Qu’importe le flocon...
Approchez-vous un peu, s’il vous plaît. Plus près, plus près, n’ayez pas peur ! J’aimerais vous parler d’un disque qui bruisse plus qu’il ne fait de bruit, d’un album tout en suggestion vous parlant à l’oreille, d’une invitation à vous faufiler dans les pas d’une pianiste pas comme les autres. Ève Risser, formée à l’école classique mais adepte de ses évolutions contemporaines, musicienne amoureuse des improvisations tout autant que des objets qu’elle manipule pour donner plus de vie à son piano préparé, est une des personnalités les plus attachantes d’une scène qu’on n’ose pas circonscrire au jazz. On l’a vue et écoutée pendant quatre ans dans l’ONJ sous la direction de Daniel Yvinec ; dans le duo aux couleurs surréalistes, Donkey Monkey avec Yuko Oshima ; dans le quartet The New Songs, entre musique improvisée et musique contemporaine, mais aussi le Trio En Corps avec le contrebassiste Benjamin Duboc et le batteur synesthésique Edward Perraud, ... sans compter bien d’autres duos tout aussi fouineurs et une propension naturelle à s’impliquer dans des projets ayant pour point commun les voyages « entre les musiques ».
Des pas sur la neige, publié sur le label Clean Feed Records, est une proposition discrète qui prend la forme de trois longues déambulations (de 13 à... 36 minutes !) auxquelles on peut s’abandonner sans réserve, armé de toute la curiosité suscitée par un univers impressionniste et minimaliste dont le piano – seul instrument à bord – est la source mélodique, rythmique et bruitiste à la fois. C’est un piano matrice… « Des pas sur la neige », « Des pas sur la ville », « La neige sur la ville » : l’ambiance est feutrée, on le devine par la référence à un Prélude de Claude Debussy et trois titres aux intonations atmosphériques. Si le climat peut sembler frais de prime abord, on découvre très vite qu’en réalité, il fait doux dans ces paysages des matins calmes – mais après tout, ils pourraient bien être ceux d’une nuit qui avance – troublés ça et là par une myriade de perturbations qu’on se surprend à guetter comme autant de surprises dans un jeu de cache-cache des émotions à la métrique imprévisible. Tous les sons émis, soit traditionnellement au clavier, soit sur les cordes frappées, caressées ou frottées au moyen d’objets divers, tombent en flocons ou en gouttelettes, selon la température de l’instant. Des sons agencés en un scénario fourmillant de détails entre lesquels peut aussi s’installer le silence. Leur assemblage compose un petit carrousel de percussions et de notes fugaces, soufflant une poétique ludique et mutine. Autant le dire d’emblée : il est impossible de quitter le chemin tracé par la pianiste dès lors qu’on y a soi-même posé les pieds pour marcher dans ses pas. Celle-ci confirme son grand pouvoir d’imagination, auquel elle a déjà largement laissé libre cours en compagnie de quelques-uns de ses camarades d’invention dans un passé récent. Comme dans En Corps par le trio formé avec Edward Perraud et Benjamin Duboc ou, quelque temps auparavant, pour un Game Bling en état d’ébullition inspiré des « Stratégies Obliques » de Brian Eno avec Jean-Jacques Birgé et Joce Mienniel. Deux exemples démontrant la vivacité des entreprises dans lesquelles elle s’implique. Avec Des pas sur la neige, son premier disque en solo, Ève Risser trace sur sa toile pianistique un imaginaire aux apparences hivernales et ouvre la voie à des espaces presque immobiles révélant petit à petit tous leurs reliefs, jusque dans les moindres détails. Se dresse alors un paysage brumeux et flottant dont les contours finissent par se préciser et laisser en nous leurs empreintes, certainement moins éphémères que celles des pas sur la neige ; et sa contemplation instaure un climat de sérénité et de douceur lancinante résolument addictif. A bien y regarder, ou plutôt à écouter, il y a dans cette approche de l’intime esquissé un petit quelque chose qui n’est pas sans rapport avec une quête de la méditation. Bref, vous l’aurez compris : Des pas sur la neige, disque à la personnalité singulière, celle d’une musicienne libre et créative, est un très beau disque, tout simplement. Prenez le temps de le laisser s’insinuer en vous. Et si vous ne me croyez pas, lisez la chronique du camarade Franpi : à nous deux, nous devrions réussir à vous convaincre !