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  • Portraits de femmes en musique...

    Cette fois, c’est la dernière ligne droite pour ce qui concerne ma contribution à l’exposition Ladies First, cette réalisation qui va m’associer à mon complice Jacky Joannès, selon un principe identique à celui qui avait présidé à la création de notre précédente collaboration en 2010, Portraits Croisés : à lui la photographie, à moi les textes. Une histoire de signe et d’image, en quelque sorte. L’œil et la main...

    Les portraits sont choisis, leur liste est définitive (à ce niveau, je suis très peu intervenu, c’est bien normal, Jacky étant le maître à bord de son navire aux archives argentiques ou numériques) : au total, 53 musiciennes et 70 photographies, en couleur ou en noir et blanc, dont les plus anciennes remontent à 1973, date de la première édition de Nancy Jazz Pulsations, et les plus récentes à 2012. Ce sera notre manière de saluer les 40 ans du Festival (qui se déroulera du 9 au 19 octobre prochains) et de rendre hommage à son fondateur, Xavier Brocker, disparu au mois de septembre dernier et à qui Ladies First est dédié.

    Ladies_First.jpg

    Lorsque j’ai lancé l’idée de cette exposition, je ne savais rien de la forme que prendrait mon travail d’écriture, c’était un nouveau défi, une autre page blanche à noircir mais de quelle manière ? Comme en 2010, écrire un court texte associé à chaque photographie ? Imaginer un accompagnement des portraits sous la forme d’une suggestion musicale ? J’ai cherché un bon bout de temps avant de penser à la rédaction d’une fiction, après avoir pratiqué un remue-méninges constant durant plusieurs semaines. Une nouvelle ! Et pourquoi pas ? Raconter quelque chose... Le plus difficile restait alors à faire : trouver une histoire en relation avec la musique, dont le sujet puisse entrer en résonnance avec le sujet choisi (des portraits de femmes en musique), la glisser si possible, même de façon indirecte, dans le contexte de Nancy Jazz Pulsations 2013... De fil en aiguille, les principaux personnages sont apparus, ils ont commencé à prendre vie, à se parler, à bâtir des projets en commun, comme si je n’étais pas là (je vous jure que c’est vrai, ces bestioles finissent par vous échapper...). C’est là que Xavier Brocker est venu s’imposer dans un rôle clé, le sien, détourné par quelques facéties de mon cru. Phénomène étrange par lequel ce qu’on croit inventer n’est en fait qu’une image floue dont on essaie de deviner les contours avant qu’ils ne se précisent, jour après jour. Et je ne peux m’empêcher de faire un parallèle entre ce travail de mise au point avec celui de Jacky lorsqu’il prend une photographie. Chacun de nous deux voit une expression ou imagine une histoire, cherche à lui donner vie par l’instantané ou au détour d’une phrase.

    Je dois écrire des choses qui sont certainement des banalités pour tous ceux qui ont l’habitude d’écrire... On y reviendra plus tard, peut-être !

    Le plan de cette nouvelle est défini, voici maintenant venu le temps de laisser la plume (toute virtuelle puisqu’elle prend la forme d’un clavier ou d’un écran tactile selon mon humeur) filer sous mes doigts et par là de raconter une histoire dont je ne révélerai pas le déroulement ici même si je peux en dire quelques mots : Ladies First (ce texte portera le même nom que l’exposition, pour une raison que je ne dévoilerai pas) évoquera une chanteuse dont le retour à la musique, après de longues années d’errance, sera rendu possible par le soutien d’un ancien fan persuadé que cette artiste doit surmonter les difficultés qui l’ont éloignée de la musique pour s’épanouir à nouveau. Tous les personnages de cette histoire sont fictifs, sauf Xavier Brocker, bien sûr, qui évoluera tel qu’il était dans la réalité, même si – et c’est là mon privilège – je lui confierai une mission qui est une sorte de petit nuage taquin dans le ciel de mon imagination.

