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  • Les élucubrations d’Antoine

    herve-wayne-shorter.jpgJe ne voudrais pas laisser filer ce dernier jour de l’année sans avoir adressé un petit clin d’œil à un pianiste dont la récente production discographique (mais pas seulement, on le comprendra assez vite) aura été la source d’un vrai ravissement. Et j'aimerais par avance présenter mes excuses à Antoine Hervé qui pourrait m’en vouloir d’avoir travesti son travail de grande qualité sous une expression un peu narquoise qui a donné son titre à cette note. Qu’on se le dise, c’est l’imagination du musicien qui se trouve ici habillée en élucubrations, à prendre peut-être dans leur sens secondaire d'un « ouvrage composé à force de veilles et de travail ».

    Je ne m’appesantirai pas ici sur la biographie du monsieur qui, plus qu’un pianiste, est un éminent compositeur arrangeur, féru d’improvisation : elle est très éloquente et nous montre à la fois l’étendue de ses collaborations, incluant la direction de l’Orchestre National de Jazz à la fin des années 80, aux côtés des plus grands noms du jazz tels Quincy Jones, Chet Baker, Carla Bley, Gil Evans... et beaucoup d’autres, et de ses sources d’inspiration qui vont bien au-delà du jazz et passent par le rock, la musique classique, les musiques du monde... On pourrait définir Antoine Hervé comme un amoureux gourmand de toutes les musiques. Son approche de l’art en est presque gastronomique (je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il est aussi un fin gourmet).

    La gourmandise, donc, est l’ingrédient principal des Leçons de Jazz auxquelles Antoine Hervé s’adonne depuis quelques années (elles sont à considérer un peu comme les sœurs jumelles des leçons de son camarade Jean-François Zygel, dans le domaine de la musique classique), pour le grand bonheur d’un public aux anges. Jamais pontifiant, toujours passionné, Hervé décortique, raconte des histoires, se met à la portée (le mot est bien choisi) des mélomanes non pratiquants et prend un plaisir non dissimulé à nous enseigner ce jazz qui le fait vibrer depuis l’adolescence. Cerise sur le gâteau, l’humour affleure dans chacune de ses leçons (ainsi lorsqu’il imite sa femme qui marche pour expliquer ce qu’est une walking bass ou lorsqu’il s’arrache les cheveux devant l’architecture mystérieuse d’un saxophone soprano) et, mine de rien, on ressort de ces heures aux vertus très pédagogiques avec l’idée qu’on a vraiment appris quelque chose, habité du besoin, très pressant, de se précipiter sur les disques des musiciens qu’Antoine Hervé vient de célébrer. Effet garanti ! On rêverait d’un enseignement de la musique à l’école qui soit aussi contagieux : avec un tel professeur, bien des choses seraient transformées dans les esprits de nos enfants...

    Chance pour nous, plusieurs de ces belles leçons ont fait l’objet d’une publication sous la forme de DVD. Les quatre premiers volumes mettent à l’honneur Antonio Carlos Jobim, Oscar Peterson, Wayne Shorter et Keith Jarrett. Leur réalisation est d’une grande sobriété qui privilégie la complicité avec celui qui s’installe au poste de conférencier : Antoine Hervé raconte, explique, joue (accompagné par exemple des frères Moutin ou du saxophoniste Jean-Charles Richard) ; le clavier du piano apparaît en haut de l’écran dès qu’il entre en action, pour agrémenter le propos d’une animation du meilleur effet. Si l’on est musicien, on pourra décortiquer les doigtés ; si on ne l’est pas, on pourra se laisser aller à admirer la grâce d’une gymnastique enchantée. C’est selon.

    J’ignore à l’heure actuelle si d’autres leçons verront le jour sous cette forme mais en attendant un cinquième volume, je ne saurais que trop conseiller la fréquentation de ces heures enrichissantes et, pour dire les choses plus simplement, très jubilatoires. Elles s’adressent au public le plus large, connaisseur ou pas, elles sont un moment de partage qui ne se refuse pas.

    coupdemaitre.jpgDans sa leçon consacrée à Wayne Shorter, Antoine Hervé nous explique que le saxophoniste est un créateur d’univers, un artiste qui veut inventer sa propre musique. Eh bien, je me demande si ce désir d’innovation n’est pas le sang qui coule dans les veines du PMT QuarKtet qui vient de publier un disque absolument ébouriffant. Il figure d’ailleurs dans la (longue) liste de mes disques de l’année 2012 et je dois confesser que si j’avais eu le courage de compresser mon Top 22 en un Top 5, l’album ferait partie de cette quinte ultime. Sans la moindre hésitation, je lui décerne un « Coup de Maître », amplement mérité tant son écoute répétée depuis deux mois est une source inépuisable de plaisirs multipliés qui jamais ne se départissent de leur mystère originel. Aux côtés d’Antoine Hervé, on retrouve l’exaltant Jean-Charles Richard au saxophone (qui a lui-même reçu un « Maître d’Honneur »), Philippe Garcia à la batterie (tiens, voilà qui me ramène pas mal d’années en arrière et au Collectif Mu, trop vite disparu) et Véronique Wilmart à... l’acousmatique. Acousmatique, kesako ? Tiens, il faudrait que le professeur Hervé nous explique tout cela, il ferait ça beaucoup mieux que moi. Disons, pour faire très court, qu’il s’agit ici de recourir à des matières sonores qui vont être comme sculptées et transformées, dans une démarche qui est celle de la musique dite concrète.

    pmt_quarktet.jpgVéronique Wilmart co-signe avec Antoine Hervé toutes les compositions de ce disque magnifique et je suis certain que le pianiste ne m’en voudra pas de souligner à quel point sa comparse nourrit le disque de toute sa science de l’invention et de la perturbation atmosphérique (en ce sens que ses trouvailles sonores viennent tranquillement bousculer l’agencement d’un jazz déjà riche de toutes ses couleurs). Elle est la pourvoyeuse des climats, ceux sur lesquels les autres musiciens peuvent parvenir encore mieux à un épanouissement complet (Jean-Charles Richard est une fois de plus exemplaire, il n’est pas hasardeux de penser que bien souvent, Wayne Shorter le guette du coin de l’anche avec beaucoup de bienveillance). Impossible de « caser » cette musique dans une catégorie bien précise : il y a du jazz, forcément, mais ici on confinera à la musique sérielle, là à une séquence plus électro, avec une dose de minimalisme improvisé. Parfois on se croirait dans un film urbain et un peu frénétique (« Les triplettes de Barbès ») et pour tout dire, ces variations énigmatiques dessinent un monde très singulier, avec ce petit air de jamais entendu qui attire instantanément. 

