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  • Belle Époque

    belle époque, vincent peirani, emile parisien, act music, jazz, accordéon, saxophone sopranoDifficile de traduire en mots l’émotion qui me gagne à l’écoute de Belle Époque, le disque en duo enregistré par Vincent Peirani (accordéon) et Émile Parisien (saxophone soprano). Dès l’instant où j’ai su qu’il allait voir le jour, je me suis persuadé – à juste titre – qu’il se produirait une belle rencontre entre lui et moi. Et tel est bien le cas, au point qu’il m’est difficile depuis quelque temps de passer à autre chose. J’ai bien été traversé par l’idée d’un texte à travers lequel j’évoquerais conjointement ce disque et The Art Of Obscurity de Iain Matthews, objet de ma précédente note, mon autre disque coup de cœur du moment, mais je n’y suis pas parvenu. Trop de belles choses à raconter en une seule fois...

    C’est dire qu’il n’aura pas fallu attendre longtemps – la sortie officielle de Belle Époque était annoncée pour le 11 mars - pour qu’on me croise dans la rue marchant à grands pas vers le disquaire le plus proche (enfin, appelons ça un disquaire par commodité parce que, pour le reste...) dans le seul but d’acquérir le précieux CD publié sur le label allemand Act, comme nouvelle pièce à conviction d’une série d’albums dont le nom générique est Duo Art (vous aurez compris qu’il s’agit de disques enregistrés par des duos).

    Peirani et Parisien sont de jeunes musiciens. Je dis cela parce que, grosso modo, ils ont l’âge de mes enfants. Tous deux sont des virtuoses, ce qui en soi ne leur servirait à rien s’ils n’étaient avant tout des artistes habités et avides de rencontres fécondes. La leur remonte à l’automne 2009, quand le batteur Daniel Humair les avait conviés à jouer avec lui, avant de décider de créer le Sweet & Sour Quartet (dont le contrebassiste est l’éminent Jérôme Regard). Une formation qui se produit régulièrement sur scène et a enregistré en 2012 un album roboratif dont ma collègue Diane avait souligné les immenses qualités. Et c’est de ce quatuor qu’a émergé un duo motivé tout autant par la nécessité de vibrer à l’unisson que par celle de s’engager sur un chemin où l’amitié et la dimension humaine comptent pour beaucoup.

    Saxophone soprano et accordéon enlacés dans une danse sensuelle, convulsive ou simplement contemplative. Mais toujours puissamment hantée par les rêves en couleurs de ses protagonistes. Selon un processus étrange, je finis par ne plus entendre les deux instruments en écoutant cette heure de musique entêtante, au point qu’il me faut y revenir, sans cesse, jusqu’à l’extinction de ma drôle de soif. Accordéon, saxophone soprano, certes, ils sont bien là... mais allez savoir pourquoi je perçois avant tout les battements d’un double cœur et le chant de deux âmes et pourquoi je me laisse emporter dans ces histoires que nous racontent Peirani et Parisien, comme cette bal(l)ade dans les rues de « Paris 75 » ? Il ne me vient même plus à l'idée de me demander si ce sont là des compositions inédites ou des reprises, bien que je n’ignore pas que chacun des musiciens est venu déposer deux thèmes originaux dans la corbeille et que tous deux sont allés musarder du côté de Sidney Bechet – rendu méconnaissable par la densité des interprétations de « Egyptian Fantasy » ou « Song Of Medina » – de Duke Ellington (« Dancers In Love », dont le titre aurait pu être celui du disque), d’un ragtime (« Temptation Rag » d’Henry Lodge, qui vire au musette et voit la saxophone prendre les accents gouailleurs d'une clarinette) et d’un autre classique appelé « St. James Infirmary ».

    C’est incroyable qu’on puisse être à la fois si jeune et porteur des horizons sans cesse réinventés d’une histoire de la musique du XXe siècle, que Vincent Peirani et Émile Parisien semblent connaître depuis toujours, comme si elle coulait dans leurs veines.

    Pour tout dire, ces deux-là m’ont scotché à mon fauteuil... Façon de parler, je n’ai pas de fauteuil... et le duo est pour moi le meilleur des compagnons de mes longues marches quotidiennes et méditatives.