    Cette idée de le faire « revivre » ainsi m’est venue dans les conditions que j’ai expliquées un peu plus haut, mais j’ai tout de même éprouvé le besoin de recueillir le sentiment de sa veuve et surtout, si possible, son approbation. Je n’aurais pas voulu qu’elle découvre cette utilisation de son mari défunt au dernier moment. En lui présentant ce projet et la démarche de l’exposition (regarder les photos, lire une histoire, séparément ou au contraire dans un jeu d’alternance en déambulant d’un portrait à l’autre, chacun de ceux-ci étant illustré par une portion du texte qu’on suit de photographie en photographie), elle a eu cette remarque que je vais utiliser comme un point d’appui stimulant : « Xavier mérite bien qu’on ne l’oublie pas et que des amis lui rendent hommage de façon créative ».

    Par conséquent, ce sont deux étapes qui m’attendent désormais : d’abord mettre noir sur blanc une première version du texte, la plus naturelle possible (travail des trois semaines à venir) ; ensuite la retravailler pour essayer de la sculpter au plus près d’un rythme imaginaire, celui qui accompagne mon quotidien depuis des décennies, à la façon d’un petit moteur intérieur (une seconde phase qui sera terminée à la mi-septembre).

    Essayer d’éliminer le gras, muscler les phrases sans les boursoufler, impulser une part de nervosité qui sera rendue nécessaire par la lecture fractionnée dans la salle d’exposition.

    Et maintenant... le trac ! La peur de ne pas être à la hauteur, d’aligner des banalités, d’exposer une histoire qui n’intéressera personne.

    Alea jacta est !

  • Leeway & Friends

    Leeway_RoadtoMorgan.jpgLa courte vie de Lee Morgan – le trompettiste est mort à l’âge de 33 ans dans des circonstances tragiques puisque sa femme l’a tué d’un coup de pistolet après une violente dispute – pourrait faire l’objet d’un roman ou d’un film noirs. Mais l’histoire retiendra avant tout qu’en à peine plus d’une quinzaine d’années, non content d’enregistrer une trentaine d’albums en tant que leader, pour la plupart sur le label Blue Note, il aura côtoyé du début à la fin quelques-uns des personnages majeurs de l’histoire du jazz : Dizzy Gillespie, Art Blakey et les Jazz Messengers, Hank Mobley, Wayne Shorter, Joe Henderson, Jackie McLean et bien sûr John Coltrane, géant parmi les géants (pour l’album Blue Train en 1957).

    Lire la suite de cette chronique sur Citizen Jazz...

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  • Premières méditations

    firstmeditations.jpg17 juillet 1967... Quarante-six ans déjà et pourtant, la puissance préservée d’un souffle qui semble ne jamais devoir s’éteindre. John Coltrane est parti, laissant derrière lui une somme de musique si monumentale, si habitée qu’il faudra probablement plusieurs vies pour commencer à penser qu’on a pu en délimiter les premiers contours. Comme si sa musique se régénérait à chaque écoute. Quarante-six ans d’absence et pourtant, une présence intacte, chargée d’une spiritualité à nulle autre pareille et, pour nous tous, une proximité des émotions comme si cette musique venait seulement d’éclore. Coltrane était un musicien total, en ce sens qu’on ne lui connaissait que la musique comme seule véritable compagne. Le saxophoniste parlait peu mais vivait son art comme il respirait, il ne savait rien faire d’autre. Mort à quarante ans, laissant derrière lui un sillage magnifié et météorique, tant la fulgurance de son ascension continue d’impressionner malgré le temps qui a passé.

    Je reviens sans cesse à John Coltrane, il y a tellement à faire avec lui ! Compagnon de route de Miles Davis ou Thelonius Monk, leader s’affirmant comme un astre dès la fin des années 50, pour tout chambouler jusqu’à sa mort, Coltrane occupe (pour toujours) une place unique dans le jazz, parce qu’il fait partie de ces très rares musiciens qui ont fait « bouger les lignes » et ont consacré toutes leurs forces à défricher de nouveaux espaces. Chaque note de Coltrane était une offrande (« Offering »).

