L’Orphicube : Perception Instantanée

    darche-alban_orphicube_perception.instantanee.jpgMusique grande classe, comme la bande son d’un film aux accents nostalgiques qui aurait été tourné en noir et blanc pour mieux souligner les éclats invisibles du quotidien et en révéler la part de magie. L’Orphicube vous transporte avec son ingéniosité génétique - encore une fois, cet orchestre a un son qui lui appartient totalement, sui generis, comme on dit - et sa forte dose d’onirisme.
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    Stéphane Kerecki Quartet : Nouvelle Vague

    kerecki_nouvelle_vague.jpgStéphane Kerecki endosse le rôle d'un passeur pacifié qui ne vise qu'un seul objectif : réenchanter des histoires dont tous les secrets n'avaient, on s’en rend compte grâce à lui, pas encore été dévoilés. En levant le voile sur ses propres visions, il nous propose un embarquement dans son imaginaire cinématographique et c'est un bonheur de le laisser faire… avec un grand sourire dans le regard.
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    Christophe Marguet & Daniel Erdmann : Together, Together !

    marguet_erdman.jpgTogether, Together! n’est pas de ces disques qu’on écoute avec passivité ; il fait plutôt partie des instants d’équilibre un peu miraculeux, dont on connaît la fragilité, et qu’on ne veut pas laisser filer entre ses doigts. On laisse approcher la musique, on lui accorde tout son temps, pour qu’elle nous souffle ses délicatesses au creux de l’oreille. Musique sensuelle, on vous dit !
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    Iain Matthews : The Art Of Obscurity

    Mathews_Iain_Art_Of_Obscurity.jpgDans un climat d'une grande sobriété, on retrouve avec ce beau disque l’essentiel de ce qui fait tout son pouvoir de séduction, comme si Matthews jouait la carte de l’épure et de l'intemporel en se disant qu’eux seuls disent le vrai : au service de son art, une instrumentation légère composée de guitares (acoustique et électrique), d'un piano électrique (ou d'un orgue) et d'une basse.
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    ONJ Olivier Benoit : Europa Paris

    onj_paris_europa_200X200.jpgUn chef d'œuvre ? Le temps parlera, mais après tout, ne suffit-il pas de dire que la manière avec laquelle Olivier Benoit, entouré d’une équipe soudée, est parvenu à synthétiser toutes les musiques qui l'habitent depuis des années, est admirable ? Au point de donner vie à un idiome dont on attend dès à présent les prochaines pulsations, celles qui résonneront des échos d'une autre capitale européenne, Berlin.
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    Emile Parisien Quartet : Spezial Snack

    spezial_snack.jpgOn a beau chercher, regarder derrière soi ou même de côté, il faut bien se rendre à l’évidence : ce disque sans équivalent est une nouvelle pépite, une pierre précieuse, tout juste polie au sens où ses audaces la rendent heureusement irrévérencieuse. Le quartet d’Emile Parisien est âgé d’une petite dizaine d’années et sème sur son chemin de sacrés cailloux. Sa musique, aussi singulière et intrigante que les titres de ses disques, n’a certainement pas fini de nous sidérer.
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    Vincent Peirani & Emile Parisien : Belle Epoque

    belle_epoque.jpgC’est incroyable qu’on puisse être à la fois si jeune et porteur des horizons sans cesse réinventés d’une histoire de la musique du XXe siècle, que Vincent Peirani et Émile Parisien semblent connaître depuis toujours, comme si elle coulait dans leurs veines. Un disque fédérateur qui s’adresse aux amoureux du jazz, de la chanson, de toutes les musiques impressionnistes, des musiciens vibrants et dont on ne finit jamais de contempler les beautés exposées.
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    Sylvain Rifflet & Jon Irabagon : Perpetual Motion

    rifflet_irabagon.jpgVoix, sons métalliques ou électroniques, bruits de rue, chant naturel des instruments : cette polyphonie, qui célèbre Moondog avec autant d’inventivité que de respect, séduit d’emblée. En imaginant Perpetual Motion, Sylvain Rifflet, Jon Irabagon et leurs complices sont allés bien au-delà de l’hommage : ils expriment une fusion totale entre le génie d’un compositeur et leur art propre, qui se refuse à toute limite. Et surtout pas celle de leur imagination.
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    Henri Roger & Noël Akchoté : Siderrances