    Belle Époque ! Je ne suis pas certain que cette période de l’histoire de France mérite vraiment une telle appellation, très injustifiée pour la plupart des gens qui souffraient cruellement au quotidien. Et qui ne convient pas mieux aux temps que nous vivons, menaçants et oublieux d’un passé dévastateur qui nous nargue de son regard brun marine. Mais qu’elle ait pu susciter un disque aussi enchanteur nous rappelle que si le bonheur n’existe pas, les instants heureux sont, eux, à notre portée. Comme ces petites bulles de savon dorées qu’on suit avec des yeux d’enfant, sans les toucher, de peur qu’elles ne disparaissent trop vite.

    Depuis quelque temps, un ami proche me fait l’honneur de partager avec moi une fois par mois l’antenne de l’émission hebdomadaire qu’il consacre au jazz tout près de Nancy. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que Belle Époque sera au programme de notre prochain rendez-vous des Jazz Twins et qu’il me faudra trouver les mots justes pour présenter la musique que nous donnerons à écouter aux auditeurs. Mais, après tout, peut-être que j’en dirai le minimum, il sera bien plus simple de la laisser parler toute seule. Elle le fera beaucoup mieux que moi.

    Belle Époque, un disque fédérateur qui s’adresse aux amoureux du jazz, de la chanson, de toutes les musiques impressionnistes, des musiciens vibrants et dont on ne finit jamais de contempler les beautés exposées. Ce sera un de mes albums de l’année, je l’ai toujours su !

    Et pour que vous n'ignoriez rien de la complicité qui unit Vincent Peirani et Emile Parisien, je vous propose de terminer par une courte séquence filmée durant laquelle les deux musiciens amis nous en disent un peu plus sur leur façon de travailler en duo...

  • Clair obscur

    iain matthews, the art of obscurityIain Matthews est un artiste rare : on peut suivre sa trajectoire depuis plus de quarante-cinq ans et ce n'est pas lui faire injure que de rappeler la longévité de son histoire en musique. En ce qui me concerne, l'évocation de cet Anglais (qui a beaucoup travaillé aux États-Unis et vit, je crois, aux Pays-Bas depuis quelques années) me renvoie aux premières temps du groupe Fairport Convention, au Matthews' Southern Confort ou à Plainsong, et par conséquent à une époque déjà lointaine. Comme tant d'autres, Matthews a connu des phases moins fécondes, en particulier lors des fatidiques années 80. On sait aussi qu'il aime le jazz comme le prouve son travail avec le Searing Quartet, une formation hollandaise émanation du Conservatoire de Maastricht, avec lequel il a enregistré l'album Joy Mining.

    En matière d’exégèse matthewsienne, je connais un certain Sam Pierre - bizarre, son nom me dit vaguement quelque chose et ses centres d’intérêts me rappellent un autre passionné - qui pourrait vous en dire beaucoup plus que moi et sa propre chronique dans le dernier numéro du Cri du Coyote - un trimestriel dont la densité de la mise en page ne doit pas vous dérouter : si vous aimez les musiques qui vont de la country en passant par le folk ou le bluegrass, et quelques autres teintées de blues et de rock… jetez-y un coup d'œil, ces gens-là sont de vrais passionnés. Le numéro 139/140 du printemps 2014 vient tout juste de voir le jour et pourra vous occuper un bout de temps - résume parfaitement cette histoire. 

    De mon côté, quand je pense à Iain Matthews, j'entends un musicien sensible, pour ne pas dire fragile, une voix gracile qui véhicule avec une grande force de conviction un univers émouvant, un artiste de l'intime qui parle au creux de l'oreille. Me reviennent alors en mémoire les années 1971 et 1972, des disques de mon frère aîné, tels que If You Saw Thro My Eyes, Tigers Will Survive, Journeys From Gospel Oak ou In Search Of Amelia Earhart. Alors quand le même Iain Matthews publie un nouvel album – le premier depuis bon nombre d’années et de surcroit enregistré aux Etats-Unis - dont il dit qu’il sera son dernier en solo, on tend l’oreille forcément, on se met en quête de ce qu’il est possible d’écouter sur la Toile pour en savoir un peu plus... et, convaincu dans l'instant par la haute teneur de ce qu'on vient de découvrir, on commande très vite The Art Of Obscurity, que j’ai la faiblesse de considérer comme l’un de ses meilleurs (ce qu’il reconnaît lui-même volontiers), même si je ne prétends pas connaître sur le bout des tympans l’intégralité de sa discographie (composée d'environ 25 albums). Dans un climat d'une grande sobriété, on retrouve avec ce beau disque l’essentiel de ce qui fait tout son pouvoir de séduction, comme si Matthews jouait la carte de l’épure et de l'intemporel en se disant qu’eux seuls disent le vrai : au service de son art, une instrumentation légère composée de guitares (acoustique et électrique), d'un piano électrique (ou d'un orgue) et d'une basse. The Art Of Osbcurity se présente sous la forme d’une succession de onze compositions discrètes - gros bras, passez votre chemin - dont la fibre folk rock laisse deviner ici ou là (« In Paradise » ou « The Emperor’s New Clothes ») une inspiration nourrie aussi de jazz. Et pour dire ces histoires en clair obscur à la tonalité souvent existentielle - elles sont aussi pour le chanteur l'occasion d'un coup d’œil dans son rétroviseur personnel : "I know there's no returning to those days that seem so free / These are only childhood memories" (« When I Was A Boy ») - il y a la voix de Iain Matthews : il serait excessif de la qualifier d’inchangée, car elle apparaît plus grave qu’il y a quarante ans, mais elle est assurément préservée dans sa capacité à transmettre les émotions et à donner la chair de poule (« Pebbles In The Road »). Le même frisson qu'autrefois...