    PMT QuarKtet est un disque riche, troublant, magnétique, une de ces pépites que, loin de vouloir garder pour soi en Harpagon des galettes, on voudrait faire connaître au plus vite. Assez indéfinissable certes (d’où peut-être, ici, ma difficulté à le transcrire correctement en mots), mais passionnant du début à la fin. A découvrir d’urgence, merci monsieur Antoine !

  • Émotion, silence, sujet, verbe, complément et fin du monde

    iPad-DD.jpgJ’entendais ce matin une courte rubrique de France Inter appelée la Playlist dont le slogan est « On aime, on en parle ». En l’écoutant, j’ai pensé au chemin que j’essaie d’emprunter ici ou dans le cadre de mes chroniques pour Citizen Jazz. Il s’agit bien en effet de trouver les mots les plus appropriés pour donner envie à nos lecteurs de découvrir des disques qu’on aime et d’aller encourager les musiciens sur scène.

    Néanmoins, j’aimerais faire part ici de deux ou trois réflexions relatives aux disques dont je ne parle pas ou que j’évoque (très) longtemps après leur parution... Je vous les livre en vrac, comme elles me viennent. Et puis, il est possible que je vous parle aussi d'autre chose, mais je n'en sais rien encore, on verra bien.

    Un disque me laisse indifférent ou ne me parle pas ? Dans ces conditions, pourquoi donc prendrais-je le temps de partager cette distance vis-à-vis d’une œuvre ? Pour tenir des propos négatifs qu’on pourrait, à juste titre, me reprocher ? En quoi y suis-je autorisé ? Il m’est arrivé quelquefois d’écrire un texte de ce type : mais à une exception près je crois (et encore cette chronique était-elle tournée sur un mode qui se voulait humoristique parce que le groupe concerné vous avait un petit air de produit marketing qui m’autorisait, je crois, une pointe de taquinerie), jamais je ne me suis résolu à aller jusqu’au stade de la publication. Je garde ces textes, parce qu’ils sont nés d’une nécessité, mais celle-ci, finalement, ne concerne que moi. Le temps passe trop vite pour qu’on ne le consacre pas à dire qu’on aime. C’est un vieux débat, d’autres que moi, certainement d’éminents spécialistes, affûteront des arguments démontrant les bienfaits de la contradiction et me rangeront dans la catégorie des politiquement corrects. Je leur laisse ce plaisir.

    Il se trouve que je fais partie d’un réseau dont chaque membre se voit offrir la possibilité d’écouter beaucoup de musique. Nous bénéficions donc d’un privilège inouï, celui d’une découverte permanente (ou presque), chaque jour renouvelée, qu’il est matériellement impossible de glisser intégralement dans les interstices de nos emplois du temps. Un peu comme si nous étions engagés dans une drôle de course contre la montre. Il y a dans toute cette matière première mise à notre disposition largement de quoi trouver nos bonheurs respectifs et nous interdire de regarder en arrière. Car il faut le dire et le redire : la crise du disque est une réalité très cruelle, mais j’ai l’impression d’avoir été rarement confronté à une richesse musicale telle que celle qui nous est livrée actuellement. Certes sous-exposée la plupart du temps (d’où notre rôle de modestes passeurs), parce qu’il est extrêmement compliqué pour un musicien de se faire connaître, mais d’une créativité étourdissante. Je vous parle ici de musiciens qui ne vivent pas des ventes de leurs disques, pour lesquels ces derniers sont une nécessaire carte de visite (sinon, pas de scène ou très peu, pas d’accès aux festivals, ...) et déploient des efforts immenses pour exister autrement, par le biais de concerts notamment.

    On est alors dans une situation étrange : être habité de la certitude qu’on ne « capte » qu’une infime parcelle de tout ce qui est publié et en cela se dire qu’en écrivant sur un tel, on sera forcément injuste vis-à-vis d’un autre. Dans ces conditions, un silence vaut-il condamnation ? Non, pas du tout ! Il est souvent le résultat d’une impossibilité matérielle (pas le temps, vraiment, d’écrire sur tout) ou d’une difficulté à produire un texte qui soit conforme à ce qu’on souhaite publier et qu’on juge parvenu à un état satisfaisant.

    De plus, à ce niveau, je revendique le droit de m’accorder le temps nécessaire à la maturation d’un écrit. Parfois, un texte surgit en quelques minutes, après deux ou trois écoutes seulement. En une heure, la chronique est bouclée. Ce n’est que rarement le cas, il faut bien le dire, le dernier exemple en date fut pour moi le Kubic’s Monk de Pierrick Pédron, avec une chronique écrite en quarante minutes. Je suis un laborieux de la phrase, un tâcheron des lignes, un bafouilleur de la syntaxe et je dois, jour après jour, m’imprégner d’un disque pour que les premières phrases finissent par se dessiner, un peu n’importe comment : ce sont des mots qui se baladent, des idées qui me traversent l’esprit, ils viennent, ils repartent, c’est assez chaotique à l’intérieur, je ne vous le cache pas. Bref, le bordel ! Il arrive aussi que, malgré un tel processus, rien ne vienne, c’est la sécheresse totale et l’exaspération parce que ce disque-là, on l’aime, mais le déclic de l’écrit ne s’est pas produit. Alors je mets de côté, j’attends et j’y reviens, plus tard. C’est la raison pour laquelle – non soumis à quelque diktat promotionnel que ce soit – je revendique également la possibilité d’évoquer un album plusieurs mois après sa parution, parfois plus d’un an (au grand dam des musiciens eux-mêmes qui, je les comprends volontiers, peuvent manifester une certaine impatience parce qu’un soutien leur est toujours précieux). Il faut que les choses soient claires : écrire au sujet d’un disque, c’est plus que jeter deux ou trois mots à la va-vite d’un doigt distrait sur le clavier : sinon, il existe un moyen très simple de coller à l’actualité qui consiste à recopier à peu de choses près le contenu des dossiers de presse (il m’est arrivé d’être un peu étonné en constatant certaines similitudes entre des chroniques et ces derniers, mais chut... je ne dirai rien). Une telle méthode témoignerait d’un manque de respect pour le travail qui a été entrepris par les musiciens. Si je veux « rendre » une petite partie de ce qu’ils nous offrent, alors je dois de mon côté aller au-delà du simple compte-rendu et fournir un travail « respectable ».

