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Comme dans un souffle

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C’est une petite histoire comme je les aime. Et je vais prendre le temps de vous la raconter en quelques lignes… Oh, c’est tout récent, il y a quelques jours seulement… Je partageais mes doutes quant à l’intérêt du travail d’écriveur auquel je consacre une partie non négligeable de mes soirées, au service de la musique, des musiciens, par l’intermédiaire de ce blog ou dans le cadre de mes contributions au magazine Citizen Jazz, ou parfois lorsqu’on me demande d’écrire des liner notes pour des pochettes de disques ou des textes destinés à accompagner des dossiers de presse. A quoi bon quand le disque ne se vend plus ? Quand les salles sont difficiles à remplir dès lors que leur programmation sort du droit chemin d’un consensus mou et insipide ? Quand l’audace et l’imagination sont comme une matière première dont les réserves arrivent à épuisement ? Quand les algorithmes imposent leur diktat à la pensée ultralibérale (de droite, comme de gauche de droite) ? Quand la myopie comptable tient lieu d’horizon indépassable et nous serine son thatcherien TINA (There Is No Alternative) ? Quand les budgets consacrés à des manifestations dites « culturelles » sont sacrifiées pour de discutables raisons par des municipalités sur l’autel d’une rigueur, tout aussi mal partagée que les richesses de ce monde, imposée par une logique des lobbies vautours rôdant sur l’Europe ? Quand la sphère politique est obsédée par la préservation de ses privilèges ? Bref, un moment de doute. A quoi bon, donc ? Une fois ma perplexité diffusée au cœur de quelques réseaux, après plusieurs messages chaleureux m’expliquant que mon devoir était de me tenir debout, ayant moi-même admis en quelques heures que mes problèmes étaient vraiment mineurs, pour ne pas dire l’expression d’un luxe que bien des miséreux massacrés par la bêtise humaine échangeraient volontiers contre la violence aveugle de leur quotidien, je me suis ressaisi. Mais il était trop tard. Un musicien m’avait fait parvenir un disque refuge, histoire de me consoler et de me prouver qu’il existe encore ici et là des artistes prêts à en découdre pour que vive une musique libre et vivante, à tout prix.

¡Stream It!, disque d’un duo enregistré récemment par le pianiste Emmanuel Massarotti et le saxophoniste Guilhem André, est arrivé chez moi à point nommé. Non que je manque de musique à découvrir – ici, c’est plutôt la surabondance et je sais mon privilège d’être au cœur d’un espace d’échanges d’une richesse incomparable – mais sa tonalité, son climat, sa sensibilité convoquant à la fois les compositeurs impressionnistes du début du XXe siècle et les grands noms du jazz (on devine que Bill Evans n’est jamais loin, on pense aussi à d’autres duos, comme celui formé par Kenny Barron et Stan Getz, quand le saxophoniste soufflait ses dernières notes du côté de Copenhague), en passant par une manière de faire chanter les mélodies suggérant des images romantiques que ne renieraient pas les pères de quelques grandes musiques du cinéma italien, correspondaient exactement à ce que j’avais besoin d’entendre. Ce duo de l’intime, virtuose et chaleureux à la fois, imaginé par deux musiciens se revendiquant comme des artisans, vise juste, sans forfanterie, sans effets inutiles. C’est une conversation entre amis, un dialogue qui distille ce petit bonheur si fragile, celui d’être en musique, ensemble. Au service de cette quête, des compositions originales : le joyeux « Guidé », « Life » ou « Can’t It Help ? » et leur ambiance méditative, « Tim » et ses dix minutes habitées d'une fièvre Coltranienne, le nocturne « Thatepati » teinté de blues, « Je ne joue que là » confié au creux de l’oreille ; un hommage au compositeur argentin Alberto Ginastera (« Vidala ») ; ou tout simplement des standards tels que « Summer Night » ou encore « Struttin’ With Some Barbecue » de Louis Armstrong. ¡Stream It! est une offrande humble, qui n’attend en retour que le plaisir de celui ou celle qui voudra bien la recevoir. C’est l’expression d’un souffle de vie, dans toute sa nudité.

Pour l’heure, ce disque n’existe que sous forme dématérialisée (même si quelques exemplaires physiques sont disponibles, qu’on peut se procurer auprès d’Emmanuel Massarotti) : pour l’acquérir, il faut se rendre sur les habituelles plates-formes, ou sur certains services dits de streaming quand on veut l’écouter. J’hésite à donner leurs noms tant ceux-ci ont instauré une relation financière déloyale à l’égard des artistes. Les deux musiciens travaillent par ailleurs à la création de leur propre label, S-Kuja. Et dans leurs projets, il y a Ma p’tite chanson, un disque en quartet dont le répertoire s’appuiera sur la chanson française, depuis Marie Dubas jusqu’à Bashung ; un peu plus tard verra le jour un hommage à Horace Silver en plus grande formation.

En attendant, je vous laisse en compagnie d’Emmanuel Massarotti et Guilhem André qui, bien mieux que moi, vous présentent ce réconfortant ¡Stream It! à l'aide de quelques extraits de l'album. Et merci à eux, une fois encore, pour cette dose d’optimisme si précieuse.

Commentaires

  • C'est la passion pour la musique qui fait qu'on a envie d'écrire encore. Bonne journée à toi.

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