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  • Un grand voyage

    madeleine_salomon.jpgJe ferai preuve d'honnêteté en vous confiant que je me suis bien fait cueillir par ce disque. À froid, et en quelques secondes. La flèche en plein cœur ! Je m’y attendais d’autant moins que j’ignorais jusqu’à l’existence même du duo de musiciens qui lui a donné naissance. L’objet est arrivé chez moi discrètement, dans son digipack sobre à l’intérieur rouge uni. Au recto, un homme et une femme assis devant les rayonnages d’une bibliothèque croulant sous des centaines de livres. Puis j’ai entendu la voix de Clotilde Rullaud chantant a cappella « Image », une chanson de Nina Simone. Premier choc… Une voix grave, chaude, dont les intonations vespérales sont chargées d’une tension peu commune, puissamment vibratoire. C’est au niveau des tripes que ça se passe, tout de suite et du début jusqu’à la fin, pour celle qui chante comme pour celui qui écoute. Il va falloir retenir son souffle à quinze reprises pour mieux se laisser (em)porter par un duo que la chanteuse flûtiste forme avec le pianiste Alexandre Saada, dont le jeu tout en retenue, aux accents méditatifs, est le contrepoint parfait de son chant habité. Tous deux ont choisi de s’appeler Madeleine & Salomon et de tisser en mode mineur une toile de l’envoûtement, celle d’un univers de l’intime qui se définit comme une célébration fervente de grandes voix féminines. Leur premier album s’appelle très justement A Woman’s Journey, qu’on pourra traduire par « le voyage d’une femme » ou, plus largement, « un voyage au pays des femmes ». Nina Simone, Joan Baez, Billy Holiday, Janis Joplin, Minnie Riperton, Janis Ian, Elaine Brown, Joséphine Baker, ...  Artistes majeures, voix puissantes. Autant dire qu’on se situe ici à des années-lumière de toute mièvrerie, aux antipodes d’une tentation « variétés » insipide bêtement chantée comme il en coule encore tant dans les veines fatiguées de notre petit monde médiatique et mercantile.

    Je me sens par exemple incapable de résister à la beauté formelle et hypnotique de « Swallow Song », quand le motif tournoyant du piano d’Alexandre Saada enlace de ses circonvolutions la voix de Clotilde Rullaud que le pianiste double lui-même de la sienne. Et sans vous accorder le moindre répit, « All The Pretty Horses » s’élève du plus profond d’une nuit magnétique qui pourrait être la dernière. On me pardonnera un propos qui pourrait sembler excessif, mais ce A Woman’s Journey ressemble à s’y méprendre à un rêve éveillé, une déambulation mystérieuse au pays de la beauté. Parce que tout ce qui va suivre est de la même intensité, sans qu’il soit possible de se livrer à un quelconque et vain classement entre toutes ces chansons si belles, au milieu desquelles se glissent deux brefs intermèdes instrumentaux. Pas de temps mort, jamais. Ces deux-là sont en état de lévitation, pour ne pas dire en état de grâce. Leurs versions de « At Seventeen » ou « Strange Fruit » sont d’autres exemples flagrants de cette perfection dans l’émotion. Voix et piano comme un acte d’amour d’une infinie pudeur. Celle-ci s’exprime aussi dans l’entre-notes, ces silences que le duo sait ménager pour mieux élever sa musique et parler au cœur en ligne directe, comme sur le nocturne « Four Women ».

    Je n’irai pas par quatre chemins : je suis sorti bouleversé de chacune des écoutes de A Woman’s Journey, conscient que deux âmes étaient entrées en communion avec les engagements de ces femmes majeures – ces grandes voix – et qu’elles avaient en outre réussi à se connecter à la nôtre. En anglais, « âme » se dit « soul ». Clotilde Rullaud et Alexandre Saada ont déjoué tous les pièges d’un simple album de « reprises » pour accomplir un émouvant voyage intérieur et réussir par là-même à définir à leur manière une soul music de toute beauté.

    Allez-y, entrez dans le monde de Madeleine & Salomon, vous allez aimer.

  • Grande traversée

    equal_crossing.jpgJe crois pouvoir dire que j’attendais ce disque depuis un petit bout de temps maintenant. J’entends par là qu’après l’avoir écouté une première fois – pour ne pas dire au bout de quelques minutes seulement – j’ai eu la certitude d’une rencontre comme j’en rêve souvent, mais dont la réalisation est plus ou moins probable. Car vous le savez aussi bien que moi, il y a parfois une petite différence entre rêve et réalité, malheureusement. La dernière fois qu’il m’est arrivé de faire coïncider à ce point les deux, c’était l’année dernière, lors de la publication d’Europa Berlin par l’ONJ, sous la direction d’Olivier Benoit. Ou la sensation inexplicable de me trouver face à un objet artistique qui va me nourrir pendant un très long moment. C’est une question de synchronisme, d’alignement presque parfait entre le niveau de mes questionnements et les réponses qu’un musicien peut leur apporter. C’est toute l’histoire d’un disque qui se présente comme le marqueur de l’adéquation entre un émetteur et un récepteur. Comprenez bien : je ne prétends pas ici que le nouveau disque en quartet du violoniste Régis Huby provoquera chez vous une réaction identique à la mienne. Je n’en sais absolument rien, même si je vous le souhaite, alors qu’à l’évidence vous êtes forcément différents de moi. Mais une chose est certaine : Equal Crossing, publié sur le label Abalone, à la destinée duquel veille ce musicien multidimensionnel, vient à notre rencontre à la façon d’un miroir. Lorsque je l’écoute et que je ferme les yeux, j’ai la conviction d’avoir été percé à jour et qu’on a voulu me faire un beau cadeau. Rien qu’à moi. C’est à moi qu’il parle. Et je sais que je ne suis pas seul à le vivre ainsi.

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  • Traces profondes

    Traces.jpgIl faut quelques secondes à peine pour se sentir happé par cette musique et ses « Poussières d’Anatolie ». C’est une conjonction de forces terriennes, comme une secousse qui fait trembler le sol sous vos pieds, qui vous prend aux tripes, par surprise, sans vous accorder le temps d’accepter ou de refuser d’en être. D’emblée, c’est une une contrebasse sous tension qui creuse un sillon profond, un saxophone baryton entêtant et l’obsession rythmique d’une guitare qui vous captent. Et comme paraissant voler au-dessus d’eux, un saxophone soprano virevolte à vous donner le tournis. Pas moyen de se défaire de l’idée que le chemin sera étourdissant même s’il promet d’être escarpé. Et voilà, surgie de nulle part, une voix de femme qui exhorte hommes, femmes et enfants – « Allez ! Ouste ! » – à avancer sur un chemin poussiéreux où le répit accordé sera rare. Où sommes-nous ? Où allons-nous ? C’est toute la question que semble poser un disque décidément habité de mille histoires de vie...

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