    Néanmoins, il faut savoir ne pas trop « s’écouter écrire » : les belles phrases, c’est bien joli, mais sont-elles les meilleurs vecteurs d’une émotion à communiquer et donc, à faire passer chez l’autre ? Dans une époque de fausse urgence où les mots d’ordre consistent parfois à nous recommander d’écrire peu mais bien (les Internautes sont, semblent-ils, frénétiques et pressés de passer à la page suivante, ils scrollent comme des malades, sur leurs ordinateurs, leurs tablettes ou leurs smartphones, c’est ce que nous serinent les communicants du moment), la fréquentation de Marcel Proust comme instrument de méditation et de concentration n’est pas la bienvenue. Sujet, verbe, complément et ça ira comme ça... Il paraît que les jeunes ne savent plus lire, que leur attention retombe au bout de quelques lignes, etc etc. C’est un dilemme, je le conçois bien mais que faire ? Cette réflexion est au cœur des mes préoccupations, parce que l’idée générale qui me guide est celle du soutien aux musiciens : d’un côté, prendre le temps de trouver les mots qui reflètent au plus près le ressenti profond ; de l’autre, frapper plus vite et, on l’espère, plus fort. Le plat se doit d’être un peu moins copieux pour être plus digeste. Un bel exercice de synthèse (une sorte de diététique de l’écrit) qui servira de ligne de conduite pour les mois à venir. Il y a un an, je m’étais fixé un objectif assez simple : écrire en moyenne une chronique par semaine pour Citizen Jazz ; en toute logique, je parviendrai à une soixantaine de textes. Le pari étant tenu, je le crois reproductible pour 2013, en lui assignant cette nouvelle contrainte d’une plus grande économie de moyens. Qui ne signifie pas appauvrissement, mais une plus grande pertinence.

    En revanche, du côté de chez Maître Chronique, je ne suis pas certain d’être aussi disposé à prendre de telles résolutions. Bien envie de digresser quand le besoin s’en fera sentir.

    On verra bien, de toutes façons, je peux bien raconter tout ce que je veux puisqu’il ne nous reste plus que cinq jours à vivre ! Et sur ces bonnes paroles, je file à Bugarach... Adieu les amis !

  • 22, v’là les « Maîtres » !

    Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous livre le palmarès de la première cérémonie de remise des trophées qu’on appelle par ici les Maîtres. Cette soirée très privée – j’en étais à la fois le Président et l’unique spectateur – est née de mon incapacité absolue à me résoudre à l’élaboration d’une liste de mes dix albums préférés de l’année 2012. Je l’ai tenue chez moi, dans la solitude de ma perplexité, face à de cruels choix auxquels personne ne m’avait contraint. Un exercice auquel s’est déjà livré mon camarade Franpi, dont je vous invite à découvrir la sélection beaucoup plus sévère sur son blog. J’ai cru comprendre, par ailleurs, que la camarade Belette n’avait pas résisté au charme des listes...

    Mon Top Ten, comme y disent, sera un Top 22… Je dois être trop enthousiaste, certainement, et donc vite prompt à vanter les mérites d’un grand nombre de disques, au risque, peut-être, de dissoudre dans un ensemble trop vaste les qualités immenses et intrinsèques de chacun d’entre eux. Mais c’est ainsi : je me dois de partager les bonheurs que me procurent la musique et les musiciens. J’ai bien peur d’apparaître comme un béat niais, toujours prêt à imaginer que ma joie peut aussi être celle des autres. M’en fous, j’assume... Comble de malchance, je ne dispose que d’une seule vie, ce qui ne me permet pas d’écouter tout ce qui mériterait de l’être (les grands absents de ma liste sont les premières victimes de cet agenda un peu trop chargé, et croyez-moi, ils sont nombreux). Et surtout que l’on ne se méprenne pas : j’ai énormément souffert pour parvenir à cette longue liste, j’ai sous le coude un bon paquet de disques qui auraient pu, ici ou là, en pousser d’autres vers la sortie. Que leurs auteurs ne m’en tiennent pas rigueur...

    Ou peut-être que les mois qui viennent de s’écouler auront vu s’épanouir à nos oreilles des heures et des heures de musique enchantée en très grande quantité, faisant de 2012 un cru d’exception. Allez savoir…

    Je ne trouve pas de réponse à ces interrogations. Je sais aussi qu’il va s’en trouver ici ou là pour me reprocher comme l’an passé d’avoir oublié le continent américain, dont je ne méconnais pas l’importance (même si, en réalité, beaucoup de disques m’auront échappé, forcément) mais qui, finalement, n’a pas besoin de mes modestes services pour se faire connaître. N’y voyez là aucune trace d’un patriotisme de mauvais aloi, comprenez simplement que bien souvent, tout près de nous, parfois à peine un peu plus loin, c’est déjà l’abondance ! Des labels, petits ou un peu plus grands, « sans bruit », en plastique ou en « carton », parfois associés en réseaux, déploient des trésors d’imagination pour faire vivre cette Musique qui le mérite bien ! Des artistes creusent jour après jour, non sans difficultés, leur sillon pour « réaliser » leurs rêves et les partager avec nous. Je n’ai donc entrevu – ou plutôt entrécouté – qu’une infime parcelle de ce vaste terrain sur lequel tous les jeux de l’imaginaire sont possibles.

    On sera donc indulgent avec une sélection qui, finalement, n’en est pas une : elle est à prendre comme une suite de suggestions parmi lesquelles il se trouvera forcément un disque que vous aimerez. Ouvrez vos yeux, vos oreilles et votre cœur, le reste viendra naturellement… bref, gardez en vous toute la fraîcheur qui sera toujours votre alliée. L’ordre est alphabétique, parce que je ne vois aucune raison de m’astreindre à un classement...

    Alea jacta est !

    PS : in extremis, trois jours plus tard, je me suis permis d'ajouter un vingt-troisième élément que j'avais commis la grave erreur d'oublier alors qu'il a enluminé le début de l'année. Il s'agit de Soul Shelter, de Bojan Z. La mémoire a ses mystères, parfois... Ce Top 22 est en fait un Top 23 !

