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Retour vers l’éternel

richard gilly, les contes de la piscine après la pluieTreize ans que Richard Gilly n’avait pas pointé le bout de ses chansons singulières... Oui, treize ans de silence depuis Des années d’ordinaire publié en 2002. Et le voici qui revient, presque sur la pointe des pieds, avec Les contes de la piscine après la pluie, dont je suis prêt à parier qu’ils ne figureront sur aucune playlist dans l’air du temps. Parce que justement, Gilly n’est pas dans l’air du temps, il est lui-même, à des années-lumière des modes et des errances suivistes d’une certaine chanson française que je ne suis pas le dernier à brocarder. Une bonne raison de souligner les qualités d’un artiste dont le charme discret n’a d’égal que le sentiment de force fragile qui caractérise son univers.

L’histoire est ancienne en ce qui me concerne. Elle remonte à la première moitié des années 70, quand un grand jeune homme d’allure frêle s’était fait connaître par quelques disques ne ressemblant à aucun autre : Je ne suis pas un grand fermier (1971), Les froides saisons (1975), pour citer les deux premiers, marquaient un drôle de territoire dont l’occupant n’était pas du genre à jouer les gros bras, mais plutôt un musicien hyper sensible, prompt à confier ses faiblesses, à exposer les tourments de l’amour et plus généralement à se présenter dans sa vérité d’homme qui doute. Enfin un type honnête ! Cerise sur le gâteau, l’environnement musical de Richard Gilly était fortement imprégné d’influences en provenance de la côte ouest des Etats-Unis, la Californie en particulier. Le travail des harmonies vocales et le jeu guitares ne pouvaient renier leur parentèle avec des artistes tels que Crosby, Stills & Nash, America, Joni Mitchell ou encore les Doobie Brothers. On peut poursuivre la liste assez aisément... Bref, de quoi assouvir ma propre boulimie discographique d’adolescent en pleine découverte d’un univers qui reste parmi les plus fascinants qu’il m’ait été donné de connaître et qui reste, aujourd’hui, une source d’étonnement émerveillé. J’ai du mal à résister à l’attrait des arpèges cristallins d’une guitare, et il arrive à mon cerveau de se laisser bercer par ceux – pour citer un exemple qui me tient à cœur – de « Toulouse Street » (sur l’album homonyme des susdits Doobie Brothers), que j’entends en filigrane dans une chanson magnifique et intemporelle comme « Les wagons bleus ». Tout comme je subodore la présence subliminale du Neil Young d'Harvest, et plus particulièrement « Out On The Week End » derrière le balancement rythmique de « Loi du 28 mars 1882 ».

« Je ne suis pas un grand fermier », « Les froides saisons », « My Lady de Montargis », « Les wagons bleus », « Loi du 28 mars 1882 », « Donnez-moi un peu », « Quand tu partiras vers »... Ces titres hantent toujours ma mémoire. Je les garde en moi, ils font partie de moi.

Je dois bien l’avouer – et j’espère que Richard Gilly me le pardonnera – j’ai un peu perdu de vue notre homme par la suite. Il faut dire aussi qu’il n’a pas abusé de notre temps, publiant très peu de disques au cours des décennies qui allaient suivre : Portrait de famille (1977), Râleur (1984), Rêves d’éléphant (1993) et Des années d’ordinaire (2002). Aussi mon plaisir fut immense en apprenant qu’un septième chapitre était en gestation et que le chanteur allait enfin sauter par-dessus le filet du court de tennis sur lequel il passait un certain temps à enseigner un sport, certes respectable, mais dont les charmes sont beaucoup plus difficiles à partager avec un vaste public qu’une chanson finement ciselée.

Les contes de la piscine après la pluie sont arrivés un peu avant l’été. Un joli objet, aux allures de mini vinyle, fabriqué de manière presque artisanale dans l’intimité d’un duo avec le guitariste protéiforme Freddy Koella, qui assure à lui tout seul la plupart des parties instrumentales du disque. Et si l’on peut connaître ce dernier pour avoir été membre du groupe Cookie Dingler, on sait peut-être moins qu’il a joué par la suite aux côtés de Willy DeVille et Bob Dylan. Une pointure donc, et un ami...

Richard Gilly n’est plus le frêle jeune homme des années 70. Il a 67 ans désormais. Pourtant, si la voix a mûri – elle est plus grave –, si le chanteur, dont l'expression vacille parfois comme si elle était mue par une incertitude existentielle, est tout autant récitant de ses chansons (ce nouveau disque en compte dix), tout est là, intact. Gilly a fait le choix de l’épure en limitant l’instrumentation au strict minimum. Guitare, banjo, mandoline, un soupçon de percussions ou de batterie, une pincée de claviers, un zeste d’accordéon... pas besoin de plus d’ingrédients et surtout, ne pas les surdoser afin de mieux en révéler la force tranquille. C’est un parti-pris de nudité qui ne fait que souligner un propos aux couleurs vespérales, parfois teintées de blues. On retrouve ces histoires éternelles (et souvent sentimentales) qui nous attrapaient par le revers du col il y a quarante ans, celles qui racontent le temps qui passe, l’amour qui permet de (sur)vivre même quand il fait souffrir, celles qui disent la perplexité et l'angoisse face à notre monde devenu fou. Une manière de dire la vérité de la vie, sans fard. Aucune mièvrerie dans ces évocations aux intonations douces amères, bien au contraire : Gilly ne joue pas la carte de la sensiblerie, son chant-diction presque distancié enfonce tranquillement le clou de nos propres émois et trouve à chaque fois les mots justes.

Comme aux premiers jours, Richard Gilly s’avère un artiste émouvant, à la rencontre duquel il est bon d’aller pour comprendre que l’être humain, machinerie incertaine, est aussi source de vibration. Je ne saurais que trop vous recommander de faire l’effort de partir à la rencontre d’un Monsieur que les grands médias (je n’ai pas trouvé d’autre dénomination, mais c’est souvent un oxymore) ne vont pas manquer d’ignorer. Je ne serai pas de ceux-là et je me réjouis à l’idée que ces quelques lignes pourraient vous donner envie d’en savoir un peu plus sur lui.

Commentaires

  • Quelques années d'ordinaire passées, et voici une piscine remplie de pépites à réveiller tout grand nos rêves d'éléphant.

  • Une belle chronique qui retrace le parcours atypique de Richard Gilly ...
    Son nouvel album est une pure merveille ******
    et pour ceux qui n'ont pas encore eu le plaisir de l'écouter, je vous recommande vivement de cliquer sur ce lien :
    https://richardgilly.bandcamp.com/releases
    et de consulter sa page Facebook : https://www.facebook.com/richardgillychanteur

  • Merci à toi Marie pour ces compléments d'information. J'ai inclus les deux liens dans le texte.
    Denis

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