    Siderrances.jpgSiderrances est un disque auquel on doit s’abandonner… Loin des urgences de notre monde, il offre son temps long (le deuxième disque ne comporte que deux titres, respectivement de 20 et 32 minutes) et laisse aux deux protagonistes le loisir d’engager une conversation de l’intime qui, jamais, ne nous laisse de côté. Là est sa grande force : il nous parle au creux de l’oreille dans sa langue propre, mais très empathique.
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    The Man They Call Ass : Sings Until Everything Is Sold

    the-man-they-call-ass-sings-until-everything-is-sold-500-tt-width-360-height-342-crop-1-bgcolor-000000.jpgHasse Poulsen, cet homme qu’on appelle Ass, chante le désenchantement, celui d’un monde menacé par l’épuisement de ses ressources vitales, elles-mêmes objets de commerce. Souhaitons que son inspiration, en tout cas, ne se tarisse jamais, car un songwriter de premier plan doublé d’un magnifique chanteur vient de voir le jour, et s’expose enfin après de longues années de maturation.
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    Avez-vous lu le titre de cette note ? Parce qu’un onzième disque a pris place dans ma tête il y a quelque temps, depuis le jour où Olivier Bogé m’a donné à écouter Expanded Spaces, son prochain disque (et troisième en tant que leader après Imaginary Traveler et The World Begins Today) qui ne sera publié chez Naïve qu’au printemps 2015. Le saxophoniste compositeur s’y révèle aussi pianiste, guitariste et vocaliste ; surtout, il prend le risque de faire sauter les barrières stylistiques en s’écartant radicalement de l’esthétique du jazz. Ce disque de l’épure est le reflet d’une passion qui transporte ses mélodies limpides pour les élever au rang d’hymnes à la fraternité. Olivier m’a demandé d’écrire le texte qui figurera sur la pochette d’Expanded Spaces et je l’en remercie infiniment. Alors forcément, j’en reparlerai, mais j'avais envie de l'annoncer sans attendre.

    henri_roger.jpgVoilà pour ce petit exercice de style que je ne saurais conclure sans décerner un « Coup de Maître » à un musicien ami qui aura beaucoup donné cette année, et que je tiens absolument à saluer. Henri Roger a non seulement publié le magnifique Siderrances en duo avec Noël Akchoté, mais il nous aura gâtés à maintes reprises en 2014 sur le précieux label Facing You / IMR : en solo (Sunbathing Underwater), en quartet hommage à Pierre Soulages (Parce Que) ou en trio aquatique avec Benjamin Duboc et Didier Lasserre (Parole Plongée). Et je crois avoir compris que le pianiste guitariste improvisateur a décidé de continuer sur cette belle lancée. Vas-y Henri, ne te gêne surtout pas !

  • En avant, Darche !

    alban darche, orphicube, jazz, pepin et plume, yolkJe prends les devants et présente par avance mes excuses au saxophoniste Alban Darche qui sera certainement consterné par le vilain jeu de mots qui traverse le titre de cette note et dont je ne suis que modérément fier ; et pour le cas peu probable où ce musicien passionnant manifesterait envers moi un minimum d’indulgence - paf, juste à la fin ! - je récidive en guise de conclusion avec un second missile du même calibre. Je sais : ce n’est pas bien mais je ne suis pas parvenu à me dispenser de ce genre de sottises. C'est mon côté Publius Dicax, comme disait autrefois ma prof de latin au collège. Et puis, reconnaissons-le, c’est pour la bonne cause.

    Foin de prolégomènes, sachez que je suis tout à la joie d’un disque qui tourne chez moi depuis plusieurs semaines avec une régularité obstinée, un signe qui ne trompe pas : les mouvements verticaux de mes chères galettes sont le fidèle reflet des attachements du moment, plus ou moins durables. Il y a des disques qu’on écoute une fois, voire deux, et qui inexorablement s’enfoncent vers les profondeurs de la pile en cours - dont l’équilibre est par ailleurs précaire - avant de connaître un sort variable. Leur destin est de trois ordres : soit celui d’un classement alphabétique au cœur de rayonnages multiples et tragiquement poussiéreux qui, parfois, ont pour eux des allures de cimetière ; soit - et ce n’est pas là forcément un purgatoire - ils se verront entreposés dans une antichambre incertaine (mon bureau), dont ils seront peut-être exhumés - mais quand ? - ou pas ; reste la catégorie des happy few, ces disques qu’on ne peut se résigner à ranger, parce qu’ils vous font tellement de bien - de vraies nourritures - qu’il n’est pas envisageable un seul instant de les éloigner de votre platine. Oui, il y a des disques dont on a besoin. En règle générale, ils font aussi l’objet d’une duplication et d’un stockage en vue d’une balado-diffusion intra-auriculaire, tout au long des trajets quotidiens vous menant à votre lieu de travail.