    Yuvai Amihai Ensemble

    cover.jpgLa musique embrasée du guitariste Yuval Amihai est portée avec ce disque à un haut niveau de chaleur. Chant, mélodie, lyrisme et tradition… C’est beau, tout simplement. Damien Fleau y rayonne au saxophone soprano. Plus

    Olivier Bogé : Imaginary Traveler

    Cover.jpgLe jeune saxophoniste a quelque chose d’un philosophe. Son premier album est en réalité une proposition – toujours mélodique et solaire – de retour sur soi. Se connaître, goûter chaque instant pour célébrer la vie. Une chance pour nous, un disque lumineux. Plus 

    Emmanuel Borghi Trio : Keys, Strings And Brushes

    keys_strings_brushes.jpgParce qu’il semble enfin lui-même, le pianiste Emmanuel Borghi frappe très juste avec un disque intime et mélodique. Sorti sur la pointe des pieds, son album mérite vraiment qu’on s’y attarde. Plus 

    Philippe Canovas : Thanks

    canovas-thanks.jpgEn toute discrétion, le guitariste Philippe Canovas offre une musique raffinée et intime. C’est peu son histoire qu’il évoque, en une vingtaine d’épisodes courts et séduisants. Plus 


    Pierre Durand : Chapter 1 NOLA Improvisations

    cover.jpgDisque presque solitaire, fruit d’un voyage initiatique à la Nouvelle Orléans entrepris par Pierre Durand dont la guitare évoque Coltrane, John Scofield et l’Afrique. Séduction immédiate. Plus 

    Electro Deluxe Big Band : Live in Paris

    E2L Live in Paris.jpgUn feu d’artifice entre soul, funk et jazz et un autre « maître », de cérémonie celui-là, en la personne du chanteur James Copley qui a fort à faire face à un Big Band furieux de douze soufflants. Ce disque devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Plus 

    Renaud Garcia-Fons : Solo (The Marcevol Concert)

    RGF-SOLO.jpgLe contrebassiste est un virtuose, on le sait. Mais habiter sa musique avec autant d’intensité est la marque des très grands. Ce concert en solitaire, où l’instrument ne rechigne pas à s’abandonner à quelques effets sonores, en est le témoignage vibrant et intemporel. Plus 

    Antoine Hervé PMT QuarKtet

    pmt_quarktet.jpgOn pensait qu’Antoine Hervé était un musicien sérieux. Il est bien plus que cela et son quartet, dynamité par Jean-Charles Richard, Philippe Garcia et la facétieuse acousmatique de Véronique Wilmart, nous prouve qu’il est un passionnant créateur. Magique !

    Daniel Humair New Reunion : Sweet & Sour

    sweetandsour.jpgLe batteur Helvète n’a certainement plus rien à prouver et pourtant, il rebat les cartes en s’entourant d’une jeune garde dont la liberté d’expression invente un menu musical savoureux et épicé. Plus 

    Stéphane Kerecki : Sound Architects

    sound_architects.jpgL’élégance de cet album est certainement celle du contrebassiste Stéphane Kerecki lui-même. Son trio est ici... un quintet, puisque Tony Malaby et Bojan Z sont aussi de la fête. La musique est habitée, la pulsation celle du cœur. Plus 

    Christophe Marguet Résistance Poétique : Pulsion

    cover.jpgLa générosité est la marque de fabrique de ce quintet qui brille de mille feux. Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Mauro Gargano (contrebasse), Bruno Angelini (piano) et Jean-Charles Richard (saxophones) entourent le batteur pour un chant… irrésistible ! Plus 

    Joce Mienniel : Paris Short Stories Vol. 1

    ParisShortStories.jpgProche de Sylvain Rifflet avec lequel il pratique l’art secret de l’encodage, le flutiste Joce Mienniel n’est pas en reste avec un disque malicieux où trois trios rivalisent d’invention pour célébrer leurs amours musicales. On veut le volume 2 de ces très bonnes nouvelles ! Plus 

    ONJ : Piazzolla !

    ONJ-Piazzolla--cover.jpgDaniel Yvinec et sa bande d’artificiers s’attaquent à un nouveau monument, Astor Piazzolla. Un tour de force où l’on n’entend pas de bandonéon ni même de tango. Et pourtant, la sensualité, celle de magnifiques textures sonores, est là. Plus 

    Anne Paceo : Yôkaï

    front.jpgLa batteuse élargit son trio, faisant appel à la solidité de Stéphane Kerecki et à la jeunesse d’Antonin-Tri Hoang. Un disque qui fait affleurer une enfance africaine très chantante. Plus 


    Pierrick Pédron : Kubic’s Monk

    cover.jpgOn l’attendait plutôt avec un troisième volet de ses aventures électriques, mais voilà le saxophoniste qui déboule dans un hommage urgent et parfaitement maîtrisé à Thelonius Monk, enregistré en quelques heures. Le jazz comme il n’a jamais cessé d’être et le sera pour longtemps encore. Plus 

    Jean-Charles Richard : Traces

    cover.jpgLe saxophoniste éclate aux côtés de Christophe Marguet (Pulsion), d’Antoine Hervé (PMT QuarKtet), mais aussi en trio pour un disque dont le titre aurait tout aussi bien pu être Empreintes tant il éclabousse de sa fougue une musique en climats aussi variés qu’intenses. Plus 

    Sylvain Rifflet : Alphabet

    pochette_v2.jpgDeux disques coup sur coup au début de l’année : d’abord de passionnants Beaux-Arts, puis cet Alphabet aux sonorités singulières, hors de toutes influences. Une création à l’état pur.  Plus 

    Rusconi : Revolution

    rusconi-revolution.jpgUn trio Helvète adepte de Sonic Youth, plutôt inclassable et éclectique, qui joue la carte d’un minimalisme mélodique très attachant. Au cœur de l’album, une longue composition, “Alice In The Sky”, avec le grand Fred Frith dans le rôle de l’invité. Plus

    Jacques Schwarz-Bart : The Art Of Dreaming

    cover.jpgQuand le rêve d’un homme devient la réalité d’un artiste. Avec ce disque, le saxophoniste parvient à une forme d’épanouissement qui confine à l’enchantement. On est à la fois heureux pour lui et pour nous tous qui profitons de cette irradiation. Plus 