    Lorsque je m’assois devant ma discothèque et que je parcours d'un coup d'œil panoramique la discographie de John Coltrane, méticuleusement classée par ordre chronologique, je mesure encore mieux la dimension surnaturelle d’un travail accompli en une petite quinzaine d’années. Trouver le bon disque au bon moment, rien de plus facile tant la progression du musicien offre une diversité de chants qui, pour être nourris de la même passion (au sens presque christique du terme), revêtent des couleurs bien différentes. Comparez par exemple, juste pour apprécier le spectre de sa création : Giant Steps (1959), Olé (1961), Live at the Village Vanguard (1961), John Coltrane & Johnny Hartmann (1963), A Love Supreme (1964), Meditations (1965), Live in Japan (1966) et Insterstellar Regions (1967). Voyez comment, temporairement de retour dans le quintet de Miles Davis, il illumine d’un chorus extra-terrestre « Someday My Prince Will Come » ou comment, l’année précédente, il avait tourneboulé le public de l’Olympia par ses interventions surnaturelles (cf. « All Of Me »). Le même musicien, le même homme mais une élévation probablement amplifiée par la maladie qui l’emportera et qui, sans nul doute, a dû le pousser dans les derniers retranchements de son expression, parce que le temps lui était compté. Au point que son année 1965, dont j’avais retracé les grandes dates, fut d’une fécondité inégalée.

    1965, justement... peuplée de pépites et d’instants d’une incroyable richesse, dont les First Meditations constituent à la fois un sommet et un chant du cygne. Ce disque qu’une fois de plus j’ai longuement écouté aujourd’hui pour me nourrir de ses beautés et rendre hommage au disparu. Probablement celui qui fréquente le plus souvent le haut de ma pile coltranienne. Inépuisable...

    Sommet parce que ses cinq mouvements : LoveCompassionJoyConsequences - Serenity, enregistrés le 2 septembre 1965 (soit une semaine seulement après la session en studio qui avait donné naissance à un autre chef d’œuvre, Sun Ship) sont une sorte de somptueux précipité de la spiritualité exacerbée du saxophoniste. Quarante minutes hantées, brûlantes dont la radicalité laisse toute sa place au chant profond de John Coltrane, qui devient cri quand l’exaltation n’est plus suffisante. Il y a dans cette musique quelque chose qui ressemble à l’éternité.

    Chant du cygne parce qu’il s’agit-là du dernier enregistrement réalisé par le quartet que le saxophoniste avait constitué en 1961 et qui demeure, aujourd’hui encore, un jalon dans l’histoire du jazz. McCoy Tyner (piano), Elvin Jones (batterie) et Jimmy Garrison (contrebasse) auront formé un quatuor unique d’explorateurs dont les interactions continuent de forcer l’admiration. Ces quatre-là se retrouveront encore en studio en octobre et novembre pour l’enregistrement de Om, Kulu Se Mama, Selflessness et Meditations (dont le répertoire recoupe en grande partie celui de First Meditations) mais dans le cadre de formations élargies. Puis viendra la séparation et la dernière phase de la trop courte vie de Coltrane, avec d’autres compagnons de route.

    17 juillet 2013... First Meditations pour se souvenir, pour puiser des forces à la source d’un torrent musical comme on n’en compte qu’un seul dans une génération. John Coltrane est vivant !

  • 22 v’là 21 !

    philippe gordiani, emmanuel scarpa, julien desprez, 21, coaxTant pis, je ne résiste pas à publier ici un petit texte que j’ai écrit la semaine dernière en quatrième vitesse après avoir reçu 21, un album enregistré par un trio composé de Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa. Il n’est que la traduction rapide de mes premières impressions (et donc le brouillon balbutiant d’une chronique pour Citizen Jazz, dont la rédaction est en cours et la publication à venir). Bref, je vous livre une ébauche jetée sur le clavier en quelques minutes. Certainement très imparfaite, j’en suis conscient, mais le ressenti est bien présent, lui. Et croyez-moi, ça sent plutôt bon !

