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Jour de soleil

louis winsberg, antonio el titi, rocky grasset, gyspy eyesJe raille suffisamment la grisaille lorraine pour ne pas me réjouir d’une succession de journées ensoleillées dont les allures printanières ont ici quelque chose d’un peu surnaturel en cette fin d’hiver. Oui, car n’oublions pas que le calendrier nous rappelle à l’ordre : nous sommes encore en hiver. Mais quel plaisir, nom d’une ampoule de vitamine D, quel plaisir !

Je vous dis tout cela parce que ce matin, je me suis livré à une expérience on ne peut plus réjouissante : ouvrir en grand les fenêtres d’une pièce orientée au sud, m’apercevoir que derrière la fraîcheur du début de journée, les rayons du soleil promettent une douceur bienvenue, puis laisser le tout infuser dans une musique on ne peut plus solaire, celle de Gypsy Eyes, premier album du trio imaginé par Louis Winsberg, avec Antonio « El Titi » et Rocky Gresset. Ce disque enregistré par trois guitaristes sera disponible dans un mois jour pour jour chez Such Prod, mais je ne résiste pas au plaisir de l’évoquer dès à présent, tant l’irradiation qu’il suscite est totale et immédiate. Gypsy Eyes recèle bien des qualités, dont la première est probablement sa capacité à se faire aimer d’un large public, pour peu que ce dernier soit amoureux d’une certaine idée du chant et de la mélodie.

Gyspsy Eyes – titre inspiré par la composition de Jimi Hendrix qu’on peut écouter sur le mythique Electric Ladyland – est une proposition de nature fusionnelle. Il s’agit ici d’associer flamenco et jazz manouche ou, plus précisément en ce qui concerne les musiciens en action sur cet album, de faire dialoguer les influences respectives d’Antonio « El Titi », grand admirateur de Paco De Lucia (maître du flamenco qui vient de nous quitter à l’âge de 66 ans) et celles de Rocky Gresset, qui, de leur côté, regardent plutôt du côté de Django Reinhardt. Un dialogue finalement assez inédit quand on y songe et qui nous laisse penser qu’il y a tout de même plus honteux comme héritage, n’est-ce pas ? Et c’est avec un immense plaisir qu’on découvre qu’au-delà d’une virtuosité presque native chez ces musiciens, la sève qui irrigue leur sillon musical est très nourricière, tout en éclats et reflets dorés, et surtout jamais démonstrative, sans le moindre excès de vitesse ni risque de désincarnation du propos par une compétition mal venue entre instrumentistes. On imagine bien par ailleurs qu’au milieu de ce duo enjoué et radieux d’un bout à l’autre de l’album, Louis Winsberg, dont les expériences musicales sont nombreuses, fait entendre avec la même brillance ses propres cordes. C’est un accord parfait, qui exhale un parfum de sérénité. J’en profite pour rappeler ici que Winsberg est l’un des membres de Sixun, une des formations les plus attachantes de notre scène hexagonale, qu’on estampillera jazz rock pour dire les choses rapidement et qui continue, 30 ans après sa création, à susciter bien des bonheurs, tant sur scène que sur disque. C’est l’occasion pour moi de saluer un autre groupe de la même génération, dont l’ADN est différent mais tout aussi riche, Post Image. Rien à voir avec le disque qui nous occupe aujourd'hui, mais ça me fait plaisir de les citer. J'ai bien le droit, non ?

Cette parenthèse étant refermée (les Sixunophiles comprendront par ailleurs le titre de ma note), j’aimerais susciter chez la plupart d’entre vous une certaine impatience avant la sortie officielle de l’album. Entre compositions originales et reprises à la fois inattendues et finalement naturelles dans cet environnement fécond (« Gypsy Eyes », forcément, mais aussi « Take Five » du Dave Brubeck Quartet ou « Caravan » de Duke Ellington), le trio joue la carte de l’épanouissement, du plaisir en partage. Un voyage en dix étapes chaleureuses, qui n’est pas sans évoquer les aventures d’un autre trio, celui qu’avaient formé en leur temps trois immenses artistes : Paco De Lucia – encore lui, forcément, Al Di Meola et John McLaughlin. Ceux-là avaient porté très haut le niveau des échanges et, malgré une compétition d’égos qui avait fini par nuire à la bonne santé de leur association, avait su conquérir un public très large qui reste encore fasciné par un album tel que Friday Night In San Francisco. Loin de moi l’idée de pousser trop loin la comparaison avec ce dream trio, mais je serais très surpris si les musiciens à l’œuvre dans ce beau Gypsy Eyes en niaient une petite part de paternité.

Brasser, fusionner, dépasser, atteindre d’autres sommets, être en accord avec soi-même, entretenir une flamme et raconter de belles histoires. Voilà en quelques mots une façon de résumer un disque qui exprime la fascination qu’éprouve Louis Winsberg pour les Gitans, « ce peuple du vent, ces artistes de feu, libres et fiers ». Voilà qui fait du bien à entendre – et surtout à écouter – en ces heures de stigmatisation nauséabonde.

Et pour finir, laissons Louis Winsberg nous expliquer lui-même de quoi il retourne. Peut-être aurais-je dû commencer par là...

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