    Perception Instantanée, le nouveau disque de l’Orphicube est de ceux-là, et j’avais envie de lui rendre l’hommage qu’il mérite.

    Voilà en effet un disque qui suit de très près la précédente production - tout aussi réjouissante, je m'autorise à le redire ici - de la bande à Darche, simplement intitulée L’Orphicube et qui se veut la suite d’un répertoire qui ne constituerait finalement qu’un tout : tant qu’à faire, procurez-vous les deux disques, vous ne vous en sentirez que mieux ! A cette différence près que l'éponyme volet numéro 1 était publié sur le label Pépin et Plume du même Alban Darche (dont il constituait la première référence, la seconde étant my Xmas Trax, un formidable disque de Noël engendré par la même bande et que j’avais volontiers glissé dans ma hotte de fin d’année, tant il était réussi et enchanteur, un chouette cadeau dont la version box était illustrée par un texte signé du camarade Franpi, tandis que le petit nouveau voit le jour sur un label exemplaire et jamais à court de très bonnes idées, Yolk.

    Yolk, une bien belle maison qui a publié il y a quelque temps déjà un disque formidable dont je n’ai pas eu le temps de vous parler et qui permet de retrouver deux musiciens de l’Orphicube : je veux parler de JASS, pour John Alban Sébastien Samuel, j’ai nommé messieurs Hollenbeck, Darche, Boisseau et Blaser, quatre francs-tireurs dont les échanges sont d’une richesse qu’on n’épuise pas en trois jours, loin s’en faut. J’ignore si mon relatif silence vis-à-vis de cette pépite me sera pardonné, mais je tiens à faire amende honorable : si JASS ne s’écoute pas de façon aussi limpide que Perception Instantanée en ce qu’il creuse plus profondément des sillons libertaires, il n’en reste pas moins un disque passionnant de bout en bout, une véritable boîte à idées. Punaise, quel quatuor, quels beaux dialogues ! Voilà, c’est dit ! Fin de la parenthèse Yolk...

    Revenons maintenant à Perception Instantanée (après tout, c’est pour ça que vous êtes ici, non ?), un album en tous points réjouissant. J’aimerais pour le définir recourir à un oxymore : parce qu’à son écoute, on est gagné par un drôle de sentiment paradoxal, celui d’un confort imprévisible. Le confort, c’est celui d’un splendide tissu harmonique élaboré par des musiciens dont les sonorités mêlées aboutissent à une alchimie singulière, une formule peu courante pour ne pas dire inédite, soyeuse et chaleureuse. Se croisent en s’entrecroisent un saxophone alto (Alban Darche, le boss, qui signe par ailleurs les compositions et les arrangements), un violon (Marie-Violaine Cadoret), un accordéon (Didier Ithursarry), un piano (Nathalie Darche), trois saxophones ténors (Matthieu Donarier, Sylvain Rifflet – toujours dans les bons coups, celui-là ! - et François Ripoche), anches et cordes exaltées, relevées des épices rythmiques d’une contrebasse (Sébastien Boisseau) et d’une batterie (Christophe Lavergne). Pour ne rien vous cacher, j’éprouve les pires difficultés à ranger cette musique dans une catégorie et c’est très bien ainsi : elle danse - paso doble, valse, reggae, tout ce que vous voudrez pourvu que le mouvement l’habite, encore et toujours - et affiche des couleurs qui sont parfois chambristes, parfois plus populaires, traversées d’élans dont les inspirations sont aussi celles du jazz. Bref on s’y sent bien, il fait chaud dans la maison Orphicube, il arrive qu’on transpire parce qu’on est rarement immobile, mais Dieu que ça fait du bien.

    Confort, donc mais… pas celui d’une maison bourgeoise aux tentures épaisses et aux lumières tamisées : parce qu’il est rare que les choses se déroulent comme on pourrait le penser quand un thème s’annonce et commence à dérouler ses motifs. Alban Darche - dont les compositions, sous leurs airs enjôleurs, sont des constructions complexes qui recourent à des arrangements d’une précision diabolique - aime traverser sa musique d’éléments perturbateurs, de brisures multiples qui rendent son scénario haletant, jamais prévisible. Prenez par exemple « Paso Doble » qui ouvre l’album : vous imaginez des couples qui dansent, leurs mouvements sont synchronisés et empreints de cette raideur affectée par les amoureux du pas de deux. Et puis hop, voilà un type qui doit être un peu éméché et qui s’insinue parmi eux : le saxophone entre en scène, bouscule tout le monde d’un air rigolard, légèrement titubant. On l’a regardé un peu de travers mais finalement, on s’est bien amusé. Et on repart...