    Louis Sclavis Atlas Trio : Sources

    sources.jpgLe clarinettiste n’en finira donc jamais de nous surprendre. Chaque disque est pour lui une nouvelle quête, et pour nous une formidable invitation au voyage, cette fois en trio. Du grand art. Plus 

    Claude Tchamitchian : Ways Out

    cover.jpgLe contrebassiste s’électrifie pour un album fascinant en quartet, avec Régis Huby (violon), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Un univers se modèle devant nous, quelque part entre jazz et musiques progressives. Les cordes s’entrelacent, la batterie chante. Plus 

    Bruno Tocanne : In A Suggestive Way

    inasuggestiveway.jpgPlus coloriste que jamais, attentif à ses compagnons comme toujours, le batteur rend un hommage sensible à son « héros » Paul Motian. On est là au cœur du processus de création, c’est l’essence du jazz. Plus 

    Bojan Z : Soul Shelter

    jazz,regis huby,sylvain rifflet,jean-charles richard,bruno tocanne,citizen jazzUne bonne dizaine après son Solobsession, le pianiste récidive avec un disque en solo qui n'est rien moins qu'un indispensable. Comme le dit Citizen Jazz : "Soul Shelter renferme tous les trésors d’invention et de créativité de Bojan Z, comme une goutte d’essence pure". On ne saurait être plus juste. Plus

    Aaaaah… Si j'osais… J'inventerais bien un autre trophée, une sorte de Maître d'honneur, histoire de surligner le travail de quelques artistes et de mettre en avant leur contribution décisive et abondante à la vie musicale et discographique de l'année 2012. Allez, je me jette à l'eau et je décerne ce prix à quatre funambules admirables. Et que tous les autres sachent que je pense bien à eux néanmoins !

    Une quarte majeure en quelque sorte... Reçoivent un Maître d'honneur 2012 (je les cite dans l'ordre alphabétique) :

    Régis Huby

    Il n’a pas seulement prêté l’âme de son violon au Ways Out de Claude Tchatmitchian ou aux Songs No Songs de Denis Badault. A travers son label Abalone, il faudrait parler des If Songs de Bruno Angelini et Giovanni Falzone, évoquer une fois de plus Traces de Jean-Charles Richard et Pulsion de Christophe Marguet. Un peu plus tôt, c’était Furrow de Maria-Laura Baccarini ou Cixircle du Quatuor IXI. Abondance, imagination, tout y est.

    Jean-Charles Richard

    Quelle affirmation ! Son saxophone (soprano ou baryton) rayonne de façon fulgurante sur son album Traces, mais aussi sur deux autres disques cités plus haut : Pulsion de Christophe Marguet et PMT QuarKtet d’André Hervé. Magnifique musicien, on attend la suite des aventures.

    Sylvain Rifflet

    Parce que Beaux-Arts, parce qu’Alphabet, parce que partie prenante des Paris Short Stories Vol. 1 de son complice Joce Mienniel. ! Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, l’inventeur Rifflet se doit d’être célébré avec ferveur !

    Bruno Tocanne

    Belle année pour le batteur : un duo évasion avec le pianiste guitariste Henri Roger (Remedios la Belle), une célébration de Léo Ferré avec l’i.Overdrive Trio (Et vint un mec d’outre saison) et un disque où le jazz est élevé à un degré de liberté magnifique (In A Suggestive Way).

    A l’année prochaine... ou pas !

  • Bruno Tocanne ou l’art de la suggestion…


    bruno toccante,in a suggestive way,paul motian,remi gaudillat,jazz,imr,citizen jazzS’il fallait résumer en quelques mots les qualités de Bruno Tocanne, peut-être pourrait-on, tout simplement, souligner l’esprit de liberté qui souffle sur sa musique. Mais pas une liberté pour soi, un peu égoïste ; non, chez le batteur, il faut avant tout que chaque projet mené à bien soit le fruit d’un travail de maturation qui l’engage pleinement, bien sûr, mais dans un cadre collectif, où l’amitié compte pour beaucoup. Elle semble même un de ses moteurs. Il faudrait aussi rappeler que son approche de l’instrument, bien loin d’être invasive et dominatrice, fait de lui un coloriste sensible dont le sens profond de l’écoute est la marque d’un artiste en état d’éveil constant. C'est un peu tout cela qu'il expliquait voici quelques années à Citizen Jazz quand il s'était confié dans le Boudoir de Proust. Pour mieux connaître l'artiste, on lira aussi avec grand profit un Carnet de Route en Russie publié au mois de novembre 2010.

    Pas à pas, année après année, sa discographie parle pour lui. Il s’en est passé de bien belles choses depuis le début des années 90 notamment, quand il évoluait aux côtés de Sophia Domancich (qu'il retrouvera bientôt sur scène) et imprimait sa marque sur l'album Funerals, en passant par le Trio Résistances (avec Lionel Martin et Benoît Keller) et ses trois albums fiévreux (Résistances, Global Songs, Etats d'Urgence), dont les mélodies aux allures d’hymne restent longtemps imprimées en vous ; Bruno Tocanne nous a fait part de ses rêves en compagnie de quelques comparses remarquables tels que Rémi Gaudillat (New Dreams Now), Quinsin Nachoff (5 New Dreams) ou Samuel Blaser (4 New Dreams !), il nous a déclaré sa liberté dans un album essentiel (Libre(s)Ensemble), a endossé en duo le rôle du Passeur de temps avec le guitariste Jean-Paul Hervé, s’est fait la belle avec le pianiste Henri Roger (Remedios la Belle), il a remis de l’électricité dans sa musique avec le guitariste Alain Blesing pour un détonnant Madkluster vol. 1 qui - c’est obligatoire - en appellera un autre. Co-pilote d’un i.Overdrive Trio tendu comme un arc, il a rendu avec ses complices Philippe Gordiani et Rémi Gaudillat un Hommage à Syd Barrett, fondateur de Pink Floyd, avant de croiser la route de Léo Ferré (Et vint un mec d’outre-saison) en toute complicité avec Marcel Kanche ; jamais rassasié de nouveaux paysages, il a prêté le concours de ses peaux et cymbales au chant envoûtant de Senem Diyici (Dila Dila). La liste n'est pas exhaustive et l'histoire continue…

    bruno tocanne2012.jpg
    Bruno Tocanne © Christophe Charpenel

    C’est ainsi que les édifices se construisent, dans l’adversité d’une conjoncture hostile aux créateurs sans concession et d’un microcosme médiatique résigné à une médiocrité poisseuse dans le pire des cas et à une célébration automatique des têtes d’affiche dans le meilleur, mais aussi par la volonté d’être soi, pleinement, en repoussant autant que faire se peut les vulgarités alimentaires.