    Comme au bon vieux temps. Comme il y a près de cinquante ans désormais. Déjà... Cette constance dans sa foi en la musique - qu’il définit comme sa maîtresse - et dans son expression la plus sensible font de Iain Matthews un artiste exemplaire comme il en est peu, un compagnon fidèle à travers les années. Il n’est pas trop tard pour le découvrir et ce nouveau disque constitue un excellent passeport.

    Qui tourne en boucle depuis qu'il a fait irruption chez moi sur la pointe des pieds...

  • Impromptu ménager

    lave-vaisselle.jpgAllez, une fois n'est pas coutume : malgré les vrais morceaux promis par le sous-titre de mon blog, je ne vais pas vous parler de musique aujourd'hui… Encore que l'évocation d'un appareil électro-ménager - en l'occurrence un lave-vaisselle - puisse toujours donner lieu à une analyse qui le rapprochera d'un instrument : c'est vrai, un tel objet émet des sons, il semble parfois animé d'un tempo et ses cycles – comme autant de rythmes - de variations, ses sonorités liquides ne sont pas sans faire penser à certains arrangements orchestraux contemporains, et j'irais même jusqu'à penser que son bruit constitutif est en lui-même une forme élaborée de musique. Certainement pas plus ennuyeuse que celle qu’émettent nos éminences casquées dont les sons font frissonner les fessiers soi-disant festifs de tous les continents. Une musique du quotidien de nos cuisines tout aussi captivante que je ne sais quelle playlist fourguée chaque jour sur telle radio de service dit public, laconiquement vendue par une voix dont la capacité à lire avec conviction les dossiers de presse écrits par d’autres m’émeut à un point que vous ne sauriez imaginer... « On aime, on vous en parle ». Tu parles, Charles, tu ferais mieux de la garder pour toi, ta liste chloroformée.

    Je reviens à mon lave-vaisselle : nous sommes dans un magasin où trônent fièrement des dizaines d’appareils parés de blanc ou plus souvent de la couleur toujours en vogue appelée « alu brossé ». Un charmant vendeur habillé d’un gilet rouge aussi seyant qu’un string le serait au postérieur ultra-droitier de Jean-François « tous à poil » Copé me regarde non sans exhiber un sourire triomphant : voilà le modèle en adéquation parfaite avec ma demande ! Catégorie A++, bestiau pas énergivore du tout, consommation d’eau réduite à son strict minimum. L’index dominateur, pointé sur le panneau affichant les principales caractéristiques techniques du lave-vaisselle, n’appelle aucune opposition de ma part. C’est celui qu’il me faut ! Pas un autre.

    Sauf que... monsieur Gilet Rouge, vous semblez avoir oublié que nous vous avions fixé un ordre de prix ; et celui de votre chouchou – que vous affirmez vendre à tout va depuis quelque temps – dépasse de très loin la somme que nous ne souhaitons pas dépasser. Ah ah ah, on dit quoi maintenant ? Vous nous regardez, certain de notre prochaine reddition : « Mais enfin, monsieur, la consommation d’eau ! La consommation d’eau ! Il bat ses concurrents à plates coutures, c’est le champion toutes catégories, un véritable chameau, vous ne trouverez pas mieux ».

    Mouais... Je jette un rapide coup d’œil aux voisins, beaucoup moins chers mais qui, c’est vrai, sont un tantinet plus soiffards. Mon matador guette le désappointement qui va nous gagner, il scrute déjà la table et les deux chaises où nous allons nous installer pour signer l’armistice et nous agenouiller à jamais.