    Musique où l’on danse, oui, souvent, mais musique qui parle aussi au creux de l’oreille, ce sera alors une confidanse (cette fois, je vous inflige un néologisme), comme celle de ces « Silhouettes » où le souffle du saxophone semble se poser sur les notes du piano, avant de s’évanouir pour revenir aussitôt, dans un jeu d’ombre et de lumière, puis d’entonner un chant poignant, presque au bord des larmes. Musique intense, qui peut vous prendre aux tripes, comme dans la magnifique tension de « C’Baff » sublimée par un saxophone à vous donner le frisson pour un chorus brûlant ; musique au parfum d’insouciance parfois, avec cet « Abécédaire » charmant, presque enfantin, dont les voix surgissent quand on ne les attend pas. Musique grande classe, comme la bande son d’un film aux accents nostalgiques qui aurait été tourné en noir et blanc pour mieux souligner les éclats invisibles du quotidien et en révéler la part de magie (il est d’ailleurs question de Tim Burton, ce n’est probablement pas dû au hasard). L’Orphicube vous transporte avec son ingéniosité génétique - encore une fois, cet orchestre a un son qui lui appartient totalement, sui generis, comme on dit - et sa forte dose d’onirisme.

    Perception Instantanée, le bien nommé tant la connexion avec ses élans est pour nous immédiate et profonde. Sur le haut de la pile, tout en haut, c’est Darche… ou rêve !

  • Deuxième cérémonie de remise des « Coups de Maître »

    Eh oui, le temps passe très vite, les disques n'en finissent pas de pleuvoir au point qu'un rapide calcul suscite mon effarement : depuis un an, j'ai dû “découvrir” environ 150 albums. C'est peu, juste une goutte dans l'océan de la musique, par comparaison au volume de la production mondiale, tous genres confondus ; mais c'est énorme si, comme moi, vous disposez d'environ 365 jours chaque année (parfois 366, je l'admets) pour consacrer un peu de temps à vos passions. Sachant que bon nombre de ces nouveaux arrivants misicaux nécessitent plusieurs écoutes, sachant aussi que leurs prédécesseurs méritent de revenir au front (et parfois, croyez-moi, ils reviennent de très loin et s'accrochent à vos basques en vous suppliant de ne pas les oublier), vous comprendrez aisément que la tâche n'est pas si facile. Passionnante, source de plaisirs multiples mais, tout de même, un sacré boulot ! Quant à l'idée saugrenue consistant à extirper dix élus de cette abondante récolte, on peut la considérer d'un œil amusé, se dire que l'exercice est vain, penser aussi qu'il sera forcément injuste (c'est vrai). Mais ce choix est une façon de revenir en arrière, de se souvenir des émotions les plus fortes et des élans singuliers que certains disques ont suscités. Et d'avoir une pensée pour les oubliés, dont beaucoup nous ont offert des instants singuliers.

    Alors voilà pour l'année 2013 : dix albums, tous très beaux, choisis parmi un grand ensemble dont bien des éléments auraient très pu aisément franchir la barrière de mes « Coups de Maître ». Tiens par exemple, prenez Slim Fat de l'Imperial Quartet... eh bien, il serait volontiers entré dans ma confrérie du moment, rien que pour sa dégaine sonore pas comme les autres et son déluge saxophonique...  Pareil pour Le Rêve de Nietzsche de Jean-Rémy Guédon et son Archimusic, quand jazz et hip hop s’acoquinent avec la philosophie... Et je ne vous parle même pas des Passagers du Delta, du Trio ALP, si beau, en deux temps, dans son livre élégant.

    Et puis, on va encore me dire que la coloration de ma sélection est très hexagonale ! J'assume ces choix, ce qui ne signifie pas pour autant que j'ignore la musique qui a vu le jour ailleurs, Outre-Atlantique notamment. Mais je connais plein d'amis qui parlent très bien, beaucoup mieux que moi, de musique et dont les écrits sont toujours passionnants : Jean-Jacques Birgé, Franpi Sunship, Mozaïc Jazz, Les Dernières Nouvelles du Jazz, Belette Jazz, Ptilou's Blog, JazzOCentre, Jazzques, Les Allumés du Jazz, et quelques autres que vous n'aurez aucun mal à dénicher. Vous pouvez prendre le risque d'aller faire un petit tour chez eux : dans le pire des cas, ils vous donneront envie de vibrer encore plus fort avec leurs choix ; dans le meilleur, ils finiront pas vous convaincre que – comme nous tous – il vous faudra vivre d'autres vies pour étancher votre soif de musique !