    On peut dire que j’ai Gordiani à l’œil, ou plutôt à l’oreille, depuis quelques années : en 2008, la guitare électrique de ce tiers de l’i.Overdrive Trio (avec Bruno Tocanne à la batterie et Rémi Gaudillat à la trompette) avait attiré illico mon attention par sa relecture à la fois fidèle et iconoclaste de Syd Barrett, co-fondateur de Pink Floyd disparu d’abord dans les méandres de sa folie puis définitivement en 2006 ! Quant on a biberonné au rock, quand on a vibré depuis tant d’années à l’électricité de la guitare, quand on a goûté aux saveurs adolescentes de déflagrations pas toujours paisibles pour vos géniteurs, forcément... un type qui sait faire crisser les pneus de l’embarcation à coups de cordes mérite toute votre sympathie ! La mienne en tous cas. Gordiani est de ceux-là... Surtout que le monsieur aime fouler au pied les codes de l’éthique jazz (tiens, au fait, c’est quoi le jazz ? Pas taper ! Pas taper !), au point qu’on devine que les querelles de chapelles ne sont pas pour lui une préoccupation de chaque jour. Rock, jazz, musique minimaliste ou sérielle, improvisation, tout ça, on s’en moque un peu, c’est la vie qui compte, mieux vaut nourrir le flux d’une existence par nature trop courte pour se priver du bonheur de livrer aux autres toutes ces images qui vous hantent.

    En 2010, sa participation au grand, généreux, protéiforme et insoumis Libre(s)Ensemble, toujours avec Tocanne & Co, m’avait fait subodorer chez lui des amours crimsoniennes non dissimulées : en composant « From KC to Gawa », Gordiani se plaçait dans une filiation directe avec l’univers de Robert Fripp (et particulièrement celui de la période 1972-1974). D’ailleurs, vous avez compris : KC... King Crimson !

    L’année dernière, encore une incartade (je ne prétends pas être exhaustif, j’évoque ici quelques disques qui sont des points de repères) lorsqu’il déjoue d’autres mystères sonores et métalliques dans l’Alphabet de Sylvain Rifflet, expert lui-même en modelage de la matière musicale et dont l’influence frippienne affleurait également ici ou là, en particulier dans une composition intitulée « Electric Fire Gun »... j’en ai moi-même parlé par ici.

    Bref, que du beau, du bon, du pur jus. C’est le cas de le dire.

    Alors, une alliance avec deux musiciens dont le récent passé et l’actualité montrent toute la disponibilité d’esprit et le sens de la transgression, vous pensez bien... Desprez et Scarpa sont, entre autres, tous deux de l’expérience Radiation 10, et par là du collectif Coax sur le label duquel ce disque paraît : voilà qui donne une idée de leur pédigrée et de leur compétence en matière de distillation musicale. Un beau cadeau juste avant l’été.

    21, ça veut dire pas mal de choses. Il fut même une époque lointaine où c’était mon âge... Officiellement, le chiffre traduit l’équation instrumentale du groupe : 2 et 1, deux guitares et une batterie, ce qui signifie que l’idée du power trio du rock est ici légèrement pervertie puisque la basse n’est pas invitée à la fête, très électrique comme on le constate dès les premières mesures de « Siècle 21 ». Tiens tiens... Un autre sens à donner au chiffre 21 ? Et quand on fait le constat de la référence crimsonienne évidente de cette entrée en matière, on se dit qu’il y a là, aussi, un clin d’œil appuyé au « 21st Century Schizoid Man », premier missile envoyé par le groupe à la fin des années 60 et qui restera comme l’une des pièces maîtresses de son répertoire jusqu’à la fin.

    Les deux guitares (Gordiani et Desprez, donc) ouvrent la porte de drôles d’espaces hypnotiques, à coups de gifles ou de grondements, endossant parfois le costume de cette basse qu’il faut bien ici ou là faire entrer en scène (ainsi, « 14 (21) »). Elles se répondent en échos d’acier, coulent des mélodies inquiètes ou vrombissent, jouant la complémentarité de leurs textures, entre acidité et onctuosité. Tantôt propulsive et obstinément rock - pesante s’il le faut - tantôt liquide lorsqu’elle se love plus délicatement dans l’intrication des cordes (« Trois couloirs »), la batterie d’Emmanuel Scarpa est au-delà de la force de frappe.  Mais attention, si la référence à King Crimson est revendiquée (« Siècle 21 » comme on l’a dit, mais aussi « 3E3» dont le cœur ne déparerait pas sur Larks Tongues In Aspic ou Starless And Bible Black), il serait injuste de laisser penser que 21 est un ersatz de l’idiome frippien et de ses fractures du début des seventies. Trente ou quarante ans ont passé, les expériences se sont accumulées et les influences agrégées, permettant l’éclosion de mondes parallèles. Si les couleurs sont souvent voisines et les oppressions connexes, le trio sait inventer son propre cheminement, entre mystère et ébullition des métaux. Sa science de l’improvisation, ses interrogations sonores (« BzZ », « 258 B », « Fenêtre de droite »), ses déphasages (« Ouverture »), ses appels lancés haut et fort (« 258 A ») sont autant de cartes dans le jeu d’une musique qui ne demande qu’à se fondre dans une « Coda 21 » presque reposée.