    Parmi les fidèles amis, on a déjà cité le trompettiste Rémi Gaudillat, régulièrement impliqué dans ses projets, et membre actif du réseau imuzzic. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que tous deux se sont envolés vers New York au début de l’année pour faire aboutir une nouvelle idée, et pas des moindres : rendre un hommage, un vrai, à un autre batteur, un géant de l’histoire du jazz, le regretté Paul Motian que Bruno Tocanne a dû finir par reconnaître comme un maître, lui qui pensait n’en avoir point ! « Ses orientations musicales, son travail d'orfèvre, son art de la suggestion sont pour beaucoup dans ma manière d'aborder le jazz et les musiques improvisées, musiques que je n'aurais sans doute pas abordées avec autant d'enthousiasme sans l'apport d'artistes comme lui. Paul Motian a disparu au moment où j'étais en train de discuter avec Quinsin Nachoff d'un projet de nouvel album dont l'envie m'avait été déclenchée par l'écoute d'un des trios de Motian avec Joe Lovano ». Aux  côtés des trois musiciens, un quatrième expert, le pianiste Russ Lossing, est venu apporter sa connaissance de l’art de Paul Motian, avec lequel il avait joué en trio.

    Un quartet inspiré, une attention réciproque, une science commune de l’improvisation, un père spirituel dont on connaît la finesse de jeu : toutes les pièces d’un beau puzzle étaient donc en place pour l’élaboration de In A Suggestive Way.

    inasuggestiveway.jpgAutant le dire sans détour, l’album est de ceux qui comblent toutes les espérances formulées dès qu’on a connaissance de leur gestation ; voilà en effet un disque dont le titre reflète avec une fidélité chargée d’émotion la musique impressionniste et méditative. Celle-ci suggère, elle ne s'impose pas par excès de puissance, mais elle finit par affirmer son élégance feutrée. Jamais le moindre discours n’est asséné, bien au contraire : chacun des musiciens semble éprouver le bonheur des suggestions faites aux autres, celles des pistes à suivre quelque part du côté de l’imaginaire, comme autant de fugues spontanées et d’impromptus vivifiants. Bruno Tocanne et ses compagnons réussissent leur pari, celui de la liberté et – là réside toute l’âme de cette musique – de l’écoute réciproque, de l’attention portée à l’interprétation d’une note. Un travail de funambule, dont l’équilibre n’est jamais menacé, parce que le chant règne toujours en maître, y compris au moment où la musique s’invente et ruisselle dans la confrontation fructueuse des idées lancées. Comme le souligne Arnaud Merlin avec beaucoup de justesse, il s’agit là, je le cite « de l'association d'idées et de la conjugaison de sensibilités ». On aurait presque envie de voir dans cet art sublimé et sensible une définition du jazz, en ce qu’il a de plus organiquement vivant, par son association fluide de l’écriture et de l’improvisation.

    Pas de doute, Paul Motian doit être heureux, tout là-haut, de l’hommage qui lui est ainsi rendu. On imagine sa joie d’écouter la délicatesse avec laquelle Bruno Tocanne fait chanter ses cymbales : il suffit, pour comprendre de quoi il s’agit, d’écouter les premières mesures de « Bruno Rubato » qui ouvre l’album et devient au fil du temps un thème récurrent chez lui. Savourez leur chant cuivré, en petites touches scintillantes. Un peu plus loin, les balais seront une caresse à vos oreilles. Heureux aussi car ce disque est l’histoire d’une conversation, d’une succession gourmande de questions et de réponses immédiates ; malgré l’évidente émotion née de l’absence cruelle de Paul Motian, c’est la joie qui l’emporte, elle s’exprime dans la lumière de thèmes qu’on devine comme de vibrants appels (ainsi « Ornette And Don », « One P.M. », deux belles compositions signées par Rémi Gaudillat qui, on le voit, n’est pas venu les mains vides) et dans la ferveur des échanges. Les couleurs vespérales dont se pare l'album, reflets mêlés d'une joie d'être ensemble en musique et du profond respect pour celui qui l'a inspirée, touchent au cœur et maintiennent longtemps une vibration essentielle. Difficile finalement d'évoquer un musicien plus qu'un autre : Bruno Tocanne, Rémi Gaudillat, Quisin Nachoff et Russ Lossing sont de vrais partenaires et In A Suggestive Way est tout sauf un album de batteur. Pas le genre de la maison Tocanne, assurément.

    Il faut avoir l’honnêteté, toutefois, de préciser que ce disque n’est pas de ceux qu’on peut entendre d’une oreille distraite. Ce serait prendre le risque d’être le spectateur de sa musique et de la laisser s’échapper. Un comble, alors qu’il nous offre une place de choix, celle du cinquième élément (ou peut-être du sixième car Motian n’est jamais loin). In A Suggestive Way s’écoute, dans ses moindres détails, pour chacune de ses nuances, pour son art de la conversation entre gens de bonne compagnie.

    Alors la magie opère : on comprend dans ces conditions pourquoi ces instants musicaux méritent amplement un « Coup de Maître ». Et pourquoi, accessoirement, une certaine irritation peut vite nous gagner à l’idée qu'un musicien tel que Bruno Tocanne ne bénéficie pas d’une meilleure exposition. Ce n’est pas ici qu’il restera dans l'ombre, en tous cas…

    In A Suggestive Way (Instant Music Records)

    Bruno Tocanne (batterie), Rémi Gaudillat (trompette), Quinsin Nachoff (saxophone tenor, clarinette), Russ Lossing (piano).

  • Lisa Cat-Berro - Inside Air

    lisacatberro.jpgIl y a des disques qui vous chantent au creux de l’oreille une musique dont les contours souvent feutrés et intimistes, parfois électriques, n’en sont pas moins persistants. Et bienfaisants, reconnaissons-le. Un peu comme un paysage verdoyant qu’on admire pour sa lumière au point du jour et qu’on peut encore contempler une fois les yeux refermés. C’est un peu ça, l’univers de Lisa Cat-Berro et de son Inside Air, un disque attachant dont les couleurs ne doivent rien au hasard.