    Taratata ! Mais ça va pas ton truc, mon petit gars... Fermant les yeux, je laisse surgir en moi la calculette mentale qui me ronge quotidiennement depuis le jour de ma naissance et dont les piles sont rechargeables ad vitam æternam à compter de l’époque lointaine où j’exerçais ma dictature sur un peloton de coureurs cyclistes drivés par mon frère aîné, imposant à mon cerveau une vitesse d’exécution dans la pratique du calcul mental dont le seul équivalent au monde serait la propension de certains édiles de l’UMP à jouer les vierges effarouchées quand on suspecte certains de leurs représentants les plus connus d’une pratique sinueuse de la démocratie.

    Une poignée de secondes plus tard – entre temps, j’ai calculé la différence de consommation d’eau avec un modèle par ailleurs en tous points identique, rapporté cette dernière à l’écart de prix entre les deux modèles, divisé le tout par celui du mètre cube d’eau à Nancy (et je peux vous dire qu’il est cher, merci Veolia, merci les noyaux durs sarkoballaduriens...), estimé le nombre moyen de vaisselles effectué chaque année, pratiqué une ultime division – je regarde mon adversaire pour lui signifier qu’il me faudra dix-sept, voire dix-huit ans avant d’imaginer amortir la différence de prix des deux machines. Et toc ! Prends ça dans le museau, mon vieux... Là, je crois que j’ai marqué un point ; je n’ose pas encore me voir en vainqueur du duel mais j’ai bon espoir d’avoir porté un coup fatal. En face, on est moins fringant, on me parle d’obsolescence programmée, on me dit qu’en effet, dans dix-huit ans, j’aurai changé de lave-vaisselle depuis belle lurette. On m’explique qu’on me laisse réfléchir, le temps d’aller prodiguer la Sainte Parole à d’autres clients qui, eux, sauront reconnaître la validité d’arguments commerciaux irréfutables.

    Réflexion ? Non, nous serons inflexibles et n’en démordrons pas, nous optons pour le modèle qui boit un peu plus d’eau mais qui coûte beaucoup moins cher. Non mais...

    Gilet Rouge revient et comprend à ma mine qu’il sera impossible de nous faire changer d’avis, même s’il est heureux de me faire savoir que l’installation pourra intervenir chez moi sous quarante-huit heures, ce qui est un délai très court. Nous nous asseyons et, alors que j’ai déjà extrait ma carte bancaire, le perfide vendeur en profite pour me vanter les bienfaits d’une extension de garantie qui sera le porte-bonheur des années à venir de notre nouveau protégé. Grand seigneur, il va jusqu’à nous proposer une réduction de 25% sur cette somme additionnelle. Ce qui, par parenthèse, en reviendrait à nous faire payer le lave-vaisselle au départ moins cher à l’exact prix de l’autre, là, celui que tout le monde, soi disant, s’arrache, et qui coûte un bras. Je m’abstiens de relever cette grossière et ultime manœuvre de diversion et glisse mon bout de plastique dans le terminal bancaire, sans obtempérer. « Nous ne prenons jamais les extensions de garantie ». 

    Fin du combat. J’ignore si cette petite note présente le moindre intérêt mais au moins, j’aurai eu l’illusion d’une victoire face aux forces armées du commerce qui ne cessent de nous menacer. J’aime bien l’idée de ces combats un peu vains et des satisfactions qu’ils suscitent. Et puis, surtout, il m’est arrivé autrefois de me sortir beaucoup moins bien de ce genre de confrontation piège : vous n’avez qu’à lire par ici pour comprendre...

  • Jour de soleil

    louis winsberg, antonio el titi, rocky grasset, gyspy eyesJe raille suffisamment la grisaille lorraine pour ne pas me réjouir d’une succession de journées ensoleillées dont les allures printanières ont ici quelque chose d’un peu surnaturel en cette fin d’hiver. Oui, car n’oublions pas que le calendrier nous rappelle à l’ordre : nous sommes encore en hiver. Mais quel plaisir, nom d’une ampoule de vitamine D, quel plaisir !