    Il y a dans 21 tout ce qui fait qu’on aime la musique : l’énergie, l’imprévu, le mystère, une singularité tour à tour incantatoire et curieuse de paysages à défricher. En quarante minutes, Philippe Gordiani, Julien Desprez et Emmanuel Scarpa mettent les doigts dans la prise de courant de leur imaginaire et zèbrent de leurs éclairs notre ciel qui ne demande pas mieux qu’on lui fasse ainsi frissonner les étoiles.

    On n’est pas loin du coup de foudre, finalement !

  • Como va

    como_bolero.jpgFinalement, maintenant que vous m’y faites penser, je crois bien que c’est ça : je dois être un grand sentimental. Il suffit de peu de choses pour m’embarquer et faire de moi un allié inconditionnel. Une musique qui emporte, une mélodie aérienne qui touche au cœur, une pulsion tout en souplesse et, hop, voilà le travail : je fonds comme neige au soleil, je rends les armes et je dis « Encore ! ». Peut-être bien aussi que le reliquat de sang italien qui coule dans mes veines n’est pas étranger à une sensibilité que d’aucuns pourront juger naïvement béate mais je n’en ai cure, après tout. Quoi de plus attachant en effet qu’un chant humble et sincère, porté par la grâce des émotions, nimbé de notes qui, prises une par une, sont exemptes de la moindre vulgarité ?

    Je vous raconte tout cela parce que j’ai reçu tout récemment le disque du pianiste Jean-Pierre Como appelé Boléro. Ne cherchez pas, il sortira au début du mois de septembre et vous n’aurez aucune difficulté à le trouver. Cette production de l’Âme Sœur (ça ne s’invente pas) est arrivée chez moi pile au bon moment ; il y eut illico comme une résonance intime et subtile entre le soleil qui pointait tranquillement le bout de ses rayons d’été dans mon salon et la sérénité d’un disque dont les élégances feutrées se sont mise à envelopper l’atmosphère d’un matin calme de leur lueurs tendres. D’un seul coup, je me suis senti bien, comme en harmonie et je ne demandais rien de plus.

    Jean-Pierre Como promène sa cinquantaine et sa longue chevelure non sans grâce. Celui qu’on connaît pour tenir les claviers d’un groupe classifié rapidement dans la catégorie fourre-tout du jazz fusion (il suffit qu’un peu de binaire traîne dans le coin ou que vos amours musicales parfois électriques vous fassent voyager par delà les continents pour qu’on vous taxe de fusion... mais bon, en l’occurrence, je vous parle ici de musique tout simplement, qui plus est de musique du cœur) nommé Sixun et dont je vous suggère amicalement d’écouter les disques parce que d’eux aussi émane cette sérénité solaire qu’on retrouve ici concentrée sous la forme d’un quatuor italo-argentin, propose avec Boléro son neuvième album. Como, je le suis depuis un petit bout de temps donc, et je garde un souvenir ému d’un disque appelé Padre, publié à la fin des années 80 et que j’avais déniché au bon vieux temps d’une émission de radio que j’avais le privilège d’animer, pas si loin d’ici, du côté d’Epinal. Déjà, j’étais sensible à sa musique imprégnée d’une grande tendresse, toute en joie nostalgique (on me pardonnera ce qui s’apparente à un oxymore), au cœur de laquelle le pianiste plaçait la mélodie et le chant comme ultime cadeau fait à son père.