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  • A bout de souffle...

    dave_brubeck_time.jpgZut de zut ! Dave Brubeck vient de casser sa pipe. Une bien mauvaise idée de sa part. Et même s’il nous a quittés à un âge plus que respectable, quasi canonique, – il aurait soufflé ses 92 bougies aujourd’hui – on ne peut s’empêcher de regretter que, dans un monde où tant d’êtres nuisibles ont la peau dure et jouissent d’une vie bien trop longue, les artistes ne puissent accéder de plein droit à la vie éternelle. C’est ainsi, c’est injuste.

    Ce grand monsieur du jazz, un pianiste trop souvent décrié pour des raisons qui continuent de m’échapper – Sa musique était-elle trop propre sur elle ? Trop sage ? Lui reprochait-on une culture classique qui, forcément, pouvait s’insinuer dans ses notes (il fut l’élève de Darius Milhaud) ? Son look façon clerc de notaire était-il incompatible avec un univers plus noctambule et moins sage en apparence ? Avait-il commis le crise de lèse-jazz d’un succès assez exceptionnel ? Les spécialistes pourront répondre à cette question s’ils le souhaitent... – avait réussi une performance plutôt hors du commun (et je ne parle pas ici de sa longévité, Dave Brubeck s’étant encore produit sur scène en 2011, à l’âge de 90 ans) consistant à populariser le jazz sans jamais le dévoyer, tout en le bousculant de l’intérieur avec des compositions aux métriques complexes qui pouvaient s’avérer redoutables à jouer pour les musiciens eux-mêmes.

    C'est à la plus belle époque de son quartet, une formation aujourd’hui légendaire car entrée de plain pied dans l’histoire de la musique du XXème siècle, que furent enfantés deux disques indispensables : Time Out (1959) et Time Further Out (1961), et que de véritables petits missiles planétaires furent mis sur orbite depuis la base Brubeck : « Take Five » (une composition du saxophoniste Paul Desmond qu’il est quasi impossible de ne pas connaître), «  Blue Rondo A La Turk », « Three To Get Ready » ou « Unsquare Dance ». Parées de leur élégance rythmique et de leurs mélodies accrocheuses, ces compositions n’allaient pas tarder à faire le tour du monde et nous, Français, avons eu aussi la chance de les découvrir par l’entremise de Claude Nougaro qui sut les adapter avec un sacré talent : si je vous dis « A bout de souffle » ou « Le jazz et la java », je sais que vous entendrez une musique qui vous est familière. Je me trompe ?

    Le chant. Oui, c’est cela qui habitait la musique de Dave Brubeck. Le chant et le rythme, tout en pièges taquins et en mesures impaires, comme un malicieux pied de nez. La vie, en quelque sorte.

    A titre personnel, Dave Brubeck m’évoque deux souvenirs. Le premier remonte à mes premières années d’étudiant. A cette époque, le jazz était pour moi plutôt jazz rock, la plupart du temps électrique et se tapissait en particulier dans les disques du Mahavishnu Orchestra ou de Soft Machine. Je connaissais les grands noms du jazz, mais de loin seulement. J’avais un copain de fac qui, lui, se targuait d’être un pur et dur du jazz et faisait tourner en boucle l’album Time Out sur lequel on peut écouter l’universel « Take Five ». Comme tout le monde, je connaissais cette mélodie, je ne l’identifiais pas forcément mais elle sonnait bien à mes oreilles. Je pensais même que Dave Brubeck était le saxophoniste (je suis prêt à parier que je n’étais pas le seul dans ce cas). Cette mélodie entêtante, ce rythme faussement bancal, je les ai toujours gardés dans un coin de ma tête et lorsqu’est venu pour moi le temps d’entrer plus avant dans le dur du jazz, après avoir englouti la discographie de John Coltrane en particulier, je me suis rappelé ce disque et je l’ai acheté. Un plaisir tout neuf, comme intact, un petit parfum d’intemporel magique. Le second souvenir est plus récent, il remonte à une quinzaine d’années quand mon fils était tout juste adolescent et déjà saxophoniste. Un beau jour, il nous a fait écouter son travail : il avait appris par cœur la partition de Paul Desmond sur « Take Five », chorus inclus, et la jouait fièrement avec une sourcilleuse fidélité à l’original. Fierté des parents, joie d’un gamin qui progressait à grands pas et voulait, lui aussi, déjouer les pièges souriants de cette musique. Un exercice dont il s’est plutôt bien tiré depuis...

    Alors aujourd’hui, même si Dave Brubeck vient de faire le grand saut, je voudrais souhaiter un heureux anniversaire à ce monsieur élégant et lui souhaiter d’aussi belles aventures dans sa nouvelle vie. J’en connais là-haut qui risquent de s’éclater. 

    J’en profite également pour renouveler mes vœux d’heureux anniversaire à mon rejeton, lui-même né le 6 décembre. Que sa vie soit aussi longue et gorgée de musique que celle du grand Dave !

    En guise de bonus : le Dave Brubeck Quartet interprète « Take Five » en 1964.

    Dave Brubeck : piano, Paul Desmond (saxophone alto), Gene Wright (contrebasse), Joe Morello (batterie).

  • Une raison de plus d'aimer Coltrane…

    Un billet d'humeur autour de la publication du livre que Michel Arcens vient de consacrer à un questionnement sur la vie et le jazz, en prenant pour point d'appui la musique de John Coltrane.