    Ma petite sélection sans prétention apparaît dans l'ordre chronologique de l'arrivée des disques dans ma boîte aux lettres. Il m'est arrivé d'écrire à leur sujet, n'hésitez pas à cliquer sur les repères... pour en savoir [+] !

    Festen
    Family Tree

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDeuxième volet des aventures de cette jeune quarte qui allie la science du jazz à l’énergie du rock. Damien Fleau (saxophone), Maxime Fleau (batterie), Jean Kapsa (piano) et Oliver Degabriele (contrebasse) écrivent une musique dense, nerveuse et habitée. Ils savent aussi atteindre l’épure, privilège des grands, leur « Grandfather’s Bed » en est une preuve. On est heureux de se sentir un peu comme membre de cette belle famille au sein de laquelle circule une énergie très contagieuse. [+]

    Samuel Blaser
    As The Sea

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GEncore une très belle année pour le tromboniste ! Hyperactif, notre Helvète préféré a notamment doublé la mise avec deux albums qui séduisent par la somme d’imagination et de liberté qu’ils respirent. Tout récemment, Mirror To Machaut offrait une relecture limpide de la musique de deux Guillaume du Moyen-Âge : de Machaut et Dufay. Mais avec As The Sea, Blaser avait sculpté quelques mois plus tôt la matière sonore d’un univers mouvant et jamais fini, en compagnie de ses amis Marc Ducret, Gerald Cleaver et Bänz Oester. Un disque énigmatique et passionnant de bout en bout.  [+]

    Rémi Gaudillat
    Le chant des possibles

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLe souffle cuivré d’un quatuor libre et onirique : celui de Rémi Gaudillat et Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinette basse). Quatre musiciens qui savent demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels et leur donner le muscle de la pulsation. Leur musique entre ombre et lumière exhale un parfum impressionniste des plus séduisants, elle est une porte grande ouverte sur un imaginaire poétique dans lequel on plonge sans réserve. [+]

    Stéphane Chausse & Bertrand Lajudie
    Kinematics

    festen,samuel blaser,remi gaudillat,christophe marguet,alban darche,art sonic,gordiani desprez scarpa,olibier bogé,dominique pifarely,pan-gQuand deux amis décident de se donner les moyens et le temps de faire aboutir un vieux rêve : jouer une musique dont chaque détail compte, par un travail d’orfèvre appliqué à une matière sonore qui fait l’objet d’un soin maniaque. Leur jazz funk bienvenu est habité d’un gros son, il est interprété par une ribambelle d’amis dont certains ne sont pas les derniers venus, comme Marcus Miller. Un disque de plaisir total, qu’on écoute avec gourmandise en se disant qu’une production aussi aboutie est tout de même rare de nos jours. Chouette cadeau ! [+]

    Christophe Marguet Sextet
    Constellation

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GUn récidivisite, déjà haut placé en 2012, j'espère ne pas l'assommer avec mes coups de mâitre à répétition... Cette fois, le batteur joue la carte d’une dream team aux couleurs chatoyantes et forme un orchestre dont les richesses n’en finissent pas de se dévoiler au fil des écoutes. Constellation est de ces disques dont on peut dire sans se tromper qu’ils sont empreints de magie. Normal, Christophe Marguet s’est entouré de magiciens : Régis Huby (violon), Steve Swallow (basse), Benjamin Moussay (claviers), Chris Cheek (saxophone) et Cuong Vu (trompette). Du grand art. [+]

    Gordiani, Desprez, Scarpa
    21

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GLa formule est d’une apparente simplicité. 21 signifie ici 2+1, et plus exactement deux guitares et une batterie. Une combinaison originale et très électrique. Il y a ici tout ce qu’on aime (enfin, quand je dis on, je parle de moi, mais je sais que je ne suis pas seul à penser ainsi) : l’énergie, l’imprévu, le mystère, la fougue, les élans... En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles. Coup de cœur et de foudre garantis à tous les amoureux des escapades un peu folles ! [+]

    Ensemble Art Sonic
    Cinque Terre

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GDécidément, Sylvain Rifflet (clarinette, saxophone) et Joce Mienniel (flûte) sont au sommet de leur art. En 2012, ils figuraient déjà en très bonne place dans ce palmarès. Avec l’Ensemble Art Sonic, ils inventent un univers géographique et sublimé, une musique de chambre du XXIème siècle. A leurs côtés, Cédric Chatelain (hautbois, cor anglais), Baptiste Germser (cor) et Sophie Bernardo (basson) sont les pièces vitales d’un quintette à vents irrésistible. Mine de rien, on assiste avec ce très beau disque à la naissance d'une musique qui n'en est qu'à ses premiers frémissements, en attendant la suite, qui nous comblera. [+]