    Vingt-cinq ans plus tard, Jean-Pierre Como se tient debout plus que jamais, porté par des élans vigoureux qui mêlent ses origines italiennes aux influences argentines que n’ont pas manqué de lui souffler à l’oreille ses complices que sont Minino Garay (batterie, percussions) et Javier Girotto (saxophones soprano et baryton). Dario Deidda, bassiste transalpin vient tranquillement équilibrer cette quarte latine à laquelle un ami de passage, le guitariste Louis Winsberg (Sixun, toujours...) rend visite le temps de regarder un peu la lune (« Guarda Che Luna »).

    A vrai dire, on n’a même pas envie de passer en revue les onze titres qui composent ce bel album. Son fleuve tendre et tranquille s’écoule, ses couleurs sont chatoyantes et subtiles, elles évoquent un voyage rêveur entre Méditerranée et Amérique du Sud, en passant par les Caraïbes ; cerise sur ce gâteau délicieux, Boléro est un disque que j’ose qualifier d’accessible en ce sens qu’il ne nécessite aucun passage préalable par telle ou telle histoire musicale afin qu’on en comprenne bien les ressorts. Non, nul besoin d’une quelconque initiation, il est là, devant vous, pour vous, tout entier parcouru d’un chant amoureux dont la poésie ne pourra vous échapper pour peu que la sensibilité dont il vibre ne fasse plus qu’une avec la vôtre. Et puis... tout de même, quand on vous prend par la main pour partager des rêves d’or, un amour tango ou observer une goutte de pluie, tendrement enlacé avec qui vous le souhaiterez, il faudrait être sacrément grincheux pour refuser une invitation aussi langoureuse.

    Como va molto bene...

  • Un souvenir sans conséquence spéciale

    heldon-stand_by-front.jpgJ’ignore si mes plongées régulières dans A la recherche du temps perdu peuvent avoir une influence sur mes propres perceptions de la vie, de la mémoire (volontaire ou non) et plus généralement du monde qui m’entoure et, comme tout un chacun, au centre duquel j’imagine parfois me trouver alors que je n’en suis qu’une poussière. Mais au moment où je m’extrais de sa lecture pour quelques jours, au moment où les informations m’écrasent de leur violence et leur incroyable accumulation de désespoirs récités en litanie pseudo-journalistique, me reviennent en mémoire des instants à la fois douloureux et puissants. Stand By...

    Les heures que nous vivons sont délétères : le régime politico-financier sous la dictature duquel nous vivons est, comme le dit justement mon camarade Franpi, en train de ployer. Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Impossible de le dire mais comment ne pas être certain que rupture il y aura, forcément. Et qu’elle sera très douloureuse : pas pour ceux qui l’auront provoquée, mais pour tous les autres, nous tous qui avons certainement manqué de lucidité pour que les choses en arrivent à ce stade et qui avons assisté, impuissants, au spectacle désolant de la rapacité cynique d’une minorité sans conscience. En France, les malversations de tous bords sont mises au jour, on essaye d’attenter d’une incroyable manière à la liberté de la presse, comme si les puissants ne connaissaient qu’une seule arme, leur drogue fatale, l’argent, pour mieux écraser toute tentative de résistance. Je ne vais pas plus loin dans un inventaire qui finirait par nous achever.

    Bref, tout va mal et – c’est mon gros défaut – je trouve en la musique une alliée précieuse, une source d’énergie dont je ne saurais me passer, au-delà de l’amour de ceux qui m’entourent et qui sont à leur manière les muscles cardiaques qui me font défaut. Sans eux... 

    Soir d’été, bad news malgré le retour du soleil, ce grand absent, l’horizon est bouché. En quête d’un refuge, je file au deuxième étage de ma maison, sous les toits, au milieu des boiseries et, comme au temps de l’adolescence, je m’agenouille devant les rayons de ma discothèque. Quand j’étais plus jeune, je pouvais passer de longues minutes avant de choisir un disque. C’était mon plaisir, celui d’une fausse fébrilité, une sorte de prière muette faite aux musiciens qui se cachaient malicieusement sous les pochettes cartonnées et dans les sillons magiques de ces galettes noires. Mais ce soir, il en va autrement. Comme par enchantement, ma main se pose sans la moindre hésitation sur un disque auquel je me sens lié pour toujours et qui, jamais, ne me quittera. Heldon, Stand By.