    Je n'avais pas prévu d'écrire une note consacrée au livre de Michel Arcens appelé Coltrane, la musique sans raison (publié chez Alter Ego Éditions)… D'abord parce que l'auteur est un de mes collègues rédacteurs à Citizen Jazz et que je n'aimerais pas qu'on pense que je souhaite évoquer un livre par un simple réflexe de type corporatiste ; ensuite parce que son approche philosophique n'est pas de celles avec lesquelles je me sens très à l'aise quand il s'agit de proposer mon propre ressenti. À ce niveau, je suis totalement inculte et ce n'est jamais sans le sentiment d'accomplir un effort surhumain que j'arpente des pages habitées de concepts souvent complexes qu'il me faut lire avec la plus extrême attention.


    michel arcens,john coltraneMais le livre de Michel a récemment fait l'objet d'une chronique cinglante dans le dernier numéro de Jazz Magazine. Aimer, ne pas aimer, critiquer, souligner les qualités et les défauts… Jamais je ne contesterai à qui que ce soit le droit d'émettre une opinion, c'est bien entendu. Un livre, comme un disque ou toute autre objet artistique peut faire l'objet d'un débat, c'est même dans l'ordre naturel des choses. Non, ce qui me gêne dans ce texte, c'est sa tonalité blessante, voire condescendante et par là même la dose de mépris qui l'habite. Tout cela me met mal à l'aise, d'autant que pour avoir lu le livre moi-même, je flaire dans cette chronique brutale quelque chose qui s'apparente à un hors sujet, comme si le journaliste s'était attendu à une nouvelle "explication" de Coltrane. Et quand l'auteur dudit article conclut en évoquant la nouvelle que Michel Arcens propose en coda de son livre : "une petite nouvelle de son cru, unique mérite de cet ouvrage", alors franchement je trouve qu'il y a là un vilain coté "fessée" administrée par un père rigoriste à son fils trop paresseux qui m'exaspère au plus haut point. Cette manière de faire la leçon est bigrement énervante…

    Soyons clairs : on a pu lire par le passé bien des livres magnifiques consacrés au saxophoniste. La biographie de Lewis Porter, par exemple, qui comblera aussi bien les musiciens que les mélomanes ; Le cas Coltrane d'Alain Gerber également, autre livre référence ; et puis l'excellent ouvrage de Franck Médioni qui rassemble les témoignages, comme autant de déclarations d'amour, de 80 musiciens, sur lequel Michel Arcens s'appuie régulièrement d'ailleurs. Autant dire que le sujet Coltrane n'est pas un terrain vierge restant à défricher, que bien des exégètes se sont déjà attaqués à ce monument du jazz et qu'il en viendra certainement d'autres encore. Faut-il cependant attendre ainsi au tournant, méchamment, celui qui, à sa façon, très personnelle, presque intime, essaie de partager sa propre vision de l'existence et d'un artiste par une tentative d'analyse (ici appelée esquisse) de ce qui est pour lui le symbole de la vie et dont le jazz serait le pendant musical : l'émotion spontanée, l'évolution perpétuelle, une constante recherche et un affranchissement des genres ? Dont Coltrane, que Michel Arcens admire peut-être plus que tout autre musicien, serait l'incarnation (fugitive parce disparu bien trop tôt mais, à l'évidence, d'une admirable persistance) absolue.

    Soyons clairs encore : il y a certainement des défauts dans le livre, des imperfections, des répétitions et donc parfois le sentiment de longueurs qu'on pourrait contourner. Mais celles-ci sont à comprendre comme le fruit d'une véritable quête de définitions, celle de la vie et son esthétique d'une joie philosophique, celle du jazz, et celle de la manière dont elles peuvent se croiser, voire s'enrichir mutuellement. Si un tel terrain était parfaitement balisé, alors il suffirait d'aligner deux ou trois vérités péremptoires et on n'en parlerait plus. Mais Michel Arcens choisit de questionner, se questionne, ne trouve pas toujours les réponses et c'est tant mieux. Alors il revient sur le sujet, encore et encore. C'est sa propre expérience humaine qu'il nous livre, sans jamais prétendre à autre chose qu'une exploration philosophique dont Coltrane est chez lui le catalyseur (chez un autre auteur, le même sujet aurait pu être abordé avec un autre artiste, c'est évident). Et je connais suffisamment la difficulté de l'écriture, surtout celle d'un livre, pour ne pas y aller de mes conseils dont la légitimité resterait à démontrer. Je prends ce livre pour qu'il nous dit être : des esquisses d'une philosophie imaginaire.

    Du côté de chez Jazz Magazine, on nous dit que jamais Michel Arcens ne nous fait écouter Coltrane et que la nouvelle finale donne envie de relire Giono. Vraiment ? Relire Giono, oui, pourquoi pas ? Excellente idée, mais je ne vois pas bien le rapport, en dehors de quelques apparentements géographiques et d'une certaine idée de la contemplation.  Mais le texte conclusif appelé « L'été, un conte d'enfance », ne serait-il pas à prendre plutôt pour ce qu'il est en réalité : un présent déposé au pied du grand arbre Coltrane ? Voilà une explication qui me paraît bien plus proche de la démarche interrogative de l'auteur. Et bizarrement, allez savoir pourquoi, une fois terminée la lecture de Coltrane, la musique sans raison, je me suis dit qu'un être humain avait tenté d'expliquer sa propre vie à travers Coltrane, sa perception ontologique, humblement, prenant ainsi le risque de s'exposer alors qu'il aurait pu se contenter de vivre et de vibrer à l'art du saxophoniste de manière solitaire et égoïste. Et que ce que d'autres prennent non sans condescendance pour des litanies évoque avant tout une succession de chorus imaginaires issus d'un même thème mille fois remis sur l'ouvrage. Un questionnement perpétuel nourri d'un émerveillement né de l'enfance. Question de disponibilité d'esprit, probablement, de fraîcheur d'âme aussi. Il y avait chez Coltrane une vraie bonté, profonde et vitale, dont on ne trouve plus la moindre trace dans ces quelques lignes acerbes et gratuites.

    Si le livre de Michel Arcens ne devait avoir qu'un seul mérite - ce qui serait déjà beaucoup et j'ai pu vérifier cet effet chez moi - c'est de vous contaminer du besoin irrépressible d'écouter le somptueux Live In Japan enregistré au mois de juillet 1966. La démarche répétitive d'Arcens fonctionne alors comme une des clés possibles d'une grosse serrure qui nous ouvre en grand la porte d'un monde dont le mystère nous échappera encore longtemps. On peut alors gloser indéfiniment sur les prétendus défauts du bouquin, qui ne sont plus selon nous que grains de poussière sans conséquence nuisible. Cette exécution un peu trop sommaire à mon goût semble finalement relever d'une démarche bien vaine face aux mille versions, itératives et mystiques, de « My Favorite Things » qui nous disent tellement sur le sens de la vie.

    Michel Arcens cherche de son côté, et je ne sais toujours pas s'il a trouvé le début d'une réponse. Là n'est pas la question, vraiment, l'essentiel étant pour chacun d'entre nous de chercher à comprendre et à trouver des traits d'union.