    Olivier Bogé
    The World Begins Today

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GQue la lumière soit ! Après nous avoir raconté l'histoire d'un voyageur imaginaire, le saxophoniste prouve avec son second disque qu’il est bien plus qu’un jeune musicien talentueux : il est aussi un humain conscient, en quête d’un chant solaire qui irradie sa musique de la première à la dernière note. Il est entouré d’amis de renom : Tigran Hamasyan, Jeff Ballard, Sam Minaie. Ces derniers savent mettre leur art, avec humilité, au service d’une inspiration/respiration commune qui s'épanouit sur des compositions d'une grande limpidité. Bogé partage, partageons sa musique... [+]

    Dominique Pifarély / Ensemble Dédales
    Time Geography

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GAussitôt arrivé, déjà au sommet de la pile ! Neuf musiciens haut de gamme composent l’Ensemble Dédales dirigé par le passionnant violoniste Dominique Pifarély : Guillaume Roy (alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Vincent Boisseau (clarinettes), François Corneloup (saxophone baryton), Pascal Gauchet (trompette, bugle), Christiane Bopp (trombone), Julien Padovani (piano), Eric Groleau (batterie), tous au service d’une musique à la fois savante et nourrie d’une pulsion hypnotique, libre et engagée dans l'invention de nouveaux paysages entre jazz et musique de chambre contemporaine. Time Geography est un disque aux variations subtiles, dont les richesses se dévoilent au fil des écoutes. 

    Alban Darche
    My Xmas traX

    festen, samuel blaser, remi gaudillat, christophe marguet, alban darche, art sonic, gordiani desprez scarpa, olibier bogé, dominique pifarely, pan-GC’est d’une certaine manière le label Pépin et Plume d’Alban Darche qui est ici récompensé. Sa première référence, L’Orphicube, manifestait un fort pouvoir de séduction. Mais en fin d’année, le saxophoniste glissait au pied du sapin un second disque, une boîte de Noël un peu magique, pleine à craquer de chants tels que tous les enfants que nous sommes rêvent d’écouter le soir de la veillée. Un disque durable et enchanté, au plaisir augmenté par la lecture d'un conte signé Franpi Barriaux. Quoi, on n'a plus le droit de dire du bien des copains ? [+]

    Alban Darche, pour ses deux albums pépinoplumesques, mais aussi parce que les mois qui viennent de s’écouler nous auront valu de sa part d’autres disques ô combien précieux, reçoit à l’unanimité de mon jury (dont je suis le seul membre, je le précise par honnêteté, et je ne vous cacherai pas qu'il m'arrive fréquemment de ne pas être d'accord, ce qui complique beaucoup les choses, parfois) le Maître d’Honneur 2013 : Cube, Gros Cube ou Orphicube, tout est bon chez le saxophoniste ! Ce ne sont pas les camarades Citoyens Julien ou Franpi (encore lui...) qui me démentiront...

  • Hotte Club

    alban darche, the amazing keystone big band, olivier calmer, caravane gazelle, pierre et le loup et le jazz

    Nom d’un renne et d’un traîneau : nous sommes déjà le 9 décembre et Noël approche à grands pas... Vous, je ne sais pas, mais moi, je n’ai guère envie de me mêler à la foule affolée des derniers jours, celle de la ruée vers ce Graal de l’achat forcené, du cadeau qui manque et des listes incomplètes parce qu’il ne faut oublier personne. Mus par une nécessité de la dernière minute, je crains que mes contemporains soient encore plus insupportables que d’habitude aux abords des magasins, obéissant à une urgence mystérieuse qui leur commande de se soumettre aux injonctions consuméristes de cette période dite « des fêtes de fin d’année ». Je vous vois venir : vous allez me traiter de grincheux, de vieux ronchon et de rabat-joie. Pas si sûr. En réalité, vous faites erreur : l’idée de Noël m’est plutôt agréable ; elle fait remonter à la surface de mes émotions intimes des plaisirs simples, avec des sourires d’enfants, des étonnements aux yeux grands ouverts, un zeste d’innocence et un petit parfum de cannelle. C’est la course impitoyable aux achats commandés qui me navre un peu, non que je répugne à déposer des cadeaux sous le sapin de Noël, mais parce que je fuis comme la peste l’idée d’une course panique à l’ultime seconde avant la fermeture des magasins, celle au bout de laquelle on peut aller jusqu’à s’acquitter de sa tâche en se procurant n’importe quel objet made in RPC. Et je suis un peu comme certains dont les oreilles souffrent lors de leurs déambulations dans les rues sonorisées à grands coups de chansons médiocres censées traduire l’esprit de fête qui doit les animer. A tout prendre, je préfère le silence.