    Je vous dis tout cela parce que ce matin, je me suis livré à une expérience on ne peut plus réjouissante : ouvrir en grand les fenêtres d’une pièce orientée au sud, m’apercevoir que derrière la fraîcheur du début de journée, les rayons du soleil promettent une douceur bienvenue, puis laisser le tout infuser dans une musique on ne peut plus solaire, celle de Gypsy Eyes, premier album du trio imaginé par Louis Winsberg, avec Antonio « El Titi » et Rocky Gresset. Ce disque enregistré par trois guitaristes sera disponible dans un mois jour pour jour chez Such Prod, mais je ne résiste pas au plaisir de l’évoquer dès à présent, tant l’irradiation qu’il suscite est totale et immédiate. Gypsy Eyes recèle bien des qualités, dont la première est probablement sa capacité à se faire aimer d’un large public, pour peu que ce dernier soit amoureux d’une certaine idée du chant et de la mélodie.

    Gyspsy Eyes – titre inspiré par la composition de Jimi Hendrix qu’on peut écouter sur le mythique Electric Ladyland – est une proposition de nature fusionnelle. Il s’agit ici d’associer flamenco et jazz manouche ou, plus précisément en ce qui concerne les musiciens en action sur cet album, de faire dialoguer les influences respectives d’Antonio « El Titi », grand admirateur de Paco De Lucia (maître du flamenco qui vient de nous quitter à l’âge de 66 ans) et celles de Rocky Gresset, qui, de leur côté, regardent plutôt du côté de Django Reinhardt. Un dialogue finalement assez inédit quand on y songe et qui nous laisse penser qu’il y a tout de même plus honteux comme héritage, n’est-ce pas ? Et c’est avec un immense plaisir qu’on découvre qu’au-delà d’une virtuosité presque native chez ces musiciens, la sève qui irrigue leur sillon musical est très nourricière, tout en éclats et reflets dorés, et surtout jamais démonstrative, sans le moindre excès de vitesse ni risque de désincarnation du propos par une compétition mal venue entre instrumentistes. On imagine bien par ailleurs qu’au milieu de ce duo enjoué et radieux d’un bout à l’autre de l’album, Louis Winsberg, dont les expériences musicales sont nombreuses, fait entendre avec la même brillance ses propres cordes. C’est un accord parfait, qui exhale un parfum de sérénité. J’en profite pour rappeler ici que Winsberg est l’un des membres de Sixun, une des formations les plus attachantes de notre scène hexagonale, qu’on estampillera jazz rock pour dire les choses rapidement et qui continue, 30 ans après sa création, à susciter bien des bonheurs, tant sur scène que sur disque. C’est l’occasion pour moi de saluer un autre groupe de la même génération, dont l’ADN est différent mais tout aussi riche, Post Image. Rien à voir avec le disque qui nous occupe aujourd'hui, mais ça me fait plaisir de les citer. J'ai bien le droit, non ?

    Cette parenthèse étant refermée (les Sixunophiles comprendront par ailleurs le titre de ma note), j’aimerais susciter chez la plupart d’entre vous une certaine impatience avant la sortie officielle de l’album. Entre compositions originales et reprises à la fois inattendues et finalement naturelles dans cet environnement fécond (« Gypsy Eyes », forcément, mais aussi « Take Five » du Dave Brubeck Quartet ou « Caravan » de Duke Ellington), le trio joue la carte de l’épanouissement, du plaisir en partage. Un voyage en dix étapes chaleureuses, qui n’est pas sans évoquer les aventures d’un autre trio, celui qu’avaient formé en leur temps trois immenses artistes : Paco De Lucia – encore lui, forcément, Al Di Meola et John McLaughlin. Ceux-là avaient porté très haut le niveau des échanges et, malgré une compétition d’égos qui avait fini par nuire à la bonne santé de leur association, avait su conquérir un public très large qui reste encore fasciné par un album tel que Friday Night In San Francisco. Loin de moi l’idée de pousser trop loin la comparaison avec ce dream trio, mais je serais très surpris si les musiciens à l’œuvre dans ce beau Gypsy Eyes en niaient une petite part de paternité.

    Brasser, fusionner, dépasser, atteindre d’autres sommets, être en accord avec soi-même, entretenir une flamme et raconter de belles histoires. Voilà en quelques mots une façon de résumer un disque qui exprime la fascination qu’éprouve Louis Winsberg pour les Gitans, « ce peuple du vent, ces artistes de feu, libres et fiers ». Voilà qui fait du bien à entendre – et surtout à écouter – en ces heures de stigmatisation nauséabonde.

    Et pour finir, laissons Louis Winsberg nous expliquer lui-même de quoi il retourne. Peut-être aurais-je dû commencer par là...