    Je ne vais pas me lancer ici dans la biographie de Richard Pinhas, musicien pétri de science fiction (ainsi, Norman Spinrad dans l’œuvre duquel Pinhas a trouvé le nom de son groupe), disciple de Gilles Deleuze (dont il a, si ma mémoire ne me trahit pas, retranscrit bon nombre des cours à l’université de Vincennes), amoureux de la musique de Robert Fripp et Brian Eno (mais pas seulement, on croise dans son Panthéon aussi bien Kraftwerk que Jimi Hendrix).

    Si, quand même un souvenir : à l’automne 1974, j’avais entendu dans une émission de France Inter animée par Pierre Lattès une drôle de musique, curieux alliage d’électronique et d’électricité. Un truc comme je n’en avais jamais entendu, pas forcément accessible à la première écoute, mais captivant tout de suite. Un disque de Heldon, le premier, cette Electronique Guérilla où Gilles Deleuze disait « Le Voyageur » de Nietzsche. Un jour clé, ou plutôt un soir, et le début d’une passion qui ne s’est pas éteinte depuis. J’avais missionné mon frère aîné, celui qui fut mon premier guide en musique, afin qu’il me rapporte au plus vite la précieuse galette... On devine ma fébrilité. Les années ont défilé à la vitesse de la lumière mais toute cette musique est présente en moi comme au premier jour. Il y a quelques semaines encore, je recevais Desolation Row, le nouveau disque de Richard Pinhas dont bien des vibrations évoquent celles de ces premières heures foisonnantes. Ecoutez « Moog » et vous comprendrez ce que je veux dire.

    Je m’adresse peut-être à des spécialistes, mais tant pis... Les autres comprendront qu’il s’agit là d’une passion.

    Stand By, donc.

    En 1979, ce disque m'a aidé à tenir le coup, à rester debout, à me maintenir en vie. Oui, au moins autant que toutes les médecines censées me guérir. On me donnait quelques semaines à vivre et quand je m'endormais le soir, pour me donner des forces, je l'écoutais dans ma tête parce qu'il n'y avait pas d'électrophone dans ma chambre d'hôpital, forcément. Six semaines, c’est long, malgré les amis, malgré les amours. C’est une vie glauque, froide et souvent sans espoir, faite de râles et de mauvaises odeurs, de bruits déprimés et de silences mortifères. J’ai sous le coude quelques textes qui racontent cette époque, mais je me dis qu’ils vont rester en l’état, qu’ils n’ont que peu d’intérêt. Quelques semaines plus tard, après qu’on m’ait diagnostiqué un mal non mortel, expliqué qu’il faudrait fluidifier mon sang ad vitam æternam et fait comprendre que je pouvais oublier l’annonce fatidique qu’on m’avait faite, j'ai pu rentrer chez moi et je me suis jeté, assoiffé, sur le disque pour l'écouter "en vrai". Encore et encore... J’en ai profité pour ressortir d’autres albums, comme Interface, l’autre monument de Heldon paru un an plus tôt, ou Un rêve sans conséquence spéciale, dont la noirceur, curieusement, me faisait le plus grand bien. J’avais le sentiment d’extirper le mal qui avait essayé en vain de me ronger. Richard Pinhas, Patrick Gauthier, Didier Batard, François Auger...

    Le temps a passé, 34 ans déjà... et je suis toujours là (est-ce une bonne chose ?) ; tout comme ce chef d'œuvre qui continue de briller de mille feux et de me fasciner ! Sa musique est intacte, puissante, elle vous attrape à la gorge et ne vous lâche pas. Il faut la vivre, la laisser vous envahir, vous saisir. Après, rien n’est pareil...

    En 2013, la grisaille règne, la médiocrité ressemble à une pandémie, il faut avoir des yeux d'enfant pour garder le sourire. Stand By est un sacré compagnon des moments difficiles, il me le prouve encore. Je ne sais pas si c'était le but recherché par Pinhas et ses complices, mais à titre personnel, j'en certifie les effets ! Je ne sais pas comment remercier ces funambules qui, sans le savoir, sont des compagnons fidèles de mon intimité et à la source desquels je puise jour après jour. Ces quelques lignes, une fois encore, leur disent merci.