    Garnir la hotte du Père Noël, déposer un paquet au pied du sapin, je veux bien. Je le ferai même avec le plus grand plaisir, mais pas au prix d’une gymnastique commerciale dont je sortirai épuisé et un peu écœuré aussi. On peut (se) sortir de cette redoutable épreuve en visant un peu plus haut que le niveau de la dernière trouvaille destinée à hypnotiser les enfants jusqu’à ce que, très vite lassés par la vanité de l’enjeu, ces derniers se retournent vers des activités plus enrichissantes pour l’esprit. Quand je vous dis que je suis un optimiste... Ce sera d’autant plus simple que j’ai déjà en tête quelques idées musicales du meilleur effet. Eh oui, de la musique : de quoi voulez-vous donc que je vous parle ? Je ne vais tout de même pas demander un nouveau modèle de pace maker, n’est-ce pas ? Il est déjà programmé pour mes étrennes 2016… Non, ce que je veux voir dans la hotte, c’est de la musique pour Noël, parfois de la musique de Noël, parfois les deux en même temps, aussi. Pas vulgaire, mais durable, entêtante et qui vous élève. Parce que je pense aux enfants, tous ces petits humains qu’on fait plonger trop vite dans l’abime de nos vies d’adultes, parce que leurs premières années sont à trésor à préserver à tout prix.

    Tenez, prenez un disque comme my Xmas traX d’Alban Darche, que vous pouvez vous procurer pour une somme très raisonnable dans une Xmas boX numérotée à la main du meilleur effet avec, à l’intérieur : le disque bien sûr, rempli de chants pour la plupart très connus que le saxophoniste transfigure avec grâce, mais aussi un livret de 24 pages incluant un conte (Ô rumeurs de confort et de joie) signé du camarade Franpi et, cerise sur le gâteau, une pluie de petites étoiles et de sapins dorés. Ce disque est la deuxième référence du label Pépin et Plume, après le génial Orphicube du même Alban Darche. Il fait partie de ceux qui tournent en boucle chez moi depuis le jour où je l’ai reçu : voilà une célébration de Noël élégante, originale et éminemment vibratoire. Elle répond précisément au besoin que j’exprimais un peu plus haut car ce disque sent le pain d’épices et la cannelle (je n’ose pas dire qu’il sent le sapin, pour éviter toute méprise, mais pourtant...), il fait vibrer la corde sensible de nos souvenirs d’enfance sans pour autant jouer la carte facile de la nostalgie et du « c’était mieux avant ». Pour mener à bien cette très belle aventure, Alban Darche s’est entouré d’une bonne partie des musiciens de lOrphicube (Nathalie Darche, Mathieu Donarier, François Ripoche, Sébastien Boisseau, Marie-Violaine Cadoret, Christophe Lavergne). Le résultat est confondant de justesse dans la transmission des vraies émotions de l’enfance, alliée à la richesse d’un jazz rendu comme soyeux par le travail du mariage des timbres : piano, saxophones, violon, trompette, sans oublier la voix d’Anne Magouët. C’est beau, tout simplement, limpide et souriant. « Vive le vent », « Petit Papa Noël », « Douce Nuit », « White Christmas » ou encore « Hélène et Ludivine » (dont le titre laisse deviner le chant qu’il dissimule à peine), autant de thèmes universels qui trouvent ici une nouvelle jeunesse, qu’on imagine volontiers éternelle. Alban Darche nous fait un très beau cadeau (plus exactement, on pourrait dire qu’il les a multipliés en cette année 2013 très prolifique pour lui) et sa Boîte de Noël est à commander d’urgence. Noël ou pas Noël, ses Xmas traX sont à découvrir absolument : je vous garantis, foi de Maître Chronique, que vous ne le regretterez pas et vous glisserez cette galette dans votre lecteur à tout moment, y compris en l’absence de vos enfants. Ce n’est pas l’Arche de Noé, mais le Darche de Noël !

    On pourrait me rétorquer que les dix-huit musiciens de l’ensemble appelé The Amazing Keystone Big Band (ainsi dénommé parce que leur club fétiche est la Clef de Voûte à Lyon, amis bilingues, vous m’avez compris) n’ont guère besoin qu’on leur fasse une publicité supplémentaire. Tout leur réussit en ce moment : la sortie de leur adaptation jazz de Pierre et le Loup sur le label Chant du Monde bénéficie depuis plusieurs semaines d’une belle exposition dans les médias (radios, télévisions, journaux, ils ont été nombreux à en vanter les qualités) et leur récent concert à la Salle Gaveau (qui affichait complet depuis pas mal de temps) a confirmé toute l’étendue de leur talent. Je le sais, j’y étais, flanqué d’une ribambelle familiale au beau milieu de laquelle trônait fièrement ma splendide petite-fille. Qui n’a pas perdu une miette du spectacle ! Donc, oui, on en a beaucoup parlé. Mais tout de même... Quel plaisir que ce disque, quelle belle santé affichée ! Je peux vous garantir la joie qui vous gagnera au moment où vous observez des enfants, les vôtres peut-être, voire vos petits-enfants, écarquillant les yeux en écoutant le texte dit par Denis Podalydès : ce dernier a endossé le rôle du récitant (il est accompagné dans cette tâche par l’actrice Leslie Menu) et leur explique les instruments avant de raconter cette drôle d’histoire dont la musique, signée Prokoviev, comme vous ne l’ignorez pas, a été passée à la moulinette jubilatoire des arrangements de Bastien Ballaz, Fred Nardin et Jon Boutellier. Ici, c’est la flûte traversière et la trompette avec sourdine qui jouent le rôle de l’oiseau ; le saxophone soprano est le canard ; le chat, quant à lui, est représenté par le saxophone ténor ; le saxophone baryton endosse les habits du grand-père ; trombones et tuba sont le loup menaçant ; les cordes (piano, guitare, contrebasse) sont chargées de représenter Pierre tandis que l’ensemble du Big Band forme les chasseurs dont les coups de feu sont tirés par la batterie. Une belle leçon de musique administrée par un groupe explosif qui sait ne pas se prendre au sérieux tout en accomplissant un travail très soigné, haut en couleurs et finalement très pédagogique. Côté sapin de Noël, préférez l’album CD dont le format plus large (25 X 25 cm) conviendra parfaitement aux plus jeunes, avides de découvrir cette histoire illustrée par Martin Jarrie. Vos enfants auront beaucoup de chance s’ils peuvent ainsi entrer dans l’univers du jazz dont les styles leur sont présentés incidemment au fil des aventures de Pierre : swing, New Orleans, blues, free jazz, etc. Pierre et le Loup et le Jazz, voilà un disque qui ne risque pas de passer de mode ! Une belle idée, vraiment.

    Enfin, je serais vraiment injuste en oubliant un troisième et chouette cadeau à faire à tous les enfants : honte à moi, la Caravane Gazelle composée par l’excellent Olivier Calmel ne date pas d’hier, je crois me souvenir qu’elle a été publiée en 2011. Mais qu’importe, mieux vaut tard que jamais après tout ! Car ce conte musical est un enchantement, un plaisir qui ne s’éteint pas au fil du temps et qui mérite mieux que la discrétion dans laquelle il a vu le jour et le quasi silence médiatique qui a enveloppé d’une brume silencieuse sa publication. Écrit par Florence Prieur, il nous raconte l’histoire d’une gazelle qui trouve refuge au sein d’une caravane dans le désert et se lie d’amitié (et plus si affinités, mais ceci ne nous regarde pas) avec le chameau qui a soigné sa blessure. Au départ, on se méfie d’elle parce qu’elle n’est pas du sérail mais très vite, le groupe va découvrir les richesses de l’autre, celles qu’on ignore par refus des différences (on a compris qu’il s’agit là d’un hymne à la tolérance). La petite gazelle n’a pas son pareil pour trouver les points d’eau essentiels à la vie du groupe qui va l’entourer de sa protection après s’être méfié d’elle. Cette histoire sensible – et tellement d’actualité - racontée par Julie Martigny, bénéficie d’une magnifique mise en musique chambriste et contemporaine grâce au quintette Artecombo et ses instruments à vents (flûte, hautbois, clarinette, cor et basson). On savait qu’Olivier Calmel était un compositeur prolifique et protéiforme, il en fait ici une nouvelle démonstration. Caravane Gazelle s’adresse à nous tous et à notre cœur en particulier : l’histoire est belle, universelle, exempte de toute vulgarité infantilisante ; sa musique, exigeante et lumineuse en même temps, est un bel exemple du respect qu’on peut témoigner envers les enfants, tous les enfants.

    Si avec tout ça, Noël n’est pas une fête (de la musique), alors vraiment je ne peux plus rien pour vous.